Quirion c. Durand |
2014 QCCQ 8131 |
JD2786
COUR DU QUÉBEC
« Division des petites créances »
CANADA
PROVINCE DE QUÉBEC
DISTRICT DE LONGUEUIL
LOCALITÉ DE LONGUEUIL
« Chambre civile »
N° : 505-32-031306-138
DATE : 2 juillet 2014
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE L’HONORABLE MONIQUE DUPUIS, J.C.Q.
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RICHARD QUIRION
ET JULIE FORTIER
Demandeurs
c.
NATHALIE DURAND
Défenderesse
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JUGEMENT
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[1] Richard Quirion et Julie Fortier (" Quirion-Fortier ") [1] réclament 6 688,31$ à Nathalie Durand (" Durand "), en raison de la présence de fourmis charpentières dans la maison qu'ils ont achetée de celle-ci en 2012. Ils invoquent la garantie légale de qualité dont Durand leur est redevable.
[2] Celle-ci conteste au motif que la présence de fourmis n'est pas un vice caché : elle en avait dénoncé la présence dans sa déclaration écrite du vendeur.
[3] Elle ajoute que Quirion-Fortier ont fait les travaux correctifs avant qu'elle ait pu se rendre chez eux pour constater l'étendue du problème.
Questions en litige
[4] La présence de fourmis charpentières constitue-t-elle un vice caché au sens de l'article 1726 du Code civil du Québec (" C.c.Q. ")?
[5] Dans l'affirmative, quelle est l'indemnité à laquelle Quirion-Fortier ont droit?
[6] Quirion-Fortier ont-ils donné l'occasion à Durand de constater l'étendue du problème et de le régler?
Le contexte
[7] Par contrat notarié daté du 15 février 2012, Quirion-Fortier achètent de Durand un immeuble situé à Boucherville, au prix de 308 000,00$.
[8] Préalablement à la signature du contrat, ils obtiennent une déclaration écrite du vendeur, dans laquelle Durand répond à l'affirmative aux deux questions suivantes :
" D11.1 À votre connaissance, y a-t-il ou y a-t-il déjà eu présence d'insectes ou d'animaux nuisibles?
D11.2 Avez-vous déjà eu recours aux services d'un exterminateur professionnel? "
[9] Leur courtier immobilier Normand Deshaies (" Deshaies ") obtient des informations supplémentaires de la part de Durand quant à ces affirmations : ce sont les propriétaires antérieurs qui ont eu recours aux services d'exterminateur, en raison de la présence de petites fourmis ordinaires à l'extérieur de la maison, près de l'abri d'auto.
[10] Quirion-Fortier font inspecter la maison avant de l'acheter par l'inspecteur Michel P Ewert, qui ne relève pas la présence de fourmis.
[11] Rassurés par les précisions apportées par Durand à sa déclaration du vendeur, et vu l'absence d'indices de la présence de fourmis dans la maison, Quirion-Fortier ne vérifient pas davantage la cause de la présence de fourmis à l'extérieur de la maison, plusieurs années auparavant.
[12] Ils emménagent dans la maison immédiatement après la signature du contrat, et dès le 17 février, ils notent la présence de fourmis à l'intérieur de la maison. Une semaine plus tard, ils voient jusqu'à une vingtaine de fourmis par jour à différents endroits.
[13] Par lettre datée du 28 février 2012, ils dénoncent la présence de ces fourmis à Durand, qu'ils considèrent être un vice caché. Ils l'invitent à prendre rendez-vous pour venir chez eux constater ce problème, mais vu l'urgence, ils comptent entamer les travaux d'extermination dans les dix jours de la lettre.
[14] Durand se rend chez Quirion-Fortier en présence de son expert, et constate elle-même la présence de fourmis.
[15] Les parties ont une version contradictoire des faits.
[16] Fortier témoigne qu'au moment de la visite de Durand, le gros du travail d'extermination n'a pas été entamé. Le 7 mars, un préposé de Maheu Ltée, spécialiste en gestion parasitaire, avait effectué un traitement localisé, mais devait ensuite effectuer un traitement plus complet au printemps suivant.
