Syndicat des travailleuses et des travailleurs de la santé de Gatineau (CSN) et CSSS de Gatineau (griefs individuels, Suzanne St-Louis et une autre)

2014 QCTA 682

 

TRIBUNAL D’ARBITRAGE

 

 

 

CANADA

 

PROVINCE DE QUÉBEC

 

 

 

N o de dépôt :

2014-7446

 

 

 

Date :

28 juillet 2014

 

 

 

 

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE :

gilles Corbeil

 

 

 

 

 

Syndicat des travailleuses et des travailleurs de LA SANTÉ DE GATINEAU (Csn)   

 

 

 

Ci-après appelé « le syndicat »

 

 

 

Et

 

 

 

CSSS DE GATINEAU

 

 

 

Ci-après appelé « l’employeur »

 

 

 

Griefs no :

HG-12106 (Suzanne St-Louis)

 

 

HG-12107 (Sylvianne Beaulne)

 

 

 

Procureure patronale :

Me Isabelle Carpentier-Cayen

 

Procureur syndical :

Monsieur Sébastien Boivert

 

Audience :

10 septembre 2013 et 16 octobre 2013

 

 

 

 

 

 

 

DÉCISION ARBITRALE

 

 

 

 

 

 

 


I-            les griefs

[1]    Le 3 avril 2012, madame Suzanne St-Louis dépose un grief portant le numéro HG-12106 et madame Sylvianne Beaulne dépose un grief au même effet, portant le numéro HG-12107. Ces deux griefs sont libellés ainsi :

En vertu de la convention collective, je conteste que l’employeur n’accepte pas mes demandes de reclassification, du titre d’emploi d’agente adm. cl.2 à celui d’agente adm. cl.1.

Je réclame la reclassification de mon titre d’emploi et cela depuis ma demande. Ainsi que tous les droits à la convention collective et dédommagement pour préjudices subis suite à cette injustice, incluant les dommages moraux et exemplaires, ainsi que le préjudice fiscal, le tout rétroactivement avec intérêts au taux prévu au code du travail, et sans préjudice aux autres droits dévolus.

[2]    Le même jour, monsieur Bruce Nadeau, agissant comme représentant de l’employeur, refuse de faire droit à ces griefs, les déclarant non fondés en fait et en droit.

II-          la preuve

                La chronologie

[3]    Madame Suzanne St-Louis, une des deux plaignante, travaille pour le CSSS de Gatineau depuis 37 ans. Elle a successivement œuvré au secteur alimentation, puis comme préposée aux bénéficiaires et comme commis (maintenant appelé agent administratif [1] , classe 3).

[4]    En 2008, elle obtient un poste d’ agente administrative, classe 2 au Service des approvisionnements.

[5]    Madame Sylvianne Beaulne, l’autre plaignante, agit comme agente administrative, classe 2, au Service des approvisionnement depuis avril 2009. Elle n’est pas détentrice du poste qu’elle occupe. Il s’agit d’une affectation temporaire, Sylvianne Beaulne étant inscrite sur la liste de rappel.

[6]    Le 25 mai 2010, quatre (4) personnes salariées du Service des approvisionnements, dont les deux plaignantes, Suzanne St-Louis et Sylvianne Beaulne, présentent une demande de reclassification du titre d’emploi d’agent administratif, classe 2, à celui d’agent administratif, classe 1. Elles indiquent que leurs « responsabilités quotidiennes sont, de toutes évidences, associées à la description de tâches de la classe 1 ». Elles ajoutent que, « au fil des années, le travail d’agent administratif, classe 2 a beaucoup changé » et elles demandent à être reconnues « à leur juste valeur ».

[7]    L’employeur ne fait pas droit à leur demande.

[8]    Le 13 mars 2011 entre en vigueur la nouvelle convention collective applicable.

[9]    À l’automne 2011, l’employeur se prépare à une réorganisation du service de l’approvisionnement.

[10]        À cette époque, le service était constitué des postes suivants : 16 magasiniers, 5 agents d’approvisionnements, 5 techniciens en administration et de 4 agents administratifs, classe 2.

[11]        Le 23 janvier 2012, une nouvelle nomenclature des titres d’emploi entre en vigueur. Parmi les nombreux effets occasionnés par l’entrée en vigueur de cette nouvelle nomenclature, les titres d’emploi d’agents administratifs, de la classe 1 à la classe 4, sont abolis.

[12]        De nouveaux titres d’emplois sont également créés, dont ceux de :

·          agent administratif, classe 1 - secteur secrétariat;

·          agent administratif, classe 1 - secteur administration;

·          agent administratif, classe 2 - secteur secrétariat;

·          agent administratif, classe 2 -  secteur administration;

·          agent administratif, classe 3 - secteur secrétariat;

·          agent administratif, classe 3 - secteur administration;

·          agent administratif, classe 4 - secteur secrétariat;

·          agent administratif, classe 4 -  secteur administration.

[13]        Le 31 janvier 2012, les mêmes quatre (4) personnes salariées, dont madame Suzanne St-Louis et madame Sylvianne Beaulne, demandent à nouveau leur reclassification « à titre d’agent administratif cl 1 » mais « sans recevoir la rétroactivité ». À l’audience, les deux plaignantes expliquent qu’elles croyaient améliorer leurs chances de voir l’employeur accéder à leur demande si elles renonçaient à toute rétroactivité.

[14]        Au même moment, la réorganisation du service prend forme. Le service de l’approvisionnement est maintenant constitué des postes suivants : 17 magasiniers, 5 agents d’approvisionnements, 3 techniciens en administration, 5 agents administratifs de classe 1, secteur administration, un agent administratif de classe 2, secteur administration et un agent administratif de classe 3, secteur administration.

[15]        En somme, il y avait, avant la réorganisation, 4 postes d’agents administratifs de classe 2, et il n’y en a plus qu’un seul après cette réforme. Par contre, l’employeur procède à la création de 5 postes d’agents administratifs de classe 1, secteur administration, et d’un poste d’agent administratif de classe 3, secteur administration.

[16]        Suzanne St-Louis conserve son poste d’agente administrative, classe 2 au Service des approvisionnements, dont le titre d’emploi est modifié par l’ajout de l’expression « secteur administration ». Quant à Sylvianne Beaulne, elle est en arrêt de travail à ce moment-là. Bien qu’elle ait posé sa candidature sur les nouveaux postes d’agentes administratives, classe 1, secteur administration, son ancienneté insuffisante ne lui a pas permis de voir son vœu exhaussé.

[17]        Le 5 mars 2012, l’employeur, sous la plume de madame Isabelle Leduc, conseillère cadre dotation-Équipe des spécialistes à la Direction des ressources humaines , refuse de faire droit à la demande de reclassification des plaignantes, tant celle faite par celles-ci une première fois le 25 mai 2010, puis réitérée ensuite le 31 janvier 2012.

[18]        Madame Leduc justifie ainsi la décision de l’employeur :

« En effet, suite à l’analyse de vos tâches, le pourcentage requis, c’est-à-dire 51% ou plus, au titre d’emploi d’agent administratif classe 1 n’est pas atteint. Nous ne pouvons donc acquiescer à votre requête. »

[19]        Sylvianne Beaulne revient au travail au même moment et est affectée à un poste d’agente administrative, classe 2, secteur administration, jusqu’en juin 2012, date à laquelle on l’affecte à un emploi d’agente administrative, classe 1, secteur administration, sur un des postes nouvellement créés au Service des approvisionnement. En effet, Sylvianne Beaulne s’était auparavant qualifiée pour agir dans l’emploi d’agente administrative de classe 1.

[20]        Il convient de dresser un portrait préliminaire des tâches effectuées par les plaignantes. Nous développerons ce portrait par la suite, dans le résumé des témoignages des deux plaignantes.

[21]        Il ressort de la preuve que le travail des agentes administratives du Service de l’approvisionnement, au moment visés par les griefs, consiste, essentiellement, à transmettre par télécopie des commandes de fournitures médicales et chirurgicales passées par les requérants des différents secteurs du CSSS de Gatineau, comme par exemple le service de chirurgie de l’Hôpital de Gatineau.

[22]        Les agentes administratives reçoivent d’abord des commandes par l’intermédiaire du système GRM (un système informatique qui permet aux divers requérants du CSSS de Gatineau d’inscrire une commande de fournitures). Elles en examinent alors leur conformité, les impriment et les faxent aux fournisseurs appropriés. Par ailleurs, il leur arrive de traiter des requêtes faites par écrit (et non par l’intermédiaire du système GRM).

[23]        Elles assurent ensuite le suivi des commandes et leur réception par les magasiniers des divers services.

[24]        Une partie de leur travail consiste également à offrir du soutien technique aux requérants qui construisent leur commande dans le système GRM.

[25]        Les plaignantes, Suzanne St-Louis et Sylvianne Beaulne, ont présenté leur témoignage en cette affaire. Elles ont toutes deux expliqué en quoi la nature de leurs tâches correspondaient, à leur avis, davantage à celles d’une agente administrative de classe 1 qu’à celles d’une agente administrative de classe 2.  Elles ont toutes deux basé leur témoignage sur le descriptif de l’emploi d’agent administratif, classe 1, tel qu’on pouvait le lire dans la Nomenclature des titres d’emploi de 2005-2010, et que nous reproduisons :

Personne qui, en plus d’exercer l’ensemble des travaux administratifs de nature complexe , assume de façon autonome , au sein d’un service, des responsabilités de coordination et de contrôle qualitatif d’un ensemble de travaux à caractère administratif, de bureautique et de secrétariat. Elle exerce, de façon principale et habituelle, des attributions relatives à l’organisation du travail de bureau ou d’un secteur d’activité tel la comptabilité ou l’ approvisionnement . (Les caractères gras sont du soussigné)

[26]        Les plaignantes ont d’ailleurs annexé à leur demande de reclassification (déposée sous S7) une liste, dressée par elles, des tâches qu’elles accomplissaient pour chacun des éléments en caractères gras du descriptif ci-haut. Il convient de le reproduire :

Travaux administratifs de nature complexe  :

·          Vérification des B/O, si délai de livraison trop éloigné, trouvé un substitue possible.

