Date : 20140725
Dossier : A-176-13
Référence : 2014 CAF 180
CORAM: |
LE JUGE PELLETIER LA JUGE DAWSON LE JUGE STRATAS |
ENTRE : |
|
RAHEAL HABTENKIEL |
|
appelante |
|
et |
|
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION |
|
intimé |
Audience tenue à Winnipeg (Manitoba) , le 15 janvier 2014 .
Jugement rendu à Ottawa (Ontario) , le 25 juillet 2014 .
MOTIFS DU JUGEMENT : |
LE JUGE PELLETIER |
Y ONT SOUSCRIT : |
LA JUGE DAWSON LE JUGE STRATAS |
Date : 20140725
Dossier : A-176-13
Référence : 2014 CAF 180
CORAM: |
LE JUGE PELLETIER LA JUGE DAWSON LE JUGE STRATAS |
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ENTRE : |
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|
RAHEAL HABTENKIEL |
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|
appelante |
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|
et |
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LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION |
|
|
intimé |
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|
MOTIFS DU JUGEMENT
LE JUGE PELLETIER
[1]
M
me
Habtenkiel est une
jeune femme qui veut rejoindre son père au Canada. Malheureusement, son père ne
l’a pas mentionnée comme membre de la famille ne l’accompagnant pas lorsqu’il a
immigré au Canada, de sorte qu’aucun agent des visas ne l’a soumise à l’époque à
un contrôle. Par conséquent, elle est exclue de la catégorie du regroupement
familial et ne peut venir au Canada que si le ministre, dans l’exercice du
pouvoir discrétionnaire que lui confère l’article
[2]
La demande fondée sur des motifs
d’ordre humanitaire de M
me
Habtenkiel a été rejetée. Celle - ci
a sollicité le contrôle judiciaire de cette décision, mais cette demande a
aussi été rejetée (
Habtenkiel c. Canada (Citoyenneté et Immigration
,
[3] Tout en concluant que la juge de première instance a commis une erreur dans son analyse du droit de M me Habtenkiel de présenter une demande de contrôle judiciaire, je rejetterais néanmoins l’appel, puisque rien ne justifie l’intervention de la Cour à l’égard de la décision de l’agente des visas.
[4] Le père de M me Habtenkiel est venu au Canada en janvier 2009. Dans sa demande de visa de résident permanent, il n’a pas déclaré M me Habtenkiel comme étant sa fille, parce qu’elle était née hors mariage d’une femme autre que son épouse actuelle. Son père ne l’ayant pas déclarée comme membre de la famille ne l’accompagnant pas, M me Habtenkiel n’a pas fait l’objet d’un contrôle par un agent des visas.
[5] M me Habtenkiel est née le 14 août 1995, de sorte qu’elle avait 15 ans au moment où elle a présenté sa demande. Elle a vécu avec sa mère les deux premières années de sa vie puis, lorsque celle-ci est allée travailler en Arabie saoudite, avec divers parents et, enfin, à l’orphelinat. M me Habtenkiel a affirmé qu’elle voyait sa mère tous les deux ou trois ans.
[6] M me Habtenkiel avait cinq ans lorsqu’elle a rencontré son père pour la première fois. Elle lui parlait au téléphone de temps en temps. À l’âge de 14 ans, M me Habtenkiel s’est rendue en Arabie saoudite par ses propres moyens dans l’espoir d’y trouver son père, mais à ce moment-là, ce dernier était déjà parti au Canada. Elle est alors allée au Soudan, où elle a présenté sa demande de visa de résidente permanente. Elle y vivait chez un cousin de son père, à qui ce dernier et sa mère versaient de l’argent pour ses besoins.
[7]
Le père de M
me
Habtenkiel
a présenté une demande de parrainage, mais on l’a informé que, puisqu’il ne
l’avait pas déclarée dans sa demande de visa de résident permanent, elle était
exclue de la catégorie du regroupement familial par application de
l’alinéa
[8] L’agente des visas qui a examiné la demande de M me Habtenkiel a relevé qu’elle n’avait jamais vécu avec son père et qu’aucune preuve ne laissait voir un intérêt sérieux manifesté par le père à un moment quelconque pour sa fille. L’agente a considéré la question de la réunification de la famille, mais elle a conclu que, comme le père et la fille n’avaient jamais vécu ensemble et qu’il n’existait pas entre eux de liens affectifs, cette question n’était pas pertinente.
[9] L’agente des visas n’a pas traité expressément de la question de l’intérêt supérieur en tant qu’enfant, au moment de sa demande, de M me Habtenkiel.
