COUR SUPRÊME DU CANADA
Référence : Québec (Commission des normes du travail) c. Asphalte Desjardins inc., 2014 CSC 51, [2014] 2 R.C.S. 514
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Date : 20140725 Dossier : 35375 |
Entre :
Commission des normes du travail
Appelante
et
Asphalte Desjardins inc.
Intimée
Coram : La juge en chef McLachlin et les juges LeBel, Rothstein, Cromwell, Moldaver, Karakatsanis et Wagner
Motifs de jugement : (par. 1 à 72) |
Le juge Wagner (avec l’accord de la juge en chef McLachlin et des juges LeBel, Rothstein, Cromwell, Moldaver et Karakatsanis) |
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comm. normes du travail c. asphalte desjardins, 2014 CSC 51, [2014] 2 R.C.S. 514
Commission des normes du travail Appelante
c.
Asphalte Desjardins inc. Intimée
Répertorié : Québec (Commission des normes du travail) c. Asphalte Desjardins inc.
2014 CSC 51
N o du greffe : 35375.
2014 : 28 mars; 2014 : 25 juillet.
Présents : La juge en chef McLachlin et les juges LeBel, Rothstein, Cromwell, Moldaver, Karakatsanis et Wagner.
en appel de la cour d’appel du québec
Droit de l’emploi
— Contrats — Contrat de travail à durée indéterminée — Obligation de
donner un délai de congé — Salarié ayant donné délai de congé à son employeur
afin de mettre fin au contrat de travail à une date ultérieure — Employeur
mettant fin au contrat de travail avant date de départ annoncée par salarié —
L’employeur qui reçoit un délai de congé d’un salarié peut-il mettre fin au
contrat de travail avant l’expiration du délai, sans avoir à lui-même donner un
délai de congé ou à verser une indemnité qui en tient lieu?
— Code civil du Québec, art.
Le salarié en cause travaillait pour son employeur depuis 1994. Le vendredi 15 février 2008, le salarié remet à son employeur un avis de démission annonçant qu’il compte mettre fin à son contrat de travail le 7 mars 2008, soit trois semaines plus tard. Le lundi 18 février, n’ayant pas réussi à convaincre le salarié de demeurer en poste, l’employeur décide, sans autre formalité, de mettre fin au contrat de travail dès le lendemain, soit le 19 février 2008, plutôt que le 7 mars 2008 — la date de départ annoncée par le salarié.
L’appelante, la Commission des normes du travail (« Commission »), réclame pour le compte du salarié une indemnité équivalente à trois semaines de préavis, ce qui correspond au délai de congé donné par le salarié dans sa lettre de démission. La Commission réclame également, dans la même proportion, la valeur monétaire du congé annuel. Elle a eu gain de cause en Cour du Québec, mais elle a été déboutée en Cour d’appel.
Arrêt : Le pourvoi est accueilli.
Le présent pourvoi soulève la question de l’interaction des dispositions du Code civil du Québec (« C.c.Q. ») et de la Loi sur les normes du travail eu égard à l’effet d’un délai de congé dans le cadre d’un contrat de travail à durée indéterminée. Une interprétation concordante des dispositions en cause s’impose puisqu’elles s’inscrivent dans le même contexte, à savoir la cessation des relations de travail.
Une partie peut sans
motif mettre fin unilatéralement à un contrat de travail à durée indéterminée,
à la condition toutefois de donner un délai de congé (c’est-à-dire un préavis)
raisonnable à son cocontractant conformément à l’art.
Aux principes édictés
par le
Code civil
s’ajoutent les normes formulées par la
Loi sur les
normes du travail
, dont celle à l’art. 82 qui impose
à l’employeur l’obligation de donner un préavis écrit
au salarié lorsque l’employeur est celui qui met fin au contrat de travail.
Cette disposition précise la durée du préavis en fonction des années de service
du salarié.
À défaut de préavis, l’employeur doit verser au salarié une
indemnité compensatrice équivalente conformément à l’art.
Le contrat de travail
à durée indéterminée ne prend pas fin au moment même où le délai de congé est
donné conformément à l’art.
