COMMISSION DES RELATIONS DU TRAVAIL

(Division de la construction et de la qualification professionnelle)

 

Dossier :

#r

Cas :

CQ-2011-2554

 

Référence :

2014 QCCRT 0483

 

Québec, le

5 septembre 2014

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DEVANT LA COMMISSAIRE :

Kim Legault, juge administratif

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C.S.N. - Construction

Plaignante

c.

 

C.E.R.

et

 

Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec (FTQ-Construction)

Intimées

 

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DÉCISION INTERLOCUTOIRE

______________________________________________________________________

 

 

[1]           Le 9 mai 2011, la plaignante, CSN-Construction (le Syndicat ), dépose une plainte en vertu de l’article 101 et suivants de la Loi sur les relations du travail, la formation professionnelle et la gestion de la main-d’œuvre dans l’industrie de la construction , RLRQ, c. R-20 ( Loi R-20 ). Elle reproche à C.E.R. (l’ employeur) de faire preuve de discrimination à l’endroit de ses membres dans le cadre des travaux de construction en cours au parc éolien Le Plateau en Gaspésie.

[2]           La plainte allègue que malgré ses promesses répétées de remédier à la situation lors de futures embauches, l’employeur refuse toujours d’engager des travailleurs membres du Syndicat bien que des listes de disponibilités lui soient transmises pendant les périodes de recrutement.   

[3]           Le 31 octobre 2011, CSN-Construction amende sa plainte. Elle ajoute à sa plainte initiale des allégations accusant la FTQ - Construction d’exercer des pressions auprès de l’employeur pour l’inciter à adopter un comportement discriminatoire à l’endroit de ses membres. En conséquence, elle réclame aussi des dommages-intérêts de la FTQ-Construction.

[4]           La plainte amendée se présente comme suit :

Depuis le mois de juin 2010, M. Alain Bédard, de la CSN Construction, effectue différentes démarches et achemine des listes de travailleurs disponibles en juin et juillet 2010 auprès de CER qui est un consortium de 3 entreprises. Certains salariés de la CSN ont même été contactés par M. Roberto Perron, contremaître de CER, qui a confirmé leur embauche. Il devait les rappeler quelques jours plus tard, ce qui ne s’est jamais produit.

En novembre 2010, M. Alain Bédard va au chantier pour faire un constat des travailleurs présents, ce qui révèle que la quasi-totalité des salariés sont membres de la FTQ Construction sauf quelques syndiqués Inter et un seul CSN. Il tente de parler à Norbert Morency, qui est en charge de l’embauche et supérieur de M. Roberto Perron. Voyant qu’il n’a pas de retour d’appel, il contacte M. Denis Létourneau de CER qu’il connaît et lui mentionne qu’il est convaincu qu’il y a discrimination dans l’embauche et qu’il envisage de faire une plainte de discrimination. Quelques jours plus tard, M. Norbert Morency le recontacte et s’engage de façon formelle à engager au printemps 2011 des travailleurs CSN en priorité.

M. Morency précise qu’il ne peut agir immédiatement parce qu’il est dans une période de mise à pied et non d’embauche.

Le 9 et 10 février 2011, j’ai fait parvenir par fax à plusieurs personnes responsables de la cie CER (LFG-EBC-TCI), plusieurs fax, les informant que j’avais des travailleurs disponibles comme des manœuvres spécialisés, des arpenteurs, des aides-monteur, opérateurs, des conducteurs de camion et des menuisiers, sans aucun retour d’appel. J’ai communiqué à plusieurs reprises avec M. Norbert Morency qui me reportait l’embauche me disant qu’il était dans le déneigement des chemins et qu’il avait embauché les mêmes personnes que l’année dernière. Le 2 mai dernier en avant-midi, je me suis présentée sur le chantier des éoliennes du Plateau, j’ai rencontré dans un premier temps Pierre Beauchamp dans son bureau et après plusieurs demandes de ma part, il m’a remis une liste de travailleurs sur le chantier et j’ai constaté que seulement (1) CSN, (4) Inter et (54) FTQ étaient sur cette liste. Je lui demande de remédier à la situation et de faire l’embauche de travailleurs CSN. Il m’informe qu’il ne fera pas de mise à pied pour permettre d’embaucher des CSN. Cela je le comprends très bien et je l’informe que je vais faire une plainte pour discrimination et que je vais faire intervenir la CCQ pour vérifier le chantier.

