Section du territoire et de l'environnement

 

 

Date : 14 juillet 2014

Référence neutre : 2014 QCTAQ 07334

Dossiers : STE-M-215246-1308 / STE-M-215274-1308 / STE-M-215762-1309 /
STE-M-215766-1309 / STE-M-215812-1309

Devant les juges administratifs :

ODETTE LACROIX

LOUIS A. CORMIER

FRANÇOIS BOUTIN

 

MONTRÉAL, MAINE & ATLANTIQUE CANADA CIE

MONTREAL, MAINE & ATLANTIC RAILWAY LTD.

WESTERN PETROLEUM COMPANY

WORLD FUEL SERVICES CORPORATION

WORLD FUEL SERVICES INC.

COMPAGNIE DE CHEMIN DE FER CANADIEN PACIFIQUE

Parties requérantes

c.


 

 

 

 

MINISTRE DU DÉVELOPPEMENT DURABLE, DE L'ENVIRONNEMENT ET DE LA LUTTE CONTRE LES CHANGEMENTS CLIMATIQUES

Partie intimée

et

VILLE DE LAC-MÉGANTIC

MARILAINE SAVARD ET JACQUES GAGNON, COMITÉ CITOYEN DE LA RÉGION DU LAC MÉGANTIC

Parties intervenantes

 

 


DÉCISION INCIDENTE

Requêtes pour communication complète du dossier (art. 114 et 114.1 L.J.A)   -   Requête pour rejet de l'ordonnance modifiée 628-A   -   Requête en suspension des ordonnances 628 et 628-A   -   Requête pour faire déclarer le dossier non public


 



Objet des requêtes

[1]               La Compagnie de chemin de fer Canadian Pacifique « CP » a présenté les requêtes suivantes :

·         requête pour communication complète du dossier du Ministre du Développement durable de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques « ministre » selon les articles 114 et 114.1 de la Loi sur la justice administrative « LJA » ;

·         requête subsidiaire en rejet de l’ordonnance modifiée 628-A en raison du défaut du ministre de lui avoir transmis une copie du dossier relatif à l'affaire dans le délai de 30 jours prévu à l'article 114 LJA;

·         requête pour faire déclarer que le dossier relatif à l’affaire transmis par le ministre n’est pas public tant que l’audience au mérite ne soit pas débutée.

[2]               Les requérantes, Western Pretoleum Company, World Fuel Service Corporations and World Fuel Services inc. « Groupe WFS » ont présenté les requêtes suivantes :

·          requête pour communication complète du dossier du ministre en vertu des articles 114 et 114.1 LJA;

·         requête amendée en suspension des ordonnances 628 et 628-A en vertu de l’article  107 LJA.

[3]               Les requêtes soulèvent des questions de droit similaires quant à l’obligation du ministre de transmettre le dossier relatif à l’affaire, les différences étant, dans les conclusions recherchées, CP demandant au Tribunal de déclarer que l’ordonnance modifiée 628-A est caduque, nulle et de nul effet et Groupe WFS demandant la suspension des ordonnances 628 et 628-A.

Prétentions de CP

[4]               Selon CP, le fait pour le ministre de transmettre hors délai un dossier incomplet ne respecte pas l’esprit et la lettre de la LJA qui prévoit à son article 1 que la loi a pour objet d’assurer la qualité, la célérité et l’accessibilité de même que le respect de l’équité procédurale.

[5]               L’objectif de célérité prévue à l’article  1 LJA est rempli par l’obligation de l’envoi du dossier relatif à l’affaire dans les 30 jours suivant la réception de la copie de la requête par l’autorité administrative, sinon le ministre peut être avantagé par son inaction.

[6]               Devant une ordonnance prise d’urgence comme c’est le cas ici en vertu de l’article  114.1 de la Loi sur la qualité de l’environnement , « LQE » le ministre n’a pas l’obligation de donner de préavis. L’obligation d’agir équitablement est déplacée après l’émission de l’ordonnance et par conséquent l’obligation de fournir le dossier complet est d’autant plus importante sinon il est impossible pour la partie visée par l’ordonnance de se défendre.

[7]               En effet, vu l’urgence du dossier, et vu que l’ordonnance est normalement d’exécution immédiate, le délai de 30 jours devrait être considéré comme impératif et cela selon les termes mêmes de la LJA qui utilise le terme « est tenu » à l’article 114.

[8]               La LJA n’utilise pas des termes limitatifs, mais prévoit aussi que c’est tout le dossier relatif à l’affaire qui doit être transmis. La jurisprudence du Tribunal est à l’effet que la sélection des documents est rigoureusement interdite.