[17] De son côté, Durand affirme qu'au moment de sa visite, Fortier déclare que le travail a déjà été effectué : jamais elle ne lui dit qu'un autre traitement est prévu pour le mois de mai suivant.
[18] Durant propose alors que la firme d'exterminateur dont elle retiendrait les services, A Extermination, applique un traitement pour empêcher le retour des fourmis. Fortier reconnaît que Durand fait cette proposition, mais elle refuse : selon les informations obtenues de son propre expert, le traitement proposé par Durand serait insuffisant. Quirion-Fortier préfèrent retenir les services de Maheu Ltée, expert reconnu dans le domaine.
[19] Le 30 novembre 2012, ils transmettent une nouvelle mise en demeure à Durand, lui réclamant 2 427,14$ pour le traitement d'extermination et pour les honoraires de l'ingénieur de la firme CIEBQ, qui a visité l'immeuble pour confirmer la présence de fourmis et l'importance du problème occasionné par cette présence.
[20] Durand néglige ou refuse de payer cette somme et le 3 avril 2013, Quirion-Fortier transmettent une autre mise en demeure, réclamant cette fois la somme de 6 688,31$. Il s'agit du remboursement des frais d'exterminateur et d'expert, mais aussi une compensation pour perte de salaire, stress, perte de jouissance de la maison et autres dommages.
Droit applicable
[21] Dans le cadre d'un recours fondé sur un vice caché, l'acheteur doit prouver quatre éléments, soit : (1) l'existence d'un vice; (2) le caractère caché du vice; (3) l'existence du vice au moment de la vente; (4) l'existence d'un vice qui rend le bien impropre à l'usage auquel on le destine ou diminue tellement son utilité que l'acheteur ne l'aurait pas acheté ou n'aurait pas donné un si haut prix s'il l'avait connu.
[22] Le recours de l'acheteur prend sa source dans l'article 1726 C.c.Q., qui stipule que :
" 1726 . Le vendeur est tenu de garantir à l'acheteur que le bien et ses accessoires sont, lors de la vente, exempts de vices cachés qui le rendent impropre à l'usage auquel on le destine ou qui diminuent tellement son utilité que l'acheteur ne l'aurait pas acheté, ou n'aurait pas donné si haut prix, s'il les avait connus.
Il n'est, cependant, pas tenu de garantir le vice connu de l'acheteur ni le vice apparent; est apparent le vice qui peut être constaté par un acheteur prudent et diligent sans avoir besoin de recourir à un expert. "
[23] L’acheteur qui découvre un vice doit aussi le dénoncer par écrit en temps utile à son vendeur afin de lui permettre de vérifier l’existence du vice et de lui permettre d’y remédier, selon l'article 1739 C.c.Q. :
" 1739 . L'acheteur qui constate que le bien est atteint d'un vice doit, par écrit, le dénoncer au vendeur dans un délai raisonnable depuis sa découverte. Ce délai commence à courir, lorsque le vice apparaît graduellement, du jour où l'acheteur a pu en soupçonner la gravité et l'étendue.
Le vendeur ne peut se prévaloir d'une dénonciation tardive de l'acheteur s'il connaissait ou ne pouvait ignorer le vice. "
[24] Avant d'effectuer des travaux correctifs et en réclamer le prix, un acheteur doit mettre en demeure son vendeur de respecter ses obligations (art. 1594 C.c.Q.). Cette mise en demeure doit être faite par écrit, et accorder un délai d'exécution suffisant eu égard à la nature de l'obligation et aux circonstances (art. 1595 C.c.Q.). Cependant, l'acheteur n'est pas tenu d'envoyer cette mise en demeure, lorsque le vendeur a clairement manifesté son intention de ne pas exécuter son obligation (art. 1597 C.c.Q.).
[25] L'acheteur doit faire la preuve des éléments décrits plus haut, par preuve prépondérante (art. 2803 et 2804 C.c.Q.).
