Ambulances Abitémis inc. et Syndicat des paramédics de l'Abitibi-Témiscamingue Nord-du-Québec (CSN) (Denis Bellerive) |
2014 QCTA 715 |
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TRIBUNAL D’ARBITRAGE |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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No. de dépôt : 2014-7342 |
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Date : |
18 juillet 2014 |
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DEVANT L’ARBITRE : |
Me Jean-Pierre Lussier |
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LES AMBULANCES ABITÉMIS INC.,
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« l’Employeur » |
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SYNDICAT DES PARAMÉDICS DE L'ABITIBI-TÉMISCAMINGUE NORD-DU-QUÉBEC (CSN),
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« le Syndicat » |
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Plaignant : |
Denis Bellerive |
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Grief numéro 0647 |
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SENTENCE ARBITRALE |
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[1] Le 7 novembre 2012, le technicien-ambulancier paramédical (ci-après désigné T.A.) Denis Bellerive, alors au volant du véhicule-ambulancier, frôlait une remorqueuse. Le 13 novembre suivant, encore au volant du véhicule, Monsieur Bellerive était impliqué dans un accident faisant deux blessés. Après enquête, l'Employeur décidait de retirer au plaignant son privilège de conduire le véhicule-ambulancier pour une durée de six mois.
[2] Cette décision fait l'objet du grief. Il réclame le retrait du dossier de la lettre imposant cette décision de même qu'un dédommagement pour les préjudices subis.
[3] Denis Bellerive a été embauché à l'entreprise comme T.A. en 2002 et il détient un poste à temps complet depuis 2008. À l'époque pertinente, il travaillait sur des quarts de 12 heures, en alternance de jour et de nuit.
[4] Il déclare bien connaitre la règlementation de l'entreprise quant à la conduite d'un véhicule-ambulancier. Il sait qu'on doit tenir compte de l'environnement et toujours respecter les limites de vitesse, sinon qu'en cas d'urgence, on est autorisé à excéder la vitesse normalement permise. Il admet qu'on doit toujours prendre garde aux véhicules car certains conducteurs ont parfois de drôles de réactions.
[5] Le 7 novembre 2012, raconte-t-il, il se rendait prendre charge d'une personne inconsciente. À l'arrivée, il y avait une remorqueuse en travers de la route qui occupait partiellement les deux voies. Le plaignant devait passer entre la remorqueuse et des véhicules stationnés et, en exécutant cette manœuvre, il a senti avoir touché la remorqueuse. Il est allé voir le chauffeur pour lui dire qu'il croyait l'avoir touchée. Après avoir complété l'intervention, il a inspecté le véhicule-ambulancier et il a noté une petite marque sur l'aile arrière, côté droit. Il a fait un rapport en ce sens à son retour à la caserne le jour même.
[6] Le 13 novembre 2012, poursuit le plaignant, il se rendait sur un appel en urgence. Sur la route, le véhicule-ambulancier a été ralenti par un accident de la route survenu plus tôt. La police empêchait les automobiles de circuler, que ce soit dans un sens ou dans l'autre. Plusieurs véhicules d'intervention (police, ambulance, pompier et Hydro-Québec) étaient au site de l'accident. Le plaignant a ralenti et continué sa route. Peu après, le plaignant raconte avoir dépassé un camion-remorque et s'être retrouvé derrière deux automobiles. La première voiture a clignoté, puis viré à gauche à une intersection. La voiture qui la suivait s'est tassée un peu à droite, comme si le conducteur voulait passer à côté de la première pour continuer tout droit ou encore voulait se tasser sur l'accotement. À un moment donné, alors que le véhicule-ambulancier allait passer à côté de cette deuxième voiture, celle-ci a brusquement viré à gauche en mettant ses clignotants, et le véhicule ambulancier n'a eu d'autre choix que d'entrer en collision avec elle.