Autonomie  :

·          Création de nouveaux produits dans la base de données.

·          Apporter des modifications, si nécessaire, dans les fiches de produits ou dans les contrats

·          Réalise des demandes de soumissions auprès des fournisseurs

Responsabilité de coordination  :

·          Effectuer les suivis de commande avec l’ensemble de l’équipe

Contrôle qualitatif  :

·          Gérer les plaintes des requérants et des fournisseurs.

·          Répondre aux questions et aux demandes de requérant.

·          Assurer le suivi des réceptions auprès des requérants.

Organisation du travail  :

·          Constamment en travail d’équipe, soit avec notre équipe à l’approvisionnement, soit avec les magasiniers

·          S’assurer de la correction des bons de commandes, réquisitions et réceptions, s’il y a lieu, avec la collaboration des magasiniers

·          Gérer l’accueil et le courrier

Comptabilité  :

·          Gérer les factures litigieuses

·          S’assurer de la réception des produits auprès des centres dont il n’y a pas de magasinier.

·          Collabore étroitement avec la comptabilité.

·          S’assurer de la bonne imputation et de la signature autorisée, sur les demandes d’achat

Approvisionnement  :

·          Transmettre les bons de commande

·          Traiter les réquisitions

·          Effectuer des retours de marchandises, avec la collaboration des fournisseurs et des requérants

·          Effectuer toutes autres tâches connexes selon les besoins du service.

[27]        Le procureur syndical a demandé aux plaignantes de commenter cette liste et d’expliquer leur travail en relation avec chacun de ces éléments en caractère gras.

                Témoignage de madame Suzanne St-Louis

[28]        D’entrée de jeu, la plaignante explique avoir eu la responsabilité, à titre d’agente administrative, de traiter les commandes faites par le service de stérilisation, par celui de l’endoscopie et par celui de la chirurgie (c’est-à-dire les blocs opératoires des deux hôpitaux faisant partie du CSSS de Gatineau), jusqu’à ce qu’on la déleste, au printemps 2012, de plusieurs de ses responsabilités parce qu’elle n’avait pas réussi un examen portant sur le logiciel Excel. Par la suite, explique-t-elle, l’ampleur de ses tâches n’était plus que l’ombre de ce qu’elle avait été.

[29]        Suzanne St-Louis soumet que son travail d’agente administrative l’a amenée à effectuer des travaux administratifs de nature complexe , comme par exemple le travail de vérification des « B/O ».

[30]        Elle explique qu’un B/O est un produit en rupture de stock (« back order ») chez le fournisseur habituel de l’hôpital de ce produit. Lorsqu’elle faxe une commande auprès d’un fournisseur et qu’il s’avère que l’un des produits demandés est « back order », elle doit aviser le requérant, c’est-à-dire la personne du CSSS de Gatineau qui a manifesté le besoin du produit, de l’existence d’un délai de réception de sa commande.

[31]        S’il s’avère qu’il s’agit d’une urgence, Suzanne St-Louis communique avec le fournisseur pour vérifier s’il peut lui suggérer un substitut. Si le substitut proposé ne convient pas au requérant, elle doit trouver un autre fournisseur du produit, le plus souvent par Internet. Elle doit essayer d’obtenir ce produit « sans frais » auprès du nouveau fournisseur, pour « pouvoir l’essayer ».

[32]        Si la recherche d’un nouveau fournisseur s’avère vaine, elle peut faire des appels auprès d’autres institutions et obtenir d’eux un dépannage temporaire.

[33]        La moitié environ des différents produits utilisés par l’un ou l’autre des différents services du CSSS de Gatineau sont « sous contrat », c’est-à-dire qu’un contrat entre un fournisseur et le CSSS de Gatineau prévoit, entre autres choses, le prix d’acquisition de ce produit et des garanties concernant sa disponibilité.

[34]        Lorsque le produit demandé par le requérant est « sous contrat » auprès d’un fournisseur particulier, et que celui-ci ne peut honorer son obligation de fournir ce produit en raison de sa non disponibilité temporaire, Suzanne St-Louis explique qu’elle doit chercher à obtenir  un dédommagement de la part du fournisseur sous contrat si le produit obtenu auprès du fournisseur remplaçant coûte plus cher que prévu au contrat.

[35]        Suzanne St-Louis explique qu’il peut y avoir jusqu’à 3 produits « back order » par semaine.

[36]        Suzanne St-Louis explique ensuite en quoi les tâches qu’elle exécute exigent de sa part une nécessaire autonomie

[37]        Il arrive qu’un requérant produise, par exemple, une commande dans le système GRM en indiquant que le produit demandé n’est pas inscrit dans le système, et qu’il s’agit donc d’un « nouveau produit ».

[38]        Suzanne St-Louis vérifie d’abord qu’il s’agit vraiment d’un nouveau produit. Si celui-ci n’apparaît nulle part dans le système, elle doit alors procéder par elle-même à des recherches Internet pour identifier le fabriquant du produit et les différents fournisseurs de ce produit au Canada.

[39]        Suzanne St-Louis communique ensuite auprès de quelques uns de ces fournisseurs et leur demande de lui faire parvenir une « soumission » pour le produit, c’est-à-dire le prix demandé par le fournisseur pour ce produit. Ces renseignements sont ensuite communiqués au requérant, qui procèdera au choix du fournisseur, habituellement en fonction du prix le moins élevé.

[40]        Suzanne St-Louis inscrit ensuite le nouveau produit dans le système. Elle lui attribut un code et indique le format de distribution. Elle fait une bonne description du produit, inscrit le nom du fournisseur, le prix, et s’il s’agit, ou non, d’un produit « sous contrat ».

[41]        Lorsqu’un médicament est particulièrement dispendieux, elle doit en référer à l’agent d’approvisionnement.

[42]        Suzanne St-Louis explique que ses tâches ont impliqué des responsabilités de coordination , pour le moins de 2008 à 2009. Par la suite, elle explique que des changements organisationnels effectués par un nouveau gestionnaire ont fait en sorte qu’il n’y avait plus vraiment de travail d’équipe, et donc peu de coordination à réaliser. Son travail a ainsi acquis en autonomie.

[43]        Suzanne St-Louis soumet qu’elle avait la responsabilité des achats pour les blocs opératoires des deux hôpitaux du CSSS de Gatineau. Il lui arrivait cependant, dans certaines situations, de devoir se rapporter à un agent d’approvisionnement.

[44]        En ce qui a trait au contrôle qualitatif , Suzanne St-Louis explique que les agentes administratives ne se limitaient pas à « passer des commandes ». Elles devaient également assurer le suivi des commandes effectuées. Il fallait faire en sorte que les requérants obtiennent le produit désiré.

[45]        La plaignante ajoute qu’il lui incombait de « gérer les plaintes » des requérants. Elle devait, par exemple, une fois par semaine, faire enquête auprès des fournisseurs pour savoir pourquoi des requérants sous sa responsabilité n’avaient pas reçu leur commande.

[46]        À propos de l’organisation du travail , Suzanne St-Louis mentionne que, jusqu’en 2010, les agentes administratives devaient constamment travailler en équipe avec les autres collègues du service ou avec des magasiniers. Par la suite, les agentes administratives ont été plus autonome, ayant la responsabilité que les produits commandés parviennent aux requérants.

[47]        Afin d’illustrer l’aspect « organisation du travail » réalisé par les agentes administratives, Suzanne St-Louis explique le processus auquel celles-ci doivent se livrer lorsqu’un produit est livré par erreur. Il faut communiquer avec le fournisseur de ce produit, obtenir ce celui-ci une « autorisation de retour » du produit. Il faut enfin s’assurer d’avoir obtenu le crédit pour ce produit livré en trop.

[48]        Suzanne St-Louis énumère ensuite les tâches impliquant de la comptabilité auxquelles elle se livrait à titre d’agente administrative. Par exemple, elle explique qu’elle « gérait » les factures litigieuses. Si, par exemple, elle constatait l’augmentation du prix d’un produit sur une facture, elle vérifiait en premier lieu si ce produit était sous contrat. Le cas échéant, elle en vérifiait la teneur, et en cas de non conformité, faisait en sorte d’obtenir un crédit de la part du fournisseur. Ce travail nécessitait une étroite collaboration avec le Service de la comptabilité.

[49]        La même collaboration était requise en cas de problème de facturation, d’erreur de produit, etc.

[50]        Suzanne St-Louis devait également s’assurer de la bonne imputation des commandes, c’est-à-dire du fait que le bon gestionnaire ait signé au bon endroit.

[51]        En ce qui concerne l’approvisionnement , la plaignante explique qu’elle transmettait par télécopie environ une quarantaine de bons de commande de produits par jour.