[9]               Comme le ministre ici n’a pas transmis dans le délai de 30 jours tout le dossier relatif à l’affaire, la sanction de ce défaut devrait être l’annulation de l’ordonnance amendée 628-A.

[10]            Concernant la sanction, le CP est d’opinion que l’article  114.1 LJA n’est pas une réponse complète au défaut de respecter l’article  114 premier alinéa LJA, cette sanction pécuniaire s’appliquant plutôt lorsqu’un contribuable recherche auprès de l’autorité administrative une indemnité.

[11]            CP plaide que la réponse à cette question de la sanction se trouve dans le droit supplétif soit les règles de Common Law. Ces règles prévoient qu’il faut déterminer si une disposition qui dicte une formalité est « impérative » ou « directive » en vue de décider si la nullité découle de son inobservation. Dans le cas présent, s’agissant d’une règle d’équité procédurale, le défaut de transmettre le dossier dans le délai prévu à la LJA constitue une atteinte à une formalité essentielle de sorte que l’annulation de l’ordonnance 628-A est la sanction appropriée.

Prétentions du Groupe WFS

[12]            À l’appui de sa requête pour communication complète du dossier du ministre, Groupe WFS plaide que l’obligation pour l’autorité administrative à une divulgation rapide et complète du dossier relatif à l’affaire au Tribunal et aux requérants simplifie les règles applicables et participe à la réalisation des objectifs de transparence et de célérité en faisant en sorte que le litige entre l’autorité administrative et les requérants soit loyal et juste.

[13]            Cette obligation de transmission est intimement liée à la règle audi alteram partem et en favorise le respect. La communication préalable et complète n’est pas une simple règle procédurale, il s’agit plutôt d’une règle fondamentale du système de justice administrative.

[14]            Concernant sa requête en sursis d’exécution, Groupe WFS plaide que les critères élaborés sous l’article 107 LJA par le Tribunal lui permettent d’ordonner la suspension de l’ordonnance modifiée 628-A.

[15]            L’apparence de droit est sérieuse vu les motifs invoqués soit le fait que Groupe WFS a un droit strict à tous les documents formant le dossier du ministre en vertu de l’article 114 LJA et en regard des motifs de contestation de l’ordonnance invoquée au fond.

[16]            De plus, Groupe WFS risque de subir un préjudice sérieux et irréparable, car la mise en œuvre des ordonnances implique des investissements. Pour respecter les ordonnances, qui exigent de produire un plan global, il faut connaître les travaux effectués pour pouvoir produire un tel plan. Forcer l’exécution d’une telle ordonnance ayant des conséquences monétaires peut causer un préjudice irréparable. De plus, un préjudice résulte également du fait que l’exécution immédiate des ordonnances est impossible puisque plusieurs de leurs conclusions visant le plan d’action globale et la réalisation des travaux de décontamination sont impossibles à respecter. Le risque de préjudice sérieux et irréparable est exacerbé par le comportement du ministre dans l’administration des ordonnances.

[17]            La prépondérance des inconvénients penche en faveur des requérantes étant donné que si le ministre subit un préjudice, il est alors l’artisan de son propre malheur.

[18]            La suspension est demandée, car si le décideur ne transmet pas le dossier complet, il prive la partie visée par l’ordonnance de ses moyens de défense. Il ne peut, dans les circonstances, bénéficier du maintien de l’ordonnance pendant que perdure cette violation.

Arguments du ministre

[19]            Le ministre plaide qu’il ne s’agit pas d’un dossier standard, mais bien d’une situation exceptionnelle, soit la plus grande tragédie ferroviaire jamais survenue au Canada. Donc cela implique un traitement exceptionnel.

[20]            Les requérantes font un procès d’intention au ministre. Ici, le ministre a émis une ordonnance d’urgence en vertu de l’article 114.1 LQE il ne s’agit pas d’une situation d’autorisation administrative du ministre.

[21]            En vertu de l’article 114 LJA, le ministre a l’obligation de transmettre les documents relatifs à la décision contestée, en l’occurrence les deux ordonnances émises en vertu de l’article 114.1 LQE. Or ici, les requérantes veulent tout du moment que c’est en lien avec la tragédie du Lac Mégantic.

[22]            Les documents qui ont été transmis constituent le dossier que le ministre avait entre les mains au moment de rendre sa décision. Ainsi le ministre n’a pas vu les rapports d’échantillonnage ou la documentation technique avant de rendre les ordonnances. Ses outils de travail étaient les topos et il s’engage à les fournir au complet.

