Syndicat national des travailleurs des pâtes et papiers de Pont-Rouge inc. (CSD) et Compagnie de matériaux de construction BP Canada, usine de Pont-Rouge (grief individuel)

2014 QCTA 642

TRIBUNAL D’ARBITRAGE

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

 

N o de dépôt :

2014-6514

 

Date :

11 juin 2014

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DEVANT L’ARBITRE :

Me JEAN-FRANÇOIS LA FORGE

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Syndicat national des travailleurs des pâtes et papiers de Pont-Rouge inc. (CSD)

Ci-après appelé « le syndicat »

Et

La compagnie de matériaux de construction BP Canada, usine de Pont-Rouge

Ci-après appelée « l’employeur »

 

 

Grief : 2013-03

 

 

Nature du grief :

Assurance salaire

 

Convention collective :

2011-2015

 

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SENTENCE ARBITRALE

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I. OBJET DU LITIGE

[1] L'arbitre soussigné a été nommé par les parties pour entendre et disposer du grief 2013-03 daté du 4 janvier 2013 et déposé sous la cote S-2 . Il se lit ainsi :

Description de la réclamation  :

L'employeur refuse de reconnaitre mon absence maladie ayant débutée en octobre 2012.

Description de la réclamation  :

Les sommes dues ainsi que tous les frais occasionnés par l'absence de ces sommes, sommes que je considère avoir droit étant donné les dispositions de la convention collective.

[2] Le 29 avril 2014, le procureur du syndicat informait le tribunal d'une objection préliminaire de l'employeur en ces termes :

En prévision de l'audition prévue le 9 mai prochain dans le cadre du dossier en titre, nous avons transmis le 25 avril dernier un avis à la partie adverse de notre intention de vous demander lors de l'audience d'admettre les déclarations écrites du Dr Guy Dumont à titre de témoignage suivant l'article 2870 du Code civil du Québec.

Or, nous venons d'être avisés par la partie patronale que celle-ci s'objectait au dépôt des déclarations écrites du Dr Guy Dumont.

Compte tenu de ce qui précède, la partie syndicale sollicite la tenue d'une conférence préparatoire pour que soit tranchée cette objection préalable afin d'assurer le bon déroulement de l'instance.

[3] Lors de l'audition, le syndicat a procédé au dépôt de la convention collective sous S1 , du grief sous S-2 ainsi que de la lettre de référé à l'arbitrage sous S-3 . Lorsqu'il a tenté de déposer les déclarations écrites du Dr Guy Dumont, la procureure de l'employeur s'y est objecté et les parties ont convenues alors que le tribunal se prononce sur cette objection avant de procéder au fond.

Il. LES FAITS

[4] Le syndicat voudrait voir déposées les déclarations écrites du Dr Guy Dumont sans que celui-ci soit appelé comme témoin et donc sans que la partie patronale puisse le contre-interroger. Ces documents sont pour l'essentiel, la déclaration du médecin traitant destinée à la Financière Manuvie ainsi que les notes évolutives (manuscrites) au dossier médical.

[5] Pour le syndicat, il est toujours loisible pour l'employeur de présenter une contre-preuve alors que, pour la procureure de l'employeur, le droit au contre-interrogatoire est essentiel et le renier dans les circonstances priverait l'employeur d'un droit fondamental, d'où l'objection.

III. ARGUMENTATION

            Argumentation syndicale

[6] Le syndicat soutient qu'il est possible de déposer un rapport médical sans que le médecin soit astreint à témoigner et soumet ainsi l'article 2870 du Code civil du Québec  :

2870. La déclaration faite par une personne qui ne comparaît pas comme témoin, sur des faits au sujet desquels elle aurait pu légalement déposer, peut être admise à titre de témoignage, pourvu que, sur demande et après qu'avis en ait été donné à la partie adverse, le tribunal l'autorise.