La FTQ Construction est poursuivie pour les agissements des représentants des différents locaux qui exercent auprès de l’employeur CER un système de discrimination qui consiste à faire des pressions,  menaces ou autres gestes de même nature de façon à priver CER de son droit d’embauche, situation qui brime les salariés membres de la CSN Construction. L’employeur accepte ce système ou néglige de s’y opposer et contribue, par cette acceptation ou négligence, à discriminer les salariés membres de la CSN quant à leur droit d’appartenir à l’association syndicale de leur choix. CER et la FTQ Construction sont solidairement responsables des dommages moraux et exemplaires occasionnés à la CSN et à ses membres. Le plaignant entend démontrer que le système de la FTQ Construction découle des agissements des représentants des divers locaux.

La CSN entend démontrer que des actes similaires existent, tant avant qu’après la plainte et démontrent que le système mis en place existe. D’ailleurs, le plaignant invoque la fermeture du chantier de CER intervenue les 24 et 25 octobre 2011 par la FTQ Construction, fermeture qui a privé les quelques travailleurs membres de la CSN de leur salaire, le tout avec l’acceptation ou la négligence de CER d’intervenir pour faire cesser ces agissements. Cette fermeture de la FTQ Construction vise à conserver le système discriminatoire quant au placement et à s’opposer au projet de Loi 33.

CER est solidairement responsable de cette fermeture concertée par la FTQ Construction des 24 et 25 octobre 2011.

SECTION III : SOLUTION RECHERCHÉE

Ces agissements sont gravement répréhensibles puisqu’ils vont à l’encontre d’un droit fondamental prévu à la Loi, soit celui du droit d’appartenir à l’association représentative de son choix.

Les faits et gestes reprochés à l’employeur, soient M. Norbert Morency et M. Pierre Beauchamp, sont tout  fait contraires à la Loi R-20, entre autres aux articles 97-100-101 et 103 de cette loi.

Nous demandons l’embauche des travailleurs et aussi de la récupération des salaires perdus.

Aussi de faire en sorte que la loi soit respectés par cet employeur et nous demandons des dommages exemplaires et moraux pour la CSN .

CONDAMNER solidairement la FTQ Construction et CER à payer les salaires perdus par les travailleurs membres de la CSN pour la période débutant quinze (15) jours avant la plante du 9 mai 2011 et ce, de façon continue jusqu’à ce jour et tant que la situation ne sera pas corrigée.

CONDAMNER solidairement l’employeur CER et la FTQ Construction à une somme de 50 000 $ de dommages moraux et 50 000 $ de dommages exemplaires en faveur de la CSN.

(reproduit tel quel)

[5]           Après consultation des parties, la Commission détermine que la durée de l’audience sera d’approximativement huit jours et que les deux premiers jours, fixés les 12 et 13 septembre 2012, seront consacrés à la présentation des moyens préliminaires.

[6]           À l’audience, le 12 septembre, l’employeur et la FTQ-Construction demandent que la Commission suspende sa décision sur ces moyens dans l’attente des décisions qui seront rendues par la Commission dans les dossiers Harold Richard c . FTQ-Construction , 2013 QCCRT 0161 et CSN-Construction c . Construction Sorel , QCCRT 2012 0264 (CRT 1) puisque certains sont communs à ceux présentés dans ces instances.

[7]           Certains de ces moyens touchant à la recevabilité du recours, ils font valoir aussi qu’il conviendrait que la Commission en décide avant d’entendre le fond, le cas échéant. 

[8]           Aussi, ils demandent que les dates fixées pour le reste de l’audience soient reportées à des dates à être déterminées lorsque cette décision sera rendue.

[9]           L’affaire Harold Richard est alors en délibéré. Quant à l’affaire Construction Sorel , la décision de la Commission a été portée en révision judiciaire par l’employeur et en révision interne par la FTQ-Construction.

[10]         En conséquence, séance tenante, la Commission :

-        Reporte l’audience du fond du recours, et

-        Suspend son délibéré sur les moyens préliminaires jusqu’à ce que la décision dans les dossiers Harold Richard et Construction Sorel soit rendue. 