Il est inopportun de
traiter de la question de l’effet du délai de congé sous l’angle de la
renonciation. Le fait de donner un délai de congé annonce la fin du contrat de
travail : il ne permet pas de déroger au principe selon lequel une partie
ne peut unilatéralement cesser d’exécuter ses obligations contractuelles au
détriment des droits de l’autre partie. L’argument fondé sur la renonciation au
délai de congé dans ce contexte est une fiction irrecevable. L’employeur qui
précipite la fin du contrat après qu’un salarié lui a donné un délai de congé
n’effectue pas une « renonciation », mais bien une résiliation
unilatérale du contrat de travail, ce qui n’est autorisé que suivant les
modalités prévues par la loi (art.
En somme, un
employeur qui reçoit d’un salarié le délai de congé prévu à l’art.
Par ailleurs, l’art.
Enfin, il convient de
retenir la distinction entre des circonstances comme celles de la présente
espèce et celles où un salarié démissionne sur-le-champ en offrant néanmoins de
rester à l’emploi pendant un certain temps, auquel cas, si l’employeur souhaite
effectivement que le salarié quitte sur-le-champ, il y a rencontre des
volontés, et le délai de congé n’est pas nécessaire puisqu’un contrat à durée
indéterminée peut prendre fin de l’accord des parties. Dans un tel cas, l’art.
En l’espèce, les
circonstances entourant la démission du salarié n’étaient pas ambiguës. En
remettant une lettre annonçant sa démission, le salarié n’a pas mis fin au
contrat immédiatement : il s’est plutôt conformé aux exigences de l’art.
Jurisprudence
Arrêts
mentionnés :
ChemAction inc. c. Clermont
,
Lois et règlements cités
Code civil du Québec , art. 1380, 1439, 2085 à 2097, 2086, 2087, 2088, 2091, 2092, 2094.
Loi sur les normes du travail , RLRQ, ch. N-1.1, art. 82, 83, 114.
Doctrine et autres documents cités
Béliveau, Nathalie-Anne, avec la collaboration de Marc Ouellet. Les normes du travail , 2 e éd. Cowansville, Qué. : Yvon Blais, 2010.
Gagnon, Robert P. Le droit du travail du Québec , 7 e éd., mis à jour par Langlois Kronström Desjardins, sous la direction de Yann Bernard et autres. Cowansville, Qué. : Yvon Blais, 2013.
Lluelles, Didier, et Benoît Moore. Droit des obligations , 2 e éd. Montréal : Thémis, 2012.
Morin,
Fernand. «
Démission
et
congédiement
: la difficile
parité des règles de droit applicables à ces deux actes »
Morin, Fernand, et autres. Le droit de l’emploi au Québec , 4 e éd. Montréal : Wilson & Lafleur, 2010.
Québec. Ministère de la Justice. Commentaires du ministre de la Justice , t. II, Le Code civil du Québec — Un mouvement de société . Québec : Publications du Québec, 1993.
POURVOI contre un
arrêt de la Cour d’appel du Québec (les juges Pelletier, Bich et Fournier),
Robert Rivest et Jessica Laforest , pour l’appelante.
Claude J. Denis et Frédérick Langlois , pour l’intimée.
Le jugement de la Cour a été rendu par
[1] Le juge Wagner — Le présent pourvoi porte sur le délai de congé servant à mettre fin à un contrat de travail à durée indéterminée. Plus particulièrement, il s’agit de trancher la question de savoir si l’employeur qui reçoit un délai de congé d’un salarié peut mettre fin au contrat de travail avant l’expiration du délai, sans avoir à lui-même donner un délai de congé ou à verser une indemnité qui en tient lieu. Je suis d’avis de répondre par la négative à cette question et d’accueillir le pourvoi, et voici pourquoi.
I. Le contexte
[2] Les faits de l’espèce ne sont pas contestés. Le salarié en cause, M. Daniel Guay, travaillait pour l’intimée, Asphalte Desjardins inc., depuis 1994. Cette dernière œuvre dans le domaine du pavage et tire ses revenus de contrats avec des municipalités et le gouvernement provincial. Il existe une certaine concurrence dans le domaine et les contrats sont généralement attribués au moyen d’appels d’offres. Monsieur Guay occupait le poste de directeur de projets et avait accès à des renseignements confidentiels, y compris les prix proposés par l’entreprise dans ses soumissions ainsi que les coûts de réalisation des travaux par celle-ci.