Celui-ci doit cependant s'assurer qu'il est impossible d'obtenir la comparution du déclarant comme témoin, ou déraisonnable de l'exiger, et que les circonstances entourant la déclaration donnent à celle-ci des garanties suffisamment sérieuses pour pouvoir s'y fier.

Sont présumés présenter ces garanties, notamment, les documents établis dans le cours des activités d'une entreprise et les documents insérés dans un registre dont la tenue est exigée par la loi, de même que les déclarations spontanées et contemporaines de la survenance des faits.

[7] Il serait déraisonnable d'exiger la présence du médecin qui ne ferait que relire ses propres notes, sans oublier que ces notes sont des informations consignées de façon spontanée et contemporaine de la survenance des faits, tel que l'avait déterminé la Cour supérieure dans Bhutta c. Yaqoob , 2008 QCCS 97  :

[2] La Cour suprême dans l'arrêt Ares c. Venner [1970] S.C.R. 608 énonce une règle d'exception à la preuve de ouï-dire quant aux dossiers médicaux :

« Les dossiers d'hôpitaux, y compris les notes des infirmières, rédigées au jour le jour par quelqu'un qui a connaissance personnelle des faits et dont le travail consiste à faire les écritures ou rédiger les dossiers, doivent être reçus en preuve comme preuve prima facie des faits qu'ils relatent. Cela ne devrait en aucune façon empêcher une partie de contester l'exactitude de ces dossiers ou de ces écritures si elle veut le faire. »

[3] Dans cette hypothèse, le demandeur n'est donc pas privé de son droit de contredire les éléments contenus au dossier.

[4] Les dossiers médicaux et le rapport d'intervention des ambulanciers présentent des garanties suffisamment sérieuses pour pouvoir s'y fier en autant qu'il s'agisse de faits personnellement constatés par les infirmières ou les ambulanciers.

[5] En ce qui concerne les dossiers médicaux, les informations y étant consignées sont faites de façon spontanée et contemporaine de la survenance des faits. Les personnes ayant consigné ces renseignements n'ont aucun intérêt dans ce litige. Il est maintenant établi que les dossiers médicaux font preuve prima facie de leur contenu. La force probante cependant devra être appréciée par le juge du procès. Il en est ainsi des rapports d'intervention des ambulanciers.

[6] De plus, il serait déraisonnable d'exiger la comparution des déclarants comme témoins. Le témoignage de ces personnes à l'audience se limiterait à identifier leur écriture et confirmer qu'elles ont bel et bien complété le dossier médical ou le rapport d'intervention à la date indiquée sur ce document. Ce processus alourdirait injustement le procès et va à l'encontre des intérêts de la justice.

[8] L'arbitre Me Francine Lamy en arrivait à la même conclusion dans Syndicat québécois des employées et employés de service, section locale 298 et Centre de santé et services sociaux du Grand Littoral , 21 septembre 2012, 2010 CanLll 54555 (QC SAT) :

[76] Avant de procéder à l'évaluation de la preuve, il me faut préciser la valeur probante que j'entends accorder aux notes évolutives du dossier de la résidente. Je rappelle qu'elles ont été faites par les infirmières et les infirmiers auxiliaires, dans le but de consigner l'évolution de son état et de communiquer des éléments importants la concernant. Ces personnes n'ont pas témoigné (hormis madame R et son témoignage n'était pas en rapport avec les notes qu'elle y a consignées), d'où la prétention qu'il s'agit d'une preuve par ouï-dire.

[77] À mon avis, le dossier médical d'un usager contenant des notes rédigées au jour le jour par des infirmières sur son état est recevable en preuve pour établir les faits qui y sont relatés : Royer, J.C., La preuve civile, 2 ième édition, Les Éditions Yvon Blais, Cowansville, 1995, p. 215. L'arrêt Ares c. Venner [1970] R.C.S. 608 , énonce la règle d'exception à la preuve par ouï-dire quant aux dossiers de cette nature :

[78] L'exactitude des notes peut être contestée, mais l'employeur ne l'a pas fait. Aussi, je reconnais, pour les fins de mon analyse, que la production de ces notes fait la preuve de son contenu et je les considère fiables à cet égard.