[52]        Elle raconte que son travail comportait une foule d’imprévus à tous les jours. Par exemple, Il arrivait souvent qu’elle doive négocier avec les représentants et fournisseurs pour faire supprimer des frais de transport ou de retour de marchandise. Il fallait également répondre aux questions des requérants à propos du système GRM, l’outil avec lequel ceux-ci devaient « construire » leurs requêtes de produits.

[53]        À propos de son emploi d’agente administrative, Suzanne St-Louis soumet qu’il s’agissait d’un travail demandant un niveau important de responsabilité et une conscience professionnelle élevée, étant donné l’importance cruciale de l’activité d’approvisionnement dans un centre de services de santé et de services sociaux.

[54]        Suzanne St-Louis plaide que sa demande de reclassification est motivée par le fait de l’évolution de ses responsabilités avec les années. Au début, le travail des agentes administratives se limitait à faxer les commandes, à corriger les erreurs de produits et à effectuer les retours de marchandise. Elles ne pouvaient pas « toucher aux produits à contrat ». Pour ce qui est des produits non codés au système GRM et les recherches de produits substituts, on se limitait à faire une petite recherche qu’on soumettait au technicien en administration. Puis, il y a eu du mouvement de personnel au Service des approvisionnements, notamment le départ d’un agent d’approvisionnement, fin 2009 début 2010. Or, le technicien qui le remplaçait de facto n’en savait pas plus que la plaignante en matière de produits non répertoriés (au système GRM) ou en ce qui concerne les recherches de produits substituts. Suzanne St-Louis explique que sa gestionnaire d’alors, madame Colette Bourget, a donné plus de responsabilités aux agentes administratives, dont celle d’inscrire les nouveaux produits dans le système GRM. « C’est là qu’on  a décidé (les agentes administratives du Service des approvisionnements) de faire une demande de reclassification! », a-t-elle expliqué au Tribunal d’arbitrage.

[55]        En contre-interrogatoire, Suzanne St-Louis reconnaît que ses tâches d’agente administrative ne l’amènent pas à rencontrer les fournisseurs en personne et qu’elle n’a pas la responsabilité de « valider » les produits, non plus que le pouvoir de choisir les fournisseurs. Ce sont les agents d’approvisionnements ou les requérants qui disposent de ce pouvoir. Le travail de la plaignante consiste plutôt à servir d’intermédiaire.

[56]        Suzanne St-Louis reconnaît également que, dans le cadre de son travail d’agente administrative, elle ne procède d’aucune manières aux « appels d’offres » de produits auprès de fournisseurs. Son travail en la matière se limite à demander aux fournisseurs de fournir des soumissions de prix pour leurs produits et à transmettre ces informations aux personnes responsables.

[57]        La plaignante reconnaît ne pas participer à « l’élaboration de stratégies d’approvisionnement ».

                Témoignage de madame Sylvianne Beaulne

[58]        La plaignante Sylvianne Beaulne commence par décrire son travail d’agente administrative au moment du grief.

[59]        Elle a charge d’assurer l’approvisionnement pour le service de pharmacie, pour le « médical » et pour le « laboratoire ». Elle passe les commandes que lui transmettent les requérants de ces services et s’assure de leur réception.

[60]        Sylvianne Beaulne tient beaucoup de produits en inventaire pour des petits centres qui n’ont pas d’entrepôts. Elle doit s’assurer que ces petits centres ne manquent de rien.

[61]        Au début, le travail de la plaignante se limitait à la transmission de commandes des requérants et à répondre aux questions de ceux-ci lorsqu’ils la construisaient.

[62]        Lorsqu’une requête concernait un produit non codé dans le système GRM, son rôle se limitait à faire une recherche Internet pour trouver le produit. En effet, les catalogues des manufacturiers et des fournisseurs sont publiés sur Internet. Elle communiquait alors avec plusieurs fournisseurs pour connaître la disponibilité du produit, le prix, etc. Elle remettait ensuite le résultat de ses recherches à la technicienne en administration et c’est cette dernière qui procédait à l’inscription du produit dans le système GRM.

[63]        Mais suite à l’absence pour congé maladie de cette technicienne, sa nouvelle gestionnaire lui a demandé de faire des recherches plus prononcées, de procéder elle-même à l’enregistrement des nouveaux produits, et même de faire des recherches pour trouver des substituts à des produits en rupture de stock (des B/O).

[64]        Une partie du travail de Sylvianne Beaulne consiste donc maintenant à trouver des produits de remplacement aux marchandises en rupture de stock (les B/O) chez un fournisseur. Il faut d’abord examiner si le produit substitut proposé par le représentant est bel et bien équivalent au produit original. Il faut recueillir toutes les informations à ce propos afin de pouvoir les présenter, selon le cas, à une personne ressource comme par exemple l’infirmier François Régis, ou directement au requérant. Si ce-dernier accepte la substitution, elle inscrit le produit dans le système GRM et procède à la commande.

[65]        Il lui arrive de traiter des commandes en urgence, par téléphone, et de demander au fournisseur une livraison rapide. Il lui arrive également de faire des démarches auprès de certains établissements du CSSS de Gatineau afin de solliciter leur aide pour dépanner d’autres établissements de l’employeur.

[66]        Sylvianne Beaulne explique ensuite en quoi, à son avis, les tâches de son emploi correspondent davantage à celles d’une agente administrative de classe 1 qu’à celles d’une agente administrative de classe 2.

[67]        En matière d’autonomie , Sylvianne Beaulne réitère qu’elle procède à l’inscription de nouveaux produits dans la base de données (système GRM).

[68]        Elle révèle également qu’elle assume la responsabilité de maintenir à jour la gamme de produit dont elle a charge, c’est-à-dire qu’elle s’assure que les informations sur les produits inscrits au système GRM sont, en tout temps, exacts. Pour ce faire, elle fait régulièrement des recherches sur Internet sur les sites des manufacturiers et des fournisseurs et communique avec ceux-ci par téléphone ou par courriel.

[69]        Elle réitère le fait qu’elle doit réaliser des demandes de soumissions auprès de fournisseurs pour les nouveaux produits, des produits peu courant (équipement) et les produits substituts  en cas de rupture de stock.

[70]        Elle assume également des responsabilités de coordination en ce qu’elle effectue le suivi des commandes et leur réception avec les requérants et les magasiniers. Au début, les agentes administratives travaillaient également de façon régulière avec des techniciennes en administration et des agents d’approvisionnement. Mais les responsabilités des agentes administratives ont augmenté avec le temps, de telle sorte que les relations avec leurs collègues techniciennes et agents d’approvisionnement devinrent beaucoup moins fréquentes, explique-t-elle.  Les agentes administratives ont ainsi vu leur autonomie augmentée.

[71]        En ce qui concerne l’aspect contrôle qualitatif , Sylvianne Beaulne explique qu’elle gère les plaintes des intervenants. Elle doit répondre aux questions et aux demandes formulées par les requérants, ce qui peut nécessiter de faire des recherches sur Internet. Ce travail représente le trois-quarts de ses journées de travail.

[72]        En matière d’organisation du travail , Sylvianne Beaulne explique qu’elle travaille beaucoup avec les magasiniers pour savoir s’ils ont reçu le bon produit.

[73]        En ce qui a trait à l’aspect approvisionnement , la plaignante explique qu’il constitue l’essentiel de son travail et qu’il est plus large que la simple commande de produit. Certaines des tâches qui y sont relatives ont même un degré de complexité relativement élevé.  Par exemple, il lui est arrivé de gérer un parc d’équipement de « surfaces thérapeutiques » (pour les patients qui ont des plaies).  Elle s’est également occupée de faire la location d’une machine « VAC » pour un patient parce qu’aucune n’était disponible.

[74]        Depuis la réorganisation de l’automne 2011, Sylvianne Beaulne constate que l’employeur a réduit l’ampleur de la tâche de la seule agente administrative de classe 2 restante, en l’occurrence Suzanne St-Louis, qui en fut réduite à s’occuper des réceptions des centres qui ne disposent pas de quais de réception de marchandise et à effectuer des commandes de fourniture de bureau.

[75]        Toutes les autres agentes administratives au Service de l’approvisionnement sont maintenant de classe 1.

[76]        Sylvianne Beaulne relate, en effet, qu’après le dépôt de son grief de reclassification, alors qu’elle occupait un emploi d’agente administrative de classe 2, elle a obtenu, en juin 2012, suite à la réorganisation du Service des approvisionnements, une assignation sur un poste d’agente administrative de classe 1, assignation qu’elle continuait d’occuper au moment de l’audience de la présente affaire. 

[77]        Or, à son avis, les tâches qu’elle effectue maintenant à titre d’agente administrative de classe 1 sont essentiellement restées les mêmes que celles qu’elle accomplissait précédemment dans l’emploi d’agente administrative de classe 2.

[78]        En contre-interrogatoire, la plaignante reconnait que la moitié des produits commandés sont « sous contrat », c’est-à-dire qu’un contrat entre le CSSS de Gatineau et un fournisseur fixe à l’avance le prix des produits commandés pour la durée du contrat. Sylvianne Beaulne reconnaît que la négociation des contrats « n’est pas à son niveau ». Ce sont les agents d’approvisionnement qui sont responsable des appels d’offre et qui négocient les contrats avec les fournisseurs.

[79]        Lorsqu’une requête contient une demande pour un produit sous contrat, elle est déjà préautorisée par le système GRM et la plaignante traite simplement le bon de commande en approuvant sa conformité et en faxant la commande.

