Syndicat des employés municipaux des Escoumins (FISA) et Escoumins (Municipalité des) (Benoît Tremblay) |
2014 QCTA 735 |
TRIBUNAL D’ARBITRAGE |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DISTRICT DE BAIE-COMEAU |
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Grief no : |
2013-01 |
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N o de dépôt : |
2014-8209 |
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Date : |
9 septembre 2014 |
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Référence : |
CG-11326-161-13 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE : |
Me Carol Girard, c.r. Arbitre |
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ENTRE |
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LE SYNDICAT DES EMPLOYÉS MUNICIPAUX DES ESCOUMINS (F.I.S.A.) |
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Ci-après appelé « le syndicat » |
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Et |
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MUNICIPALITÉ DES ESCOUMINS |
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Ci-après appelée « l’employeur » |
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Et |
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BENOÎT TREMBLAY |
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Ci-après appelé « le plaignant » ou « le salarié » |
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SENTENCE ARBITRALE |
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En vertu du Code du travail du Québec |
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[1] Le salarié demande 4 semaines de vacances sans réduction de rémunération. Ce grief demande l’interprétation d’un article de la convention collective ayant comme objet la non-réduction des vacances rémunérées suite à une période d’invalidité ne dépassant pas 120 jours ouvrables durant la période de référence et son application au plaignant compte tenu de la Loi sur les normes du travail et de la Charte des droits et libertés de la personne .
[2] Le texte du grief (pièce S-4) est le suivant :
« FORMULAIRE DE GRIEF
NOM DU SYNDICAT : Syndicat des employés municipaux des Escoumins (FISA) |
GRIEF N O : 2013-01 DATE : 18 avril 2013 |
NOM ET PRÉNOM DU SALARIÉ : Benoît Tremblay
ADRESSE : […] Les Escoumins (Québec) […]
FONCTION : Homme d’entretien
ANCIENNETÉ : 1999-11-09 |
NOM DE L’EMPLOYEUR : Municipalité des Escoumins
REPRÉSENTANTE : M me Chantale Otis, directrice générale |
ARTICLE(S) VISÉ(S) : Articles 1, 8, 13, 14, 23 et toutes autres dispositions pertinentes de la convention collective. Articles 66 et 79.1 et toutes autres dispositions pertinentes de la Loi sur les nomes du travail. Article 10, 16 et toutes autres dispositions pertinentes de la Charte des droits et libertés de la personne .
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NATURE DU GRIEF : Conformément à la procédure de grief prévue à l’article 14 de la convention collective, M. Benoît Tremblay, président du Syndicat des employés municipaux des Escoumins (FISA) soumet le présent grief. Les faits donnant naissance à ce grief peuvent se résumer, notamment, mais non limitativement comme suit : [1] Le ou vers le 9 février 2012, M. Benoît Tremblay débuta une période d’invalidité pour une blessure au dos; [2] Le ou vers le 18 septembre 2012, M. Benoît Tremblay effectue un retour au travail; [3] Sur les talons de paie de 2013 de M. Tremblay, un total de quatre-vingt-quatre (84) heures de vacances y est inscrit; [4] Le ou vers le 11 mars 2013, M. Tremblay achemine une correspondance à M me Chantale Otis, directrice générale, demandant des explications concernant le calcul de ses vacances; [5] Le ou vers le 11 avril 2013, la Municipalité, par l’entremise de M me Otis, répond à la correspondance de M. Tremblay et confirme l’interprétation de la Municipalité à l’égard des vacances de M. Tremblay : « Vu que votre absence excède 120 jours ouvrables dans l’année financière, nous appliquons les dispositions de l’article 13.04 de la convention collective en réduisant la rémunération qui s’y rattache à l’équivalent de 84.82 heures. Ainsi, la formule mathématique se détaille comme suit : Salaire gagné : 24 342,24 $ Pourcentage de vacances : 1 947,38 $ 1 947,38 $ ÷ 22,96 (taux horaire) = 84,82 heures. » [6] Le Syndicat constate qu’en réduisant ainsi l’indemnité de vacances de M. Tremblay et en refusant de lui accorder ses quatre semaines de vacances, la Municipalité contrevient aux dispositions de la convention collective sur les vacances et a ainsi empêché M. Tremblay de bénéficier de tous les droits et privilèges conférés par celle-ci; [7] Sans restreindre la généralité de ce qui précède, le Syndicat constate qu’en réduisant ainsi l’indemnité de vacances de M. Tremblay et en refusant de lui accorder ses quatre semaines de vacances, la Municipalité contrevient aux dispositions sur les congés annuels prévues à la Loi sur les normes du travail ; [8] Sans restreindre la généralité de ce qui précède, le Syndicat constate qu’en réduisant ainsi l’indemnité de vacances de M. Tremblay et en refusant de lui accorder ses quatre semaines de vacances, la Municipalité porte un acte discriminatoire à l’endroit de M. Tremblay au sens de la Charte des droits et libertés de la personne ; PAR CONSÉQUENT, PLAISE À L’ARBITRE : - DE CONSTATER que l’Employeur a contrevenu aux dispositions de la convention collective et a ainsi empêché M. Tremblay de bénéficier de tous les droits et privilèges conférés par celle-ci; - DE CONSTATER que l’employeur a contrevenu aux dispositions de la Loi sur les normes du travail ;
- DE CONSTATER QUE l’Employeur a posé un acte discriminatoire à l’endroit de M. Tremblay au sens de la Charte des droits et libertés de la personne ; - D’ORDONNER à l’Employeur d’octroyer à M. Tremblay quatre semaines de vacances sans réduction de rémunération; - D’ORDONNER à l’Employeur de respecter dorénavant les dispositions de la convention collective. |
SIGNATURE DU SALARIÉ REQUÉRANT : (Date : JJ/MM/AAA) (S) Benoît Tremblay 24-04-2013 |
SIGNATURE DU REPRÉSENTANT SYNDICAL : (Date : JJ/MM/AAAA) (S) Yvan Rochette 26-04-2013 |
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SIGNATURE DU REPRÉSENTANT PATRONAL : (Date : JJ/MM/AAAA (S) Chantale Otis 26-04-2013 » |
[3] Les pièces énumérées en annexe ont été produites.
[4] L’admission usuelle suivante a été faite :
- L’arbitre est validement nommé et a juridiction pour entendre et décider du grief.