[3] Le vendredi 15 février 2008, M. Guay remet à Asphalte Desjardins un avis de démission annonçant qu’il compte mettre fin à son contrat de travail le 7 mars 2008, soit trois semaines plus tard. En remettant son avis de démission, M. Guay précise qu’il quitte pour travailler chez un concurrent, lequel lui offre des conditions salariales plus avantageuses. Il souligne également que le délai de trois semaines sera suffisant pour finaliser les dossiers et assurer une transition ordonnée avec son successeur.
[4] Le lundi 18 février, certains dirigeants d’Asphalte Desjardins tentent de convaincre M. Guay de demeurer en poste, mais sans succès. Asphalte Desjardins décide donc, sans autre formalité, de mettre fin au contrat de travail dès le lendemain, soit le 19 février 2008, plutôt que le 7 mars 2008 — la date de départ annoncée par M. Guay.
[5]
L’appelante, la Commission des normes du travail (« Commission »),
réclame pour le compte de M. Guay une indemnité équivalente à trois semaines de
préavis, ce qui correspond au délai de congé donné par M. Guay dans sa lettre
de démission, nonobstant l’art.
II. Historique judiciaire
A.
Cour
du Québec,
[6]
Le juge Massol accueille la demande de la Commission, à l’exception de
sa réclamation pour obtenir une somme forfaitaire de 20 p. 100 pour son compte
en vertu de l’art.
[7]
Selon le juge Massol, il y a lieu de faire la distinction entre, d’une
part, un salarié qui annonce son intention de démissionner à une date
déterminée (comme en l’espèce) et, d’autre part, un salarié qui annonce son
intention de démissionner sur-le-champ tout en
offrant
de travailler
pendant un certain temps (comme dans l’affaire
ChemAction inc. c. Clermont
,
[8]
À cet égard, le juge Massol souligne que le salarié peut choisir le
moment à partir duquel la cessation du lien d’emploi prendra effet. Ce choix
doit être respecté dès lors que le salarié se conforme à l’obligation imposée
par l’art.
B.
Cour d’appel du Québec,
(1) Motifs majoritaires de la juge Bich (auxquels souscrit le juge Fournier)
[9]
Sous la plume de la juge Bich, la majorité de la Cour d’appel du Québec
accueille l’appel d’Asphalte Desjardins et rejette l’action de la Commission.
Selon la majorité, le délai de congé prévu à l’art.
[10]
La majorité ajoute par ailleurs que le délai de congé prévu à l’art.
[11]
L’objet, le but et la nature de l’obligation de donner un délai de congé
amènent a priori à conclure que la partie qui reçoit le délai de congé peut y
renoncer (par. 60). La majorité souligne cependant qu’en raison du risque
d’abus que cela peut entraîner pour le salarié, le législateur a édicté une
mesure de protection à son intention à l’art.
[12]
La majorité rappelle que, de façon générale, le contrat de travail se
poursuit pendant le délai de congé, sauf si la partie qui reçoit le délai de
congé y renonce (par. 66). Elle ajoute cependant que la renonciation de
l’employeur au délai de congé que lui donne le salarié ne peut être considérée
comme mettant fin au contrat au sens de l’art.
[13]
Quant à la distinction entre la situation où un salarié annonce son
intention de démissionner à une date ultérieure et celle où un salarié annonce
son intention de démissionner sur-le-champ tout en offrant de demeurer à
l’emploi un certain temps, elle est rejetée par la majorité. Selon la majorité,
dans un cas comme dans l’autre, l’employeur peut renoncer au délai de congé
sans entraîner pour autant l’application de l’art.
[14] Dans un autre ordre d’idées, la majorité est d’avis qu’il n’y a pas lieu de remettre en question la pratique selon laquelle l’employeur peut, à sa convenance, résilier immédiatement le contrat en versant au salarié une indemnité au lieu de donner un délai de congé. Selon la majorité, l’application des motifs dissidents du juge Pelletier mettrait en péril cette pratique (par. 82).
[15]
En somme, la majorité de la Cour d’appel conclut que l’employeur peut
librement renoncer au délai de congé que le salarié démissionnaire est tenu de
lui donner en vertu de l’art.
[16]
La majorité invite finalement le législateur à intervenir afin
de changer l’état du droit quant à l’applicabilité de
l’art.