[80]        Sylvianne Beaulne explique également que l’essentiel de son travail était, et est encore, de s’assurer que les produits soient commandés et qu’ils soient bien reçus afin d’éviter une pénurie de stock, ce qui entrainerait une crise et une entrave à la mission du CSSS de Gatineau.

[81]        La recherche de produits sur Internet occupe une grande part de son travail d’agente administrative.

[82]        Sylvianne Beaulne soutient qu’il n’y a eu, pour l’essentiel, aucun changement dans ses tâches entre le moment de son grief et aujourd’hui. Seul son titre d’emploi d’agente administrative a changé, passant de la classe 2 à la classe 1. En effet, ayant exercé, au Service de l’approvisionnement, dans les deux titres d’emploi d’agente administrative, d’abord de classe 2 et ensuite de classe 1, la seule tâche plus complexe que la plaignante exerce maintenant, à titre d’agente administrative de classe 1, est de réaliser des « tableaux d’économie ». Il s’agit d’inscrire dans un tableau les économies réalisées lors de l’achat d’un produit et d’y associer le motif de cette économie.

                 Témoignage de monsieur Michel Leduc

[83]        Monsieur Michel Leduc est chef du Service de l’approvisionnement au CSSS de Gatineau.

[84]        Il explique que son service est responsable des achats pour l’ensemble du CSSS de Gatineau, de la distribution de la marchandise aux différents sites, de la collecte des échantillons humains pour les acheminer aux laboratoires et de la distribution du courrier. Le Service a également un rôle conseil auprès de la Direction en ce qui concerne l’aspect juridique de l’approvisionnement.

[85]        Michel Leduc explique que le processus d’approvisionnement du CSSS de Gatineau est régi par la Loi sur les contrats des organismes publics [2] , qui encadre tous les achats. Le CSSS de Gatineau a émis une politique de gestion conformément à l’article 14 de cette Loi.  Cette politique établit les responsabilités financières de certains employés du CSSS, c’est-à-dire de la somme maximale des contrats engageant l’employeur qu’ils sont autorisés à passer.

[86]        Michel Leduc explique que l’employeur a dû procéder à une réorganisation de son Service de l’approvisionnement à l’automne 2011 et au printemps 2012 parce qu’il y avait une problématique au niveau du respect des politiques et des procédures. Au niveau organisationnel, les descriptions de tâches des salariés du service étaient confuses. Il y avait des conflits en raison d’un manque de clarté dans les objectifs à atteindre.

[87]        On a réduit de 5 à 3 le nombre de postes de techniciens en administration pour donner davantage de responsabilités aux agentes administratives. De quatre postes d’agentes administrative de classe 2, on est passé à 5 postes d’agentes administrative de classe 1, pour ne garder qu’un seul poste d’agente administrative de classe 2, et rapatrier un poste d’agente administrative de classe 3 en provenance d’un autre service.

[88]        Le rôle de chacun a été clarifié, tel que le témoin l’explique ci-bas.

[89]        Les agents d’approvisionnement ont un rôle conseil auprès des gestionnaires. Ils s’occupent des négociations des gros contrats avec les fournisseurs au niveau national. Ils conseillent également les membres de l’équipe.

[90]        Les techniciens en administration ont la responsabilité des mandats régionaux. Ils mettent à jour les contrats dans le système informatique. Ils sont responsables du respect des procédures internes en matière d’approvisionnement.

[91]        Les agentes administratives de classe 1 font plus que simplement procéder à l’exécution des commandes. Elles conseillent les gestionnaires et les requérants sur la meilleure façon d’obtenir le matériel dont ils ont besoin. Elles ont des pouvoirs délégués dans des dossiers très spécifiques et participent è l’élaboration des stratégies d’approvisionnement avec les techniciens et les agents d’approvisionnement. Elles exécutent également les tâches des agentes administratives de classe 2 et procèdent à la transmission des bons de commandes.

[92]        Les agentes administratives de classe 2 apportent leur support aux agentes administratives de classe 1. Elles peuvent procéder à de petits achats, au niveau local.

[93]        Les agentes administratives de classe 3 font de l’entrée de donnée, identifient des lieux d’entreposages, placent le matériel. Elles sont localisées près des requérants et leur apporte leur aide. Elles n’ont pas autorité pour engager le CSSS et ne procèdent donc pas à des achats.

[94]        Michel Leduc explique qu’à la date de l’audience, la réorganisation du Service des approvisionnements est maintenant complétée et tous les postes ont été comblés.

[95]        Il convient de reproduire la description de tâches de l’emploi d’agent administratif, classe 1 réalisée par l’employeur, lors de sa réorganisation administrative de 2012 du Service de l’approvisionnement, alors qu’il a dû pourvoir à cinq (5) postes de ce titre d’emploi (déposée par le témoin sous la cote E4) :

2. Sommaire des responsabilités

Sous l’autorité du chef du service de l’approvisionnement ou de son délégué, la personne titulaire de ce poste réalise l’acquisition de biens dans le respect de la loi et des règlements en vigueur ainsi que de la politique interne. Le titulaire réalise des demandes de prix pour l’acquisition de biens. Entre autres, cette personne soutient les gestionnaires dans leur besoin de fournitures, actualise les requêtes ou demandes des clients en bon de commande vers les fournisseurs et assure la liaison et le suivi avec les clients et les fournisseurs.

3. Description des tâches

·          Réalise des demandes de prix en relation avec la politique d’approvisionnement;

·          Assiste les requérants dans la détermination des besoins, recherche les sources d’approvisionnements possible, analyse et sélectionne le fournisseur répondant aux critères préétablis;

·          Participe aux travaux de la corporation d’approvisionnement lorsque requis;

·          Participe à l’élaboration des stratégies d’approvisionnements avec les agents d’approvisionnement et les techniciens en administration;

·          Rencontre les fournisseurs;

·          Produit les tableaux de bords (indices de performance) pour les fournisseurs qui lui sont dédiés

·          Prépare et négocie les contrats d’une durée de 1 an et moins;

·          Évalue les fournisseurs sous contrats de 1 an et moins;

·          Participe à l’évaluation de tous les fournisseurs;

·          Effectue la préparation de commandes, l’approbation de commande ainsi que l’émission de la commande à l’aide du serveur de fax;

·          S’assure de la bonne imputation et de la signature des requêtes ou demandes d’achat;

·          Traite les confirmations de commandes;

·          Effectue les modifications de commande au besoin;

·          Assure le suivi concernant les relances et les commandes en souffrance;

·          Assure le suivi des réceptions auprès des clients;

·          Assure la gestion des retours de produit avec la collaboration des magasiniers;

·          En collaboration avec les magasiniers s’assure que les corrections relatives aux bons de commande, réquisitions et réceptions sont effectuées;

·          Assure la vérification et correction aux factures litigieuses et aux erreurs de facturation;

·          Collabore étroitement avec le conseiller en gestion de produits et équipements pour tout nouveau produit ou essai de produit;

·          Procède à la saisie et à la mise à jour des contrats de fournitures et de services, lorsque requis;

·          Participe à la prise d’inventaire périodique et annuelle en fin d’année financière, à la demande du supérieur immédiat;

·          Gère l’accueil et le courrier, à la demande du supérieur immédiat;

·          Doit faire le classement de certains documents relatifs au service des approvisionnements;

·          Reçoit les plaintes des clients et des fournisseurs, les traite et/ou les redirige, le cas échéant;

·          Assure un service à la clientèle hors pair avec les membres de l’équipe, les clients internes, externes ainsi qu’avec les fournisseurs;

·          Effectue toutes autres tâches connexes selon les besoins du service.

                Témoignage de madame Isabelle Leduc

[96]        Madame Isabelle Leduc est, au moment du grief, conseillère en ressources humaines au CSSS de Gatineau.

[97]        Son rôle est de fournir l’expertise et conseiller les gestionnaires en matière de dotation, c’est-à-dire les questions touchant la classification des postes, la rémunération attachée à ces postes, l’embauche du personnel, les règles de mouvement de personnel comme la supplantation.

[98]        L’employeur l’a mandaté pour examiner la demande de reclassification des plaignantes, en collaboration avec le chef de service et se prononcer sur son mérite. Isabelle Leduc a produit un rapport, déposé sous la cote E5.

[99]        Pour son analyse, Isabelle Leduc explique avoir examiné l’évolution des titres d’emplois d’agente administrative de classe 1 et 2.

[100]     Isabelle Leduc explique que le titre d’emploi d’agent administratif, classe 2, avait, dans la convention collective précédent le projet de loi 142, pour ancienne appellation celle de « commis sénior ». De même, le titre d’emploi d’agent administratif, classe 1, avait, dans la convention collective précédent le projet de loi 142, pour ancienne appellation celle de « acheteur ».

[101]     Isabelle Leduc explique la méthodologie suivie dans son rapport.

[102]     La demande de reclassification des plaignante était accompagnée d’un document énumérant une série de tâches que les plaignantes estimaient participer davantage du titre d’emploi d’agente administrative de classe 1 que de celui d’agente administrative de classe 2.

[103]     Isabelle Leduc a donc examiné chacune de ces tâches, les a jumelé à celles formellement décrites aux descriptions de tâches de cinq titres d’emplois que sont  ceux d’agente administrative de classe 1 (anciennement dénommée « acheteur »), d’agente administrative de classe 2 (anciennement dénommée commis sénior) ou d’agente administrative de classe 3 (anciennement dénommée commis), de magasinier ou d’agent d’approvisionnement.

