COMMISSION DES RELATIONS DU TRAVAIL |
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(Division des relations du travail) |
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Dossier : |
277950 |
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Cas : |
CQ-2014-0572 |
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Référence : |
2014 QCCRT 0443 |
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Québec, le |
19 août 2014 |
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DEVANT LA COMMISSAIRE : |
Nancy St-Laurent, juge administratif |
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Steve Landry
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Plaignant |
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c. |
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9045-8472 Québec inc.
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Intimée |
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DÉCISION |
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[1]
Le 6 novembre 2013, monsieur Steve Landry (le
plaignant
) dépose
une plainte selon l’article
[2] Par sa plainte, monsieur Landry réclame l’annulation de son congédiement, sa réintégration ainsi que le salaire perdu à la suite de cette terminaison d’emploi.
[3] L’employeur allègue avoir congédié le plaignant en raison d’une transaction frauduleuse qu’il aurait proposée à un client et soutient que sa réintégration est impossible.
[4] Le plaignant travaille pour l’employeur depuis février 2010. Il est le directeur du département des véhicules d’occasion. À ce titre, il évalue les véhicules, gère l’inventaire et autorise ou non toute transaction visant un véhicule d’occasion. Il agit également comme conseiller aux ventes.
[5] En janvier 2012, monsieur Lavertu devient le nouveau propriétaire de cette concession automobile. Étant peu présent sur les lieux du travail, il désigne monsieur Maheux comme directeur des ventes. Le plaignant est alors informé que c’est ce dernier qui dirige désormais la concession.
[6] Un an plus tard, monsieur Pothier devient copropriétaire avec monsieur Lavertu. Il est alors nommé directeur général et monsieur Maheux, directeur adjoint .
[7] Ainsi, monsieur Maheux s’occupe de certaines tâches administratives déléguées par monsieur Pothier. Il agit également comme conseiller aux ventes pour les véhicules neufs et, à l’occasion, pour les véhicules usagés. Selon monsieur Pothier, monsieur Maheux n’exerce plus aucune autorité sur le plaignant.
[8] Fin septembre, début octobre 2013, monsieur Maheux est interpellé par un collègue de travail qui lui demande de trouver un véhicule d’occasion pour un ami. Il entreprend donc des démarches en ce sens puisqu’il n’y a aucun véhicule du modèle recherché en stock.
[9] Informé de cette demande, le plaignant propose à monsieur Maheux un autre modèle disponible chez l’employeur. L’information est également transmise au collègue de travail ayant référé le client, qui le contacte par téléphone pour l’en informer.
[10] Vu certaines contraintes financières soulevées par le client, l’appel est transféré au plaignant dans le bureau de la directrice commerciale. C’est alors que celui-ci lui propose de financer une dette de 3 000 $ à même la vente du véhicule. Plus concrètement, il propose au client de hausser le financement du véhicule et de lui remettre un chèque de 3 000 $ à la livraison afin qu’il puisse acquitter sa dette. Il finance ainsi, à l’insu de la banque, cette dette à un taux d’intérêt moindre. Le client accepte cette proposition et la conversation téléphonique prend fin.
[11] Selon le plaignant, il confirme cette entente à monsieur Maheux. Celui-ci démontre cependant un certain malaise et semble douter de la légalité de cette transaction. C’est pourquoi il aurait alors suggéré au plaignant d’ajouter des accessoires d’une valeur de 3 000 $ au véhicule, lesquels seraient annulés à la livraison. Cette façon de faire justifierait ainsi le chèque remis au client et camouflerait davantage le subterfuge.
[12] Le plaignant ajoute que monsieur Maheux prépare une offre d’achat conforme à cette discussion et qu’il lui montre le jour même. Cependant, elle n’a pu être produite en preuve puisqu’elle n’apparaît pas au dossier du client. Pour expliquer cette situation, l’employeur soutient qu’une offre d’achat n’est pas nécessairement rédigée lorsque la vente se concrétise au téléphone. Le plaignant ne nie pas cette possibilité.