[9] Cette décision de Me Francine Lamy devait être par la suite confirmée par la Cour supérieure, la décision étant répertoriée sous : Centre de santé et de services sociaux du Grand Littoral c. Lamy , 2011 QCCS 4578 .

[10] Enfin le Règlement sur les dossiers, les lieux d'exercice et la cessation d'exercice d'un médecin , c., M-9, r. 20.3 prévoit les dispositions suivantes :

6 . Le médecin inscrit ou verse notamment au dossier médical les renseignements et les documents suivants :

1. la date de consultation, ou de toute inscription au dossier, ainsi que l'heure dans le cas d'une situation d'urgence ou critique ;

3. les observations médicales recueillies à la suite de l'anamnèse et de l'examen ;

6. le diagnostic et les diagnostics différentiels lorsque la condition clinique du patient est imprécise.

8 . Le médecin doit signer ou parapher toute inscription ou transcription qu'il fait dans tout dossier ou qui est faite par un de ses employés dûment autorisés et qui n'est pas membre d'un ordre professionnel.

[11] Le dépôt d'un rapport médical à titre de témoignage est donc reconnu par la doctrine, prévu par la loi et appliqué par la jurisprudence.

[12] Enfin les critères prévus par l'article 2870 du Code civil du Québec sont rencontrés et ce sont les raisons pour lesquelles le syndicat demande au tribunal de permettre le dépôt du rapport de Dr Guy Dumont à titre de témoignage.

            Argumentation patronale

[13] L'argumentation soumise par le syndicat concerne les faits sur lesquels une personne aurait pu témoigner et non sur l'opinion médicale ou le diagnostic retenu par un médecin.

[14] Un médecin est un professionnel qui fait bien plus que de consigner des faits. L'article 2870 du Code civil ne peut donc pas s'appliquer. Est-il vraiment déraisonnable de vouloir exercer son droit au contre interrogatoire sur des questions médicales. De plus, les deux documents soumis, un certificat et des notes évolutives, ne sont pas fiables et contiennent beaucoup de ratures.

[15] L'arbitre Me André Sylvestre dans la décision Travailleurs et travailleuses unis de l'alimentation et du commerce, local 500 et Provigo distribution inc , 20 juin 2006, 2006 CanLII 21798 (QC SAT) apportait les distinctions suivantes :

[38] Cependant, et comme l'a plaidé Me Desrosiers, on doit distinguer entre une preuve de ouï-dire, qui rapporte des faits, et celle qui offre une opinion. Dans la doctrine et la jurisprudence invoquées par Me Collet, les informations mises en preuve par ouï-dire étaient des faits. Or la jurisprudence interdit la preuve d'une opinion par ouï-dire. Ainsi, dans un arrêt ltenberg c. les Breuvages Cott inc. et Crown Corkland Seal Canada inc ., AZ5007637, le juge Beaudouin, de la Cour d'appel a écrit, p. 6 :

« (18) La troisième, qui résulte du libellé même de l'article (2870) C.c.Q.), est que cette déclaration porte « ...sur des faits au sujet desquels elle (la personne) aurait pu légalement déposer.... ».

(19) L'expertise porte évidemment sur des faits, mais non pas la déclaration de l'expert qui est, elle, une opinion sur l'existence, la portée ou la pertinence de ceux-ci. Notre régime de droit est basé sur un système contradictoire. L'expertise y joue un grand rôle, mais le témoin expert, puisqu'il émet une opinion qui va guider le juge sur un point important, doit d'abord se qualifier comme tel et éventuellement se soumettre à un interrogatoire et un contre-interrogatoire pour tester la pertinence et la fiabilité de son opinion.