Analyse et décision
La présence de fourmis charpentières constitue-t-elle un vice caché au sens de l'article 1726 C.c.Q.?
[26] La jurisprudence reconnaît que la présence de fourmis charpentières peut constituer un vice caché [2] : leur présence peut revêtir une certaine gravité, en raison d'importants dommages qu'elles peuvent causer à la structure d'une maison, et rendre le bien impropre à l'usage auquel on le destine, ou en diminuer tellement son utilité que l'acheteur n'aurait pas donné un si haut prix s'il l'avait connue.
[27] La présence de fourmis charpentières dans la résidence de Quirion-Fortier, achetée de Durand en 2012, ne fait aucun doute : leur témoignage et celui de leur expert Eric Ménard (" Ménard "), sont probants et convainquent le Tribunal.
[28] Durand plaide qu'il ne peut s'agir d'un vice caché, puisqu'elle avait dénoncé, dans la déclaration écrite qu'elle leur remet, la présence de fourmis : il appartenait alors à Quirion-Fortier de pousser les vérifications plus loin. Ils ne peuvent la tenir responsable de ce problème.
[29] La preuve non contredite est que Quirion-Fortier ont eu recours aux services d'un expert pour inspecter la maison avant de l'acheter, et ce dernier n'a relevé aucun indice leur permettant de conclure à la présence de fourmis charpentières à l'intérieur de la maison.
[30] Au surplus, Durand déclare à leur courtier immobilier Deshaies que les fourmis auxquelles elle réfère dans sa déclaration du vendeur sont de petites fourmis " ordinaires ", observées à l'extérieur de la maison seulement, et que les travaux d'extermination ont eu lieu à la demande des anciens propriétaires, avant 2009. Cela les rassure et les incite à ne pas pousser plus loin les vérifications; la présence des fourmis charpentières demeure, dans les circonstances, un vice caché.
[31] Les témoignages crédibles de ces personnes amènent le Tribunal à écarter le témoignage de Durand, lorsqu'elle affirme ignorer la présence de fourmis charpentières et ne pas en avoir constaté la présence, de 2009 à 2012.
[32] En effet, il est surprenant que Durand n'ait jamais constaté la présence de fourmis, alors que deux jours à peine après la signature du contrat de vente, Quirion-Fortier en constatent en nombre suffisant pour les inquiéter. Une semaine plus tard, leur témoignage non contredit est à l'effet qu'ils peuvent en voir jusqu'à une vingtaine par jour.
[33] L'expert Ménard, employé de Maheu Ltée, œuvre dans le domaine de l'extermination d'insectes nuisibles, et notamment de fourmis, depuis plus de 20 ans. Outre son expérience pratique, il a reçu une formation du Ministère de l'environnement du Québec, et est spécialisé en entomologie.
[34] À son avis, lorsque des fourmis charpentières sont présentes à l'intérieur d'une maison en hiver, c'est qu'elles y sont déjà installées depuis un certain temps. De plus, les fourmis ailées, dont il a constaté la présence, sont un indice qu'un ou plusieurs nids de fourmis se trouvent dans la maison, depuis au moins cinq ans.
[35] Durand prétend que Quirion-Fortier ne lui ont pas donné l'opportunité de constater l'étendue du problème avant de commencer les traitements, le tout contrairement aux dispositions des articles 1739, 1594 et 1595 du C.c.Q. cités plus haut.
[36] Selon la preuve, les préposés de Maheu Ltée effectuent un premier traitement de surface, pour parer à l'urgence de la situation, le 7 mars 2012. Ménard affirme que les préposés de Maheu Ltée y retournent le 9 mai suivant, au printemps, pour un deuxième traitement plus complet. Le Tribunal retient ce témoignage crédible, appuyé par la documentation produite au dossier.
[37] Même si un traitement d'urgence avait déjà été effectué lors de la visite de Durand, le 9 mars, elle a quand même été en mesure de constater la présence des fourmis, accompagnée en cela par son expert.