[10] L’agente des visas a ainsi conclu qu’aucune circonstance atténuante ne justifiait d’octroyer à M me Habtenkiel un visa de résidente permanente pour des motifs d’ordre humanitaire, et elle a rejeté sa demande.
[11] Le ministre a initialement fait valoir en première instance que M me Habtenkiel ne pouvait pas présenter une demande de contrôle judiciaire par effet combiné du paragraphe 63(1) et de l’alinéa 72(2) a ), reproduits ci-après, de la Loi :
63. (1) Quiconque a déposé, conformément au règlement, une demande de parrainage au titre du regroupement familial peut interjeter appel du refus de délivrer le visa de résident permanent. |
63. (1) A person who has filed in the prescribed manner an application to sponsor a foreign national as a member of the family class may appeal to the Immigration Appeal Division against a decision not to issue the foreign national a permanent resident visa. |
72. (1) Le contrôle judiciaire par la Cour fédérale de toute mesure — décision, ordonnance, question ou affaire — prise dans le cadre de la présente loi est subordonné au dépôt d’une demande d’autorisation. |
72. (1) Judicial review by the Federal Court with respect to any matter — a decision, determination or order made, a measure taken or a question raised — under this Act is commenced by making an application for leave to the Court. |
(2) Les dispositions suivantes s’appliquent à la demande d’autorisation : |
(2) The following provisions govern an application under subsection (1): |
a) elle ne peut être présentée tant que les voies d’appel ne sont pas épuisées; |
(a) the application may not be made until any right of appeal that may be provided by this Act is exhausted; |
[12] Le ministre a d’abord soutenu, pour finalement céder sur ce point, que, comme l’article 63 de la Loi conférait au répondant de M me Habtenkiel le droit d’interjeter appel devant la Section d’appel de l’immigration (la SAI), ce droit d’appel devait être épuisé, conformément à l’alinéa 72(1) a ) de la Loi, avant que M me Habtenkiel puisse exercer son droit de présenter une demande de contrôle judiciaire.
[13]
M
me
Habtenkiel a répliqué
que le droit d’appel devant la SAI était sans valeur, puisque la SAI n’avait d’autre choix que de rejeter l’appel en application de l’alinéa
117 (9) Ne sont pas considérées comme appartenant à la catégorie du regroupement familial du fait de leur relation avec le répondant les personnes suivantes : |
117 (9) A foreign national shall not be considered a member of the family class by virtue of their relationship to a sponsor if |
d) sous réserve du paragraphe (10), dans le cas où le répondant est devenu résident permanent à la suite d’une demande à cet effet, l’étranger qui, à l’époque où cette demande a été faite, était un membre de la famille du répondant n’accompagnant pas ce dernier et n’a pas fait l’objet d’un contrôle. |
(d) subject to subsection (10), the sponsor previously made an application for permanent residence and became a permanent resident and, at the time of that application, the foreign national was a non-accompanying family member of the sponsor and was not examined. |
65. Dans le cas de l’appel visé aux paragraphes 63(1) ou (2) d’une décision portant sur une demande au titre du regroupement familial, les motifs d’ordre humanitaire ne peuvent être pris en considération que s’il a été statué que l’étranger fait bien partie de cette catégorie et que le répondant a bien la qualité réglementaire. |
65. In an appeal under subsection 63(1) or (2) respecting an application based on membership in the family class, the Immigration Appeal Division may not consider humanitarian and compassionate considerations unless it has decided that the foreign national is a member of the family class and that their sponsor is a sponsor within the meaning of the regulations. |
[14] Puisque M me Habtenkiel n’était pas désignée dans la demande de visa de résident permanent de son père comme membre de la famille qui ne l’accompagnait pas, elle n’a pas fait l’objet d’un contrôle. Elle était donc exclue de la catégorie du regroupement familial conformément à l’alinéa 117(9) d ) et elle n’a pas contesté cette exclusion. M me Habtenkiel ne pouvait surmonter les effets de l’exclusion qu’en convainquant le ministre d’exercer en sa faveur le pouvoir discrétionnaire, conféré par le paragraphe 25(1) de la Loi, de lui accorder une dispense pour des motifs d’ordre humanitaire. Le ministre a refusé d’exercer ce pouvoir. M me Habtenkiel a soutenu que le droit de contester cette décision au moyen d’un appel fondé sur l’article 63 de la Loi était sans valeur, car l’article 65 empêchait la SAI de tenir compte des motifs d’ordre humanitaire lorsque l’étranger ne fait pas partie de la catégorie du regroupement familial. Le rejet de l’appel était ainsi inévitable, puisque seul l’exercice irrégulier du pouvoir discrétionnaire du ministre en vertu du paragraphe 25(1) de la Loi pouvait être invoqué en appel.