(20) Je suis donc d'avis, comme le premier juge et la jurisprudence des tribunaux d'instance...que l'opinion de l'expert n'est pas couverte par l'exception de l'article 2870 C.c.Q. Admettre la solution inverse serait auréoler une simple opinion d'une présomption de fiabilité sans la soumettre au processus contradictoire. »

[16] L'arbitre Ronald Bourgignon dans la décision Commission scolaire Tracy et Syndicat des employés et employées de Sorel-Tracy , 13 mars 1998, SAET 6377, précise en ces termes les conditions d'application de l'article 2870 du Code civil du Québec  :

Pour qu'une déclaration puisse être admise à titre de témoignage en l'absence de son auteur, l'une des conditions énumérées au deuxième alinéa doit être rencontrée. C'est ainsi que s'il est impossible d'obtenir la comparution du déclarant comme témoin, le tribunal pourra autoriser le dépôt de la déclaration. Le syndicat, en l'occurrence, n'a pas établi que le médecin était dans l'impossibilité de se présenter au tribunal pour y être interrogé et contre-interrogé sur les documents S-3, S-5 et S-8 dont il est l'auteur. Le simple fait d'être très occupé ne saurait être jugé équivalent à une impossibilité. D'autant plus que le tribunal est toujours disposé, comme le veut la coutume, à choisir des dates d'audition qui conviennent à tous les intéressés, dont les témoins.

Je ne crois pas non plus qu'il soit déraisonnable d'exiger la présence du médecin. Après tout, la commission entend défendre une position contraire à celle du médecin traitant et qui, qu'elle soit fondée ou non, mérite d'être entendue et jugée à son mérite. Et ce n'est qu'en permettant la confrontation de ces positions contradictoires, par le jeu habituel de l'interrogatoire et du contre-interrogatoire, qu'il sera possible de trancher de façon éclairée.

Peut-on dire que les déclarations faites dans les documents S-3, S-5 et S-8 offrent des garanties suffisamment sérieuses pour pouvoir s'y fier ? Dans ces documents, on trouve certains faits objectifs, comme par exemple que la plaignante a été hospitalisée à l'hôpital Saint-Luc et qu'elle y a subi une urétropexie le 3 juin 1996. Mais on y trouve aussi l'énoncé d'une conclusion selon laquelle l'invalidité doit se prolonger jusqu'au 5 août 1996. Or, c'est précisément cette conclusion, et non les faits objectifs que le document décrit, que la commission conteste, sur la foi d'une opinion provenant d'un médecin de la C.A.R.R.A.. Si j'énonçais que les documents émanant du médecin traitant offre des garanties suffisamment sérieuses pour pouvoir s'y fier, j'affirmerais par avance ma préférence pour la position de ce dernier, ce qui aurait concrètement pour effet de brimer le droit de la commission d'être entendue sur ce point précis.

Cela dit, aucune des conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 2870 C.c.Q. n'est remplie, si bien que les pièces S-3, S-5 et S-8 ne pourront être admises à titre de témoignage.

[17] L'employeur a droit au respect d'une règle de justice fondamentale, soit celle de contre-interroger. Il ne s'agit pas d'un témoin de faits et il ne s'agit pas de simples notes mais bien d'une opinion médicale. L'employeur demande donc le rejet de la demande.

            Réplique

[18] Les documents que la partie syndicale veut faire admettre comme témoignage offrent une garantie de fiabilité tel que démontré par les dispositions réglementaires.

[19] De plus, aucun droit n'est violé car la partie patronale peut toujours demander au médecin de venir témoigner. On ne peut donc pas prétendre que le droit au contre-interrogatoire soit renié ou que la règle audi alteram partem soit violée. Si l'employeur veut faire entendre Dr Dumont, qu'il l'assigne lui-même.

IV. DÉCISION

[20] La présente décision interlocutoire est rendue nécessaire pour trancher une objection relative au dépôt en preuve de certains documents médicaux signés par Dr Guy Dumont. Ces documents sont en rapport avec une absence du travail que le sala-rié voudrait voir indemnisée par l'assurance-salaire, ce que l'employeur refuse à ce jour.