(2) Motifs dissidents du juge Pelletier
[17]
Le juge Pelletier aurait pour sa part rejeté l’appel et confirmé le
jugement de première instance. Il souligne que cette affaire soulève « le
problème de l’interaction des articles
[18] En l’espèce, il n’y a pas eu selon le juge Pelletier rencontre des volontés quant à la terminaison immédiate du lien d’emploi (par. 25). Le juge Pelletier souligne à cet égard qu’Asphalte Desjardins ne plaide pas que M. Guay a consenti à la cessation immédiate du contrat de travail. Elle soutient plutôt que l’avis de démission remis par ce dernier donnait à l’entreprise l’occasion de renoncer unilatéralement à la prestation de travail pour le temps à écouler jusqu’au 7 mars 2008, et que cette renonciation lui permettait de se libérer de son obligation de payer à M. Guay son salaire (par. 26). Au soutien de cette prétention, Asphalte Desjardins invoque expressément la notion de remise au sens du Code civil du Québec . Or, selon le juge Pelletier, il ne peut y avoir remise, puisqu’une remise de dette est un contrat synallagmatique nécessitant l’accord des deux parties (par. 27). Le juge Pelletier ajoute que, dans la meilleure des hypothèses pour Asphalte Desjardins, il s’agirait d’une renonciation ayant accessoirement un effet libérateur pour l’une et l’autre des parties (par. 28).
[19]
Le juge Pelletier rappelle que conformément à l’art.
[20]
Le juge Pelletier ajoute également qu’à son avis, il est inapproprié
d’analyser le problème en cause sous l’angle de la renonciation puisque le
contrat de travail entre les parties demeurait applicable pendant le délai de
congé, et que seule une entente entre les parties, et non un geste unilatéral,
pouvait les libérer de leurs obligations
(par.
36)
. En l’espèce, Asphalte Desjardins a mis fin unilatéralement au lien
d’emploi le 19 février 2008 au sens de l’art.
[21]
Le juge Pelletier avance deux autres arguments au soutien de son
raisonnement. Premièrement, selon lui, la thèse d’Asphalte Desjardins signifie
que « la démission faite conformément à l’art.
[22]
Finalement, le juge Pelletier est d’avis qu’Asphalte Desjardins, ayant
mis fin au lien d’emploi au sens de l’art.
III. Question en litige
[23] Le pourvoi soulève la question suivante : Dans le cadre d’un contrat de travail à durée indéterminée, un employeur qui a reçu un délai de congé d’un salarié est-il autorisé par la loi à mettre fin au contrat avant l’expiration de ce délai, sans être tenu de donner à son tour à ce salarié un délai de congé ou une indemnité qui en tient lieu?
IV. Analyse
[24] Je suis d’avis de retenir en partie les motifs exposés par le juge Pelletier, d’accueillir le pourvoi et de rétablir le jugement de première instance.
[25]
D’emblée, je souligne que par ses motifs, la majorité de la Cour d’appel
du Québec met en relief une certaine confusion sur la notion de délai de congé,
sur ses effets et sur les événements qui permettent de conclure à la cessation
d’un contrat de travail. Ce faisant, la Cour d’appel a écarté un courant
jurisprudentiel bien établi en première instance au Québec en matière de
relations de travail, suivant lequel l’employeur ne peut renoncer au délai de
congé sans entraîner pour autant l’application des art.
[26] Il va de soi qu’une décision d’une cour d’appel qui renverse un courant jurisprudentiel dominant en première instance n’est pas pour ce seul motif contestable en droit. Au contraire, il est du ressort d’une cour d’appel de procéder ainsi. Après tout, il y a toujours une première fois dans l’évolution du droit. Cela dit, on ne peut néanmoins ignorer l’impact d’un revirement aussi radical dans un domaine du droit dont les contours sont non seulement façonnés par des règles du droit civil, mais également tributaires de dispositions législatives spécifiques et exclusives aux relations de travail, d’où l’importance du présent pourvoi.
[27] J’estime opportun de rappeler d’abord certains principes et normes applicables aux contrats de travail à durée indéterminée, et d’aborder ensuite la question du délai de congé mettant fin à de tels contrats.
A. Principes et normes applicables au contrat de travail à durée indéterminée
[28]
Le contrat de travail est un contrat synallagmatique, créant des
obligations à la charge de chaque partie (art.