[15]
La Cour
fédérale avait accepté l’argument avancé par M
me
Habtenkiel
dans diverses décisions antérieures. Dans la décision
Huot c. Canada (Citoyenneté
et Immigration)
,
[16]
Dans la décision
Phung c. Canada (Citoyenneté
et Immigratio
n
)
,
[…] la restriction prévue à
l’alinéa
Phung , précitée, au paragraphe 28.
[17]
Malgré ce qu’avait concédé le ministre,
la juge de première instance n’a pas suivi cette jurisprudence, qu’elle jugeait
incompatible avec l’arrêt de la Cour
Somodi
c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration)
,
L’article
[18]
Notre Cour a rejeté l’appel et a
répondu par l’affirmative à la question certifiée. Elle a statué que les
dispositions de la Loi portant sur les demandes parrainées au titre de la
catégorie du regroupement familial constituaient une
« procédure
exhaustive et indépendante »
. La procédure prévue par la Loi conférait à la SAI le contrôle en manière d’appel, tandis que toute demande ultérieure de
contrôle judiciaire relevait de la responsabilité du répondant. La Cour a statué que la restriction du droit de demander le contrôle judiciaire prévue à
l’alinéa 72(2)a) de la Loi l’emportait sur le droit général de solliciter
ce contrôle conféré par l’article
[19] Comme il l’a été mentionné ci-dessus, la juge de première instance s’est estimée liée par l’arrêt Somodi de la Cour et a refusé de suivre la jurisprudence de la Cour fédérale. Elle a expliqué que la Cour avait statué, dans l’arrêt Somodi , que la Loi prévoyait un mécanisme particulier pour contester le rejet des demandes parrainées de résidence permanente au titre de la catégorie du regroupement familial. La juge a admis que le fait que la procédure prescrite oblige le répondant à former un appel voué à l’échec manquait d’efficacité, mais qu’il appartenait au législateur, et non à la Cour, de remédier à la situation.
[20] La juge de première instance a certifié la question suivante en vue d’un appel, conformément à l’alinéa 74 d ) de la Loi :
Compte tenu de l’alinéa 72(2)
a
),
du paragraphe 63(1) et de l’article
[21] Dans l’éventualité où l’on conclurait qu’elle a commis une erreur, la juge de première instance a ensuite examiné la demande de contrôle judiciaire sur le fond. Elle a conclu que l’agente des visas avait pris en considération la situation personnelle de M me Habtenkiel, notamment le peu de contacts et l’absence de liens affectifs entre elle et son père. Quant au fait que M me Habtenkiel avait 17 ans au moment de sa demande, la juge a également conclu que l’agente, même si elle n’avait pas employé les termes « l’intérêt supérieur de l’enfant » dans sa décision, avait bien pris en compte son intérêt supérieur en tant qu’enfant. La juge a par conséquent rejeté la demande de contrôle judiciaire de M me Habtenkiel.
[22] Les questions à trancher dans le présent appel sont les suivantes :
1. Par effet combiné, le paragraphe 63(1) et l’alinéa 72(2) a ) de la Loi font-ils obstacle à la présentation, par M me Habtenkiel, d’une demande de contrôle judiciaire?
2. Si M me Habtenkiel a le droit de présenter une demande de contrôle judiciaire, la décision de l’agente des visas en ce qui trait aux motifs d’ordre humanitaire nécessite-t-elle l’intervention de la Cour?
[23]
La question de l’admissibilité au
contrôle judiciaire d’une personne dans la situation de M
me
Habtenkiel
est une pure question d’interprétation législative qui concerne la compétence
de la Cour fédérale. La question de la retenue ne se pose pas, puisqu’aucun
décideur administratif n’a statué sur la question, et on ne pourrait pas lui
demander de le faire. La norme de contrôle que commande une telle question est
celle s’appliquant habituellement entre une cour d’appel et une cour de
première instance à l’égard d’une pure question de droit, soit la norme de la
décision correcte (voir l’arrêt
Housen c. Nikolaisen,
[24] Pour remettre en contexte la question du droit de M me Habtenkiel de présenter une demande de contrôle judiciaire, il convient de passer en revue les dispositions de la Loi qui traitent des demandes de visa de résident permanent et celles traitant des demandes de dispense pour des motifs d’ordre humanitaire.