[21] La procureure de l'employeur s'objecte à la procédure suivie par le syndicat car elle exige que le médecin soit entendu afin de lui permettre de le contre-interroger. De son côté, le procureur syndical veut limiter la preuve au simple dépôt des documents médicaux « pour valoir à titre de témoignage » du médecin.

[22] Plusieurs questions sont donc soulevées par les positions respectives. Parmi les questions essentielles auxquelles le tribunal doit répondre, il faut décider si la partie plaignante peut se contenter de déposer les documents en question sans faire témoigner celui qui les a rédigé. Subsidiairement, l'autre question consiste à se demander si l'autre partie qui réclame la présence de l'expert doit prendre en charge de l'assigner comme témoin.

            L'article 2870 du Code civil du Québec

[23] Les documents que le syndicat entend déposer constituent une expertise médicale. Ils émanent du médecin « traitant » et sont remplis dans un premier temps à l'intention de l'assureur pour établir si le travailleur a droit à la couverture d'assurance.

[24] La déclaration du médecin traitant pose un diagnostic, propose un traitement, se prononce sur l'incapacité ou non en plus d'évaluer la durée de telle incapacité. Il ne s'agit donc pas de simples informations. Il faut faire une distinction entre des faits, la constatation de faits et l'émission d'une opinion. La même conclusion s'impose pour ce qui est des notes évolutives. Elles serviront à valider ou corriger le diagnostic initial, à noter l'évolution de la pathologie, statuer sur un pronostic, valider le besoin de soins ou leur poursuite, déterminer la pharmacologie, l'ajuster et décrire l'évolution de la maladie.

[25] Sur cet aspect, la jurisprudence soumise par le procureur syndical ne peut pas s'appliquer puisque les décisions soumises se prononçaient sur des inscriptions à des registres ou autres documents concernant des données essentiellement factuelles, sans opinion. La décision de l'arbitre Me Francine Lemay dans Syndicat québécois des employées et employés de service, section locale 298 (déjà citée) est au même effet et ne discute que de l'opportunité d'admettre des faits et non une opinion médicale émise par un médecin traitant.

[26] De plus, il n'a pas été démontré qu'il était impossible d'obtenir la comparution du médecin traitant ni qu'il était déraisonnable d'exiger sa présence devant le tribunal. Il faut être conscient que l'expertise médicale qu'il fournit est la base de départ pour l'acceptation ou le refus de la réclamation de l'assureur et contient certes des informations que le tribunal devra valider ou infirmer après l'avoir entendu. Les conditions d'application de l'article 2870 ne sont donc pas rencontrées.

[27] En fait, ce que recherche la partie syndicale est de faire admettre en preuve la déclaration par laquelle le Dr Dumont donne son avis médical relativement à l'incapacité du plaignant. De toute évidence, les documents relatent les faits qui ont conduit le médecin à poser le diagnostic retenu. Nous sommes bien loin des simples indications, prises de mesure ou autres données administratives qui pourraient être colligées par quelqu'un de son personnel.

[28] L'article 2870 du Code civil du Québec ne s'applique tout simplement pas au cas soumis au tribunal et ne peut donc être d'aucun secours pour la partie qui l'invoque.

            Les pouvoirs de l'arbitre

[29] Pour ce qui est de la preuve et de la procédure, l'arbitre a des pouvoirs qui lui sont conférés notamment par les articles 100.2, 100.11 et 100.12 g) du Code du travail , L.R.Q., c. C-27 :

100.2 L'arbitre doit procéder en toute diligence à l'instruction du grief et, sauf disposition contraire de la convention collective, selon la procédure et le mode de preuve qu'il juge appropriés.

100.11 L'arbitre doit rendre une sentence à partir de la preuve recueillie à l'enquête.

100.12 Dans l'exercice de ses fonctions l'arbitre peut :

g) rendre toute décision, y compris une ordonnance provisoire, propre à sauvegarder les droits des parties.