[29]
De manière plus générale, l’art.
[30]
La faculté de résiliation unilatérale fondée sur un texte de loi « est
un privilège exceptionnel, voué à une application stricte » (Lluelles et
Moore, p. 1198). En matière de contrat de travail, le
Code civil
prévoit
deux cas de figure où une partie peut mettre fin unilatéralement à la relation
contractuelle. Premièrement, une partie peut résilier unilatéralement le
contrat de travail pour motif sérieux sans donner de préavis (art.
2091. Chacune des parties à un contrat à durée indéterminée peut y mettre fin en donnant à l’autre un délai de congé.
Le délai de congé doit être raisonnable et tenir compte, notamment, de la nature de l’emploi, des circonstances particulières dans lesquelles il s’exerce et de la durée de la prestation de travail.
[31]
Il convient également de noter, puisque ceci revêt une importance
capitale pour l’issue du présent pourvoi, que l’obligation de donner un délai
de congé imposée par l’art.
[32]
Aux principes édictés par le
Code
civil
s’ajoutent les normes formulées par la
Loi sur les normes du
travail
, laquelle vise à corriger le déséquilibre des forces entre
employeur et salarié en établissant des normes minimales à l’intention des salariés
au moyen de dispositions d’ordre public (
Martin c. Compagnie d’assurances du
Canada sur la vie
,
[33]
Parmi ces normes figure celle exprimée à
l’art.
82. Un employeur doit donner un avis écrit à un salarié avant de mettre fin à son contrat de travail ou de le mettre à pied pour six mois ou plus.
Cet avis est d’une semaine si le salarié justifie de moins d’un an de service continu, de deux semaines s’il justifie d’un an à cinq ans de service continu, de quatre semaines s’il justifie de cinq à dix ans de service continu et de huit semaines s’il justifie de dix ans ou plus de service continu.
. . .
Le présent article n’a pas pour effet de priver un salarié d’un droit qui lui est conféré par une autre loi.
83. L’employeur qui ne donne pas l’avis prévu à l’article 82 ou qui donne un avis d’une durée insuffisante doit verser au salarié une indemnité compensatrice équivalente à son salaire habituel, sans tenir compte des heures supplémentaires, pour une période égale à celle de la durée ou de la durée résiduaire de l’avis auquel il avait droit.
. . .
[34]
L’objectif de l’art. 82 est de prévenir
le salarié que le lien d’emploi sera bientôt rompu et de lui consentir un délai
raisonnable pour lui permettre de se trouver un nouvel emploi (voir, à titre
d’exemple,
Commission des normes du travail c. Centre de décoration des sols
inc.
,
[35]
Les parties peuvent d’un commun accord convenir d’allonger la durée
minimale du préavis établie par la
Loi sur les normes du travail.
De
plus, même en l’absence d’une telle stipulation au contrat, il est possible qu’un
salarié puisse, en application de l’art.
[36] Ayant fait ce tour d’horizon des principes et normes applicables au contrat de travail à durée indéterminée, il y a lieu de rappeler que le présent pourvoi soulève la question de l’interaction des dispositions du Code civil et de la Loi sur les normes du travail eu égard à l’effet du délai de congé. À mon avis, une interprétation concordante des dispositions du Code civil et de la Loi sur les normes du travail en cause s’impose, puisqu’elles s’inscrivent toutes dans le même contexte, à savoir la cessation des relations de travail. Le Code civil tisse la toile de fond des relations contractuelles entre le salarié et l’employeur en milieu de travail et il établit le droit commun applicable à toutes les parties liées par un contrat de travail. La Loi sur les normes du travail , dans le contexte du présent pourvoi, vient préciser les obligations de l’employeur et, vu son objectif, il y a lieu de l’interpréter de manière large et libérale.
B. L’effet du délai de congé
[37]
La Cour d’appel du Québec dans le jugement dont appel (tant la majorité
que la dissidence), à l’instar de la doctrine, reconnaît à juste titre que le
contrat de travail à durée indéterminée ne prend pas fin au moment même où le
délai de congé est donné conformément à l’art.