[25] Une personne qui présente une demande de visa de résident permanent doit préciser la catégorie (le regroupement familial, l’immigration économique ou les réfugiés) au titre de laquelle la demande est faite. La demande faite par l’étranger au titre de la catégorie du regroupement familial doit être précédée ou accompagnée d’une demande de parrainage (voir l’article 10 de la Loi).
[26]
Le résident permanent ou le citoyen qui
parraine un étranger demandant à entrer au Canada au titre de la catégorie du
regroupement familial doit présenter une demande conformément à
l’article
[27]
L’article
70. (1) L’agent délivre un visa de résident permanent à l’étranger si, à l’issue d’un contrôle, les éléments suivants sont établis |
70. (1) An officer shall issue a permanent resident visa to a foreign national if, following an examination, it is established that |
a) l’étranger en a fait, conformément au présent règlement, la demande au titre d’une des catégories prévues au paragraphe (2); |
(a) the foreign national has applied in accordance with these Regulations for a permanent resident visa as a member of a class referred to in subsection (2); |
b) il vient au Canada pour s’y établir en permanence; |
(b) the foreign national is coming to Canada to establish permanent residence; |
c) il appartient à la catégorie au titre de laquelle il a fait la demande; |
(c) the foreign national is a member of that class; |
d) il se conforme aux critères de sélection et autres exigences applicables à cette catégorie; |
(d) the foreign national meets the selection criteria and other requirements applicable to that class; and |
e) ni lui ni les membres de sa famille, qu’ils l’accompagnent ou non, ne sont interdits de territoire. |
(e) the foreign national and their family members, whether accompanying or not, are not inadmissible. |
[28]
Comme M
me
Habtenkiel est
exclue de la catégorie du regroupement familial par l’alinéa
[29] Le paragraphe 25(1) de la Loi autorise le ministre, si un étranger le demande, à étudier le cas de ce dernier et à lever tout critère ou obligation applicable en vertu de la Loi, s’il estime que des considérations d’ordre humanitaire le justifient.
[30]
L’étranger qui se trouve hors du Canada
et qui veut que le ministre étudie son cas doit faire une demande par écrit, et
doit accompagner cette demande d’une demande de visa de résident permanent
(voir l’article
67. Dans le cas où l’application des alinéas 70(1) a ), c ) et d ) est levée en vertu des paragraphes 25(1), 25.1(1) ou 25.2(1) de la Loi à l’égard de l’étranger qui se trouve hors du Canada et qui a fait les demandes visées à l’article 66, un visa de résident permanent lui est délivré si, à l’issue d’un contrôle, les éléments ci-après, ainsi que celui prévu à l’alinéa 70(1) b ), sont établis : […] |
67. If an exemption from paragraphs 70(1)( a ), ( c ) and ( d ) is granted under subsection 25(1), 25.1(1) or 25.2(1) of the Act with respect to a foreign national outside Canada who has made the applications referred to in section 66, a permanent resident visa shall be issued to the foreign national if, following an examination, it is established that the foreign national meets the requirement set out in paragraph 70(1)( b ) and … |
b) il n’est pas par ailleurs interdit de territoire; |
(b) the foreign national is not otherwise inadmissible; and
|
c) les membres de sa famille, qu’ils l’accompagnent ou non, ne sont pas interdits de territoire. |
(c) the family members of the foreign national, whether accompanying or not, are not inadmissible. |
[31] L’alinéa 70(1) b ) prévoit, aux fins de la délivrance d’un visa, que l’étranger doit venir au Canada pour s’y établir en permanence.
[32] Si l’on examine en contexte le libellé de ces diverses dispositions, en visant à donner effet à l’intention du législateur, il est possible de dégager l’objet fondamental du régime législatif. Dans un cas typique, le répondant se charge de présenter une demande de la catégorie du regroupement familial; étant donné que le répondant assume la responsabilité financière à l’égard du membre de la famille parrainé, il a un intérêt véritable dans le déroulement de la demande. Le répondant a qualité pour en appeler du refus d’un agent des visas de délivrer un visa de résident permanent au demandeur parrainé, et il a l’intérêt requis. La SAI a pour sa part compétence pour décider de l’octroi, si les faits le justifient, d’une dispense pour des motifs d’ordre humanitaire. Après avoir épuisé son droit d’appel auprès de la SAI, le répondant peut ensuite demander le contrôle judiciaire de la décision de celle-ci. Il s’agit là de la chaîne d’événements en fonction de laquelle la Cour a rendu l’arrêt Somodi .