[5] Les parties n’ont pas fait entendre de témoin. Elles ont procédé par admissions en déposant un document, complété à l’audition, qui prévoit :
« LISTE DES ADMISSIONS
[1] M. Benoît Tremblay est à l’emploi de la Municipalité des Escoumins depuis le 9 novembre 1999;
[2] Les parties sont liées par une convention collective, tel qu’il appert de la pièce S-1;
[3] Le ou vers le 9 février 2012, M. Benoît Tremblay débute une période d’invalidité par une blessure au dos;
[4] Le ou vers le 18 septembre 2012, M. Benoît Tremblay effectue un retour au travail;
[5] M. Benoît Tremblay s’est absenté pendant 31 semaines et 5 jours ou encore pendant 152 jours ouvrables entre le 1 er janvier 2012 et le 31 décembre 2012;
[6] Le ou vers le 11 mars 2013, M. Tremblay achemine une correspondance à M me Chantale Otis, directrice générale, demandant des explications concernant le calcul de ses vacances, tel qu’il apert de la lettre S-2;
[7] Le ou vers le 11 avril 2013, la Municipalité, par l’entremise de M me Otis, répond à la correspondance de M. Tremblay et confirme l’interprétation de la Municipalité à l’égard des vacances de M. Tremblay, tel qu’il appert de la pièce S-3;
[8] Les parties se réservent le droit de compléter la présente preuve et faire entendre tout témoin;
[9] Le salarié a bénéficié de 84,82 heures de vacances. La réclamation supplémentaire est refusée par l’employeur. »
[6] L’employeur formule une objection préliminaire en prétendant que le grief a été déposé hors délai, soit après 32 jours ouvrables, alors que la convention collective prévoit un délai de 30 jours à l’article 14.02 A, délai de rigueur en vertu de l’article 14.06.
[7] L’employeur calcule les 32 jours ouvrables entre la lettre du salarié du 11 mars 2013 (pièce S-2) et le dépôt du grief le 26 avril 2013 (pièce S-4).
[8] Selon l’avocat de l’employeur qui se réfère au premier paragraphe de la lettre du 11 mars 2013, le salarié avait la connaissance de l’événement ayant donné naissance au grief le 11 mars 2013 et la position de l’employeur est connue depuis octobre 2012.
[9] Par conséquent, l’employeur demande le rejet du grief pour prescription affirmant qu’il concerne un événement unique soit la méthode de calcul de la durée des vacances au cas d’absence suite à une invalidité. Il appuie son argumentation sur les autorités énumérées en annexe.
[10] En réponse à l’objection préliminaire, le syndicat affirme qu’il s’agit d’un grief de nature continue puisque l’événement est rapporté sur chacun des talons de paye du salarié.
[11] Il ajoute que la position de l’employeur a été cristallisée ou certaine lorsque la directrice générale a écrit la position de l’employeur le 11 avril 2013 (pièce S-3). Selon lui, cette lettre constitue le point de départ du calcul du délai pour déposer le grief.
[12] Il demande le rejet de l’objection et ajoute que le syndicat veut une interprétation de l’article 13.04 de la convention collective. Il appuie ses prétentions sur les autorités énumérées en annexe.
[13] Le 11 mars 2013, le salarié transmettait à l’employeur la lettre suivante :
« Les Escoumins, le 11 mars 2013
Madame Chantale Otis, Directrice générale
Municipalité des Escoumins
2, rue Sirois
Les Escoumins (Québec) G1T 1K0
Objet : Vacances annuelles
Bonjour Madame Otis,
J’ai constaté récemment sur mon talon de paie qu’une erreur s’est glissée concernant le calcul de mes vacances annuelles. En effet, il y est mentionné que pour l’année 2013, je ne bénéficie que de quatre-vingt quatre (84) heures de vacances.
Pourtant à la lecture de l’article 13.02 de la convention collective, il semblerait selon mon ancienneté que je bénéficie de vingt (20) jours ouvrables payés à raison de huit pour cent (8%) du salaire gagné pendant l’année de référence.
Je suis conscient d’avoir été absent pour cause de maladie pendant la période de référence, mais il me semble que l’article 13.04 de la convention collective ainsi que certaines dispositions de la Loi sur les normes du travail devrait faire en sorte de ne pas subir de diminution de vacances ou du moins un très légère diminution.
En attente de plus amples explications de votre part, je vous prie d’accepter mes meilleures salutations. » (pièce S-2)
[14] Le 11 avril 2013, l’employeur y répondait comme suit :
« Les Escoumins, le 11 avril 2013
Monsieur Benoît Tremblay
[…]
Les Escoumins (Québec) […]
Objet : Vacances annuelles gagnées en 2012 pour l’année 2013
Monsieur,
La présente se veut une réponse à la vôtre que vous m’avez transmise le 11 mars dernier dans laquelle vous mentionnez que, selon vous, une erreur se serait glissée sur votre relevé de paie relativement à votre banque de vacances pour l’année 2013.
D’entrée de jeu, permettez-nous de vous informer qu’à notre humble avis aucune erreur n’a été commise sur votre relevé de paie. Il s’agit d’une question d’interprétation des articles 13.04 de la convention collective de travail vous régissant et 79.1 de la Loi sur les normes du travail .
Des diverses discussions qui ont eu cours depuis octobre 2012, tant avec vous qu’avec votre conseiller syndical de la FISA et Me Claude Gaudreault, conseiller juridique, nous tenons à vous réitérer notre position, laquelle se résume comme suit.
Vu que votre absence excède 120 jours ouvrables dans l’année financière, nous appliquons les dispositions de l’article 13.04 de la convention collective en réduisant la rémunération qui s’y rattache à l’équivalant de 84.82 heures. Ainsi, la formule mathématique se détaille comme suit :
Salaire gagné : 24 342,24 $
Pourcentage de vacances (8%) : 1 947,38 $
1947,38 $ ÷ 22,96 $ (taux horaire) = 84.82 heures.
La présente vous est adressée sans admission de quelque nature que ce soit.
Espérant le tout conforme, veuillez agréer, Monsieur, l’expression de nos sentiments les meilleurs.
(S)
Chantale Otis, CPA CGA
Directrice générale
C.C. Conseil municipal » (pièce S-3)
[15] Le grief daté du 18 avril 2013 est signé par le salarié le 24 avril 2013 et par les représentants du syndicat et de l’employeur le 26 avril 2013. Essentiellement, le salarié y réclame 4 semaines de vacances pour l’année 2013 sans réduction de rémunération.
[16] La convention collective prévoit :
« ARTICLE 13 VACANCES
13.01 Aux fins du présent article, l’année de référence signifie la période de temps pendant laquelle l’employé acquiert progressivement le droit à ses vacances et cette période s’étend du premier (1 er ) janvier d’une année au 31 décembre de la même année.