[11]         Les moyens préliminaires soulevés par les intimées sont les suivants :

a)        Le recours est prescrit puisqu’il a été intenté le 9 mai 2011, soit plus de 15 jours après les faits à l’origine de la plainte;

b)        La plainte amendée, le 31 octobre 2011, constitue une toute nouvelle demande. Elle est prescrite puisque déposée plus de cinq mois après la connaissance des faits à l’origine de la plainte initiale;

c)        Il n’y a aucun lien de droit entre la FTQ-Construction et ses locaux affiliés lesquels sont responsables de la fermeture du chantier les 24 et 25 octobre 2011;

d)        La CSN-Construction, en tant que personne morale, n’est pas une personne visée par l’article 101 de la Loi R-20 car une association de salariés ne peut invoquer le droit à la liberté syndicale telle que définie à l’article 94 de cette loi. Le recours prévu à l’article 105 de cette loi est un véhicule procédural ouvert uniquement au salarié puisque seule une personne physique peut invoquer le droit à la liberté syndicale. C’est ce qui a été décidé par la Commission dans l’affaire Construction Sorel évoquée ci-dessus.

e)        La CSN-Construction plaide pour autrui et ne peut donc réclamer compensation pour les salariés lésés;

f)         La CSN-Construction veut mettre en preuve des faits antérieurs et postérieurs aux évènements survenus au parc d’éoliennes Le Plateau. Cette preuve concerne d’autres chantiers, d’autres travailleurs et d’autres employeurs. De plus, elle vise à démontrer l’existence d’un système, un « pattern », une propension de la FTQ-Construction à user d’intimidation. Cette preuve est irrecevable. Si admissible, elle est non pertinente ou sans réelle valeur probante. Elle obligerait l’employeur à faire une contre-preuve alors qu’il n’est pas partie à ces chantiers et que cette démarche impliquerait un effort disproportionné compte tenu du peu de valeur probante de la preuve en demande. Une saine administration de la justice commande que la preuve de faits similaires antérieurs ou postérieurs à ceux à l’origine de la plainte soit déclarée irrecevable.

[12]         En réponse à ces arguments, la plaignante réplique essentiellement ce qui suit :

a)        Le moyen fondé sur la prescription pose une question mixte de droit et de faits. La Commission doit entendre la preuve pour être en mesure de décider de ce moyen. Pour ce motif, un argument de prescription ne peut se décider de façon préliminaire. De plus, elle fait valoir que le refus d’embauche de l’employeur est continu. Avant le 9 mai 2011, date de la plainte initiale, les informations qu’elle détient ne permettent que des soupçons. Pour faire un constat officiel de discrimination, l’employeur doit être en période d’embauche. La notion de grief continu trouve ici application.

b)        Quant à l’amendement de la plainte le 31 octobre 2011, elle fait valoir qu’en vertu de l’article 2900 du Code civil du Québec, l’interruption de la prescription de la plainte contre l’employeur interrompt la prescription de la plainte contre la FTQ-Construction parce que ces deux parties ont commis des fautes contributoires et qu’elles sont donc solidairement responsables du préjudice causé à la plaignante.    

c)        Le lien de droit entre la FTQ-Construction et les agents d’affaire de ses différents locaux affiliés existe. Plusieurs arbitres en sont arrivés à cette conclusion. La Commission aura à se prononcer à ce sujet dans l’affaire Harold Richard .

d)        La preuve de faits similaires, antérieurs ou postérieurs à ceux invoqués dans la plainte, est admissible. Sa pertinence et sa force probante seront déterminées par la Commission lors de son analyse du mérite de la plainte. Plusieurs arbitres en sont arrivés à cette conclusion. La Commission aura à se prononcer à ce sujet dans l’affaire Harold Richard .

e)        La Loi R-20 permet que la plaignante dépose au nom de l’ensemble des travailleurs brimés par les comportements de l’employeur et de la FTQ-Construction une plainte « collective ». Elle ne plaide donc pas pour autrui et peut réclamer au nom de ses membres des dommages-intérêts.

f)         Le recours prévu à l’article 105 de la Loi R-20 n’a pas à être intenté par le travailleur lui-même puisque le syndicat est subrogé dans ses droits par l’effet automatique de l’article 110 al. 2 de cette loi.

g)        Au soutien de leur prétention que le recours de l’article 105 de la Loi R-20 n’est pas ouvert au syndicat, les intimées s’appuient sur la décision de la Commission dans l’affaire Construction Sorel. Or, cette dernière fait l’objet d’une demande de révision interne par la plaignante. Tant que la Commission n’aura pas rejeté cette demande ou rendu une nouvelle décision sur le fond, le cas échéant, la décision rendue le 5 juin 2012 (CRT 1) n’a pas l’effet de la chose jugée. D’où la demande de suspension du délibéré formulée en début d’audience.