[38] Il n'est pas contesté qu'elle propose alors un traitement effectué par la firme A Extermination. Quirion-Fortier, conseillés par leur expert, refusent cette solution, l'estimant inadéquate. Durand n'a pas démontré que la solution qu'elle proposait, à un prix inférieur, aurait été aussi efficace, sinon plus, que celui effectué par Maheu Ltée.
[39] Vu ce qui précède, Durand est tenue de respecter la garantie de qualité prévue à l'article 1726 C.c.Q.
Dans l'affirmative, quelle est l'indemnité à laquelle Quirion-Fortier ont droit?
[40] En vertu de la garantie légale de qualité, Durand est tenue de rembourser à Quirion-Fortier les sommes déboursées pour éliminer les fourmis. Selon la preuve, il s'agit d'un montant de 977,29$.
[41] Quirion-Fortier réclament également les honoraires de l'ingénieur René Vincent, auquel ils ont confié le mandat d'inspecter la maison pour déterminer l'ampleur du problème et ses solutions, soit 689,85$.
[42] Cet ingénieur n'a pas été entendu comme témoin, la preuve d'expert ayant été fournie par le témoignage de Ménard, employé de Maheu Ltée. Le Tribunal n'accorde donc pas ce montant.
[43] Quirion-Fortier réclament des montants additionnels à titre de dommages-intérêts, répartis comme suit :
- perte de jouissance de l'immeuble durant la présence de fourmis 2 000,00$
- perte de salaire engendrée par la consultation d'experts, la venue d'experts et la présence requise durant les traitements 1 000,00$
- 2 X 24 heures d'exclusion de la maison durant le traitement (logés à l'extérieur de la maison et nourriture) 1 000,00$
- avancement de l'argent pour la réparation des dommages-intérêts 500,00$
- stress occasionné par les démarches de dénonciation et de réparation 500,00$
- frais pour courrier recommandé (poste Canada) 21,17$
[44] Puisque le Tribunal conclut de la preuve que Durand connaissait le problème de fourmis, outre le prix des travaux correctifs, elle est tenue d'indemniser Quirion-Fortier pour les inconvénients subis, aux termes de l'article 1728 C.c.Q. :
" 1728. Si le vendeur connaissait le vice caché ou ne pouvait l'ignorer, il est tenu, outre la restitution du prix, de réparer le préjudice subi par l'acheteur. "
[45] Vu la preuve et usant de son pouvoir discrétionnaire. Le Tribunal accorde à Quirion-Fortier la somme de 1 000,00$ pour la perte de jouissance de l'immeuble en raison de la présence de fourmis, et 500,00$ pour leur exclusion de la maison pendant les traitements.
[46] Le Tribunal n'accorde pas la perte de salaire alléguée par Fortier, au montant de 1 000,00$, puisque au procès, elle reconnaît ne pas l'avoir subie. Elle a pris du temps pour s'occuper de régler le problème des fourmis sur son temps de travail qu'elle a reporté à plus tard, puisqu'elle est travailleur autonome.
[47] De la même manière, le Tribunal n'accorde pas la somme de 500,00$ réclamée pour l' " avancement de l'argent pour la réparation des dommages ", puisqu'il s'agit de dommages indirects.
[48] Quant au stress occasionné par les démarches de dénonciation du vice caché et des travaux d'extermination (500,00$), vu la preuve, le Tribunal leur accorde le montant réclamé.
[49] Finalement, le Tribunal accorde les frais de poste recommandée, puisque le Code exige la dénonciation écrite et la mise en demeure à Durand.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[50] ACCUEILLE en partie l'action des demandeurs;
[51] CONDAMNE la défenderesse à payer aux demandeurs la somme de 2 998,46$ avec intérêts au taux légal et l'indemnité additionnelle prévue à l'article 1619 du Code Civil du Québec à compter du dépôt de l'action;
[52] CONDAMNE la défenderesse à payer aux demandeurs les frais judiciaires de 167,00$.
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MONIQUE DUPUIS, J.C.Q.