[7] Il y a eu des dommages aux deux véhicules. La conductrice de l'automobile a été blessée et l'équipier du plaignant a eu des douleurs au bas du dos.
[8] Le plaignant convient que, ce jour-là, la chaussée était glacée. Malgré une manœuvre de freinage pour éviter le véhicule le précédant, le véhicule-ambulancier a glissé en se tassant un peu sur la gauche. C'est suite à cet incident que le 16 janvier 2013, on a envoyé au plaignant la lettre suivante:
« Objet: Accident du 13 novembre 2012
Monsieur,
Pour faire suite à notre enquête concernant votre accident du 13 novembre 2012, nous en arrivons à la conclusion qu’il y a eu négligence de votre part en adaptant pas votre conduite à la chaussée très glissante et un manque d’anticipation lorsque le véhicule que vous avez tenté de dépasser signifiait son intention de tourner à gauche, conséquence de cet accident, deux (2) personnes de blessées dont votre partenaire. En date du 7 novembre, il y eut aussi un accrochage avec une remorqueuse Camdem.
Nous avons donc décidé de vous retirer votre privilège de conduite des véhicules ambulances pour une période de six (6) mois commençant le 28 janvier 2013 jusqu’au 28 juillet 2013, ensuite votre privilège sera réintroduit de façon graduelle.
Nous vous invitons également à consulter le document de la Mutuelle BP2011-03 sur la conduite de véhicule qui a été diffusé en octobre 2011 sur le portail.
Recevez, Monsieur, nos salutations. »
[9] Le plaignant raconte que, bien qu’il n’ait perdu aucun salaire, il a donc été forcé de travailler uniquement comme équipier en charge des patients pendant que son coéquipier travaillait toujours comme chauffeur. Il explique que cette situation a généré beaucoup de stress chez lui. Travailler auprès du patient demande une vigilance de tous les instants et cela est physiquement et émotivement plus demandant. Une fatigue physique et mentale s’est installée chez lui, de sorte qu’il n’estimait plus être apte à accepter du temps supplémentaire comme il le faisait auparavant. Il a refusé d’en faire quand on l’appelait et s’est même retiré de la liste de ceux acceptant de faire du temps supplémentaire, craignant qu’à cause de ses refus répétés, l’Employeur l’enlève de lui-même de cette liste. Outre la fatigue, ajoute-t-il, il devenait maussade et impatient et il soutient qu’il devrait être dédommagé pour l’ensemble de ces raisons.
[10] Éric Casabon est superviseur depuis le début de 2011. Auparavant il était T.A. syndiqué depuis son embauche en 1998. Il a été impliqué dans l’enquête menée par l’entreprise suite à l’accident du plaignant.
[11] Il raconte d’abord qu’il était lui-même sur les lieux d’un accident majeur pour lequel les policiers avaient fermé la route. À un moment donné, il a entendu le véhicule-ambulancier conduit par le plaignant parce que les gyrophares étaient allumés et la sirène stridente. Selon Monsieur Casabon, l’ambulance est passée près d’eux à une vitesse « très inappropriée » vu la chaussée glissante et le nombre de véhicules (autant les véhicules civils que les véhicules d’intervention) sur les lieux.
[12] Quand il est revenu à la caserne, il a entendu parler de la collision impliquant le véhicule conduit par le plaignant. Il a demandé à examiner le bavard du véhicule du plaignant et il a constaté qu’aux abords de l’accident où il était en train d’intervenir, le véhicule du plaignant circulait à environ 60km/heure, malgré le barrage routier. Quand il en a discuté avec le plaignant, celui-ci disait qu’il n’était pas passé vite sur les lieux.
[13] Il reconnait avoir demandé au plaignant de conduire un véhicule au garage le 29 avril 2013 et quand celui-ci a refusé à cause de son interdiction, il n’a pas insisté et encore moins menacé le plaignant. Enfin, le témoin raconte que jamais le plaignant, pendant son interdiction, ne lui a rapporté un état de fatigue ou d’inconfort au travail. S’il l’eut fait, Monsieur Casabon l’aurait référé au Programme d’Aide aux Employés.