13.02 Tout employé a droit, suivant la durée de son service continu au cours de l’année de référence, aux vacances annuels déterminées ci-après et payées ainsi qu’il suit :
A) […]
B) […]
C) […]
D) L’employé qui, à la fin de l’année de référence, a accumulé plus de sept (7) ans et moins (-) de quinze (15) ans de service continu, a droit à vingt (20) jours ouvrables de vacances payés à raison de huit pour cent (8%) du salaire gagné pendant l’année de référence.
E) […]
F) […]
13.08 Les employés doivent choisir leurs vacances avant le 15 avril de chaque année; au plus tard le 15 mai; l’EMPLOYEUR affiche la liste définitive des vacances des employés.
13.09 L’employé doit normalement prendre ses vacances entre le premier (1 er ) janvier et le 31 décembre de chaque année.
ARTICLE 14 PROCÉDURE DE RÈGLEMENT DES GRIEFS ET D’ARBITRAGE
14.01 Tout employé ayant un problème concernant ses conditions de travail pouvant donner naissance à un grief, doit en discuter avec son supérieur immédiat afin de tenter de le régler, accompagné s’il le désire, de son représentant syndical; cependant, le seul fait que cette obligation ne soit pas remplie ne fait perdre aucun droit à l’employé.
14.02 Tout employé qui se croit lésé dans les droits que lui confère la convention peut formuler un grief, seul ou accompagné d’un représentant ou officier syndical, en se conformant à la procédure prévue ci-après.
A) Première étape
Dans les trente (30) jours ouvrables de l’occurrence ou de la connaissance par l’employé ou le SYNDICAT de l’événement ayant donné naissance au grief, l’employé ou le SYNDICAT doit soumettre par écrit son grief à l’attention de la direction générale.
À défaut de réponse écrite dans les vingt (20) jours ouvrables suivant la réception du grief ou si la réponse donnée n’est pas satisfaisante, le SYNDICAT peut soumettre le grief à l’arbitrage.
[…]
14.04 L’arbitre n’a aucun pouvoir pour ajouter, soustraire, modifier ou altérer quelque disposition que ce soit de la présente convention.
[…]
14.06 Les délais de soumission du grief sont de rigueur et ne peuvent être prorogés que du consentement écrit des parties.
14.07 Aucun grief ne peut être considéré comme nul ou rejeté par l’arbitre pour vice de forme. »
[17] Le syndicat souligne la nature interprétative du grief. Dans S-3, l’employeur écrit : « […]. Il s’agit d’une question d’interprétation des articles 13.04 de la convention collective et 79.1 de la Loi sur les normes du travail » .
[18] Compte tenu de la nature interprétative du grief et des faits, l’occurrence ou la connaissance par l’employé ou le syndicat de l’événement ayant donné naissance au grief (article 14.02 A) est la réponse écrite de l’employeur du 11 avril 2013 qui faisait connaître sa position définitive après négociation.
[19] Il faut également prendre en considération la date où l’employé doit choisir ses vacances (avant le 15 avril de chaque année) ou le 15 mai date limite où l’employeur affiche la liste définitive des vacances (art. 13.08).
[20] Le grief ayant été déposé le 26 avril, à l’intérieur des 30 jours prévus à la convention collective, l’objection préliminaire de l’employeur est rejetée.
[21] Le représentant du syndicat affirme que le grief est justifié puisque la durée minimale des vacances est de 3 semaines en vertu de la Loi sur les normes du travail . Il ajoute que dans notre cas ce sont les 20 jours qui sont prévus à la convention collective qui doivent être appliqués.
[22] Selon lui, l’interprétation a contrario de l’employeur est imprécise et ambiguë puisque la clause invoquée ne précise pas ce qu’il advient au cas d’absence de plus de 120 jours.
[23] S’appuyant sur la jurisprudence et les Règles d’interprétation 4, 9 et 11, il affirme qu’il faut respecter l’esprit de la clause puisque la finalité de l’article 13.04 est une clause de protection au cas de maladie pendant 120 jours ouvrables.
[24] Invoquant la Charte et la jurisprudence, il affirme que l’application qu’en fait l’employeur rend l’article inopérant parce qu’il est en infraction à la Loi sur les normes du travail et à la Charte .
[25] Selon lui, l’accommodement raisonnable est la durée de 4 semaines prévue à l’article 13.02 D) de la convention collective.
[26] En réplique, il réaffirme que l’interprétation a contrario enlève le sens de la convention collective. L’article 13.04 est une clause de protection et l’interprétation a contrario enlève toute sa portée.
[27] L’employeur affirme que la Loi sur les normes du travail ne s’applique pas pour les vacances dans le cas d’absence de plus de 26 semaines. (Art. 79.1)
[28]
Pour l’interprétation des articles 13.04 et 13.02 D) de la convention
collective, il faut appliquer les Règles d’interprétation des articles
[29] S’appuyant sur les autorités citées, il conclut en affirmant que l’employeur a bien appliqué les dispositions des articles 13.04 et 13.02 de la convention collective et demande que le grief soit rejeté.
[30] Invoquant l’article 13.04 de la convention collective, l’employeur réduit la rémunération des vacances du plaignant à 84.82 heures selon le calcul prévu dans sa lettre du 11 avril 2013 (pièce S-3 reproduite au paragraphe [14]).
[31] Le syndicat demande d’octroyer au plaignant 4 semaines de vacances sans réduction de rémunération en alléguant que l’employeur a contrevenu aux dispositions de la convention collective de même qu’aux dispositions de la Loi sur les normes du travail et celles de la Charte des droits et libertés de la personne (grief pièce S-4 reproduit au paragraphe [2]).
[32] Le plaignant est un employé régulier possédant 14 ans d’ancienneté qui a été absent du travail 152 jours pour cause de maladie pendant l’année de référence 2012 pour les vacances 2013 (voir les admissions reproduites au paragraphe [5]).
[33] Nous devons déterminer les droits du plaignant en vertu de la convention collective en tenant compte impérativement des dispositions de la Loi sur les normes du travail et de l’interdiction de discrimination prévue à la Charte des droits et libertés de la personne dans la mesure où cela est nécessaire pour décider du grief.
[34] La convention collective prévoit :
« ARTICLE 8 ANCIENNETÉ
[…]
8.03 Un employé conserve et accumule son ancienneté dans les cas suivants :
a) […]
b) dans le cas de maladie ou d’accident autre qu’un accident du travail ou une maladie professionnelle, pour une durée n’excédant pas douze (12) mois;
[…]
ARTICLE 13 VACANCES
13.01 Aux fins du présent article, l’année de référence signifie la période de temps pendant laquelle l’employé acquiert progressivement le droit à ses vacances et cette période s’étend du premier (1 er ) janvier d’une année au 31 décembre de la même année.