LE Dossier Construction Sorel

[13]        Le 10 décembre 2012, la Commission faisait droit à la demande de révision interne déposée par le Syndicat (QCCRT 0564). Elle révoquait les paragraphes 47 à 53 de la décision du 5 juin 2012 (CRT 1) et retournait « le dossier au greffe pour qu’il soit assigné à un autre commissaire pour la tenue d’une audience sur le fond ».

[14]        Ces paragraphes sont ceux que les intimées invoquent ici pour soutenir leurs prétentions voulant que le recours prévu à l’article 105 ne soit pas ouvert au Syndicat en l’instance.

[15]        La nouvelle décision (CRT 2) devait donc se limiter à répondre à cette question.

[16]        Selon le Syndicat, la lecture de l’article 110 al. 2 de la Loi R-20 commande une réponse affirmative à cette question. Cet article se lit comme suit :

Toute association de salariés peut exercer, à l'égard des sujets mentionnés au deuxième alinéa de l'article 61 ou à l'article 62, les recours que la convention collective accorde à chacun des salariés qu'elle représente, sans avoir à justifier d'une cession de créance de l'intéressé.

Il en est de même au regard des plaintes visées à l'article 105.

[17]        Par jugement rendu le 5 septembre 2012, la Cour supérieure ordonne le sursis des procédures en révision interne de la décision CRT 1 dans l’attente du jugement à intervenir sur la requête en révision judiciaire dans le même dossier.

[18]        Cette procédure concerne la compétence de la Commission à interpréter les dispositions de la convention collective. Elle est donc sans incidence sur la présente décision.

[19]        Le 9 septembre 2013, la cour supérieure rejette la requête en révision judiciaire. L’ordonnance de sursis des procédures en révision interne devant la Commission est donc levée.

[20]        Le 12 décembre 2013, au moment de fixer une nouvelle date d’audience pour la suite des procédures en révision interne de la décision CRT 1, le Syndicat informe la Commission qu’il n’a plus d’intérêt à poursuivre le dossier étant donné que les travaux de construction visés par la plainte sont alors terminés. La Commission ferme son dossier sans rendre une nouvelle décision malgré la révocation partielle de la décision CRT 1.

[21]        Vu ce qui précède, la question tranchée aux paragraphes 47 à 53 de CRT 1 demeure ouverte puisqu’aucune nouvelle décision de la Commission n’est venue les remplacer.    

[22]        Rappelons brièvement les faits de cette affaire. Les représentants de la CSN-Construction se sont vus interdire l’accès à une réunion d’assignation de travaux à laquelle ils avaient été convoqués par différents employeurs. Or, ces derniers admettaient qu’ils refusaient à ces représentants l’accès aux réunions parce qu’ils avaient reçus des menaces de représailles d’une association de travailleurs rivale, en l’occurence la FTQ-Construction, par le biais des agents d’affaires de ses locaux affiliés.

[23]        La question posée par la Commission était la suivante : un syndicat qui est empêché d’exercer ses activités corporatives en raison des gestes d’intimidation posés par les représentants d’une association rivale dispose-t-il du recours prévu à l’article 105 pour faire respecter ses droits?

Le dossier Harold Richard

[24]        Le 27 mars 2013, la Commission rendait sa décision dans l’affaire Harold Richard.

[25]        Elle décide notamment :

-     que la preuve des faits antérieurs et postérieurs aux faits à l’origine de la plainte est recevable si elle vise à établir l’existence d’un système d’intimidation et de discrimination; et

-     que la FTQ-Construction est responsable des dommages causés par les actes répréhensibles et fautifs de ses locaux affiliés ou de leurs agents d’affaires lorsque ces actes ont été portés à sa connaissance ou posés avec son approbation.

[26]        Cette décision est contestée devant la Cour supérieure uniquement sur la question des liens juridiques entre la FTQ-Construction et ses locaux affiliés. Sur tous les autres points en litige, dont les objections à la preuve de faits antérieurs ou postérieurs aux faits à l’origine de la plainte visant à démontrer l’existence d’un système d’intimidation et de discrimination, la décision de la Commission acquière l’autorité de la chose jugée.