[38]
Il est acquis qu’il n’y a pas résiliation automatique du contrat dès
réception d’un délai de congé et qu’au contraire, la relation contractuelle continue
jusqu’à la date prévue par le délai de congé donné par le salarié ou
l’employeur. En conséquence, même après que l’une des parties au contrat de travail
à durée indéterminée a donné un délai de congé à son cocontractant, chaque
partie demeure tenue de respecter les obligations qui lui incombent en vertu du
contrat de travail jusqu’à l’expiration de ce délai. Cela comprend l’obligation
de donner un délai de congé en vertu de l’art.
[39] À l’instar du juge Pelletier, il m’apparaît inopportun de traiter de la question de l’effet du délai de congé sous l’angle de la renonciation. Le fait de donner un délai de congé annonce la fin du contrat de travail : il ne permet pas de déroger au principe selon lequel une partie ne peut unilatéralement cesser d’exécuter ses obligations contractuelles au détriment des droits de l’autre partie. L’argument fondé sur la renonciation au délai de congé dans ce contexte est une fiction irrecevable.
[40]
L’employeur qui précipite la fin du contrat après qu’un salarié lui a donné
un délai de congé n’effectue pas une « renonciation », mais bien une
résiliation unilatérale du contrat de travail, ce qui n’est autorisé que
suivant les modalités prévues par la loi (art.
[41]
En somme, un employeur qui reçoit d’un salarié le délai de congé prévu à
l’art.
[42] Contrairement à la majorité de la Cour d’appel, je ne peux me résoudre à conclure que le principe général selon lequel le contrat se poursuit pendant le délai de congé connaît une exception lorsque la partie qui reçoit le délai de congé y renonce. Avec égards, si on accepte cette conclusion, il faut également reconnaître que c’est la partie qui « renonce » au bénéfice du délai de congé qui met fin unilatéralement au contrat, avec les conséquences que cela emporte pour l’employeur.
[43]
Je suis d’accord avec la juge Bich lorsqu’elle affirme, au nom de la
majorité de la Cour d’appel, que le délai de congé n’est pas porteur d’une
obligation synallagmatique qui lierait la partie qui le reçoit (par. 56). C’est
en raison du contrat de travail à durée indéterminée que les parties ont des
obligations réciproques : ayant été avisée de la date à laquelle une
partie souhaite mettre fin à ce contrat conformément à l’art.
[44]
Bien sûr, on ne peut « imposer »
à l’employeur le délai de congé décidé unilatéralement par le salarié. Un
employeur peut refuser qu’un salarié se présente sur les lieux de travail pour
la durée du délai, mais il doit néanmoins le rémunérer pour cette période, dans
la mesure où le délai de congé fourni par le salarié est raisonnable.
L’employeur peut également choisir de mettre fin au contrat moyennant un délai
de congé raisonnable ou une indemnité correspondante, le tout conformément à
l’art.
(1)
La
réciprocité de l’obligation de donner un délai de congé imposée par l’art.
[45] Au paragraphe 58 de ses motifs, la majorité de la Cour d’appel en arrive à la conclusion suivante au sujet de l’obligation de donner un délai de congé :
Ainsi, le salarié ne peut imposer à l’employeur de respecter intégralement le préavis que le premier, unilatéralement, donne au second; pareillement, lorsque c’est l’employeur qui résilie le contrat et donne un délai de congé « travaillé » au salarié, celui-ci ne peut pas être contraint, à mon avis, de le respecter jusqu’à la toute fin et, s’il décide de partir plus tôt, il ne peut certainement pas être tenu de donner à son tour un préavis de ce départ anticipé ou d’indemniser l’employeur qui comptait sur ses services jusqu’à la fin du délai de congé. [Je souligne.]
[46]
L’obligation de donner un délai de congé énoncée à l’art.
[47]
Certes, comme il s’agit d’un contrat
intuitu personae
, l’on ne
saurait forcer le salarié à exécuter le contrat en nature s’il souhaite quitter
l’entreprise. Il n’en demeure pas moins qu’il sera à son tour tenu de donner un
délai de congé raisonnable pour respecter les prescriptions de l’art.
(2) Le délai de congé au bénéfice des deux parties
[48]
Tel que noté précédemment, la majorité de la Cour d’appel souligne que
le délai de congé a pour but de permettre «
à la partie qui le reçoit
de pallier les inconvénients découlant d’une rupture qu’elle ne peut ni contrer
ni empêcher » (par. 55 (en italique dans l’original)). Selon la majorité,
bien que le délai de congé puisse en pratique comporter des avantages pour la
partie
qui le donne
— du fait, à titre d’exemple, qu’elle ménage ainsi
une période de transition —, il ne s’agit pas là de l’objet de l’art.