[104]     Nous reproduisons le tableau réalisé par Isabelle Leduc, la première partie faisant état des tâches principales, et la seconde partie des tâches secondaires :

[105]     Isabelle Leduc a consulté Annie Côté, qui était, pour la plus grande partie de la période visée par le grief, la directrice du Service de l’approvisionnement, pour valider ces tâches avec elle et pour attribuer, pour chacune d’elles, un pourcentage du temps moyen que ces tâches occupaient dans une semaine de travail type des plaignantes.

[106]     En se basant sur son expérience (depuis 2003) en matière de classification, et après avoir consulté des comparables dans le réseau de la santé et des services sociaux, Isabelle Leduc a jumelé chacune de ces tâche au titre d’emploi qui lui semblait le plus approprié.

[107]     Il ressort de son analyse que, pour Isabelle Leduc, l’emploi du temps des plaignantes correspond, à hauteur de 80%, à des tâches correspondant au libellé du titre d’emploi d’agente administrative, classe 2, en ce qu’elles constituent des attributions relatives au secrétariat, à l’utilisation de la bureautique, ainsi qu’à l’élaboration et au traitement de dossiers ou de données nécessitant des connaissances spécifiques. »

[108]     Pour elle, il n’y a pas, parmi celles invoquées par les plaignantes dans leur demande de reclassification, de nouvelles tâches qui n’existaient pas auparavant. Il s’agit de tâches qui étaient déjà assumées par les agentes administratives de classe 2 et par les commis sénior avant elles. En l’absence de nouvelle tâche, il n’y a donc pas lieu de procéder à une reclassification, de conclure Isabelle Leduc.

[109]     Isabelle Leduc indique que l’emploi d’agente administrative de classe 2 possède des éléments de complexité. En effet, peut-on lire au rapport de celle-ci :

« Le travail doit être effectué de façon autonome selon des méthodes établies ou que les titulaires modifie au besoin. Les employés décident de l’ordre d’exécution et du déroulement des activités mais doivent tenir compte des échéanciers à respecter. À cet égard, le travail n’est pas contrôlé et l’impact des erreurs commises pourrait parfois avoir des conséquences importantes en terme de perte de temps ou d’argent sur le travail des autres. Les personnes doivent se servir de leur expérience dans le secteur pour gérer différentes situations (…) »

[110]     L’emploi d’agent administratif de classe 2 « doit avoir à établir ou à modifier des méthodes de travail », doit « travailler de façon autonome dans l’exercice de fonctions complexes » et doit « œuvrer à des tâches qui nécessite des connaissances supérieures à celles habituellement requises du commis intermédiaire ».

[111]     Toutefois, note Isabelle Leduc, cette complexité des tâches de l’agent administratif de classe 2 est circonscrite :

« (…) toutefois, les situations à traiter sont souvent semblables ou coutumières et exigent un nombre limité d’informations pratiques pour faire des choix. Bien qu’un certain jugement doit être utilisé pour des interprétations simples, les employés soumettent aux techniciens en administration ou encore aux agents d’approvisionnement les cas nouveaux nécessitant une interprétation étendue. »

[112]     Isabelle Leduc poursuit en juxtaposant à ce qui précède ce qui est attendu de l’agente administrative de classe 1 :

« En l’occurrence, le titre d’emploi demandé, soit agent administratif classe 1, demande un niveau d’autonomie, de responsabilité et de jugement plus élevé. En effet, le travail d’un agent administratif classe 1 exige des connaissances spécifiques, où les tâches exécutées sont de nature complexes et où il y a présence d’imputabilité sur les résultats de d’autres personnes. Tel que mentionné, le service des approvisionnement possède dans sa structure des postes de techniciens en administration et d’agent d’approvisionnement pour la prise en charge des travaux complexe, d’analyse et de gestion. »

[113]     Isabelle Leduc conclut que « les tâches effectuées au quotidien ainsi que le degré de complexité des tâches ne justifient pas une reclassification. La demande ne démontre pas que les tâches des agents administratif ont évoluées de manière à ce que la nature des tâches principales soient associées à un titre d’emploi d’agent administratif classe 1. »

III-        Le droit

Nomenclature des titres d’emploi, des libellés, des taux et des échelles de salaire 2005-2010 (en vigueur au moment de la première demande de reclassification)

Agent(e) administratif(ve), classe 1

Agent(e) administratif(ve), classe 2

Personne qui, en plus d’exercer l’ensemble des travaux administratifs de nature complexe, assume de façon autonome, au sein d’un service, des responsabilités de coordination et de contrôle qualitatif d’un ensemble de travaux à caractère administratif, de bureautique et de secrétariat. Elle exerce, de façon principale et habituelle, des attributions relatives à l’organisation du travail de bureau ou d’un secteur d’activité tel la comptabilité ou l’approvisionnement.

Personne qui, à partir d’une connaissance approfondie du fonctionnement d’un service ou d’un programme, accomplit un ensemble de travaux administratif selon des méthodes et procédures complexes établies ou qu’elle modifie, selon les besoins. Elle exerce, de façon principale et habituelle, des attributions relatives au secrétariat, à l’utilisation de la bureautique ainsi qu’à l’élaboration et au traitement de dossiers ou de données nécessitant des connaissances spécifiques. Elle peut vérifier le fonctionnement d’équipements informatiques et assurer un support technique aux utilisateurs.

 

Nomenclature des titres d’emploi, des libellés, des taux et des échelles de salaire 2010- (en vigueur au moment de la deuxième demande de reclassification)

Agent(e) administratif(ve), classe 1 - secteur administration

Agent(e) administratif(ve), classe 2 - secteur administration

Personne dont la fonction principale est d’assurer un ensemble de travaux administratifs tels que des analyses, des rapports, des calculs complexes et autres tâches connexes.

En plus d’exercer un ensemble des travaux administratifs de nature complexe, elle assume de façon autonome, au sein d’un service, des responsabilités de coordination et de contrôle qualitatif d’un ensemble de travaux à caractère administratif et de bureautique. Elle exerce des attributions relatives à l’organisation du travail de bureau ou d’un secteur d’activité tel la comptabilité ou l’approvisionnement.

Elle peut également effectuer des tâches relevant du secteur secrétariat.

Personne qui assiste un ou des professionnels ou une équipe de travail dans leurs fonctions administratives ou professionnelles.

Elle accomplie un ensemble de travaux administratif ou de gestion selon des méthodes et procédures complexes établies ou qu’elle modifie, selon les besoins. Elle exerce, de façon principale et habituelle, des attributions relatives à l’élaboration et au traitement de dossiers ou de données nécessitant des connaissances spécifiques.

Elle peut également effectuer des tâches relevant du secteur secrétariat.

Convention collective nationale FSSS - CPNSSS du 13 mars 2011 au 31 mars 2015

8.19     Les titres d’emploi, libellés, les taux et les échelles de salaire apparaissent à la nomenclature qui découle du document sessionnel n. 2575-20051215 du 15 décembre 2005, et à ses modifications subséquentes.

Cette nomenclature s’intitule : « Nomenclature des titres d’emploi, des libellés, des taux et des échelles de salaire du réseau de la santé et des services sociaux ». Elle fait partie intégrante de la présente convention collective.

Les libellés constituent un énoncé des attributions principales des titres d’emploi. Rien dans la nomenclature des titres d’emploi, des libellés ainsi que des taux et échelles de salaire n’empêche qu’une personne salariée soit requise d’accomplir l’ensemble des activités que lui autorise d’accomplir son appartenance à un ordre professionnel.

8.27     Dans les quatre-vingt-dix (90) jours de la date d’entrée en vigueur de la présente convention collective, l’employeur :

a) précise par écrit le titre d’emploi de chaque personne salariée;

b) procède aux reclassifications qui s’imposent.

8.28     Le réajustement des gains de la personne salariée reclassifiée en vertu du paragraphe précédent est rétroactif à la date où la personne salariée a commencé à exercer les fonctions qui lui ont valu la reclassification, mais sans toutefois dépasser la date d’entrée en vigueur de la présente convention collective.

10.03   Cependant, la personne salariée a un délai de six (6) mois de l’occurrence du fait qui donne lieu au grief pour le soumettre par écrit au responsable du personnel ou à son représentant dans les cas suivants ainsi que les dispositions correspondantes des annexes :

1- années d’expérience antérieure;

2- salaires et titres d’emploi;

3- primes;

4- quantum de la prestation d’assurance salaire;

5- éligibilité à la prestation d’assurance salaire.

 

IV-       L’argumentation des parties

                Partie syndicale

[114]     Les plaignantes ont demandé leur reclassification en 2010 mais se sont vues opposer une fin de non recevoir.

[115]     Puis, au moment de l’entrée en vigueur, en janvier 2012, de la nouvelle nomenclature des titres d’emploi, laquelle décrivait de nouveaux titres d’emplois d’agents administratifs, les plaignantes ont formulé une deuxième demande de reclassification. Or, l’employeur a refusé de faire droit à cette nouvelle demande, d’où le présent arbitrage.

[116]     Le procureur syndical distingue la situation actuelle de celle qui prévalait lors de l’avènement de l’adoption de la précédente Nomenclature des titres d’emploi (16 décembre 2005). C’était dans le contexte de du projet de loi 142, et le législateur avait déterminé unilatéralement les titres d’emplois qui devaient succéder à ceux abolis. Ce mécanisme n’est plus de mise et les dispositions relatives au processus de reclassification doivent retrouver leur application.

[117]     Le procureur syndical plaide que l’employeur avait l’obligation de procéder à une analyse du classement de ses employés salariés et de procéder aux reclassifications qui s’imposent.