[27]        Par jugement rendu le 12 mars 2014, la Cour supérieure rejette la requête en révision judiciaire. Elle écrit au sujet des liens juridiques entre la FTQ-Construction et ses locaux affiliés ce qui suit :

[49]      (…) S’appuyant sur deux décisions rendues par les arbitres Me Bruno Leclerc […] et Me Léonce-E. Roy […] , la CRT conclut que l’association représentative peut être poursuivie, tout autant que les agents d’affaires ou les locaux.

[50]      Cette jurisprudence précise aussi que l’association représentative peut être tenue responsable des gestes posés par ses membres. Soulignons qu’en l’instance, les agents d’affaires Gauthier et Bezeau sont membres de la FTQ-Construction qui est leur association représentative conformément à la Loi R-20.

[51]      Bref, le Tribunal estime que les conclusions de la Décision font partie des issues acceptables en regard des faits et du droit.

[28]        Le 30 avril 2014, la Cour d’appel refuse la permission d’appeler de ce jugement.

Fin du délibéré sur les moyens préliminaires

[29]        En prévision de la mise au rôle de l’audience sur le fond de la plainte, le Syndicat avise la Commission, le 18 mars 2014, qu’il renonce à présenter une preuve sur l’existence d’un système d’intimidation au parc d’éoliennes Le Plateau :

Nous vous indiquions que de façon à limiter le débat, nous nous en tiendrons à des situations vécues par des salariés au chantier de C.E.R. sans déborder du chantier. Nous avions évoqué la possibilité de faire témoigner des entrepreneurs qui ont vécu des situations avec les mêmes agents d’affaires sur d’autres chantiers. Nous ne présenterons pas cette preuve finalement. Ceci permettra de restreindre le débat et la durée.

[30]        Les moyens de se pourvoir à l’encontre des décisions Harold Richard et Construction Sorel étant épuisés, il y a lieu maintenant de décider des moyens préliminaires présentés par les intimées en début d’instance.

Les motifs

A)        Sur la prescription du recours contre l’employeur

[31]        La Commission rejette la requête en irrecevabilité fondée sur ce moyen pour les motifs plaidés par la plaignante. Elle est d’avis que pour décider si la plaignante a respecté le délai de 15 jours pour exercer son recours, il faut d’abord que les faits allégés dans la plainte soient mis en preuve.

[32]        Devant les explications de l’employeur justifiant ses embauches passées et ses promesses de remédier à l’absence d’embauches de travailleurs CSN-Construction, le Syndicat devait attendre une période de recrutement pour vérifier si l’employeur respecterait ou non ses engagements.

[33]        La prescription n’est généralement pas une question qui peut se décider de façon préliminaire. La doctrine et la jurisprudence sont unanimes à ce sujet. En l’espèce, il y a lieu de prendre l’objection sous réserve d’autant plus que ce moyen, s’il est retenu, justifierait le rejet de la plainte à l’encontre des deux intimées. En effet, vu la date de l’amendement et l’absence d’allégations de faits concomitants justifiant le retard à porter plainte contre la FTQ-Construction, le recours contre cette intimée sera aussi rejeté au cas de prescription de la plainte contre l’employeur puisqu’il ne repose que sur un argument de solidarité dans un contexte de fautes contributoires.

[34]         La prudence est donc ici de mise.

B)        sur la prescription du recours contre la FTQ-Construction

[35]        La plaignante fait valoir que la plainte contre l’employeur a été déposée en temps utile et que le dépôt de cette plainte a interrompu la prescription du recours contre la FTQ-Construction. Cette dernière plaide que l’amendement transforme totalement le recours et qu’il s’agit en fait d’une toute nouvelle demande.

[36]        La Commission ne partage pas cet avis. Le comportement de l’employeur est toujours en cause. L’amendement ne fait qu’énoncer que ce comportement serait le résultat de pressions exercées par la FTQ-Construction.

[37]        Si la preuve démontre en effet que la plainte contre l’employeur n’est pas tardive et que l’employeur, sous la dictée ou les pressions de la FTQ-Construction, a adopté des comportements discriminatoires contre les membres de la plaignante en raison de leur allégeance syndicale, il y aurait faute contributoire de leur part et, aux termes de l’article 2900 du Code civil de Québec, l’interruption de la prescription contre l’employeur vaudrait contre la FTQ-Construction.

[38]        Il n’y a donc pas lieu de rejeter préliminairement la plainte contre la FTQ-Construction au motif de prescription.