[23]            Concernant les requêtes en annulation et en suspension d’exécution des ordonnances, le Tribunal tire sa compétence de sa loi constitutive et n’a pas de juridiction inhérente. Il s’agit d’une compétence d’attribution. Ses pouvoirs sont donc ceux prévus à la loi.

[24]            Le délai de 30 jours prévu à l’article 114 LJA n’est pas un délai de rigueur. L’article 114.1 LJA prévoit une sanction de sorte que cela exclut toute autre sanction. En ce qui concerne la demande de suspension en vertu de l’article 107 LJA, il s’agit d’une demande rétroactive. De plus, les critères ne sont pas rencontrés, quelle est l’apparence de droit, quel est le risque de préjudice irréparable alors que Groupe FWS n’exécute pas et n’a donc aucun coût?

[25]            Les demandes des requérantes dépassent la portée de l’article 114 LJA appliquée aux circonstances entourant la délivrance des ordonnances de même que l’interprétation qu’en a faite le Tribunal. Ces requêtes constituent manifestement une véritable expédition de pêche. Le ministre n’a pas à fournir le dossier du ministre concernant à titre d’exemple la reconstruction du centre-ville, les échanges au sujet de la sécurité publique, l’enquête de la Sûreté du Québec, les échanges avec le gouvernement fédéral, etc. Le ministre en vertu de l’article 114 LJA doit fournir copie du dossier relatif à l’affaire, et non, copie du dossier du ministre en relation avec la tragédie de Lac Mégantic. Ce qui est contesté devant le Tribunal, ce sont les ordonnances et non pas l’ensemble des interventions gouvernementales concernant la tragédie de Lac-Mégantic.

[26]            Contrairement à l’hypothèse avancée par le CP à l’effet qu’il existerait des rapports d’analyse, il n’existe aucun tel rapport avant la délivrance de l’ordonnance. Montreal, Main and Atlantique Canada company et Montreal, Main and Atlantic RailWay Limited avaient engagé des firmes pour gérer les travaux, et jusqu’au 17 juillet 2013 des travaux étaient exécutés. Ce n’est que le 25 juillet 2013 que le ministre a considéré, vu l’incertitude entourant la poursuite des travaux et l’urgence, qu’il était nécessaire de recourir à une ordonnance.

[27]            De plus, des résultats d’analyses d’échantillonnages et un rapport préliminaire de caractérisation ont été transmis par le ministre soit les documents apparaissant sous les onglets 6, 35 et 104 du dossier transmis par le ministre.

[28]            La seule sanction au défaut de transmettre le dossier relatif à l’affaire dans le délai de 30 jours est expressément prévue à l’article 114.1 LJA soit l’octroi d’une indemnité juste et raisonnable compte tenu des circonstances. Cette disposition a été interprétée restrictivement par le Tribunal. Donc, la sanction prévue à l’article 114.1 LJA exclut toutes les autres de même que le recours aux Chartes des droits et libertés et au droit commun comme sources de redressement.

[29]            Les conditions pour un sursis ne sont aucunement réunies. Il s’agît d’une mesure exceptionnelle et la demande de suspension d’exécution a été introduite plus de sept mois après le dépôt des recours. Il n’y a manifestement pas d’urgence et Groupe WFS ne subit aucun préjudice en lien avec l’exécution des ordonnances, car il n’exécute pas de travaux et ne défraie aucun coût.

[30]            Quant à la prépondérance des inconvénients, il s’agit clairement d’un cas où elle favorise amplement le maintien des ordonnances contestées. En matière d’environnement, la prépondérance des inconvénients est en faveur de l’intérêt public à la protection et à la sauvegarde du milieu naturel. De plus, même si la suspension des ordonnances pouvait être considérée, elle ne pourrait avoir l’effet rétroactif demandé. Les requérantes demandent au Tribunal une chose impossible, soit remonter dans le temps pour défaire ce qui a déjà été fait.

Analyse

Requêtes pour obtenir la communication complète du dossier

[31]            Les requêtes pour obtenir la communication complète du dossier du ministre s’appuient sur les articles 114 et 114.1 LJA qui se lisent comme suit :

114.     L’autorité administrative dont la décision est contestée est tenue, dans les 30 jours de la réception de la copie de la requête, de transmettre au secrétaire du Tribunal et au requérant copie du dossier relatif à l’affaire ainsi que le nom, l’adresse et le numéro de téléphone et de télécopieur de son représentant.