[33]
Toutefois, dans le cas où
l’alinéa
[34] L’étranger qui sollicite l’exercice par le ministre du pouvoir discrétionnaire que lui confère l’article 25 de la Loi doit le faire au moyen d’une demande distincte devant accompagner sa demande de visa permanent (voir l’article 66 de la Loi). La question qui se pose lorsque le demandeur est exclu de la catégorie du regroupement familial est de savoir si le paragraphe 63(1) et l’alinéa 72(2) a ) de la Loi ont pour effet d’annuler son droit de solliciter le contrôle judiciaire de l’exercice par le ministre de ce pouvoir discrétionnaire. Ils n’ont pas cet effet, à mon avis.
[35] Il ne faut pas penser que tout droit d’appel, aussi restreint soit-il, fait obstacle au contrôle judiciaire des questions qu’on ne peut porter en appel. Tel que l’ont dit les rédacteurs de l’ouvrage Judicial Review of Administrative Action in Canada : [ traduction ] « Bien sûr, lorsque le droit d’appel est limité, il ne donne ouverture au contrôle judiciaire que des questions non susceptibles d’appel » D.J.M. Brown et J.M. Evans, Judicial Review of Administrative Action in Canada , feuilles mobiles (publication consultée le 2 juillet 2014), (Toronto : Carswell, 2013), 3:2120).
[36] Le résultat atteint dans l’arrêt Somodi repose sur l’existence d’un véritable droit d’appel auprès de la SAI. Le droit du répondant d’interjeter un tel appel fait obstacle au droit de l’étranger de présenter une demande de contrôle judiciaire. Étant donné que l’article 65 exclut les considérations d’ordre humanitaire de la portée de l’appel pouvant être interjeté par le répondant, il en découle, en pratique, qu’aucun droit d’appel n’est accordé à l’égard de ces considérations. S’il n’y a pas ainsi de droit d’appel, il n’y a pas d’autre voie de recours valable pouvant empêcher l’étranger d’exercer son droit de présenter une demande de contrôle judiciaire. L’alinéa 72(2) a ) de la Loi ne fait donc pas obstacle au droit de M me Habtenkiel - mais seulement quant à l’exercice du pouvoir discrétionnaire du ministre en vertu de l’article 25 - d’introduire une demande de contrôle judiciaire.
[37]
On en vient à la même conclusion en se
penchant sur le rôle joué par l’article 65 de la Loi dans le régime législatif établi. L’objet de l’article 65 est de limiter la mesure
dans laquelle la décision du ministre au regard des facteurs d’ordre
humanitaire peut être modifiée par voie de contrôle. Les considérations d’ordre
humanitaire échappant à la compétence de la SAI lorsque les demandeurs tombent sous le coup de l’alinéa
[38]
La légalité de la décision du ministre en
ce qui a trait à la demande de dispense pour des motifs d’ordre humanitaire ne
peut toutefois échapper à tout contrôle. Elle est susceptible de contrôle en vertu
du principe fondamental selon lequel tout pouvoir discrétionnaire doit être
exercé en fonction de l’objet de la loi qui l’a conféré (
Roncarelli c.
Duplessis,
[39] Je suis donc d’avis que la juge de première instance a commis une erreur en concluant que la présente affaire relevait du principe énoncé dans l’arrêt Somodi . Bien que l’affaire Somodi corresponde à la règle générale, la présente constitue une exception à la règle.
[40] J’estime par conséquent qu’il n’est pas interdit à M me Habtenkiel de présenter une demande de contrôle judiciaire de la décision du ministre relativement à sa demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire.
[41] Comme il a été mentionné précédemment, l’agente des visas, à titre de déléguée du ministre, a refusé de dispenser M me Habtenkiel des exigences du paragraphe 70(1) de la Loi pour des motifs d’ordre humanitaire. La juge de première instance, qui s’est penchée sur la question au cas où la Cour désapprouverait sa conclusion sur la question de la compétence, a conclu qu’aucune intervention judiciaire n’était à ce titre justifiée.
[42]
Le rôle de la juridiction d’appel,
lorsqu’est portée en appel la décision sur une demande de contrôle judiciaire,
est de décider si la cour de révision a choisi la norme de contrôle appropriée
et si elle a appliqué correctement cette norme (voir les arrêts
Agraira c.