13.02 Tout employé a droit, suivant la durée de son service continu au cours de l’année de référence, aux vacances annuelles déterminées ci-après et payées ainsi qu’il suit :
[…]
D) L’employé qui, à la fin de l’année de référence, a accumulé plus de sept (7) ans et moins (-) de quinze (15) ans de service continu, a droit à vingt (20) jours ouvrables de vacances payés à raison de huit pour cent (8%) du salaire gagné pendant l’année de référence.
13.03 […]
13.04 La durée des vacances n’est pas réduite dans le cas d’une ou plusieurs périodes d’invalidité pour maladie ou accident dont la durée totale n’excède pas cent vingt (120) jours ouvrables par année financière; dans un tel cas, aux fins du calcul de la rémunération de vacances, l’employé concerné est réputé avoir été au travail pendant telles périodes d’invalidité.
13.05 […]
13.06 […]
13.07 […]
13.08 Les employés doivent choisir leurs vacances avant le 15 avril de chaque année; au plus tard le 15 mai; l’EMPLOYEUR affiche la liste définitive des vacances des employés.
13.09 L’employé doit normalement prendre ses vacances entre le premier (1 er ) janvier et le 31 décembre de chaque année. »
[35] Selon l’article 13.02 D), le plaignant a droit à un congé annuel (vacances) en 2013 d’une durée de 20 jours ouvrables et à une indemnité équivalente à 8% du salaire gagné pendant l’année de référence 2012.
[36] Quelle est la conséquence de l’article 13.04 de la convention collective, qui prévoit un délai maximum de 120 jours d’absence, sur les droits du plaignant qui a été absent pour maladie 152 jours ouvrables en 2012?
[37] Pour répondre à cette question, nous soulignons d’abord le danger d’utiliser le raisonnement a contrario adopté par l’employeur. Nous sommes d’accord avec l’arbitre Me Francine Lamy lorsqu’elle écrivait dans sa sentence du 30 novembre 2011 [1] :
« Commentaires préliminaires sur l’interprétation de la convention collective
[18] Je conviens que la position patronale, tel qu’elle est construite, tire des appuis dans une approche littérale des dispositions précitées de la convention collective pour inviter le tribunal à s’y limiter afin de cerner l’intention des parties, qu’il lui faut respecter. Il est incontestable que les parties n’ont pas expressément prévu le report des congés obligatoire lors d’une absence de douze mois et moins alors qu’elles l’ont fait pour une absence qui excède une année ou lorsqu’un congé tombe un jour de repos hebdomadaire.
[19] Au cœur de cette analyse, on trouve l’argument logique d’interprétation basé sur un raisonnement a contrario . Vu l’importance de son usage dans notre affaire, il est utile de s’y attarder.
[20] Le raisonnement a contrario consiste à tirer une règle implicite du fait que la norme n’est pas expressément prévue à ce qui est stipulé. On dira que les parties n’ont pas voulu qu’une norme soit applicable dans les circonstances A si elles ont expressément prévu que la norme s’applique dans des circonstances B. En l’espèce, l’employeur tire une règle implicite - le report n’est pas permis lors d’une absence de moins d’un an - parce que les parties ont explicitement permis le report des congés obligatoires lors d’une absence de plus d’une année à la clause 19.4.
[21] L’auteur Pierre-André Côté dans son ouvrage écrit en collaboration avec Stéphane Beaulac et Mathieu Devinat, L’interprétation des Lois , 4 e édition, 2009, Les Éditions Thémis, se prononce comme suit sur la valeur de cette règle :
1252. Si le raisonnement a contrario , en particulier sous sa forme expressio uniun est exclusio alterius , est fréquemment employé, il est également l’un des arguments interprétatifs les plus sujets à caution. Les tribunaux ont, à plusieurs reprises, déclaré qu’il était un instrument peu fiable et, en pratique, c’est, comme nous le verrons, un argument qui est souvent écarté.
[22] L’affaire
Alliance des professeurs catholique de Montréal c. Labour Relations Board of
Québec,
1254. (…)
« [TRADUCTION] La généralité de la maxime « Expressum facit cessare tacitum » sur laquelle on s’est appuyé, oblige à l’appliquer avec circonspection. Il ne suffit pas que ce qui est exprimé soit une anomalie à l’égard de la règle implicite : il doit être clair qu’on ne peut raisonnablement avoir voulu que l’un et l’autre coexistent. (…) C’est souvent un auxiliaire précieux, mais un maître dangereux dans l’interprétation de lois ou de documents. L’exclusion est souvent le résultat d’une inadvertance ou d’un accident, et la maxime ne doit pas être appliquée lorsque, en l’occurrence, il en résulterait une contradiction ou une injustice ».
[23] En d’autres termes, les tribunaux reconnaissent que les rédacteurs peuvent avoir exprimé une norme d’une manière qui peut sembler précise sans par ailleurs être animé d’une volonté de limiter une disposition générale (par. 1253 de l’ouvrage précité).
[24] Les auteurs Côté, Beaulac et Devinat rapportent aussi aux paragraphes 1247 et 1248 de leur ouvrage que l’interprétation a contrario d’une disposition est très utilisée en droit statutaire, droit d’exception par apport au droit commun. En droit civil, expliquent-ils, il n’y a pas lieu de favoriser le recours à cette règle. Au contraire, l’interprétation par analogie est préconisée par la disposition préliminaire du Code civil du Québec , qui prévoit que les règles du Code s’appliquent « en toutes matières auxquelles se rapportent la lettre, l’esprit et l’objet de ses dispositions ». On reconnaît dans ce guide une approche extensive similaire à celle souvent adoptée par les arbitres pour interpréter les conventions collectives.
[25] Toujours dans cet ouvrage, ces auteurs expliquent et mettent en lumière la différence entre les trois raisonnements logiques auxquels les interprètes ont recours pour cerner l’intention réelle des parties en l’absence d’une mention expresse, comme c’est le cas en l’espèce. Leur propos est bien illustré par l’exemple du règlement municipal prévoyant que les chiens doivent être tenus en laisse dans un lieu public lorsque l’in se demande si un guépard doit aussi être en laisse ou peut circuler librement dans les mêmes lieux. Ils appliquent chacun des trois raisonnements logiques pour répondre à la question :
1246. Trois raisonnements peuvent être tenus. 1) Le guépard doit aussi être tenu en laisse puisque les raisons qui justifient l’application de la règle aux chiens (protection des personnes et des biens) justifient également son application au guépard. C’est le raisonnement par analogie, ou si l’on préfère, l’argument a pari . 2) Le guépard doit être tenu en laisse, car présentant plus de risque pour la sécurité des personnes ou des biens, il y a dans son cas plus de raison d’imposer l’usage d’une laisse que dans les cas des chiens. C’est le raisonnement a fortiori . 3) Le guépard n’a pas à être tenu en laisse puisque seuls les chiens sont visés par la règle; un guépard n’est pas un chien et donc, il peut gambader en toute liberté. C’est le raisonnement a contrario .