L’organisme municipal responsable de l’évaluation est tenu dans le même délai de transmettre la demande de révision et la proposition ou la décision de l’évaluateur, les documents qui lui sont remis à l’occasion de cette révision et ceux auxquels sa proposition ou sa décision réfère et, le cas échéant, tout certificat de l’évaluateur émis depuis la date du dépôt de la requête introductive du recours.

L’accès au dossier ainsi transmis demeure régi par la loi applicable à l’autorité administrative qui l’a transmis.

114.1    Le défaut par une autorité administrative de transmettre la copie du dossier dans le délai prévu à l’article 114 donne ouverture, sur demande du requérant, à la fixation par le Tribunal d’une indemnité qui lui apparaît juste et raisonnable compte tenu des circonstances de l’affaire et de la durée du retard.

[32]            Les différentes requêtes soumises par les requérantes soulèvent les questions suivantes :

1.      Que doit comprendre le dossier relatif à l’affaire que le ministre doit transmettre au Tribunal en vertu de l’article 114 premier alinéa?

2.      Comment le défaut de transmettre le dossier relatif à l’affaire complet et dans les 30 jours peut-il être sanctionné?

3.      Le dossier relatif à l’affaire transmis par le ministre est-il public à ce stade-ci des procédures?

1.         Que doit comprendre le dossier relatif à l’affaire que le ministre doit transmettre au Tribunal en vertu de l’article 114 premier alinéa?

[33]            Le Tribunal, dans la décision 9023-6167 Québec inc. c. Ministère du Développement durable, de l’Environnement et de la Faune [1] , a précisé l’objectif et l’étendue de l’obligation faite à l’autorité administrative découlant de l’article 114 premier alinéa LJA concernant son obligation de transmettre le dossier relatif à l’affaire :

[18]     Ces dispositions ont pour objet d’obliger l’autorité administrative, sous peine du paiement d’une indemnité, à une divulgation préalable auprès du Tribunal et des parties de l’information qu’elle possède relativement à l’affaire. La transmission du dossier administratif dès l’introduction du recours permet au requérant de prendre connaissance des documents relatifs à son affaire et d’être en mesure de les commenter ou de les contredire et de se préparer à une conciliation ou à une audience.

[19]     Cette procédure simplifie les règles du jeu applicables aux recours devant le Tribunal et participe à la réalisation des objectifs de qualité, de célérité et d’accessibilité de la justice administrative en faisant en sorte que le litige entre l’autorité administrative et le citoyen soit transparent et que le débat soit loyal.

[20]     En effet, par ces dispositions, le requérant est en mesure de connaître l’ensemble des documents concernant son affaire, qu’ils soient favorables ou défavorables à sa cause, qu’ils aient été ou non consultés par le décideur administratif ou qu’ils constituent ou non les fondements de la décision et cela, sans avoir à recourir aux mécanismes de demandes d’accès à l’information ou de citations à comparaître. Elles établissent un équilibre dans le rapport de force entre les parties et permettent à ces dernières d’être entendues sur tous les aspects de l’affaire.

[21]     Le droit d’être entendu est une règle de justice naturelle codifiée par plusieurs dispositions de la LJA [9]. Les auteurs Dusseault et Borgeat précisent en ces termes la portée de cette règle :

La règle audi alteram partem exige que celui qui en bénéficie non seulement ait été informé d’avance et de façon précise de l’enquête ou de l’audition qui le concerne, mais aussi qu’il ait la possibilité de préparer sa réponse de façon efficace. Cela implique qu’il soit mis au courant des rapports ou des documents que l’organisme a en sa possession et qui peuvent être préjudiciables à sa cause. [10]

[22]     Les motifs de contestation d’une décision devant le Tribunal sont souvent nombreux, complexes ou parfois imprécis au stade de l’introduction du recours, et c’est pourquoi le texte de l’article 114 de la LJA ne confère aucune discrétion à l’autorité administrative quant à la teneur du dossier.

[23]     Le premier alinéa de cette disposition, applicable en l’espèce, est rédigé en termes clairs, larges et généraux et doit être appliqué en vue de la réalisation de son objet. Si le législateur avait voulu limiter la portée de cette disposition, il aurait procédé à une énumération des catégories de documents à transmettre comme il l’a fait au second alinéa de cette disposition qui s’applique uniquement en matière de fiscalité municipale.

[24]     Dans la mesure où une affaire est portée devant le Tribunal, la Loi ne permet pas à l’Administration de trier, discriminer ou sélectionner la documentation relative à cette affaire et de fournir uniquement celle qu’elle croit opportune. Si des questions relatives à la confidentialité de certains documents ou au secret professionnel se posent, le Tribunal possède tous les pouvoirs nécessaires pour statuer sur ces questions.

