183426 Canada inc. c. Fédération des caisses Desjardins du Québec

2014 QCCS 3766

JN0284

 
 COUR SUPÉRIEURE

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE MONTRÉAL

 

N° :

500-17-079997-139

 

 

 

DATE :

1 er AOÛT 2014

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SOUS LA PRÉSIDENCE DE L’HONORABLE FRANCINE NANTEL, J.C.S.

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183426 CANADA INC.

et

HÉLÈNE ROY

et

GÉRARD PARADIS

Demandeurs

c.

FÉDÉRATION DES

CAISSES DESJARDINS DU QUÉBEC

et

GROUPE DE SÉCURITÉ GARDA s.e.n.c.

Défenderesses

 

 

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JUGEMENT

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[1]            Les défenderesses, Fédération des Caisses Desjardins du Québec (« Fédération »), et Groupe de Sécurité Garda (« Garda »), recherchent le rejet de la requête introductive d'instance des demandeurs.

BREF CONTEXTE

[2]            Durant plusieurs années, 183426 Canada inc. (« 183426 ») a fourni des services de remplacement de personnel aux Caisses membres de la Fédération.

[3]            De tout temps, ces services faisaient l'objet d'un processus d'appel de propositions. En 2012, la Fédération n'a pas retenue la soumission de 183426.

[4]            Le 22 avril 2013, une Convention d'achat d'actifs intervient entre 183426, Hélène Roy et Garda, elle contient plusieurs clauses, notamment une clause de renonciation et de quittance.

[5]            Le 27 novembre 2013, les demandeurs intentent un recours contre les défenderesses invoquant fautes et abus à leur égard, entre autres :

·         la Fédération aurait agi de mauvaise foi dans le cadre du processus d'appel de propositions forçant ainsi 183426 à vendre ses actifs à Garda selon des termes défavorables;

·         dans cet exercice, Garda aurait été de collusion avec la Fédération profitant ainsi d'un prix à rabais des actifs de 183426.

[6]            Il est admis que les reproches et les faits allégués à l'encontre des défenderesses précédent la Convention d'achat d'actifs.

[7]            Garda, au soutien de sa requête en vertu de l'article 165 (4) C.p.c. soumet :

Ø   qu'il y a eu renonciation et quittance des demandeurs, 183426 et madame Roy, puisque les faits reprochés, antérieurs à la Convention d'achat d'actifs, leur étaient connus. La quittance prévue au contrat leur est donc opposable (art. 165 (4) C.p.c.);

Ø   subsidiairement, la clause 6.3 d'indemnisation prévue à la Convention lui permet d'opérer compensation à l'égard de tout montant qu'elle serait éventuellement condamnée à verser à 183426 et à madame Roy;

Ø   de surcroît, il n'y a aucun lien de droit à l'égard du demandeur, Gérard Paradis.

[8]            La Fédération, au soutien de sa requête argue :

Ø   qu'il y a eu renonciation de la part de 183426 et de madame Roy aux droits nés avant le 22 avril 2013 à l'encontre de leur clientèle et de l'entreprise, il y a donc absence manifeste d'intérêt juridique (art. 165 (3) C.p.c.);

Ø   de surcroît, les réclamations de madame Roy et monsieur Paradis n'ont aucun fondement juridique (art. 165 (4) C.p.c.), partant, le recours n'a aucune chance de succès, et constitue un abus de procédures (art. 54.1 et ss C.p.c.).

[9]            Les demandeurs répliquent que les clauses 5.22 et 6.3 de la Convention ne s'appliquent pas au recours en responsabilité extracontractuelle qu'ils ont intenté contre les défendeurs.

[10]         Les clauses pertinentes de la Convention se lisent ainsi :

ARTICLE 1

DISPOSITIONS INTERPRÉTATIVES

            1.1        Définitions

            Sauf stipulation contraire expressément énoncée à la présente, les mots et expressions qui suivent ont, dans la présente Convention, le sens qui leur est attribué ci-après.

            Actifs :              Désigne la totalité des éléments d'actif qui appartiennent à l'Agence Roy qu'ils soient biens meubles ou biens tangibles ou intangibles, reliés directement ou indirectement à l'exploitation de l'Entreprise, notamment ceux décrits à l'Article 2 des présentes et aux annexes auxquelles renvoie cet article, à l'exception des Éléments d'actif exclus décrits à l'Annexe 1.1(a).