[13] Pour sa part, monsieur Maheux nie avoir rédigé une telle offre d’achat ou même proposé ce type de transaction. Il ajoute qu’il n’a jamais contacté ou parlé avec ce client. Il admet toutefois avoir signé le chèque de 3 000 $, mais uniquement à titre de signataire désigné considérant l’absence de monsieur Pothier. Il n’a pas remis en question la légitimité de ce chèque puisqu’il ne le fait jamais. Pour lui, la personne qui autorise une dépense demeure celle responsable. Il n’a donc joué qu’un rôle administratif dans cette affaire.
[14] Quoi qu'il en soit, le contrat de vente est rédigé par la directrice commerciale avec l’ajout d’accessoires et c’est le nom du plaignant qui apparaît comme conseiller. La preuve ne permet cependant pas de savoir qui lui a donné ces instructions. C’est également le nom du plaignant qui apparaît sur la feuille de travail, utile à la préparation du véhicule. Aucun document n’est toutefois signé par le plaignant. Seules les signatures de la directrice commerciale et du client apparaissent au contrat de vente et aux documents de financement.
[15] Le plaignant prétend que l’employeur a pu falsifier ces documents en y inscrivant son nom en remplacement de celui de monsieur Maheux. Cependant, rien ne corrobore cette prétention. La bonne foi devant se présumer, ces documents sont reconnus conformes aux originaux et non altérés.
[16] Le 15 octobre 2013, la livraison du véhicule est effectuée et un chèque de 3 000 $ est remis au client comme prévu.
[17] Les commissions reliées à la vente du véhicule ont été partagées par le plaignant entre la directrice commerciale, monsieur Maheux et le collègue de travail ayant référé le client. Monsieur Maheux dit ne pas avoir sollicité cette commission, mais il l’espérait considérant les recherches effectuées dans ce dossier.
[18] Monsieur Pothier est en vacances au moment de cette vente et, selon le plaignant, c’est monsieur Maheux qui le remplace et qui gère alors la concession. Il considère avoir eu son approbation pour cette transaction. Pour leur part, messieurs Pothier et Maheux prétendent que personne n’est désigné à ce titre. Comme il s’agit d’une courte absence, monsieur Pothier assume ses responsabilités à son retour. Le plaignant continue donc de gérer le département de l’usagé et monsieur Maheux celui du neuf, chacun étant autonome dans leur fonction respective. Selon eux, monsieur Maheux n’exerce aucune autorité sur le plaignant, même en l’absence de monsieur Pothier.
[19] Ce n’est qu’à son retour de vacances que monsieur Pothier est mis au courant de cette transaction et qu’il amorce son enquête. Le plaignant lui avoue avoir proposé l’augmentation du prix de vente pour financer la dette du client. À ses yeux, cette façon de faire n’est pas frauduleuse.
[20] À l’audience, il admet également avoir fait cette proposition, mais il en minimise les conséquences et ne manifeste aucun regret. Il nie cependant être intervenu au-delà de la communication téléphonique, laissant plutôt croire que c’est monsieur Maheux qui a convenu des modalités reliées aux accessoires et conclut la transaction finale avec le client.
[21] Pour monsieur Pothier, cette transaction est frauduleuse et met en péril l’intégrité de la concession. Puisque 93 % des ventes sont financées par des institutions bancaires, il est impératif de maintenir leur lien de confiance à l’égard de la concession. Qu’un directeur propose une telle transaction est inacceptable.
[22] Considérant l’importance de cette affaire, il communique avec monsieur Lavertu et ils conviennent de congédier le plaignant. Pour eux, il s’agit d’une faute grave. Le plaignant en est avisé le jour même.
[23] À la suite de son départ, le plaignant est remplacé, mais à moindre coût puisque le nouveau directeur du département des véhicules d’occasion reçoit près de 35 000 $ de moins en salaire. Selon le plaignant, c’est sa rémunération qui posait problème et l’employeur a tout simplement cherché un prétexte pour le congédier.