[34]            Les documents relatifs à l’affaire sont, comme mentionné par le Tribunal, l’ensemble des documents concernant la décision rendue à l’égard du requérant, que ces documents soient favorables ou défavorables à sa cause, qu’ils aient été ou non consultés par le décideur administratif ou qu’ils en soient ou non les fondements de la décision.

[35]            Le Tribunal dans la décision de Bingo Mont-Royal, les Immeubles DRN inc., Association de Baseball amateur Jarry inc . c. Régie des alcools, des courses et des jeux [2] , mentionne que l’organisme décideur devait transmettre le dossier complet afin de respecter les principes de justice naturelle :

[35]     La transmission du dossier complet de la Régie est indispensable pour permettre au Tribunal de traiter le recours dont il est saisi dans le respect des exigences de la justice naturelle et des dispositions de la LJA.

[36]            Comme cela a aussi été décidé dans la décision Richard Capuano inc. c. Ministre du Développement durable de l’Environnement et des Parcs [3] , l’obligation de transmettre le dossier relatif à l’affaire implique que l’administration ne peut trier, discriminer, omettre ou sélectionner des informations. Ainsi, dans le cas présent, doit être remis au Tribunal et aux requérantes le dossier complet avec tous les documents se rapportant aux ordonnances, qu’ils aient eu une importance ou non ou aient été ou pas un facteur déterminant dans l’émission de celles-ci.

[37]            Sous réserve des dispositions prévues au deuxième alinéa de l’article 114 LJA qui s’applique seulement en fiscalité municipale, il n’y a pas d’exception à l’article 114 LJA, et l’autorité administrative, quelle que soit la nature de la décision et les circonstances dans lesquelles elle a été prise, doit respecter cette obligation.

[38]            Contrairement à ce qu’affirme le ministre, le Tribunal considère que les documents qui doivent être transmis ne doivent pas se limiter à ceux que le ministre aurait eus en main ou qu’il aurait lui-même consulté étant donné qu’il est évident de par la Loi sur le ministère du Développement durable, de l’Environnement et des Parcs [4] , particulièrement à l’article 6, que le ministre a recours dans l’exercice de ses fonctions au personnel du ministère. Dans un dossier de cette ampleur, des fonctionnaires appartenant à différentes directions ont été impliqués et la documentation qu’ils ont pu produire en relation avec l’émission des ordonnances, même si elle n’a pas été consultée directement par le ministre, doit être communiquée au Tribunal et aux parties dans le cadre de la contestation des ordonnances.

[39]            Dans le processus qui a conduit à l’émission des ordonnances, il est certain que des documents, rapports ou échanges se sont produits, que ce soit par mémos, courriels, lettres ou rapports, etc.

[40]            Les requérantes dans leur requête soulevaient que seuls les topos 52 (onglet 13) et 67 (onglet 46) ont été fournis par le ministre et qu’il manquait donc ceux antérieurs à ceux-ci. Le ministre s’est engagé à fournir l’ensemble des topos manquant au Tribunal et aux requérantes.

[41]            La requérante CP dans sa requête soulève à partir de documents transmis par le ministre que d’autres documents mentionnés dans ceux-ci n’ont pas été transmis. Ainsi aux paragraphes 14 à 26 de la requête amendée de CP à partir du contenu de certains communiqués du ministre, elle conclut qu’il est évident que des analyses, données, vérifications, etc. effectuées par le ministre entre la date du déraillement, le 6 juillet 2013, et celle de l’ordonnance 628-A, le 14 août 2013, ne font pas partie du dossier transmis au CP, non plus que des courriels, ébauches de courriels, lettres, télécopies, ordres du jour, procès-verbaux, fichiers électroniques, contrats et autres documents relatifs au déraillement et au déversement de pétrole. Elle continue le même exercice aux paragraphes 28 à 57 de sa requête à l’égard d’autres types de documents fournis par le ministre.

[42]            La requérante Groupe WFS fait aussi le même exercice dans sa requête amendée en référant à partir des paragraphes 34 à 47 à des pièces transmises et aux faits que des documents mentionnés dans ces pièces n’ont pas été communiqués par le ministre.

[43]            Au paragraphe 58 à 68, la requérante Groupe WFS fait état d’une demande d’accès fait par son mandataire Comestoga-Rovers et associés (Québec) inc. en vertu de la Loi sur l’accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels et dans le cas de cette demande elle aurait obtenu des documents traitant de l’état préexistant du site (paragraphe 62), des rapports de réhabilitation rédigés par des consultants du CP et de la Ville datant de 1999, 2010 et 2011 (paragraphe 63), et d’autres documents produits après le déraillement (paragraphe 65), ces documents n’auraient pas été transmis par le ministre dans le cadre de la contestation devant le Tribunal.