[30] Même si un tribunal d'arbitrage bénéficie d'une discrétion quant à l'administration de la preuve et de la procédure, qu'il est le «  maître de sa procédure  », cette discrétion doit être exercée de façon judiciaire, selon les principes de justice, ce qui implique le respect des règles de justice naturelle. Il ne s'agit pas d'une simple question de procédure mais bien d'un droit fondamental.

[31] L'une de ces règles, d'ailleurs prévues notamment aux articles 294 du Code de procédure civile et 2843 du Code civil est qu'un témoin doit être entendu à l'audience. Partant, une partie pourra s'objecter avec succès au dépôt d'un document si son auteur n'est pas entendu devant le tribunal, l'exception de l'article 2870 du Code civil du Québec ne s'appliquant pas dans le présent cas.

[32] Le tribunal ne saurait donc écarter cette règle fondamentale et doit assurer à la partie patronale son droit de contre-interroger le Dr Dumont si la partie syndicale entend produire les documents médicaux qu'il a souscrit. Il s'agit là d'une obligation incontournable. Les conclusions du médecin semblent être une partie essentielle du débat à l'origine du grief et l'intention évidente de l'employeur, mais tout aussi justifiable, est de défendre une position contraire. Le tribunal doit lui permettre.

[33] Le tribunal doit ainsi s'assurer que les parties ont l'opportunité de faire valoir l'ensemble des moyens pour contrer la preuve de l'autre. Si le tribunal acceptait la production de l'expertise à titre de témoignage sans entendre son auteur, il priverait l'employeur de son droit fondamental de le contre-interroger et lui permettrait de conclure que le tribunal avait préjugé.

            L'assignation du médecin à titre de témoin

[34] Le syndicat soumet de plus qu'il est toujours loisible à l'employeur d'assigner lui-même le médecin, en soumettant que c'est lui qui exige sa présence et non le syndicat.

[35] Une telle proposition ne fait qu'ignorer le véritable enjeu qui consiste à l'introduction en preuve d'un document comportant une opinion médicale. Ce n'est pas à l'employeur de prendre la responsabilité d'assigner le médecin. C'est bien le syndicat qui veut utiliser son rapport et ses notes évolutives et l'utilisation projetée ne peut se faire qu'en faisant témoigner son auteur. Il revient donc au syndicat d'assigner Dr Dumont, un choix qui lui revient s'il entend se servir ou non des documents.

[36] Faut-il rappeler à ce stade-ci qu'il revient au plaignant de prouver son état d'invalidité pour établir son droit à l'assurance. Le témoignage du Dr Dumont lui est donc utile. Accepter la position du syndicat provoquerait un renversement du fardeau de la preuve sans justification.

[36] Pour tous ces motifs, l'article 2870 du Code civil du Québec ne peut pas s'appliquer et les conditions d'application ne sont pas rencontrées. Ainsi le dépôt des documents ne pourra se faire qu'en s'assurant de la présence de son auteur, Dr Guy Dumont.

V. DISPOSITIF

Pour les raisons qui précèdent, après avoir étudié la preuve, la jurisprudence et les autorités soumises par les parties, soupesé les arguments des procureurs et sur le tout délibéré, l'arbitre soussigné :

Accueille l'objection de l'employeur ;

Déclare que la déclaration du Dr Dumont ainsi que ses notes évolutives ne sont admissibles en preuve que si le témoin puisse être entendu et contre-interrogé en l'instance ;

Déclare qu'il revient au syndicat d'assigner lui-même et à ses frais le Dr Dumont ;

Convoque les parties à la poursuite de l'audition à une date à être fixée ultérieurement du consentement des parties.

Québec, 11 juin 2014

 

Me Jean-François La Forge, arbitre

 

 

Pour le Syndicat : Me David Richard, Melançon Marceau, Grenier, Sciortino

 

Pour l'Employeur : Me Geneviève Lapointe, Morency avocats

 

Audition tenue le 9 mai 2014