[26] Le résultat pour le moins étonnant auquel le raisonnement a contrario peut conduire l’interprète permet de mieux saisir la méfiance des tribunaux face à une analyse qui s’en tient essentiellement à la lettre du texte sans considérer le but poursuivi, le contexte, l’esprit dans lequel la norme est édictée ou ici, stipulée. » (pages 5, 6 et 7)
[38] En adoptant le raisonnement a contrario , il subsiste un doute puisque la convention collective que nous devons appliquer est muette sur les conséquences d’une absence de plus de 120 jours comme c’est le cas du plaignant.
[39] L’approche systémique d’interprétation suggérée par les auteurs et utilisée plus fréquemment par les arbitres laisse-t-elle subsister le même doute?
[40] Cette approche est libellée comme suit :
« VIII.5 - Il existe diverses méthodes d’interprétation, qui sont autant de façons d’aborder un problème et d’analyser une situation. Il n’y a pas lieu d’étudier chacune de ces méthodes, mais nous croyons nécessaire de rappeler que le milieu de l’arbitrage de grief a été longtemps tiraillé entre deux principales voies, à savoir la méthode téléologique (fonctionnelle) et la méthode analytique (littérale). La première consiste à cerner les sens et portée d’un texte en fonction de son objet et sa finalité puis d’en dégager, par voie logique, les effets juridiques à l’égard du seul grief dont il est saisi. La seconde méthode dite analytique entend assurer la compréhension du texte en s’en rapportant à son libellé, à sa facture, et à son contexte de façon à faire prévaloir la logique, l’uniformité et la cohérence de la rédaction de l’ensemble des composantes de l’acte. En contexte contemporain, une approche plus systémique retient l’attention des arbitres. Cette démarche repose sur un certain nombre de préalables. Ainsi, face à une disposition de la convention collective ou d’un texte législatif, l’arbitre tente d’abord d’en préciser son sens et sa portée à la lumière même de son libellé. Cette première lecture s’effectue sous l’éclairage des impératifs et de la dynamique propres aux rapports collectifs du travail. Tout en procédant à cette analyse, il doit s’assurer que le sens et la finalité retenus respectent l’économie d’ensemble de la convention collective et des dispositions légales qui lui servent de substrat. Cette démarche générale doit normalement conduire l’arbitre à s’assurer, avant de tirer toute conclusion, que l’interprétation ainsi dégagée réalise bien le but pour lequel la clause conventionnelle ou le texte législatif a été adopté. Nous devons insister sur le fait que les parties à une convention collective sont présumées être des personnes raisonnables, sensées et logiques et qui connaissent les règles de droit applicables. Cette recherche de la finalité particulière de la modalité conventionnelle litigieuse pour inciter éventuellement l’arbitre à considérer des données factuelles ou même juridiques qui expliquent l’adoption du texte tel que libellé et les circonstances de sa venue. Au terme de cette démarche globale et intégrée, l’interprète peut alors dégager d’une disposition donnée tel sens et lui prêter telle portée, compte tenu de l’ensemble des dispositions de la convention collective. Tout au long de ce développement, l’arbitre s’en rapporte à des règles d’interprétation dont la connaissance du contenu et de l’effet peut être capitale non seulement pour les parties, mais aussi pour tout arbitre de grief. » [2]
[41] À la lecture de la convention collective, nous constatons que les employés réguliers bénéficient de tous les droits et avantages qui y sont prévus (article 5.01 A)).
[42] Les autres dispositions de la convention collective qui sont reliées aux notions de congé et de maladie sont les suivantes :
- Art. 2.20 : service continu — Période pendant laquelle l’employé est au travail ou en absence autorisée en vertu d’une disposition de la convention;
- Art. 5.01 B) et C) pour la notion de prorata applicable aux employés réguliers à temps partiel et aux employés réguliers saisonniers;
- Art. 8.03 : un employé conserve et accumule son ancienneté dans les cas suivants : b) dans le cas de maladie ou d’accident autre qu’un accident du travail ou une maladie professionnelle, pour une durée n’excédant pas douze (12) mois;
- Art. 13.12 B) : L’EMPLOYEUR autorise tous les employés réguliers à prendre un minimum de deux (2) semaines de vacances durant la période comprise entre le 1 er juin et le 1 er septembre de chaque année;
- Art. 20 : CONGÉS DE MALADIE : « […] L’employé qui obtient le statut d’employé régulier en cours d’année bénéficie des jours de congé de maladie au prorata du temps effectivement travaillé dans l’année dans ce nouveau statut. »
[43] Que ce soit par l’approche systémique d’interprétation ou celle du raisonnement a contrario nous devons conclure qu’en vertu de la convention collective, puisque les parties ne l’ont pas prévu, l’article 13.04 n’est pas applicable au plaignant dont la période d’invalidité excède 120 jours.
[44] Cet article a été convenu dans le but d’accorder des droits aux salariés qui y sont prévus c’est-à-dire à ceux dont les périodes d’invalidité n’excèdent pas 120 jours ouvrables pendant l’année de référence. (Nous remarquons que les parties ont utilisé les termes « année financière » à l’article 13.04).
[45] Les Règles d’interprétation [3] suivantes d’une convention collective sont particulièrement pertinentes :
« Règle 1 : Les dispositions de la convention collective claires et précises ne souffrent pas d’interprétation.
Règle 2 : Les dispositions de la convention collective sont interdépendantes et s’expliquent dans leur ensemble.
Règle 4 : La convention collective reçoit une interprétation libérale et positive permettant la réalisation de son objet et le respect de ses dispositions selon leurs véritables fin et portée. »
[46] Par conséquent, les droits du plaignant pour ses vacances 2013 en vertu de la convention collective telle qu’elle a été signée, seraient ceux prévus à l’article 13.02 D) soient 20 jours ouvrables de vacances payés à raison de 8% du salaire gagné pendant l’année de référence.
[47] L’article 13.02 D) de la convention collective respecte-t-il la Loi sur les normes du travail ?