[44]            Le Tribunal convient que si dans les documents transmis par le ministre, il est référé à d’autres documents qui sont liés aux ordonnances, ceux-ci devraient être fournis au Tribunal et aux parties.

[45]            Toutefois, comme le plaide le ministre, il n’a pas l’obligation de transmettre tout ce qui se rapporte à la tragédie de Lac Mégantic et qui impliquerait les échanges avec d’autres ministères, paliers de gouvernement ou autres intervenants qui n’ont pas de lien avec les ordonnances.

[46]            Il est difficile, par ailleurs, pour le Tribunal de détailler précisément quels documents, outre les topos, n’auraient pas été transmis par le ministre. Cependant, les documents transmis ne peuvent se limiter à ceux que le ministre avait entre les mains ou à ceux dont il a pris connaissance pour émettre les ordonnances de sorte que le Tribunal, considérant que l’interprétation du dossier relatif à l’affaire est plus large, accueillera les requêtes en communication pour que le ministre communique les topos ainsi que tous autres documents relatifs à l’émission des ordonnances quel qu’en soit le support dans un délai de 30 jours de la présente décision au Tribunal et aux parties.

2.         Comment le défaut de transmettre le dossier relatif à l’affaire complet et dans les 30 jours peut-il être sanctionné?

[47]            L’obligation de transmettre le dossier de l’administration dans le délai de 30 jours, si elle n’est pas respectée, peut être sanctionnée de la façon prévue à l’article 114.1 soit une indemnité juste et raisonnable compte tenu des circonstances de l’affaire.

[48]            La doctrine et la jurisprudence soumises par CP [5] qui s’appuient sur la Common Law pour décider si l’obligation faite à l’article 114 LJA est « impérative » ou « directive » ne trouvent pas application ici, car la sanction est spécifiquement prévue dans la LJA. Le recours des tribunaux à ces notions découle du fait que les lois analysées sont muettes sur les conséquences du défaut de respecter une obligation qui est faite à l’autorité administrative. C’est ainsi que l’auteur Keyes [6] explique le recours à ces notions lorsque la législation ne prévoit rien en cas de non-respect des obligations prévues :

More often than not, legislation is silent on the effect of non-compliance. The courts have responded to this silence by distinguishing between mandatory and directory requirements. The distinction appears to have originated in cases involving the performance of ‘’public duties’’, as opposed to requirement relating to the exercise or acquisition of a private right or privilege. It recognizes that action taken without complying with a particular requirement is not necessarily invalid.

[49]            Comme le soumet le ministre, la sanction prévue à l’article 114.1 LJA exclut tous les autres recours comme cela a été décidé par le Tribunal dans le dossier Paul Martineau c. Ville d’Amos [7] :

[56]     Au surplus, le Tribunal est d’avis que les motifs à la base du recours constitutionnel et accessoire exercé par la partie requérante, dans le cadre du présent dossier et les dommages y réclamés, ne donnent pas ouverture à l’application des articles 7,15 et 24 de la Charte canadienne des droits et libertés comme plaidé par cette dernière : un recours et un remède existent aux termes des articles 114 et 114.1 L.J.A., s’il y a lieu, et elle pourrait s’en prévaloir.

[57]     À cet égard, commentant les sanctions reliées au défaut de déposer à l’intérieur des délais prescrits une demande de révision en comparaison de l’obligation de fournir les documents précisés à l’article 114 L.J.A., la conclusion de la décision dans l’affaire de Émile Lavallée c. Municipalité de Val-David et MRC Les Laurentides suggère plutôt que :

[60]      Il en est tout autrement de la sanction à apporter à l’obligation formulée à l’article 114 L.J.A. L’obligation, comme nous l’avons vu, ayant été édictée dans le but de permettre à une partie de présenter une réponse efficace et complète à la décision de l’autorité administrative, le défaut d’y satisfaire n’est pas fatal et il peut être pallié en toute justice en reprenant l’enquête après que les documents auront été transmis.

Transcription conforme

[50]            Le Tribunal conclut donc que la seule sanction appropriée est celle prévue à l’article 114.1 LJA qui prévoit l’octroi d’une indemnité juste et raisonnable compte tenu des circonstances. Par conséquent, la demande d’annulation de l’ordonnance 628-A présentée par CP est rejetée.