[14] Christian Williams est directeur général adjoint. Suite à l’incident du 7 novembre, il a appelé le propriétaire de la remorqueuse, mais celui-ci n’entendait pas faire une réclamation. Après l’accident du 13 novembre, il a décidé d’imposer une suspension du droit de conduire. Il l’a fait à la suggestion d’un collègue de l’Outaouais qui lui a dit utiliser cette voie avec de bons résultats.
[15] Le témoin ajoute avoir considéré que le plaignant, bien que ces incidents passés n’avaient donné lieu à aucune sanction, avait en 2008, 2009 et 2010 été impliqué à titre de chauffeur dans des accrochages. Il a cru que la suspension du droit de conduire allait l’inciter à plus de prudence.
[16] Paul Marseille est directeur général de l’entreprise. Il explique avoir calculé le nombre moyen d’appels effectués par le plaignant en 2013. En moyenne, dit-il, il a fait deux appels et demi par quart de travail, pour un total d’environ trente-cinq appels mensuellement. Les transports urgents, quant à eux, ne représentent que 10% du nombre total d’appels.
[17] Manon Lafontaine est responsable de la gestion des horaires. Sa tâche implique aussi la distribution du temps supplémentaire. Elle effectue cette distribution aux employés qui se sont déclarés disponibles pour en effectuer en remplissant un formulaire à cet effet. Le temps supplémentaire est distribué à tour de rôle aux T.A. disponibles, étant entendu qu’un refus implique pour l’employé qu’il passe son tour. Tant qu’un T.A. ne remplit pas le formulaire à l’effet qu’il cesse d’être disponible, il demeure sur la liste de distribution.
[18] Le plaignant a rempli un formulaire pour accepter du temps supplémentaire. Le 14 juin 2013, il en a rempli un autre pour cesser sa disponibilité. Entre le 1 er janvier et le 15 juin 2013, il était donc disponible. Si l’on excepte les situations où il était absent ou encore que son temps de repas n’aurait pas été respecté ou encore qu’il était en libération syndicale, il y a eu dix situations où des appels lui ont été faits, mais la plupart du temps il n’y a eu aucune réponse et trois autres situations où il a refusé d’en faire (20 avril, 25 avril et 15 juin).
[19] Raymond Filiatrault est T.A. à l’entreprise depuis 29 ans. C’était le coéquipier du plaignant les 7 et 13 novembre 2012.
[20] À propos de l’incident du 7 novembre, il se rappelle que le plaignant lui a dit avoir frôlé la remorqueuse. Quant à lui, Monsieur Filiatrault était d’avis qu’il ne l’avait pas touchée. Il n’a d’ailleurs rien noté le lendemain lors de l’inspection mécanique du véhicule-ambulancier.
[21] Pour l’évènement du 13 novembre 2012, il se rappelle que, peu avant, ils ont dépassé les lieux d’un accident où beaucoup de véhicules étaient immobilisés. Il ignore la vitesse à laquelle roulait leur propre véhicule, mais il a ralenti et passé à côté de la scène de façon sécuritaire. Lui-même, dit-il, aurait circulé à la même vitesse. Quant à la collision avec la conductrice, il corrobore la version du plaignant à l’effet que celle-ci aurait tassé son véhicule vers la droite avant de subitement virer à gauche juste en face de l’ambulance qui n’a pu l’éviter. Lorsqu’il s’est présenté à la conductrice, celle-ci disait que c’était de sa faute. Il a aussi constaté que la musique « était au bout » dans le véhicule de la conductrice, ce qui pourrait indiquer qu’elle n’aurait pas entendu l’ambulance.
[22] Après la suspension du droit de conduire imposée au plaignant, il a constaté que celui-ci avait des petites sautes d’humeur. Il explique que le T.A. qui s’occupe des patients est davantage dans le feu de l’action et ressent une responsabilité accrue par rapport à celui qui conduit.