[48] Le plaignant possède 14 années d’ancienneté ou de service continu (art. 2.20 de la convention collective). Il a été absent du travail plus de 31 semaines.
[49] La Loi sur les normes du travail prévoit :
« Section IV — Les congés annuels payés
Art. 69. Cinq ans de service continu - Un salarié qui, à la fin d’une année de référence, justifie de cinq ans de service continu chez le même employeur, a droit à un congé annuel d’une durée minimale de trois semaines continues.
Art. 74. Indemnité afférente au congé annuel - L’indemnité afférente au congé annuel du salarié visé dans les articles 67 et 68 est égale à 4% du salaire brut du salarié durant l’année de référence. Dans le cas du salarié visé dans l’article 69, l’indemnité est égale à 6% du salaire brut du salarié durant l’année de référence .
Absence d’un salarié - Si un salarié est absent pour cause de maladie, de don d’organes ou de tissus à des fins de greffe ou d’accident, en application du premier alinéa de l’article 79.1 ou en congé de maternité ou de paternité durant l’année de référence et que cette absence a pour effet de diminuer son indemnité de congé annuel, il a alors droit à une indemnité équivalente, selon le cas, à deux ou trois fois la moyenne hebdomadaire du salaire gagné au cours de la période travaillée. Le salarié visé dans l’article 67 et dont le congé annuel est inférieur à deux semaines a droit à ce montant dans la proportion des jours de congé qu’il a accumulés.
Indemnité supérieure - Le gouvernement peut, par règlement, déterminer une indemnité supérieure à celle prévue au présent article pour un salarié en congé de maternité ou de paternité.
Indemnité maximale - Malgré les deuxième et troisième alinéas, l’indemnité de congé annuel ne doit pas excéder l’indemnité à laquelle le salarié aurait eu droit s’il n’avait pas été absent ou en congé pour un motif prévu au deuxième alinéa.
Section V.0.1 — L es absences pour cause de maladie, de don d’organes ou de tissus à des fins de greffe, d’accident ou d’acte criminel
Art. 79.1 Période maximale - Un salarié peut s’absenter du travail pendant une période d’ au plus 26 semaines sur une période de 12 mois pour cause de maladie, de don d’organes ou de tissus à des fins de greffe ou d’accident.
(Soulignements de l’arbitre)
Section IX — L’effet des normes du travail
Art. 93. Normes d’ordre public — Sous réserve d’une dérogation permise par la présente loi, les normes du travail contenues dans la présente loi et les règlements sont d’ordre public.
Dispositions nulles — Une disposition d’une convention collective ou d’un décret qui déroge à une norme du travail est nulle de nullité absolue.
Art. 94. Condition de travail plus avantageuse — Malgré l’article 93, une convention ou un décret peut avoir pour effet d’accorder à un salarié une condition de travail plus avantageuse qu’une norme prévue par la présente loi ou les règlements. »
[50] Le plaignant a été absent plus de 26 semaines. La durée de 20 jours ouvrables prévus à la convention collective est supérieure aux 3 semaines de congé prévues à la Loi sur les normes du travail . L’indemnité de 8% du salaire gagné pendant l’année de référence est également supérieure au 6% du salaire brut du salarié. Il s’agit de conditions de travail plus avantageuses qui respectent la Loi sur les normes du travail .
[51] Tel que stipulé, l’article 13.04 de la convention collective permet à un salarié dont la ou les périodes d’invalidité n’excèdent pas 120 jours ouvrables pendant la période de référence (rappelons que ce n’est pas le cas du plaignant qui a été absent pendant 152 jours) d’avoir droit à des vacances dont la durée n’est pas réduite et que pour le calcul de la rémunération de ses vacances, il est réputé avoir été au travail pendant son invalidité.
[52] Nous avons conclu que cet article, tel que rédigé et après avoir pris en considération l’ensemble de la convention collective, ne donnait pas ce droit au plaignant.
[53] Le syndicat invoque que l’employeur pose un acte discriminatoire à l’endroit du salarié. Analysons cet argument.
[54] La Charte des droits et libertés de la personne prévoit :
« Chapitre I.1 — Droit à l’égalité dans la reconnaissance et l’exercice des droits et libertés
Art.10. Discrimination interdite — Toute personne a droit à la reconnaissance et à l’exercice, en pleine égalité , des droits et libertés de la personne, sans distinction, exclusion ou préférence fondée sur la race, la couleur, le sexe, la grossesse, l’orientation sexuelle, l’état civil, l’âge sauf dans la mesure prévue par la loi, la religion, les convictions politiques, la langue, l’origine ethnique ou nationale, la condition sociale, le handicap ou l’utilisation d’un moyen pour pallier ce handicap.
Motif de discrimination — Il y a discrimination lorsqu’une telle distinction, exclusion ou préférence a pour effet de détruire ou de compromettre ce droit.
[…]
Art. 16. Non-discrimination dans l’embauche — Nul ne peut exercer de discrimination dans l’embauche, l’apprentissage, la durée de la période de probation, la formation professionnelle, la promotion, la mutation, le déplacement, la mise à pied, la suspension, le renvoi ou les conditions de travail d’une personne ainsi que dans l’établissement de catégories ou de classifications d’emploi.
Art. 20. Distinction fondée sur aptitudes non discriminatoires — Une distinction, exclusion ou préférence fondée sur les aptitudes ou qualités requises par un emploi, ou justifiée par le caractère charitable, philanthropique, religieux, politique ou éducatif d’une institution sans but lucratif ou qui est vouée exclusivement au bien-être d’un groupe ethnique est réputée non discriminatoire. »
(Soulignements de l’arbitre)
[55] La convention collective contient un article, très restrictif, sur la non-discrimination qui stipule :
« ARTICLE 23 NON-DISCRIMINATION
23.01 L’EMPLOYEUR s’engage à n’exercer aucune forme de discrimination, menace, intimidation ou représailles vis-à-vis un employé pour le seul motif que celui-ci exerce des activités syndicales légitimes.
23.02 L’EMPLOYEUR s’engage à n’exercer aucune forme de discrimination, menace intimidation ou représailles contrairement à la Loi, vis-à-vis un employé pour le seul motif que celui-ci exerce un droit reconnu par la convention ou par la Loi. »
[56] Nous sommes d’accord avec les principes qu’écrivait l’arbitre Diane Veilleux [4] le 26 novembre 2010 alors qu’elle analysait les critères d’application de la Charte dans un cas d’absence suite à une maladie :
« [70] […] La maladie constitue un handicap selon l’article 10 de la Charte tel que la Cour suprême du Canada en a décidé dans l’arrêt Québec (C.D.P.D.J.) c. Montréal (Ville) . À ce sujet, il est utile de rappeler les extraits suivants :
Ainsi, un « handicap » peut résulter aussi bien d’une limitation physique que d’une affection, d’une construction sociale, d’une perception de limitation ou d’une combinaison de tous ces facteurs.