C)        Sur les liens juridiques entre la FTQ-Construction et ses locaux affiliés

[39]        Vu les conclusions du jugement de la Cour supérieure précité au paragraphe 27 ci-dessus, il n’y a pas lieu d’élaborer davantage sur ce moyen.

[40]        La Commission rejette le moyen préliminaire fondé sur l’absence de liens juridiques entre la FTQ-Construction et ses locaux affiliés.

D)        Sur la preuve de faits similaires ou de l’existence d’un système de discrimination et d’intimidation

[41]        Il n’y a pas lieu de rendre une décision à ce sujet étant donné que la plaignante a renoncé à mettre en preuve de tels faits.

E)        Sur le droit du Syndicat de réclamer au nom de ses membres des dommages-intérêts

[42]        La Commission ne retient pas ce moyen. Les articles 105, 107 et 110 de la Loi R-20 prévoient expressément le contraire. Ces articles parlent d’eux-mêmes et se lisent comme suit :

105.  Une personne intéressée peut soumettre à la Commission des relations du travail une plainte portant sur l'application des dispositions du présent chapitre dans les 15 jours qui suivent la date à laquelle a eu lieu le fait ou la connaissance du fait dont elle se plaint.

[…]

107.  Les dispositions du Code du travail (chapitre C-27) qui sont applicables à un recours relatif à l'exercice par un salarié d'un droit lui résultant de ce code s'appliquent, compte tenu des adaptations nécessaires, au regard d'une plainte soumise à la Commission des relations du travail en vertu de l'article 105 de la présente loi.

L'ordonnance de versement d'une indemnité visée au paragraphe a de l'article 15 du Code du travail peut aussi s'appliquer à toute personne ou association autre que l'employeur. La Commission des relations du travail peut aussi ordonner le paiement de dommages-intérêts punitifs par les personnes ou associations qui auraient contrevenu à une disposition du présent chapitre, ordonner à une association représentative ou de salariés de réintégrer un salarié dans ses rangs avec le maintien des avantages dont il a été privé illégalement et rendre toute autre ordonnance qu'elle estime appropriée.

[…]

110.  Toute association de salariés peut exercer, à l'égard des sujets mentionnés au deuxième alinéa de l'article 61 ou à l'article 62, les recours que la convention collective accorde à chacun des salariés qu'elle représente, sans avoir à justifier d'une cession de créance de l'intéressé.

Il en est de même au regard des plaintes visées à l'article 105.

F)        Sur le droit du Syndicat de déposer un recours en vertu de l’article 105 de la Loi R-20 au nom de plusieurs de ses membres

[43]         S’appuyant sur la décision CSN-Construction c. Construction Sorel et al ( CRT 1 ), la FTQ-Construction fait valoir qu’un syndicat ne dispose pas du recours prévu à l’article 105 de la Loi R-20 puisque ce recours appartient uniquement aux travailleurs. Le syndicat n’étant pas une personne physique, il ne peut se plaindre d’avoir été empêché d’exercer sa liberté syndicale par l’employeur ou par une association rivale. Les paragraphes pertinents de cette décision se lisaient, avant leur révocation, comme suit :

[47]      Comme nous l’avons décidé ci-dessus, la discrimination des entrepreneurs à l’endroit de la CSN-Construction donne ouverture à un recours en vertu de la Loi R-20 parce que l’article 100 vise les cas ou un employeur cherche à entraver «  les activités d’une association de salariés  ». Les tentatives d’entraves commises par une association de salariés à l’encontre d’une autre association de salariés toutefois ne sont pas visées par cet article.

[48]      L’article 101 al. 4, quant à lui, vise les cas d’intimidation exercée par « une association » sur un tiers (l’entrepreneur) pour l’inciter à adopter des comportements prohibés contre une personne (un salarié). L’article ajoute toutefois que ces comportements sont ceux qui sont prohibés par le premier alinéa de l’article 101.

[49]      Or, cet article vise uniquement les comportements d’une personne «  ayant pour but ou pour effet de porter atteinte à la liberté syndicale  » d’une personne  de la pénaliser en raison de son choix ou de son adhésion syndicale , de la contraindre à devenir membre, à s’abstenir de devenir membre d’une association ou du bureau d’une association, de la pénaliser pour avoir exercé un droit lui résultant de la présente loi ou de l’inciter à renoncer à l’exercice d’un tel droit . »

(….)