Canada (Sécurité publique et Protection civile)
,
[43]
La juge de première instance a conclu
que la norme de contrôle applicable à la décision de l’agente des visas était
celle de la décision raisonnable, en s’appuyant sur l’arrêt de la Cour
Kisana
c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration),
[44] Il ne reste plus qu’à se demander si la juge de première instance a appliqué correctement la norme de la décision raisonnable, c’est-à-dire si elle a tranché la question de savoir si la décision de l’agente des visas appartenait aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.
[45] L’argument principal de M me Habtenkiel est que l’agente des visas n’a pas tenu compte du fait qu’elle était une enfant mineure au moment de la présentation de sa demande. Si l’agente l’avait fait, elle aurait dû apprécier la demande en fonction de l’intérêt supérieur de l’enfant et, selon M me Habtenkiel, sa demande aurait été accueillie.
[46] Bien que l’intérêt supérieur de l'enfant soit un facteur dont l’agent des visas doit tenir compte, ce n’est qu’un facteur parmi d’autres. Il revient à l’agent des visas, au vu de l'ensemble de la preuve, de décider du poids à accorder à ce facteur particulier. L’intérêt supérieur de l'enfant ne doit pas dicter le résultat à atteindre dans un cas donné ( Kisana , précité, au paragraphe 24). Le fait que l’agente des visas n’ait pas mentionné expressément l’intérêt supérieur de l’enfant ne porte pas un coup fatal à sa décision, en l’absence de tout élément de la situation de M me Habtenkiel qui conférait un poids particulier à sa qualité d’enfant.
[47] L’agente des visas n’ayant pas traité expressément de la situation de M me Habtenkiel en tant qu’enfant, je ne suis pas en mesure d’étudier son raisonnement. Nous pouvons toutefois examiner si, au vu du dossier, la conclusion tirée par l’agente est conforme à l’intérêt supérieur de M me Habtenkiel en tant qu’enfant, compte tenu de sa situation particulière. Or, le dossier révèle que, presque toute sa vie, M me Habtenkiel a été privée des soins et de la présence de ses parents. Si ces derniers ont fourni une certaine aide financière à leur fille, ils ne semblent pas lui avoir apporté le soutien affectif auquel tout enfant a droit.
[48] Il était loisible à l’agente des visas de prendre en considération l’historique familial de M me Habtenkiel et la preuve pouvant exister d’un lien affectif entre elle et son père. L’un des objectifs de la Loi est de « veiller à la réunification des familles au Canada » (voir l’alinéa 3 d ) de la Loi). Une distinction doit toutefois être établie entre le fait d’unir et de réunir des familles au Canada. L’agente des visas a conclu que l’affaire se situait du mauvais côté de cette distinction. Cette décision n’est pas incompatible avec l’intérêt supérieur de l'enfant concernée, compte tenu du fait que les avantages tirés de la vie au Canada ne doivent pas faire pencher la balance, par eux-mêmes, en faveur de tout enfant mis en contact avec le système d’immigration. Au vu du dossier, il m’est impossible de qualifier de déraisonnable la conclusion tirée par l’agente des visas.
[49] Par conséquent, je rejetterais l’appel et je répondrais ainsi à la question certifiée :
Question : Compte tenu de l’alinéa 72(2)
a
),
du paragraphe 63(1) et de l’article
Réponse : Non.
« J.D. Denis Pelletier »
j.c.a.
« Je suis d’accord.
Dawson, j.c.a. »
« Je suis d’accord.
Stratas, j.c.a. »
Traduction
COUR D’APPEL FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
|
A-176-13 |
INTITULÉ : |
RAHEAL HABTENKIEL c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
|
LIEU DE L’AUDIENCE : |
Winnipeg (Manitoba )
|
DATE DE L’AUDIENCE : |
LE 15 JANVIER 2014
|
MOTIFS DU JUGEMENT : |
LE JUGE PELLETIER
|
Y ONT SOUSCRIT : |
LA JUGE DAWSON LE JUGE STRATAS
|
DATE DES MOTIFS : |
LE 25 JUILLET 2014
|
COMPARUTIONS :
Bashir A. Khan
|
POUR RAHEAL HABTENKIEL, APPELANTE
|
Alexander Menticoglou Nalini Reddy |
POUR LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION, INTIMÉ |
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Bashir A. Khan Winnipeg (Manitoba ) |
POUR RAHEAL HABTENKIEL, APPELANTE
|
William F. Pentney Sous-procureur général du Canada |
POUR LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION, INTIMÉ |