… Même si je suis d’opinion que l’état de santé peut constituer une « handicap » et ainsi être un motif de discrimination interdit à l’art. 10 de la Charte , il n’en est pas de même pour les caractéristiques personnelles quelconques ou les affections « normales ».
[71] Dans l’arrêt CUSM c. Syndicat des employés de l’HGM et dans l’arrêt Hydro-Québec c. Syndicat des employé-e-s de techniques professionnelles et de bureau d’Hydro-Québec , la Cour suprême du Canada a reconnu qu’une personne a le droit de s’absenter du travail en raison de sa maladie sans subir de distinction, exclusion ou préférence de la part de l’employeur, à moins qu’il ne démontre que cette distinction, exclusion ou préférence constitue une exigence professionnelle justifiée selon l’article 20 de la Charte .
[72] Dans l’arrêt CUSM, six (6) juges de la Cour suprême, sous la plume de la juge Deschamps, reconnaissent ce droit à une personne salariée. Ils concluent, en l’espèce, que l’employeur a respecté son obligation d’accommodement. Par ailleurs, trois (3) juges, sous la plume de la juge Abella, sont d’avis qu’il n’y a pas de discrimination du seul fait d’une absence du travail en raison de maladie. Soulignons que la position majoritaire dans l’arrêt CUSM reconnaît le droit de s’absenter du travail en raison de maladie et impose à l’employeur une obligation d’accommodement raisonnable.
[73] Cette position est confirmée, à l’unanimité, dans l’arrêt Hydro-Québec . Compte tenu des arrêts précités, il est clairement établi que le droit de s’absenter du travail en raison de maladie découle de l’interdiction de discrimination selon l’article 10 de la Charte et qu’il revient à l’employeur de prouver que la discrimination exercée est fondée sur une exigence professionnelle justifiée selon l’article 20 de la Charte .
[74] Dans le cas présent, un salarié qui justifie douze (12) années de service chez l’employeur, comme c’est le cas pour le plaignant, a droit, s’il ne s’absente pas du travail en raison de maladie, à une indemnité de congé annuel supérieure à celle que la Loi sur les normes du travail prévoit. S’il s’absente en raison de maladie, il a droit à l’indemnité minimale prévue à la loi lorsque, par l’effet de son absence, l’indemnité de congé annuel prévue à la convention collective est inférieure à celle établie par la loi. La distinction imposée en raison de l’absence pour maladie constitue donc une discrimination selon l’article 10 de la Charte . En l’occurrence le plaignant se trouve à subir une diminution de son indemnité de congé annuel en raison de la maladie qui l’a empêché de travailler vingt (20) semaines durant la période de référence.
[75] La question est de savoir si la discrimination subie par le plaignant est fondée sur une exigence professionnelle justifiée selon l’article 20 de la Charte . Les éléments composant une exigence professionnelle justifiée ont été étables par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt C.-B. (P.S. Empl. Rel. Comm.) c. BCGSEU , appelé arrêt Meiorin . Ces éléments sont prévus au paragraphe 54 de l’arrêt :
L’employeur peut justifier la norme contestée en établissant selon la prépondérance des probabilités :
(1) qu’il a adopté la norme dans un but rationnellement lié à l’exécution du travail en cause;
(2) (2) qu’il a adopté la norme particulière en croyant sincèrement qu’elle était nécessaire pour réaliser ce but légitime lié au travail;
(3) (3) que la norme est raisonnablement nécessaire pour réaliser ce but légitime lié au travail. Pour prouver que la norme est raisonnablement nécessaire, il faut démontrer qu’il est impossible de composer avec les employés qui ont les mêmes caractéristiques que le demandeur sans que l’employeur subisse une contrainte excessive.
[76] Le premier critère est de toute évidence respecté. L’indemnité de congé annuel vise à rémunérer le salarié pendant la durée de son congé annuel. Quant au deuxième critère, il ne fait aucun doute que l’Employeur a adopté la norme en toute bonne foi.
[77] Il reste à déterminer si la norme adoptée
est conforme au troisième critère. À ce stade, il revient à l’Employeur de
prouver qu’il a respecté l’obligation d’accommodement jusqu’à contrainte excessive.
Rappelons que la convention collective ne prévoit pas d’accommodement
relativement à l’indemnité de congé annuel d’un salarié qui s’est absenté du
travail en raison de maladie. Reste à savoir si en appliquant la norme minimale
prévue au 2
e
alinéa de l’article
[57] Pour les motifs que nous avons expliqués précédemment, en vertu de la convention collective telle que rédigée, le plaignant aurait droit pour ses vacances 2013 à 20 jours ouvrables payés à raison de 8% du salaire gagné pendant 2012 (art. 13.02 D).
[58] Parce qu’il a été absent du travail pour cause de maladie 152 jours en 2012, l’employeur prétend qu’il n’a pas droit aux vacances selon la durée et la rémunération plus avantageuses établies à l’article 13.04 qui prévoit un délai maximal de 120 jours d’absence.
[59] Ce faisant, l’employeur exerce de la discrimination interdite envers le plaignant en lui imposant une condition de travail inégale (moins avantageuse) résultante de sa maladie. Le plaignant se trouve à subir une diminution de son indemnité de congé annuel en raison de la maladie qui l’a empêché de travailler plus de 120 jours durant la période de référence.
[60] Nous remarquons que le plaignant a conservé et accumulé son ancienneté pendant sa maladie en vertu de l’article 8.03 b) de la convention collective qui prévoit :
« 8.03 Un employé conserve et accumule son ancienneté dans les cas suivants :
a)
b) dans le cas de maladie ou d’accident autre qu’un accident du travail ou une maladie professionnelle, pour une durée n’excédant pas douze (12) mois; »
[61] Les faits ont été prouvés par admissions (voir paragraphe [5]). Il n’y a pas de preuve que la distinction ou l’exclusion imposées au plaignant constituent une exigence professionnelle justifiée par l’article 20 de la Charte ni que l’employeur a respecté son obligation d’accommodement raisonnable jusqu’à contrainte excessive.
[62] En conséquence, le plaignant doit bénéficier de la condition de travail prévue à l’article 13.04 de la convention collective pour que la durée (20 jours ouvrables) de ses vacances 2013 ne soit pas réduite et qu’aux fins du calcul de la rémunération (8%) de ses vacances, il soit réputé avoir été au travail pendant les 152 jours d’absence pour cause de maladie au cours de l’année de référence 2012.