[51]            En ce qui concerne la demande de suspension d’exécution présentée par Groupe WFS, les articles 107  LJA et 99 LQE prévoient qu’un recours en contestation devant le Tribunal ne suspend pas l’exécution de la décision à moins que le Tribunal en ordonne autrement en raison de l’urgence ou du risque de préjudice sérieux et irréparable. La suspension d’exécution d’une décision est une mesure exceptionnelle fondée sur la présomption de validité des décisions contestées.

[52]            Le Tribunal a interprété les exigences de l’article 107 LJA à la lumière des trois critères régissant l’émission d’une injonction interlocutoire établie par la Cour suprême dans l’arrêt Procureur général du Manitoba c. Metropolitan Stores [8] . Le requérant, pour justifier la suspension d’une décision, doit démontrer en plus d’une situation d’urgence ou d’un risque de préjudice sérieux et irréparable, une apparence de droit suffisante fondée sur une faiblesse apparente de la décision contestée et une prépondérance des inconvénients en sa faveur. Dans l’évaluation de la prépondérance des inconvénients, l’intérêt public primera sur l’intérêt privé.

[53]            La requête en suspension présentée par Groupe WFS a été introduite plusieurs mois après ses contestations des ordonnances 628 et 628-A. L’ordonnance initiale 628 a été contestée par Groupe WFS le 28 août 2013 et l’ordonnance modifiée 628-A a été contestée le 13 septembre 2013 et la requête amendée en suspension des ordonnances 628 et 628-A a été déposée au Tribunal le 4 avril 2014. Cette requête ne rencontre par le critère de l’urgence et en ce qui concerne le préjudice irréparable comme le plaide le ministre la requérante n’ayant pas exécuté de travaux il n’est pas à craindre qu’elle subisse un préjudice.

[54]            De plus, Groupe WFS plaide que l’apparence de droit est sérieuse vu son droit strict à obtenir tous les documents formant le dossier du ministre en vertu de l’article 114  LJA et en fonction de ses motifs de contestation des ordonnances au fond.

[55]            Le Tribunal, comme mentionné précédemment, considère que la seule conséquence au fait que l’autorité administrative n’ait pas fourni tout le dossier relatif aux ordonnances est prévue à l’article 114.1 LJA. La requête en suspension n’est donc pas un recours ouvert dans une situation où le dossier relatif à l’affaire n’a pas été communiqué dans les 30 jours.

[56]            La requérante ne subissant pas de préjudice irréparable et n’ayant pas d’apparence de droit sérieuse, le Tribunal rejette la requête en suspension d’exécution de Groupe WFS.

REQUÊTE POUR FAIRE DÉCLARER QUE LE DOSSIER RELATIF À L’AFFAIRE N’EST PAS PUBLIC

3.         Le dossier relatif à l’affaire transmis par le ministre est-il public à ce stade-ci des procédures?

[57]            La requérante CP plaide qu’en vertu de l’article 114 troisième alinéa LJA le dossier transmis par le ministre n’est pas public à ce stade et que la requête présentée par The Gazette pour avoir accès à six documents visés par une ordonnance de confidentialité est donc prématuré.

[58]            L’article 114 troisième alinéa LJA se lit comme suit :

114.      […] L’accès au dossier ainsi transmis demeure régi par la loi applicable à l’autorité administrative qui l’a transmis.

[59]            La requérante CP soutient que pour avoir accès aux documents du ministre une demande d’accès doit être adressée à celui-ci. Le dossier ne devient public que lorsque l’audition au fond débute. CP plaide particulièrement la décision Lac d’amiante [9] où la Cour suprême énonçait une règle implicite de confidentialité du contenu des interrogatoires au préalable dans un litige civil tant que ceux-ci ne sont pas déposés en preuve au dossier de la Cour.

[60]            Pour ce qui est du dossier relatif à l’affaire transmis par l’autorité administrative en vertu de l’article 114 LJA, la Cour supérieure a reconnu à plusieurs reprises que le dossier fait partie de la preuve que le Tribunal peut prendre en considération pour fonder sa décision [10] .

[61]            Comme le dossier relatif à l’affaire fait partie du dossier du Tribunal, l’analogie avec des interrogatoires au préalable hors cours qui n’ont pas été déposés au dossier de la Cour ne nous apparaît pas fondée.