[118]     Or, le reclassement des plaignantes dans le nouveau titre d’emploi d’agente administrative de classe 1, secteur administration, s’imposait.

[119]     Les nouveaux titres d’emploi sont réputés être entrés en vigueur dans les 30 jours de l’entrée en vigueur de la convention collective. La partie syndicale demande donc la reclassification des plaignantes avec rétroactivité au 13 avril 2011.

[120]     Il y a une bonne différence entre le nouveau libellé et l’ancien libellé du titre d’emploi d’agente administrative classe 1. Même si l’employeur avait dit non à la première demande de reclassification des plaignantes, l’exercice nécessitait d’être refait.

[121]     Selon un courant jurisprudentiel, la durée de temps de travail consacré aux tâches principales et habituelles du titre d’emploi réclamé doit être supérieure à 50% pour que la personne salariée obtienne une reclassification. Un autre courant attribut moins d’importance au pourcentage du temps de travail et tient compte d’autres facteurs, relatifs à la difficulté relative des tâches.

[122]     Selon le procureur syndical, les plaignantes se sont vues confier des responsabilités de plus en plus grande avec le temps, tant et si bien qu’elles effectuent maintenant des tâches appartenant clairement au titre d’emploi d’agente administrative de classe 1.

[123]     Les plaignantes se sont vues confier des responsabilités de recherches et d’analyse concernant les nouveaux produits et les substituts, les menant à trouver de nouveaux partenaires, de nouveaux fournisseurs. Les plaignantes font ensuite rapport aux personnes habilitées à autoriser les dépenses selon les montants en jeu.

[124]     Les plaignantes se sont également vues attribuer la responsabilité d’effectuer des soumissions, et d’autres responsabilités de contrôle et de suivi après les livraisons. Elles ont aussi hérité de responsabilités de gestion et de coordination d’activités de prêts de matériel médical.

[125]     La preuve démontre également que les tâches accomplies par les plaignante nécessitent une grande autonomie, le travail ne s’effectuant pas vraiment en équipe, chacune des agentes administratives étant responsable de secteurs bien à elle.

[126]     Le procureur syndical invoque également l’important aspect « contrôle de la qualité » dans le travail des plaignantes, notamment lors des suivis de commandes et de la réception du matériel, les plaignantes ayant un rôle « d’intermédiaires stratégiques ».

[127]     Ce contrôle de la qualité s’exerce également lorsqu’elles répondent aux questions et aux demandes des requérants, lorsqu’elles font de la formation de nouveaux salariés ou lorsqu’elles « gèrent » les plaintes des requérants.

[128]     Les ¾ des activités des plaignantes concernent le travail de formation des requérants et le travail complexe de recherche et d’analyse.

[129]     Le procureur syndicale souligne qu’une des plaignantes, Sylvianne Beaulne, qui a travaillé comme agente administrative de classe 2, puis par la suite comme agente administrative de classe 1, a expliqué que ses tâches n’ont pas changé, qu’elle exécute le même travail qu’auparavant.

[130]     Par ailleurs, il est révélateur de constater que l’imagerie médicale est une responsabilité confiée à un poste d’agente administrative de classe 1 selon l’organigramme de l’employeur et c’est pourtant encore l’une des plaignante, Suzanne St-Louis, qui, dans la réalité des choses, en a la responsabilité, elle qui pourtant n’occupe qu’un poste d’agente administrative de classe 2.

[131]     Le procureur syndical soumet que les règles internes de l’employeur ne peuvent faire obstacle à la nomenclature des titres d’emploi, le seul document à caractère juridique sur lequel on puisse se baser dans l’exercice de reclassification.

[132]     Le procureur syndical plaide que l’exercice d’analyse de madame Leduc a été réalisé sur la base des anciens libellés et non pas sur ceux de la nouvelle Nomenclature des titres d’emploi. L’employeur n’a donc pas pris en considération les changements au niveau du libellé des titres d’emploi de cette nouvelle nomenclature. L’exercice d’analyse aurait nécessairement dû être refait.

[133]     Les comparables dans le réseau de la santé et des services sociaux utilisés par l’employeur dans son analyse sont un outil suggestif, dont la valeur est contestable.

[134]     Le procureur syndical demande au Tribunal d’arbitrage d’accueillir les deux griefs, d’ordonner la reclassification des plaignantes au titre d’agente administrative, classe 1, secteur administration, et ce rétroactivement au 13 février 2011, et garder juridiction pour le quantum.

                Partie patronale

[135]     Les plaignantes demandent, par leur grief, leur reclassification dans un titre d’emploi d’agente administrative de classe 1.

[136]     Plus précisément, Suzanne St-Louis, qui occupait un poste d’agente administrative, classe 2, réclame l’octroi d’un poste d’agente administrative, classe 1, avec rétroactivité salariale, alors que Sylvianne Beaulne, qui était en assignation temporaire sur un poste d’agente administrative, classe 2, ne réclame que la rétroactivité salariale, puisqu’elle n’était pas détentrice du poste.

[137]     La procureure patronale rappelle que le droit pour les salariés de demander une reclassification fait l’objet d’une controverse jurisprudentielle. Mais avant d’examiner cette question, elle demande d’abord au Tribunal d’arbitrage  de constater que, de façon principale et habituelle, les tâches effectuées par les plaignantes sont conformes à celle du titre d’emploi dans lequel les a classé l’employeur, soit celui d’agente administrative, classe 2, et de rejeter les griefs sur cette seule base.

[138]     La procureure patronale explique que les emplois d’agente administrative sont des postes dits « à intégration de tâches », c’est-à-dire que le niveau de complexité et de responsabilité des tâches augmente d’une classe à l’autre (de la classe 4 à la classe 1). Il faut donc être attentif aux distinctions exprimées dans les libellés de ces titres d’emploi.

[139]     Ce qui distingue une agente administrative de classe 1 d’une agente administrative de classe 2, soumet la procureure patronale, c’est le fait « d’assumer, de façon autonome, au sein d’un service, des responsabilité de coordination et de contrôle qualitatif » d’un ensemble de travaux à caractère administratif, de bureautique et de secrétariat.

[140]     La procureure patronale est d’avis que « la preuve démontre que le travail des plaignantes consiste essentiellement à compléter des bons de commande pour leurs requérants et à effectuer de l’entrée de données dans le système informatique GRM. Lorsque le produit réclamé n’est pas disponible parce qu’en rupture de stock (B/O), leur travail consiste à trouver un produit de remplacement chez leurs fournisseurs habituels ou auprès de fournisseurs semblables à même les catalogues disponibles sur Internet. »

[141]     De façon accessoire, les plaignantes peuvent effectuer des suivis sur les réception ou les paiements, d’ajouter la procureure patronale.

[142]     Se référant au libellé du titre d’emploi d’agente administrative de classe 1, la procureure patronale plaide qu’aucune des tâches énumérées par les plaignantes ne démontre qu’elles « assumaient de façon autonome, au sein d’un service, des responsabilités de coordination et de contrôle qualitatif », ni qu’elles « exerçaient de façon principale et habituelle des attributions relatives à l’organisation du travail » du secteur de l’approvisionnement.

[143]     Paraphrasant le libellé du titre d’emploi d’agente administrative de classe 2, la procureure patronale soumet, qu’au contraire, de façon principale et habituelle, elles exerçaient « un ensemble de travaux administratifs ou de gestion selon des méthodes et procédures complexe établies » ou qu’elles modifiaient, selon les besoin. Les plaignantes exerçaient « de façon principale et habituelle, des attributions relatives à l’élaboration et au traitement de dossiers ou de données nécessitant des connaissances spécifiques ».

[144]     La procureure patronale est d’avis que la liste des tâches déposées sous S7 par les plaignantes ne reflète pas que la majeure partie de leur travail consistait à compléter des bons de commande et à les acheminer.

[145]     Les tâches consistant en la « création de nouveaux produits dans la base de donnée » et « d’apporter des modifications, si nécessaires, dans les fiches de produits ou dans les contrats », énoncées pour démontrer le caractère d’autonomie de leur emploi ne constitue, en réalité, que de l’entrée de données.

[146]     De l’avis de la procureure patronale, la preuve a également démontré que la tâche consistant à « réaliser des demandes de soumissions auprès des fournisseurs » n’illustrait pas non plus une réelle autonomie de la part des plaignantes, puisqu’il s’agissait de simples « demandes de prix » auprès des fournisseurs sans qu’elles ne disposent d’un quelconque pouvoir décisionnel.

[147]     Les plaignantes invoquent la tâche de « gestion des plaintes des requérants et des fournisseurs », celle de « répondre aux questions et aux demandes des requérants » et celle d’assurer « le suivi des réceptions auprès des requérants » pour faire la démonstration de l’aspect « contrôle qualitatif » de leur emploi. Or, les plaignantes n’avaient d’aucune manière la responsabilité de superviser des travaux pour s’assurer de la qualité de ceux-ci. La procureure patronale soumet que la simple validation de données, ou le simple fait de s’assurer de ne pas avoir commis d’erreur dans son travail, ne constitue en rien un contrôle de la qualité d’un processus administratif.

[148]     En ce qui concerne les tâches inscrites sous « organisation du travail », la procureure patronale plaide qu’elles révèlent de la collaboration et non pas de l’organisation du travail. D’ailleurs, indique-t-elle, dès que le problème est de nature plus complexe, les salariées doivent se référer à une technicienne ou une agente d’approvisionnement.