[63] Cette condition de travail respecte la Loi sur les normes du travail et la Charte des droits et libertés de la personne .
CONCLUSIONS
[64] POUR CES MOTIFS, L’ARBITRE :
[65] REJETTE l’objection préliminaire de l’employeur;
[66] DÉCLARE que la durée et l’indemnité de vacances du plaignant pour 2013 sont celles prévues aux articles 13.02 D) et 13.04 de la convention collective;
[67]
ORDONNE à l’employeur de payer au salarié le montant qui lui est dû avec
intérêts et indemnité conformément à l’article
[68] CONSERVE juridiction si nécessaire.
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__________________________________ Me Carol Girard, c.r. Arbitre de grief
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Pour le syndicat : |
Monsieur Pierre-Marc Fiset, CRIA Conseiller syndical F.I.S.A. |
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Pour l’employeur : |
Me Claude Gaudreault Gaudreault, Saucier, Simard, S.E.N.C. |
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Date d’audience : |
3 juillet 2014 |
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ANNEXE
LISTE DES PIÈCES DU SYNDICAT
S-1 Convention collective;
S-2 Lettre du salarié du 11 mars 2013 (remis le même jour à l’employeur);
S-3 Lettre de la directrice générale de l’employeur du 11 avril 2013;
S-4 Grief.
LISTE DES AUTORITÉS DE L’EMPLOYEUR
SUR L’OBJECTION PRÉLIMINAIRE
1.
Groupes Pages Jaunes
c.
Me Denis Nadeau
et
Syndicat
des employées et employés professionnels-les et du bureau, section locale 574,
SEPB-COPE, CTC-FTQ
,
2. Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier, section locale 139 et Abitibi-Consolidated inc., division Laurentide , 2006 CanLII 35057, 12 octobre 2006, Me Diane Fortier, arbitre.
SUR LE FOND
3.
Syndicat des employés de Sico Longueuil (CSN)
et
Sico
inc.
,
4.
Provigo Distribution inc.
c.
Me Alain Corriveau
et
Travailleurs et travailleuses unis de l’alimentation et du commerce,
section locale 500
,
LISTE DES AUTORITÉS DU SYNDICAT
SUR L’OBJECTION PRÉLIMINAIRE
1. Fernand MORIN et Rodrigue BLOUIN, Droit de l’arbitrage de grief , 6 e édition, Les Éditions Yvon Blais, pages 177 et 178, 336 et 337.
2. Centre de santé et des services sociaux de la Basse-Côte-Nord et Syndicat des travailleurs et travailleuses du CSSS de la Basse-Côte-Nord-CSN , 2014 CAnLII 5875, 10 février 2014, M. René Beaupré, CRIA.
3. Association des pompiers et pompières de Gatineau et Ville de Gatineau , 2004 CanLII 55113, 3 janvier 2004, Me Richard Guay, arbitre.
4. Le Syndicat des professeures et professeurs de l’Université de Sherbrooke (SPPUS) et L’Université de Sherbrooke , 2014 CanLII 22797, 14 avril 2014, Me Maureen Flynn, arbitre.
5. Syndicat des employées et employés professionnels-les et de bureau, section locale 578 et Commission scolaire Marie-Victorin , 2013 CanLII 21301, 29 mars 2013, Me Richard Guay, arbitre.
6. Syndicat des professeurs de l’État du Québec et Gouvernement du Québec (Institut d’hôtellerie et de tourisme du Québec) , 2013 CanLII 83758, 18 novembre 2013, Me Pierre St-Arnaud, arbitre.
SUR LE FOND
1. Fernand MORIN et Rodrigue BLOUIN, Droit de l’arbitrage de grief , 6 e édition, Les Éditions Yvon Blais, pages 497 à 499, 506 à 508, 518 et 519, 524 à 526.
2.
Syndicat des employés de Sico Longueuil (CSN)
et
Sico
inc.
,
3.
Fraternité des policiers et policières de l’Assomption
et
Ville de l’Assomption
,
4. Syndicat des employés de Filochrome inc. (CSN) et Filochrome inc. 2010 CanLII 70681, 26 novembre 2010, Me Diane Veilleux, arbitre.
5.
Ville de Montréal et Communauté urbaine de Montréal
c.
Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse
et
Réjeanne
Mercier
et
Ville de Boisbriand et Communauté urbaine de Montréal
c.
Commission
des droits de la personne et des droits de la jeunesse
et
Palmerino
Troilo
,
6. Centre universitaire de santé McGill (Hôpital général de Montréal) c. Syndicat des employés de l’Hôpital général de Montréal et Jean Sexton , ès qualité d’arbitre de griefs et Ontario Netword of Injured Workers Groups , 2007 CSC4, 26 janvier 2007, La juge en chef McLachlin et les juges Bastarache, Binnie, LeBel, Deschamps, Fish, Abella, Charron et Rothstein.
7.
Hydro-Québec
c.
Syndicat des employé-e-s de
techniques professionnelles et de bureau d’Hydro-Québec, section locale 2000 (SCFP-FTQ)
,
8. Le British Columbia Government and Service Employees’ Union c. Le gouvernement de la province de la Colombie-Britannique, représenté par la Public Service Employee Relations Commission et La British Columbia Human Rights Commission, le Fonds d’actions et d’éducation juridiques pour les femmes, le Réseau d’action des femmes handicapées du Canada et le Congrès du travail du Canada , 1999 Can LII 653 (CSC), 9 septembre 1999, Le juge en chef Lamer et les juges l’Heureux-Dubé, Gonthier, Cory, McLachliln, Iacobucci, Major, Bastarache et Binnie.
[1]
Fraternité des policiers et policières de l’Assomption
et
Ville
de l’Assomption
,
[2] Rodrigue BLOUIN et Fernand MORIN avec la collaboration de Jean-Yves BRIÈRE et Jean-Pierre VILLAGGI, Droit de l’arbitrage de grief, 6 ième édition , Les éditions Yvon Blais, au par. VIII.5 page 472.
[3] Rodrigue BLOUIN et Fernand MORIN avec la collaboration de Jean-Yves BRIÈRE et Jean-Pierre VILLAGGI, Droit de l’arbitrage de grief, 6 ième édition , Les éditions Yvon Blais, chapitre 3, pages 497 et suivantes.
[4] Syndicat des employés de Filochrome inc. (CSN) et Filochrome inc. 2010 CanLII 70681, 26 novembre 2010, Me Diane Veilleux, arbitre.