[23] Monsieur Filiatrault n’a travaillé que trois à quatre mois avec le plaignant après la suspension du droit de conduire.
[24] Alexandre Petit est T.A. chez l’Employeur depuis six ans. C’est lui qui a pris charge de la conductrice blessée dans l’accident du 13 novembre. Il a pu causer avec elle à leur arrivée au centre hospitalier. Elle lui a dit qu’à l’intersection, elle a vu l’ambulance derrière elle. Elle a cru que l’ambulance était suffisamment loin pour qu’elle puisse effectuer son virage à gauche.
[25] Réentendu , Denis Bellerive déclare avoir lui aussi fait des tests suite aux données répertoriées par le bavard de l’ambulance et il explique qu’il a été forcé de freiner brusquement lorsque la conductrice a viré subitement à gauche. Il estime par ailleurs que sa vitesse était normale quand il a croisé les lieux de l’autre accident. Il est arrivé près de la scène en circulant à environ 25km/heure. Il déclare avoir un excellent dossier de conduite.
[26] L’ Employeur plaide qu’il s’agit d’une mesure administrative imposée au plaignant qui n’avait pas adapté une conduite sécuritaire du véhicule-ambulancier les 7 et 13 novembre 2012. Le second incident avait généré des blessures à deux personnes, la conductrice du véhicule accidenté et le compagnon du plaignant. L’Employeur plaide qu’il n’a pas agi de façon abusive ou arbitraire en imposant une mesure administrative au plaignant. Il plaide également que même si l’arbitre rejetait cette mesure, le plaignant n’a établi aucun droit à des dommages.
[27] Le Syndicat soutient que le plaignant n’a commis aucune faute de conduite et que la mesure prise par l’Employeur était donc complètement abusive. Le plaignant, ajoute le procureur syndical, a subi un stress important au point qu’il a dû enlever son nom de la liste des personnes désireuses d’effectuer du temps supplémentaire.
[28] Avant toute chose, il m’apparait important de qualifier la mesure prise par l’Employeur, celle qui fait l’objet du grief. L’Employeur prétend qu’il s’agit d’une mesure administrative, reliée aux difficultés de conduite du véhicule par le plaignant. Le Syndicat, pour sa part, s’est contenté de plaider qu’en l’espèce, c’était une mesure abusive.
[29] Rappelons d’abord que l’arbitre n’est pas lié par la qualification donnée par une ou par les deux parties à une mesure contestée par grief.
[30] Toute décision de gérance est administrative. Mais une décision de gérance peut revêtir une connotation disciplinaire. C’est pourquoi on la considèrera ou non comme disciplinaire selon les circonstances, indépendamment de la qualification que l’une ou l’autre partie lui accolera.