[52]      Quoi qu’il en soit, il y a lieu de constater que la CSN-Construction n’est pas une personne au sens du premier ou du quatrième alinéa de l’article 101 de la Loi R-20 et que sa demande à l’encontre de la FTQ-Construction et l’International ne peut être fondée sur un des comportements prohibés à ces alinéas. En conséquence, le véhicule procédural pour sanctionner le comportement de ces associations en l’espèce n’est pas la plainte en vertu de l’article 105.

[53]      L’article 105 prévoit un recours auprès de la Commission uniquement lorsque la plainte est fondée sur les dispositions du chapitre V de la loi.

[44]         Notons que dans l’affaire Sorel le syndicat tentait de faire valoir son droit à être présent aux conférences d’assignation des travaux. Les travailleurs à qui on interdisait l’accès à ces réunions y étaient convoqués à titre de représentants du syndicat et non en tant que membres du syndicat.

[45]         Aussi, le syndicat cherchait à défendre non pas le droit de ses membres à participer à une activité syndicale, mais son propre droit à participer à une conférence d’assignation, une activité entrant dans le cadre de sa mission d’association représentative.

[46]         Dans l’affaire Fraternité Inter-provinciale des ouvriers en électricité et Gilles Pellerin c . Me Guy Fortier et APV-HALL-CREPACO inc ., n o 500-05-000502-896, le 10 mars 1989 ( AZ-89021140 ), ces nuances portent la Cour supérieure à conclure comme suit :

L’arbitre décide que l’exercice d’une activité syndicale se distingue de la participation à une activité syndicale

[…]…

Le tribunal conclut que le délégué de chantier qui exerce sa fonction à ce titre ne participe pas, en ce faisant, à une activité du syndicat. Il ne participe pas non plus, comme tel, à l’administration du syndicat, puisqu’il n’est pas à ce titre un officier du syndicat. L’article 94 de la Loi ne s’applique donc pas au délégué de chantier en cette qualité. Il peut s’appliquer à la personne du délégué de chantier, mais en sa qualité de simple salarié qui, à l’instar de tout autre membre, participe à des activités syndicales . Puisque les dispositions de l’article 94 de la Loi ne s’applique pas au délégué de chantier, le requérant n’avait pas droit en conséquence de soumettre au ministre une plainte régie par l’article 105 de la Loi. Telle plainte doit naître de l’application des dispositions du chapitre de la liberté syndicale, lesquelles sont ici inapplicables.

(soulignement ajouté)

[47]         En l’espèce, le Syndicat a déposé une plainte au nom de ses membres alléguant  qu’ils n’ont pas été embauchés par l’employeur en raison de leur allégeance syndicale et que ce sont les pressions exercées par la FTQ-Construction expliquent ce comportement de l’employeur.

[48]         L’article 94 de la Loi R-20 consacre le droit à la liberté syndicale. La discrimination envers un travailleur en raison de son allégeance syndicale est une violation de ce droit donnant ouverture au recours prévu à l’article 105 de cette loi. 

[49]         Lorsque les conditions d’ouverture à ce recours sont satisfaites, l’article 110, al. 2 (précité au paragraphe 42 ci-dessus), prévoit que le Syndicat peut déposer la plainte au nom du travailleur. Dans le cas où plusieurs de ses membres sont victimes de la même violation, le Syndicat peut exercer le recours que la loi accorde à chacun ces travailleurs sans qu’une cession de créances soit nécessaire.

[50]         Les travailleurs visés par la plainte en l’instance sont identifiés aux listes de disponibilités annexées à la plainte. Cette plainte satisfait toutes les conditions d’ouverture du recours. Elle est donc recevable.

EN CONSÉQUENCE , la Commission des relations du travail

REJETTE                       les objections préliminaires des intimées C.E.R. et Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec (FTQ-Construction) .

CONVOQUE                 les parties à la suite de l’audience au Palais de justice de New Carlisle les 31 octobre et 6 novembre 2014.

 

 

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Kim Legault

 

M e Dany Milliard

Menard, Milliard, Caux

Représentant de la plaignante

 

M e Jean-Sébastien Cloutier

NORTON ROSE FULBRIGHT CANADA S.E.N.C.R.L., S.R.L.

Représentant l’intimée C.E.R.

 

M e Julie Boyer

Représentante de l’intimée FTQ-Construction

 

Date de suspension du délibéré :

12 septembre 2012

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