           

            Clientèle :        Désigne toute Personne à qui le Vendeur fournit des services ou vend des biens dans le cadre de l'exploitation de son Entreprise.

            …

            Entreprise :     Désigne, de façon générale et non limitative, l'ensemble des activités et de l'entreprise de placement de personnel de l'Agence Roy, telle qu'exploitée en date de la présente par le Vendeur comprenant les Actifs, les facteurs humains, l'achalandage et les autres éléments d'actif intangibles qui s'y rapportent et toute activité et connaissance technique accessoire à telle exploitation poursuivie par le Vendeur, y comprenant le segment de la formation de personnel.


ARTICLE 5

DÉCLARATIONS, GARANTIES ET ATTESTATIONS

DU VENDEUR ET DE L'INTERVENANT

            …

            5.22     Renonciation et quittance

            Le vendeur renonce, par les présentes, à tous droits, privilèges et avantages, passés, présents ou futurs découlant des activités de l'Entreprise, dont il est présentement titulaire et auxquels il pourrait prétendre avoir droit contre la Clientèle, les Actifs et l'Entreprise jusqu'au jour de la signature des présentes et pour lesquels il consent à une remise totale, dont quittance à l'endroit de l'Acquéreur.

 

ARTICLE 6

ENGAGEMENTS ADDITIONNELS DU VENDEUR ET DE L'INTERVENANT

 

            …

            6.3        Prise en charge des poursuites

            Le Vendeur et l'Intervenant s'engagent à prendre en charge toute poursuite, réclamation, cotisation, grief, plainte, action, demande ou litige, directement ou indirectement, liés aux opérations, aux Actifs ou à l'Entreprise du Vendeur prenant origine avant la Date Effective ou dont les faits prennent origine avant la Date Effective et ainsi mettre à couvert l'Acquéreur, ses administrateurs, employés ou ayant droit de tout dommage, frais ou dette en découlant; l'Acquéreur devra prendre en charge toute poursuite, réclamation, cotisation, plainte, action, demande ou litige lié aux opérations, aux Actif ou à l'Entreprise du Vendeur prenant origine à compter de la Date Effective.

QUESTION :

            1.         Les clauses de renonciation et quittance et de prise en charge des poursuites prévues à la Convention d'Achat d'Actifs donne-t-elle ouverture au rejet du recours de nature extracontractuelle entrepris par les demandeurs?

            2.         Y a-t-il abus de procédures?

[11]         La Cour d'appel dans l'affaire Bohémier [1] rappelle les principes applicables au moyen d'irrecevabilité prévus à l'article 165 (4) C.p.c.

[66]       Les principes juridiques liés à l'irrecevabilité sont les suivants :

·          Les allégations de la requête introductive d'instance sont tenues pour avérées, ce qui comprend les pièces déposées à son soutien;

·          Seuls les faits allégués doivent être tenus pour avérés et non pas la qualification de ces faits par le demandeur;

·          Le Tribunal n'a pas à décider des chances de succès du demandeur ni du bien-fondé des faits allégués. Il appartient au juge du fond de décider, après avoir entendu la preuve et les plaidoiries, si les allégations de faits ont été prouvées;

·          Le Tribunal doit déclarer l'action recevable si les allégations de la requête introductive d'instance sont susceptibles de donner éventuellement ouverture aux conclusions recherchées;

·          La requête en irrecevabilité n'a pas pour but de décider avant procès des prétentions légales des parties. Son seul but est de juger si les conditions de la procédure sont solidaires des faits allégués, ce qui nécessite un examen explicite, mais également implicite du droit invoqué;

·          On ne peut rejeter une requête en irrecevabilité sous prétexte qu'elle soulève des questions complexes;

·          En matière d'irrecevabilité, un principe de prudence s'applique. Dans l'incertitude, il faut éviter de mettre fin prématurément à un procès.

·          En cas de doute, il faut laisser au demandeur la chance d'être entendu au fond.