[149]     La procureure patronale soumet que l’analyse faite par Isabelle Leduc est juste. Les deux plaignantes « exerçaient des tâches administratives de façon autonome » dans le respect de la politique d’approvisionnement, ce qui correspond bien au libellé du titre d’emploi d’agente administrative de classe 2.

[150]     La structure administrative du Service de l’approvisionnement prévoyait, avant et après la réorganisation administrative, des postes pour la prise en charge des travaux d’analyse et de gestion. Ce n’était pas le travail demandé aux agentes administratives de classe 2 qu’étaient les plaignantes. Avant la réorganisation, ce type de travail était de la responsabilité des techniciennes en administration ou des agents d’approvisionnement. Suite à la réorganisation, l’employeur a confié une partie de ce travail d’analyse et de gestion à des agentes administratives de classe 1.

[151]     La procureure patronale soumet que pour avoir gain de causes, les plaignantes auraient dû démontrer qu’elles rencontraient les demandeurs de biens ou de services, qu’elles analysaient leurs besoins, qu’elles préparaient des devis descriptifs détaillés, qu’elles rencontraient des fournisseurs, qu’elles vérifiaient la conformité des appels d’offres, qu’elles créaient des tableaux analytiques pour comparer les appels d’offres et qu’elles faisaient des recommandation suite à ces analyses.

[152]     Les plaignantes ne faisaient pas non plus d’échantillonnage, ni de révision de procédés, ni d’implantation de système de contrôle de la qualité.

[153]     Bref, les tâches rattachées au poste d’acheteur (agent administratif de classe 1) sont de nature beaucoup plus complexe que celles consistant à remplir des bons de commande.

[154]     La description de tâches de 2012 des agentes administratives de classe 1 énonce plusieurs tâches que n’ont jamais assumées les plaignantes :

Assiste les requérants dans la détermination des besoins, recherche les sources d’approvisionnements possible, analyse et sélectionne le fournisseur répondant aux critères préétablis;

Participe aux travaux de la corporation d’approvisionnement lorsque requis;

Participe à l’élaboration des stratégies d’approvisionnements avec les agents d’approvisionnement et les techniciens en administration;

Rencontre les fournisseurs;

Produit les tableaux de bords (indices de performance) pour les fournisseurs qui lui sont dédiés

Participe à l’évaluation de tous les fournisseurs.

[155]     En 2012, l’employeur a modifié sa structure et a créé des postes d’agentes administratives de classe 1. L’une des plaignantes, Suzanne St-Louis, a posé sa candidature et n’a pas réussi le processus de sélection. Sylvianne Beaulne, l’autre plaignante, qui, de son côté, a réussi le test pour travailler dans un emploi d’agente administrative de classe 1, n’a pas pu obtenir un poste en raison de son manque d’ancienneté.

[156]     La nouvelle structure a mieux défini les rôles et responsabilités de chacun, dans le respect des titres d’emploi, et de l’encadrement légal du processus d’acquisition des biens et services. Cette nouvelle structure était, au moment de l’arbitrage, toujours en implantation graduelle et c’est ce qui explique que la plaignante Sylvianne Beaulne ait témoigné ne pas encore avoir vu une substantielle hausse de ses responsabilités en comparaison de celles qu’elle avait assumées à titre d’agente administrative de classe 2.

[157]     Les tâches dévolues aux agentes administratives de classe 1 sont beaucoup plus élaborées que ce qu’en ont décrit les deux plaignantes dans leur témoignage. Elles vont au-delà de la préparation de bons de commandes et de substitution des produits en rupture de stock.

[158]     Subsidiairement, la procureure patronale soumet que l’obtention d’une promotion par la voie de la reclassification fait l’objet d’une controverse jurisprudentielle.

[159]     L’employeur a le pouvoir de déterminer ses besoins et de créer les postes qu’il désire. La reclassification ne peut pas contrecarrer le processus de mutation volontaire prévu aux dispositions locales de la convention collective.

[160]     D’ailleurs, le processus de dotation des postes créés dans le cadre de la réorganisation administrative n’a pas été contesté par grief par la partie syndicale.

[161]     Le grief de Suzanne St-Louis vise à obtenir un tel poste alors qu’elle ne s’est pas qualifiée en échouant à un examen. La procureure patronale plaide que celle-ci ne peut obtenir indirectement ce qu’elle n’a pas pu obtenir directement. La plaignante reconnaît par ailleurs que l’ampleur des tâches dont elle était responsable au moment du grief, telle que diminuée en raison de son échec à l’examen Excel, n’était pas celle d’une agentes administrative de classe 1 mais plutôt celle d’une agente administrative de classe 2.

[162]     Quant à Sylvianne Beaulne, elle n’était pas, et n’est toujours pas titulaire d’un poste et ne peut donc revendiquer une reclassification dans un poste qu’elle n’occupait pas, et dont le titulaire était absent.

[163]     La procureure patronale demande donc le rejet des griefs.

V-         La décision

[164]     Les plaignantes soumettent que le travail d’agent administratif, classe 2 a beaucoup changé au fil du temps, si bien qu’au moment du grief, leurs responsabilités quotidiennes sont, de toutes évidences, maintenant associées à la description de tâches de la classe 1. Elles demandent à être reconnues « à leur juste valeur ».

[165]     Les griefs réclament donc de l’employeur qu’il procède, de façon rétroactive, à la reclassification des plaignantes d’un emploi d’agente administrative de classe 2 à celui d’agente administrative de classe 1. [3]

[166]     Il est généralement reconnu que, pour reclassifier une personne salariée dans un titre d’emploi donné, il faut que celle-ci exerce, de façon principale et habituelle, les attributions relatives à ce titre d’emploi.

[167]     La jurisprudence varie sur la méthode à employer pour faire cet examen.

[168]     Une première façon de voir veut que la durée de temps de travail consacré aux attributions principales et habituelle du titre d’emploi réclamé soit supérieure à 50% pour permettre une reclassification dans ce titre d’emploi.

[169]     Une seconde façon de voir nuance la première, postulant que l’exercice des attributions « principales et habituelles » d’un emploi s’oppose à l’accomplissement « occasionnel ou accessoire » de ces mêmes attributions.

[170]     Les attributions principales d’un titre d’emploi sont donc « sa substance, la  nature, l’essentiel du travail de ce titre d’emploi » [4] , et qu’il faut donc tenir compte, non pas seulement du temps de travail consacré aux tâches de l’emploi, mais aussi de la difficulté relative de ces tâches, habituellement exprimée en termes de « connaissance, complexité, jugement, initiative, supervision exercée, communication, effort mental, impact sur les résultats finals, dextérité manuelle, etc. ».

[171]     En effet, comme l’a écrit mon collègue Guilbert, « on ne classera pas « manœuvre » un soudeur qui soude 40% du temps et qui transporte des planches 60% du temps » [5] !

[172]     L’arbitre François Hamelin s’exprime en ces termes :

« La jurisprudence enseigne donc que pour classifier une personne salariée dans un titre d’emploi, il faut vérifier la substance, la nature et l’essentiel des tâches qu’elle accomplit habituellement, généralement et normalement, en tenant compte à la fois du temps consacré à l’accomplissement de chaque tâche, du niveau requis de connaissance et de spécialisation ainsi que du degré des responsabilités assumées. » [6]

[173]     Deux titres d’emplois sont en cause : celui d’agente administrative de classe 2 et celui d’agente administrative de classe 1.

[174]     Constatons d’abord que les titres d’emploi d’agente administrative, de la classe 1 à 4, sont de la même famille d’emploi. Les attributions de ces emplois auront nécessairement des similitudes, des traits communs, des chevauchements. Il est à prévoir cependant que les attributions gagneront en complexité d’une classe à l’autre.

[175]     Quelles sont donc les différences dans les attributions des titres d’emplois d’agente administrative de classe 1 et de classe 2? Il convient de procéder à l’examen de ces deux titres d’emploi par leur mise en juxtaposition.

[176]     Dans le cas de ces deux titres d’emploi, je conclu aux points communs suivants :

[177]     Dans les deux cas, il s’agit de l’accomplissement d’un ensemble de travaux administratifs consistant en du travail de bureau, de traitement de données ou traitement de dossiers, nécessitant des connaissances spécifiques.

[178]     Dans les deux cas, il est également précisé que ces travaux administratifs sont de nature complexe, nécessitant une connaissance approfondie du fonctionnement d’un service ou d’un programme.

[179]     Examinons maintenant ce qui distingue ces deux titre d’emploi.

[180]     Ces travaux administratifs complexes, l’agente administrative de classe 2 les accomplit selon une méthode et des procédures « établies, ou qu’elle modifie ».

[181]     Alors que l’agente administrative de classe 1 procède à « l’organisation du travail de bureau ou d’un secteur d’activité » en assumant, « de façon autonome au sein du service, des responsabilités de coordination et de contrôle qualitatif » de cet ensemble de travaux administratifs de nature complexe.

[182]     J’en conclu que l’agente administrative de classe 1 a la responsabilité de créer les méthodes ou les procédures, et non pas seulement de suivre celles déjà établies ou de simplement procéder à des ajustements de ces procédures.

[183]     Là réside la différence entre les deux titres d’emploi.

[184]     Les attributions de l’emploi d’une agente administrative de classe 1 sont donc d’organiser le travail de bureau ou d’un secteur d’activité comme l’approvisionnement alors que celles de l’agente administrative de classe 2 sont, plus simplement, d’appliquer les méthodes et procédures déjà établies ou de les ajuster selon les circonstances.