[31] Dans une décision arbitrale rendue en 1985 [1] , l’arbitre Foisy émettait l’idée qu’une mesure disciplinaire peut revêtir plusieurs formes et que c’est l’analyse des circonstances qui permettra de faire ressortir son caractère disciplinaire. Me Foisy, aux pages 8, 9 et 11, s’exprimait comme suit :
« Ceci ne veut pas dire qu’à chaque fois que l’Employeur modifie les heures de travail d’un ou plusieurs employés, qu’il s’agit d’une mesure essentiellement administrative. La décision de l’Employeur peut également prendre une coloration disciplinaire dans des circonstances particulières. Il faut en fait rechercher l’intention de l’Employeur au moment où la décision est prise. Cette intention en pratique s’infère de la preuve circonstancielle plutôt que d’une admission directe de l’Employeur. »
[32] Et plus loin, à la page 9 :
« Comme je l’ai dit plus haut, c’est le contexte de chaque affaire qui détermine si la décision est disciplinaire ou non. »
[33] Et plus loin, à la page 11 :
« Les avis verbaux ou écrits ou suspensions imposées pour des fautes de comportement ne sont cependant pas exhaustifs des mesures qui peuvent être prises en matière disciplinaire et l’on rencontre occasionnellement d’autres mesures telles que les rétrogradations, suspensions sans salaire et pertes d’ancienneté pour n’en mentionner que quelques unes. En fait, les mesures disciplinaires ne sont limitées que par l’imagination de la direction de l’entreprise. »
[34] Cette conception d’une mesure disciplinaire n’est pas unique au Québec. Déjà dans les années 1980, les auteurs Brown and Beatty [2] s’exprimaient de la manière suivante :
« Traditionnaly it had been thought that the essence of a disciplinary sanction lay in its potentially negative impact on an employee’s work record. More recently, it has been said that the term discipline is generally referable to "that type of action by an employer which constitutes its response to behaviour which is of a culpable nature and which may be amenable to correction through the institution of some kind of disciplinary penalty". On this latter view, the focus is more on the nature of the employer’s response rather than on its effect, and sanctions which are not punitive, such as suspensions with pay, which have the essential objective of correcting deficient behaviour, would still be regarded as disciplinary. »
[35] À mon avis, quand on examine le contexte de la présente affaire, il m’apparait clair que l’Employeur a voulu sanctionner le plaignant pour s’être montré imprudent dans sa façon de conduire le véhicule-ambulancier. De lui défendre de conduire pendant six mois, certes, ne le privait pas de salaire, mais il s’agissait néanmoins d’une sanction disciplinaire qui lui était imposée pour l’amener à corriger son comportement. Je reviendrai plus loin sur l’opportunité de lui imposer cette mesure mais, pour l’instant, j’entends discuter de l’appréciation de la preuve de la faute elle-même.
[36] La décision à l’origine du grief a été exposée dans la lettre du 16 janvier 2013 adressée au plaignant, lettre que j’ai reproduite au chapitre de la preuve. On conclut à sa négligence dans l’accident du 13 novembre 2012 et l’accrochage du 7 novembre 2012.
[37] Je commencerai par l’accrochage du 7 novembre. Malgré le témoignage de Raymond Filiatrault qui estimait que le véhicule n’avait pas touché la remorqueuse, le plaignant est d’autant plus crédible que c’est lui qui était au volant et, dans une affaire de cette nature, c’est le chauffeur qui est le mieux à même de réaliser si son véhicule touche à un autre. Cette admission du plaignant est tout à son honneur et me satisfait que la preuve établit l’existence d’un léger accrochage.
[38] Quant à l’accident du 13 novembre, la preuve m’a convaincu que la conductrice de l’automobile impliquée dans l’accident a commis une manœuvre imprudente, mais la preuve, dans son ensemble, établit aussi que cet accident aurait pu être évité si le véhicule ambulancier avait circulé moins vite. De façon générale, en effet, un véhicule qui en suit un autre doit respecter une distance suffisante pour éviter d’entrer en contact avec le véhicule qui le précède, quelle que soit la manœuvre du conducteur du véhicule à l’avant. Cela est d’autant plus vrai lorsque la route comporte une seule voie dans les deux sens. Or, en plus, ce jour-là, la chaussée était glissante, ce qui exigeait encore plus de prudence.
[39] Je n’ai par ailleurs aucune raison d’écarter le témoignage d’Éric Casabon quant à la vitesse inappropriée de l’ambulance quelques kilomètres avant le site de l’accident. Le plaignant et Monsieur Filiatrault parlent d’une vitesse normale (environ 25km/heure selon Monsieur Bellerive). Mais le bavard indiquait qu’au barrage routier, l’ambulance circulait à 60km/heure. Il est certain que l’ambulance a pu ralentir jusqu’à 25km/heure, mais il reste qu’à un moment donné, elle devait certainement aller à une vitesse à ce point grande qu’elle a surpris les intervenants au premier site d’accident.