[49] Or, le délai de congé n’est pas donné au seul bénéfice de la personne qui le reçoit. En effet, peu importe qui met fin au contrat, le délai de congé peut être avantageux pour les deux parties : Lorsqu’il est donné par le salarié, ce dernier compte sur le délai pour les besoins de sa planification financière, alors que l’employeur peut l’utiliser pour atténuer les inconvénients que la démission de son salarié pourrait entraîner. De même, lorsque le délai de congé est donné par l’employeur, ce dernier peut profiter de la période de transition correspondant au délai pour finaliser certains dossiers du salarié, alors que le salarié en fera usage pour s’ajuster financièrement et se trouver un nouvel emploi, le cas échéant.
[50] En somme, je suis d’avis que le délai de congé sert non seulement les intérêts de celui qui le reçoit, mais aussi ceux de celui qui le donne, et ce, dans des cas de figure qui sont loin d’être aussi exceptionnels que le laissent entendre les motifs de la majorité de la Cour d’appel à cet égard. Contrairement à la majorité de la Cour d’appel, j’en arrive à la conclusion que le délai de congé n’est pas qu’au seul bénéfice de celui qui le reçoit, mais bien au bénéfice des deux parties au contrat de travail.
(3)
La
protection conférée au salarié en vertu de l’art.
[51]
L’article
2092. Le salarié ne peut renoncer au droit qu’il a d’obtenir une indemnité en réparation du préjudice qu’il subit, lorsque le délai de congé est insuffisant ou que la résiliation est faite de manière abusive.
[52]
L’article
[53]
Il s’agit d’une disposition de protection d’ordre public et le salarié —
la partie en faveur de laquelle la disposition a été édictée — ne peut renoncer
au droit en cause qu’une fois qu’il est acquis (
Isidore Garon ltée c.
Tremblay
,
[54]
L’article
[55]
En commentant la portée de l’art.
[56]
L’article
[57]
Contrairement à ce qui est énoncé dans les motifs de la majorité de la
Cour d’appel, l’art.
Paradoxalement, toutefois, le fait que le
législateur, à l’article
Je note par ailleurs que, selon la
jurisprudence, l’article
[58]
Avec égards, ce raisonnement
a contrario
de la majorité de la
Cour d’appel ne peut être retenu. Le fait que le législateur a édicté une
mesure de protection en faveur du salarié à l’art.
[59]
Comme l’art.
[60]
Avec égards, je suis d’avis que la majorité de la Cour d’appel commet
une erreur lorsqu’elle confond la renonciation à l’indemnité avec la
renonciation au délai de congé dans son analyse de l’art.
(4) Le délai de congé ou un accord en vue de mettre fin au contrat
[61] Il convient de retenir la distinction entre des circonstances comme celles de la présente espèce et celles où un salarié démissionne sur-le-champ en offrant néanmoins de rester à l’emploi pendant un certain temps. Cette distinction m’apparaît avoir une incidence juridique et, contrairement à la majorité de la Cour d’appel, je suis d’avis qu’elle va au-delà d’une « sémantique de circonstance » (motifs de la Cour d’appel, par. 73). Faire abstraction de cette distinction enlève une mesure de flexibilité à l’analyse relative à la fin de la relation de travail. Certes, le délai de congé est une obligation qui, jusqu’à son expiration (et jusqu’à expiration du contrat), incombe tant à l’employeur qu’au salarié, mais les deux parties peuvent par ailleurs très bien convenir, si elles le désirent, de mettre fin immédiatement au contrat, et ainsi se soustraire à l’obligation de donner un délai de congé (voir, à titre d’exemple, Commission des normes du travail c. Quesnel , [1999] J.Q. n o 6966 (QL) (C.Q.)).
[62]
Le salarié qui avise son employeur qu’il entend démissionner
sur-le-champ, mais offre néanmoins de rester un certain temps, doit comprendre
et accepter que l’employeur peut ne pas se prévaloir du droit de recevoir un
délai de congé : si l’employeur souhaite effectivement que le salarié
quitte sur-le-champ, il y a rencontre des volontés, et le délai de congé n’est
pas nécessaire puisqu’un contrat à durée indéterminée peut prendre fin de
l’accord des parties (art.