[62]            De plus, précédemment aux présentes requêtes, deux audiences ont été tenues par le Tribunal suite à des requêtes en intervention dans le présent dossier. Conformément à l’article 10 LJA ces audiences ont été publiques tout comme celle sur les présentes requêtes. Comme l'a spécifié le Tribunal dans la décision MT c. Société de l’assurance automobile du Québec [11] l’instance constitue l’ensemble des différentes étapes d’un procès et les requêtes préliminaires font partie de l’instance :

[9]     Considérant la teneur de l’accord de conciliation du 6 décembre 2006, dans lequel il est expressément prévu que la conclusion de celui-ci « met fin au litige entre les parties » et qu’il « met fin à l’instance », vu l’application de l’article 124 de la Loi sur la justice administrative ;

[10]   Considérant alors que tant la requête introductive d’un recours que la requête préliminaire sous l’article 114.1 de la Loi sur la justice administrative constituent l’ensemble de l’instance.

[63]            Finalement, une ordonnance de confidentialité et de non-publication a été rendue à l’égard de six documents transmis par le ministre et aucune objection concernant le fait que le dossier ne serait pas public n’a été soulevée par les parties à ce moment-là.

[64]            Par conséquent, à ce stade des procédures, le Tribunal considère que le dossier transmis par le ministre est public et rejette la requête demandant que le dossier soit déclaré non public.

POUR CES MOTIFS , le Tribunal :

ACCUEILLE les requêtes en communication du dossier relatif aux ordonnances 628 et 628 - A et,

PREND ACTE de l’engagement du ministre de communiquer l’ensemble des topos se rapportant aux ordonnances 628 et 628-A, ORDONNE au ministre de transmettre au Tribunal et aux requérantes tous documents supplémentaires relatifs à l’émission des ordonnances 628 et 628-A sous quelques supports qu’il soit, et ce à compter du 6 juillet 2013 au 3 octobre 2013 date des décisions sur les demandes de réexamen des requérantes, et ce dans les 30 jours de la présente décision,

REJETTE la requête demandant l’annulation de l’ordonnance 628-A,

REJETTE la requête en suspension des ordonnances 628 et 628-A, et,

REJETTE la demande pour que le dossier relatif à l’affaire transmis par le ministre ne soit pas public, sauf pour les documents visés par une ordonnance de confidentialité et de non-publication émise par le Tribunal à l’égard de six pièces.

 


 

ODETTE LACROIX, j.a.t.a.q.

 

LOUIS A. CORMIER, j.a.t.a.q.

 

 

FRANÇOIS BOUTIN, j.a.t.a.q.


 

Gowling Lafleur Henderson

Me Olivier Therrien

Procureur des parties requérantes

Montréal, Maine & Atlantique Canada Cie et Montreal, Maine & Atlantic Railway Ltd.

 

Fasken Martineau DuMoulin

Me André Durocher et Me Enrico Forlini

Procureurs de la partie requérante

Compagnie de chemin de fer Canadien Pacifique

 

Stikeman, Elliott

Me Marc-André Coulombe, Me Frédérik Paré et Me Charles Nadeau-Demers

Procureurs des parties requérantes Western Petroleum Company, World Fuel Services Corporation et World Fuel Services Inc.

 

Bernard, Roy (Justice-Québec)

Me Marc Dion, Me Louise Comtois et Me Catherine Paschalli

Procureurs de la partie intimée

Ministre du Développement durable, de l'Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques

 

Dufresne Hébert Comeau inc.

Me Paul Wayland et Me Louis Coallier

Procureurs de la partie intervenante

Ville de Lac-Mégantic


 



[1]    STE-Q-165063-1006, décision du 17 mai 2012.

[2]    SAE-M-078144-0208, décision du 28 février 2003.

[3]    STE-M-197072-1203, décision du 12 septembre 2012.

[4] RLRQ, chapitre M-30.001.

[5]      Onglet 2 du cahier d’autorité de CP, page 130.

[6]      KEYES, John Mark, The Two Faces of Shall (ans Other Words that Tell People What To Do :Principles for Determining Whether Legislative Provisions are Mandatory or Directory, 3 A.A.P. 129, p. 130.

[7]      SAI-Q-140749-0710, décision du 30 novembre 2009.

[8]      Procureur général du Manitoba c. Metropolitan Stores , [1987] 1 R.C.S. 110 .

[9]      Lac d’amiante Québec c. 2858-0702 Québec inc. 2001 R.C.S. pp.743, 775.

[10]     Zebida Bendjeddou 200-17-005769-054, CS, 2 décembre 2005, paragraphes 42.
       JL c . Tribunal administratif du Québec 2009-QC-CS-353, paragraphes 28 à 31.
       M.A . c . Tribunal administratif du Québec 2013-QC-CS-5364 paragraphes 30 et 31.

[11]     MT c. Société de l’assurance automobile du Québec 2008-QC-TAQ-05980 paragraphes 9 et 10..