[24] À cet effet, il indique que peu de temps après son arrivée, monsieur Pothier a remis en question son plan de rémunération, dont ses commissions sur les ventes. Des modifications y ont été apportées, mais certains éléments demeuraient encore en négociation au moment du congédiement. Ces modifications ont entraîné une baisse de rémunération pour le plaignant qui prétend ne pas avoir eu le choix de l’accepter. Quant à l’employeur, il allègue qu’elles ont été négociées et acceptées par le plaignant en août 2013.
[25]
L’article
Le salarié qui justifie de deux ans de service continu dans une même entreprise et qui croit avoir été congédié sans une cause juste et suffisante peut soumettre sa plainte par écrit à la Commission des normes du travail ou la mettre à la poste à l'adresse de la Commission des normes du travail dans les 45 jours de son congédiement, sauf si une procédure de réparation, autre que le recours en dommages-intérêts, est prévue ailleurs dans la présente loi, dans une autre loi ou dans une convention.
[26] Ainsi, la Commission doit déterminer si l’employeur avait une cause juste et suffisante de mettre fin à l’emploi du plaignant.
[27] Le plaignant admet avoir proposé au client le financement d’une dette à l’achat d’un véhicule, et ce, à l’insu de l’institution bancaire. Il en minimise cependant l’impact et ne manifeste aucun regret.
[28] La preuve est contradictoire sur l’implication du plaignant et celle de monsieur Maheux, chacun blâmant l’autre d’avoir effectué cette transaction. Cependant, même en considérant que monsieur Maheux a été impliqué plus qu’il ne le prétend, cela ne minimise en rien le geste posé par le plaignant. En effet, que ce soit avec ou sans l’ajout des accessoires, le plaignant a proposé une transaction qu’il savait irrégulière.
[29] À titre de directeur du département des véhicules d’occasion, il avait le pouvoir de conclure ou non toute transaction visant l’un de ces véhicules. Ainsi, il pouvait engager l’employeur auprès des tiers (clients et institutions financières) sans autorisation préalable. Considérant ses responsabilités et son autonomie professionnelle, le lien de confiance entre l’employeur et le plaignant était de grande importance.
[30] Bien que la jurisprudence reconnaisse qu’un salarié doit être sanctionné progressivement, ce principe n’est cependant pas absolu lorsque celui-ci occupe un poste de direction, comme en l’espèce.
[31]
C’est d’ailleurs ce qu’exprime la Commission dans l’affaire
Mommaerts
c.
Élopak Canada inc.
,
[122] La Commission est d’avis que la notion même de cadre comporte l’obligation, pour celui qui en porte le titre, de connaître les comportements antinomiques aux obligations contractuelles liées au travail. Dès lors, il est difficile de concevoir que l’on doive appliquer les mêmes standards à un cadre qu’à un simple employé. Qui plus est, lorsque ce dernier se voit confier de grandes responsabilités, il devient manifeste que l’on ne peut pas agir de la même manière qu’avec un salarié. En effet, plus une personne a des responsabilités importantes dans une entreprise, moins on a besoin de l’avertir des conséquences des gestes qu’elle pose ou qu’elle omet de faire. Cela est implicite à la fonction.
[123] Comment peut-on croire qu’un cadre, que l’on suspendrait, aurait la même crédibilité auprès des employés, des collègues-cadres, des fournisseurs et des clients? La réponse est évidente et favorise une application différente du principe de la gradation des sanctions.
(soulignement ajouté)
[32] En proposant une transaction irrégulière, le plaignant a compromis l’intégrité de la concession. Il y occupait un poste de confiance et le simple fait de proposer une telle transaction constitue un élément suffisamment grave pour rompre le lien de confiance avec l’employeur. Il ne s’agit donc pas d’un prétexte comme il le prétend, mais d’une cause juste et suffisante de mettre fin à son emploi.
EN CONSÉQUENCE, la Commission des relations du travail
REJETTE la plainte.
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__________________________________ Nancy St-Laurent |
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M e Nicole Gagné |
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RIVEST, TELLIER, PARADIS |
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Représentante du plaignant |
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M. Jean-Guy Michaud, CRIA |
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Représentant de l’intimée |
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Date de la dernière audience : |
26 juin 2014 |
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