1.         Les clauses de renonciation et quittance et de prise en charge des poursuites prévues à la Convention d'Achat d'Actifs donnent-t-elles ouverture au rejet du recours de nature extracontractuelle entrepris par les demandeurs?

[12]         Selon les demandeurs, la clause 5.22 ne peut inclure un droit aux dommages à la suite d'un recours de nature extracontractuelle. Ils plaident que la renonciation à un droit ne se présume pas et doit être établie par celui qui l'invoque [2] .

[13]         A contrario, les défenderesses sont d'avis que la clause de renonciation et de quittance est opposable aux demandeurs et donc, pour cette raison, le recours n'est pas fondé en droit.

[14]         La requête introductive d'instance des demandeurs allègue des manquements et des fautes de nature extracontractuelle et non des obligations découlant du contrat. Elle invoque l'abus de droit des défenderesses, la collusion, l'absence de bonne foi, le traitement inéquitable de la Fédération et les conséquences d'une vente « forcée » de 183426 à Garda.

[15]         En l'espèce, la clause de renonciation revêt-elle une portée extracontractuelle? Le recours entrepris ne découle pas du contrat et la quittance donnée à Garda n'empêchent pas les demandeurs d'intenter un recours extracontractuel puisqu'il n'y a pas eu de renonciation expresse à cet effet.

[16]         Quant à la clause 6.3 « Prise en charge des poursuites » contenue au contrat, prétendre que les demandeurs se sont engagés à prendre en charge leur propre poursuite est un non sens. D'ailleurs, la clause est explicite et se limite : « aux opérations, aux Actifs ou à l'Entreprise… »

[17]         À la lumière des principes applicables en matière de rejet (art. 165.4 C.p.c.), le Tribunal estime que le juge du fond sera mieux à même d'analyser l'intention et la volonté des cocontractants après avoir entendu toute la preuve particulièrement le sens à donner aux clauses 5.22 et 6.3 de la Convention.

[18]         Quant à la Fédération, elle ne peut certes se prévaloir d'une renonciation contenue dans un contrat auquel elle n'est pas partie [3] (art. 1440 C.c.Q).

[19]         Le même sort sera réservé à l'argument de la Fédération fondé sur l'absence d'intérêt (art. 165 (3) C.p.c.). Contrairement à l'article 165 (4) C.p.c., les faits allégués ne sont pas tenus pour avérés et le Tribunal peut permettre aux parties de présenter une preuve jugée nécessaire, ce qui n'a pas été le cas en l'espèce.

[20]         Le recours contre la Fédération dépend uniquement de la preuve, le Tribunal serait mal venu d'y mettre fin avant même que les demandeurs aient eu l'occasion de s'exprimer.

2.         Y a-t-il abus de procédures?

[21]         Concernant la demande de la Fédération de déclarer les procédures des demandeurs, madame Roy et Monsieur Paradis, abusives en vertu des articles 54.1 et ss. C.p.c., seule une preuve plus approfondie déterminera si effectivement leurs demandes sont non fondées et abusives. Au stade préliminaire, le Tribunal ne détient pas suffisamment de preuve pour en décider.

 

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[22]         REJETTE la requête en irrecevabilité et en rejet de l'action de la défenderesse, Fédération des Caisses Desjardins du Québec;

[23]         REJETTE la requête en irrecevabilité et en rejet de l'action de la défenderesse, Groupe de Sécurité Garda;

[24]         FRAIS À SUIVRE.

 

 

 

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FRANCINE NANTEL, J.C.S.

 

Me Hélène Rioux

St-Laurent Grégoire Avocats

Avocats des demandeurs

 

Me Sébastien C. Caron

Me Nicolas Daudelin

LCM Avocats

Avocats de la défenderesse

La Fédération des Caisses Desjardins du Québec

 

Me Marc-Antoine St-Pierre

Me Éric Boucher

Séguin, Racine, Avocats

Avocats de la défenderesse

Groupe de Sécurité Garda s.e.n.c.

 

Date d’audience :

4 juillet 2014

 



[1]     Bohémier c. Barreau du Québec , 2012, QCCA 308.

[2]     Place Lebourneuf inc. c. Autodrome de Val Bélair inc., R.J.Q. [1985] C.A. p. 366.

[3]     Laflamme c. Bergonzi, 2013 QCCQ.