[40] Ceci m’amène à croire qu’avant l’accident avec la conductrice de l’automobile, l’ambulance devait aussi circuler à une vitesse inappropriée. Cette vitesse n’est peut-être pas la seule cause de l’accident, vu la manœuvre imprudente de la conductrice, mais elle a surement contribué à la collision.
[41] Pour l’ensemble de ces raisons, j’estime que les éléments à la source de la mesure disciplinaire ont été prouvés à ma satisfaction.
[42] Passons maintenant à la sanction elle-même. Conduire un véhicule ambulance est une tâche difficile. Il faut répondre à des appels d’urgence et, par définition, il faut se rendre le plus rapidement possible au lieu d’où provient l’appel. Si la conduite doit être rapide, elle doit néanmoins rester prudente. Ce type de véhicule est lourd et une collision risque d’engendrer des dommages sérieux. Quand la chaussée est glissante, il faut d’autant plus faire preuve de prudence.
[43] En l’espèce, le plaignant pouvait être sanctionné pour s’être montré imprudent le 13 novembre. L’accrochage du 7 novembre pour sa part est un incident mineur de peu d’importance, sinon pour établir que le plaignant a conduit en ne s’assurant pas qu’il ne touchait pas à la remorqueuse.
[44] Dans le passé, bien que le plaignant n’ait alors fait l’objet d’aucune mesure disciplinaire, il a été impliqué comme chauffeur dans des accrochages en 2008, 2009 et 2010. L’Employeur était à mon avis justifié d’intervenir disciplinairement suite à l’incident du 7 novembre et à la collision du 13 novembre 2012.
[45] Une courte suspension aurait été à mon avis une mesure appropriée.
[46] On a choisi de le priver de son droit de conduire pendant six mois. Cette mesure disciplinaire - plutôt innovatrice - était inappropriée, surtout à cause de sa durée. Elle avait pour le plaignant - à qui, au fond, on reprochait son imprudence plus que son habileté à conduire le véhicule-ambulancier - un caractère humiliant. Ce caractère humiliant pouvait, chez lui - à juste titre - générer une forte opposition et justifier son grief. Au lieu d’atteindre un but correctif, cette mesure humiliante l’a outragé.
[47] La preuve, par ailleurs, ne m’a pas convaincu que cette mesure a engendré chez le plaignant un stress si grand qu’elle l’aurait empêché d’effectuer du temps supplémentaire. Outre le fait qu’une telle prétention aurait exigé une preuve médicale, je garde à l’esprit que le travail de technicien ambulancier expose en soi au stress. Peut-être est-il plus grand lorsqu’on s’occupe d’un patient que lorsqu’on conduit le véhicule, mais lorsqu’on répond en moyenne à deux appels et demi par quart de travail (cf. témoignage de Paul Marseille), le stress est loin d’être continu.
[48] En terminant, j’estime que le plaignant pouvait recevoir compensation pour le caractère humiliant de la mesure qu’on lui a imposée, mais cette compensation ne va pas au-delà des sommes dont il aurait été privé pour la courte suspension qu’on aurait dû lui imposer.
[49] FAIT PARTIELLEMENT DROIT au grief numéro 0647;
[50] SUBSTITUE à la suspension du droit de conduire une suspension d’une journée sans salaire;
[51] ORDONNE à l’Employeur de ne pas exécuter la suspension prévue au paragraphe précédent en compensation du préjudice généré par la suspension du droit de conduire du plaignant;
[52] RÉSERVE compétence en cas de mésentente sur tout problème résultant de l’exécution de la présente décision.
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________________________________ __ Jean-Pierre Lussier, arbitre |
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Pour le Syndicat : |
Monsieur Pierre Paul |
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Pour l’Employeur : |
Me Sylvain Toupin |
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Date d’audience : |
4 avril 2014 |
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Réception des notes et autorités patronales : |
22 mai 2014 |
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Réception de la réplique syndicale : |
2 juillet 2014 |
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Date de la décision : |
18 juillet 2014 |
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