[63] Il existe donc une distinction juridique importante entre une telle situation factuelle et celle dont il est question en l’espèce. Je reconnais, à l’instar de la majorité de la Cour d’appel, que les salariés ne s’expriment pas toujours avec toute la clarté voulue lorsqu’ils communiquent à leur employeur leur décision par ailleurs souvent difficile de quitter leur emploi. Cela n’élimine pas pour autant la différence fondamentale entre les deux scénarios.
(5) Considérations d’ordre pratique
[64]
Je tiens à souligner que les conséquences pratiques de la décision
majoritaire de la Cour d’appel sont indésirables. Les salariés — qui sont déjà
des parties vulnérables — seraient effectivement exposés au risque de perdre
leur salaire du simple fait qu’ils doivent se conformer à l’art.
[65] Ce résultat n’est certes pas souhaitable, et la majorité de la Cour d’appel le reconnaît d’ailleurs avec sagesse et justesse avant de suggérer l’intervention du législateur. Une intervention législative n’est cependant pas nécessaire car une interprétation concordante des dispositions pertinentes du Code civil et de la Loi sur les normes du travail permet d’éviter adéquatement un tel résultat.
C. Application aux faits de l’espèce
[66]
En l’espèce, les circonstances entourant la démission de M. Guay
n’étaient pas ambiguës. Le 15 février 2008, en remettant une lettre annonçant
sa démission devant prendre effet le 7 mars 2008, M. Guay n’a pas mis fin au
contrat immédiatement : il s’est plutôt conformé aux exigences de l’art.
[67]
À compter du 15 février 2008, et ce, jusqu’au 7 mars 2008, tant M. Guay
qu’Asphalte Desjardins demeuraient créanciers et débiteurs des obligations
découlant du contrat de travail à durée indéterminée, dont la fin était fixée
au 7 mars 2008. En demandant à M. Guay de quitter le 19 février 2008, Asphalte
Desjardins a cessé d’exécuter les obligations qui lui incombaient en vertu du
contrat de travail : c’est-à-dire, permettre à M. Guay de fournir sa
prestation de travail et le rémunérer (art.
[68]
Il importe peu, à cet égard, que M. Guay ait déjà obtenu un autre emploi
et que ce nouvel employeur ait accepté que celui-ci entre en fonction plus tôt,
étant donné la décision d’Asphalte Desjardins de précipiter la fin du contrat.
En règle générale, outre les cas de fraude ou de complot en vue de nuire, un
tiers tel qu’Asphalte Desjardins par rapport au contrat de travail entre M.
Guay et son nouvel employeur ne peut en tirer avantage et ainsi être libéré de
ses propres obligations (
Transforce inc. c. Baillargeon
,
[69]
Suivant les délais minimums prescrits au deuxième alinéa de l’art.
[70] Le juge Pelletier aurait accordé une indemnité équivalente à trois semaines en se basant sur la rencontre des volontés des parties : à partir du 7 mars 2008, ce n’était plus le seul geste unilatéral de l’employeur qui expliquait la fin du contrat d’emploi, mais bien l’accord des parties (par. 45). Bien qu’intuitivement séduisante, cette approche pose problème dans la mesure où elle attribue à l’employeur l’intention de mettre fin au contrat le 7 mars 2008. Or, il est difficile d’adhérer à ce raisonnement, car Asphalte Desjardins désirait clairement que M. Guay quitte le 19 février 2008.
[71]
À mon avis, il est préférable de laisser pour plus tard la question de
décider si la durée du préavis prévue à l’art.
V. Conclusion
[72] Pour les motifs qui précèdent, je suis d’avis d’accueillir le pourvoi avec dépens. La Commission peut réclamer pour M. Guay une indemnité de délai de congé équivalente à trois semaines de salaire, ainsi que la somme due au titre du congé annuel, le tout conformément au montant total déterminé par le juge de première instance.
Pourvoi accueilli avec dépens.
Procureurs de l’appelante : Rivest, Tellier, Paradis, Montréal.
Procureurs de l’intimée : Claude J. Denis, Laval; Deveau, Bourgeois, Gagné, Hébert & associés, Gatineau.