[185]     Que révèle la preuve en l’espèce?

[186]     Les plaignantes ont toutes deux reconnus que leur travail en approvisionnement consiste, en premier lieu, à transmettre les bons de commandes de fournitures médicales et chirurgicales établis par les divers requérants du CSSS de Gatineau aux différents fournisseurs de ces fournitures.

[187]     Elles ont toutes les deux expliqué les méthodes et procédures qu’elles suivaient dans l’accomplissement de cette finalité.

[188]     Elles ont toutes deux tenu à préciser que leurs attributions ont gagné en complexité avec le temps, qu’elles ne se limitaient plus à faxer les commandes, à corriger les erreurs de produits et à effectuer les retours de marchandise ».

[189]     En effet, les plaignantes ont toutes deux expliqué leur travail de recherche sur Internet lorsqu’un produit n’est pas listé dans le système GRM.

[190]     Elles ont également décrit leurs façons de faire et les différentes étapes qu’elles accomplissent lorsqu’un produit est en rupture de stock chez un fournisseurs, ce qui nécessite d’abord des communications multiples avec ce fournisseur pour s’enquérir de sa capacité à fournir un produit substitut, et en cas contraire, les recherches Internet pour trouver un autre fournisseur capable de fournir le produit demandé ou un substitut de ce produit.

[191]     Les plaignantes ont décrit avec force détails d’autres problématiques et relatés les méthodes et procédures qu’elles appliquaient pour les résoudre. Elles ont démontré au Tribunal d’arbitrage qu’elles maîtrisaient ces méthodes et procédures, tant et si bien que le soussigné est convaincu de la compétence des plaignantes dans l’accomplissement de leurs tâches.

[192]     Mais de ces témoignages précis et détaillés surgit une interrogation.

[193]     La preuve révèle que les plaignantes ont vu leurs responsabilités augmenter avec le temps. Si au départ, elles ne faisaient essentiellement que procéder à la transmission par télécopieur des bons de commandes, elles se sont vues attribuer la responsabilité d’accomplir de nouveaux travaux selon de nouvelles méthodes et procédures.

[194]     Ces témoignages suggèrent donc que les plaignantes accomplissaient simplement des procédures déjà établies, qu’elles ont pu ajuster avec le temps.

[195]     Y avait-il préexistence de procédures établies ou est-ce les plaignantes qui ont créé de toute pièce ces procédures et méthodes?

[196]     Or, il s’agit-là des attributions mêmes de l’agente administrative de classe 2.

[197]     Le fardeau de la preuve appartenait à la partie syndicale, la réclamante en cette affaire.

[198]     Il lui fallait donc démontrer, par une preuve prépondérante, que les plaignantes exerçaient, de façon principale et habituelle, les attributions relatives à l’organisation du travail du secteur d’activité de l’approvisionnement, ce qui implique qu’elles étaient les auteures d’un certain nombre de méthodes et procédures complexes.

[199]     Il lui aurait également fallu démontrer que cette organisation du travail était assumée, de façon autonome par les plaignantes.

[200]     À cet égard, la preuve démontre bien de l’autonomie de la part des plaignantes, mais cette autonomie est relative à l’accomplissement de procédures déjà établie (ou de leur ajustement), et non pas relative à la création de telles méthodes et procédures.

[201]     Il aurait également fallu démontrer que les plaignantes assumaient des responsabilités de coordination et de contrôle qualitatif.

[202]     À cet égard, la preuve démontre bien l’existence d’une interaction entre les plaignantes et les différents intervenants, qu’il s’agisse des requérants, des fournisseurs, des magasiniers, ou à l’occasion des agents d’approvisionnement ou des techniciennes en administration.

[203]     Mais à mon avis, la coordination d’un ensemble de travaux nécessite plus que la simple interaction entre collègues ou tiers. Elle implique la prise de responsabilité par l’agente administrative du processus qui fait intervenir les divers intervenants entre eux. Elle implique donc l’imputabilité de cette agente administrative auteure du processus.

[204]     De la même manière, la preuve démontre bien que les plaignantes s’assuraient de ne pas commettre d’erreur dans l’accomplissement des procédures et méthodes établies.

[205]     Mais à mon avis, ce n’est pas ce qu’on entend par contrôle qualitatif. Cette notion exige de celui qui en est responsable qu’il s’assure par lui-même, de façon autonome, que le processus qu’il a mis sur pieds livre bien les fruits attendus.

[206]     Encore une fois, on s’attend de l’agente administrative de classe 1, qu’elle soit responsable de la qualité du processus, ce qui implique son imputabilité.

[207]     En somme, il ressort de la lecture juxtaposée du libellé des deux titres d’emplois d’agente administrative, qu’à la différence de l’agente administrative de classe 2, l’agente administrative de classe 1 doit être en mesure d’organiser de façon autonome le travail du secteur d’activité que représente l’approvisionnement. Cette organisation de l’activité d’approvisionnement implique que cette agente administrative doit pouvoir identifier une problématique et en faire l’analyse, puis trouver une solution et inventer une méthode ou procédure pour résoudre la difficulté, doit ensuite assurer la coordination des divers intervenants dans l’application de cette méthode ou procédure et doit finalement faire l’analyse du résultat obtenu, pour enfin effectuer le contrôle qualitatif de cette méthode ou procédure, dont elle assume la responsabilité de façon autonome.

[208]     La preuve est plutôt à l’effet que les plaignantes appliquaient simplement les procédures et méthodes complexes, qu’elles ne créaient pas ces méthodes et procédures, qu’elles n’assumaient pas la coordination de ces méthodes et procédures, qu’elles n’en effectuaient pas le contrôle qualitatif.

[209]     La conseillère en ressources humaines, Isabelle Leduc, a effectué une analyse des demandes de reclassification des plaignantes. Elle a conclu qu’il pouvait arriver occasionnellement aux plaignantes d’effectuer des tâches relatives aux attributions du titre d’emploi d’agente administrative de classe 1, mais que cette survenance était, au mieux, à la hauteur de 20% du temps de travail des plaignantes.

[210]     Isabelle Leduc conclut donc à l’accomplissement « occasionnel ou accessoire » des attributions de l’emploi d’agente administrative de classe 1 plutôt qu’à un exercice des attributions « principales et habituelles » de cet emploi de la part des plaignantes.

[211]     J’ai examiné les comparables dans le secteur de la santé et des services sociaux utilisés par Isabelle Leduc dans son analyse, ainsi que les conclusions de celle-ci à son rapport, et ils me semblent cohérents avec le reste de la preuve entendue.

[212]     De la même manière, Michel Leduc, directeur du Service de l’approvisionnement, a expliqué le rôle attendu de la part des agentes administratives de classe 1, qui « font plus que simplement procéder à l’exécution des commandes. Elles conseillent les gestionnaires et les requérants sur la meilleure façon d’obtenir le matériel dont ils ont besoin. Elles ont des pouvoirs délégués dans des dossiers très spécifiques et participent à l’élaboration des stratégies d’approvisionnement avec les techniciens et les agents d’approvisionnement. ». Cette description me semble cohérente avec l’analyse que j’ai faite des attributions de l’agente administrative de classe 1.

[213]     Il en est de même de la description de tâches de l’agente administrative de classe 1 réalisée par l’employeur pour les fins de la réorganisation administrative de 2012 du Service de l’approvisionnement, déposées en preuve par la partie patronale, dont je constate la cohérence avec l’analyse des attributions que j’ai fait de ce titre d’emploi.

[214]     Cela étant, je n’ai pas besoin de me prononcer sur l’argument subsidiaire soumis par la procureure patronale.


 

VI-       Le dispositif

[215]     Pour ces motifs, le Tribunal :

[216]     Rejette les griefs.

Saint-André-Avellin, le 28 juillet 2014

 


[1]      Les titres d’emploi d’agent administratif (classe 1 à classe 4) ont également une désignation féminine, agente administrative , que nous utiliserons le plus souvent dans la présente décision arbitrale.

[2]      L.R.Q., c. C-66.1

[3]      Il convient de noter que les griefs ont été déposés quelques jours à peine après l’entrée en vigueur de la nouvelle nomenclature des titres d’emplois. Mais il convient également de noter que les demandes de reclassification initiales des plaignantes l’ont été en vertu des titres d’emploi de la nomenclature précédente. Les anciens titres d’emplois d’agentes administratives ont été formellement abolis, mais les nouveaux titres d’agentes administratives créés par la nouvelle nomenclature sont à ce point semblables dans leur libellé que je n’ai pas cru utile d’établir des distinctions.

[4]      Affaire Manoir de l’âge d’or , a. François Hamelin, cité dans : Syndicat des travailleuses et des travailleurs du CHUS (CSN) et Centre hospitalier universitaire de Sherbrooke (CHUS), décision arbitrale de Me Francine Beaulieu, 30 décembre 2010, 2010A120, p. 22.

[5]      Affaire Ministère de la justice , a. Marcel Guilbert, cité dans : Syndicat des travailleuses et des travailleurs du CHUS (CSN) et Centre hospitalier universitaire de Sherbrooke (CHUS), décision arbitrale de Me Francine Beaulieu, 30 décembre 2010, 2010A120, p. 23.

[6]      Manoir de l’âge d’or , a. François Hamelin, cité dans : Syndicat des travailleuses et des travailleurs du CHUS (CSN) et Centre hospitalier universitaire de Sherbrooke (CHUS), décision arbitrale de Me Francine Beaulieu, 30 décembre 2010, 2010A120, p. 23