COMMISSION DES RELATIONS DU TRAVAIL |
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(Division des relations du travail) |
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Dossier : |
222560 |
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Cas : |
CM-2013-2183 |
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Référence : |
2014 QCCRT 0489 |
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Montréal, le |
10 septembre 2014 |
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DEVANT LE COMMISSAIRE : |
Pierre Cloutier, juge administratif |
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Nancy Santarossa
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Plaignante |
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c. |
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Les jeunes pousses des Jardins-du-Québec
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Intimée |
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DÉCISION |
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[1] Le 28 mars 2013, Nancy Santarossa (la plaignante ) dépose une plainte en vertu de l’article 124 de la Loi sur les normes du travail , RLRQ c. N-1.1 (la LNT ), dans laquelle elle prétend avoir été congédiée sans cause juste et suffisante par Les jeunes pousses des Jardins-du-Québec (le CPE ).
[2] Le CPE soutient avoir congédié la plaignante pour une cause juste et suffisante, soit parce qu’elle a décidé de ne pas poursuivre des études lui permettant d’acquérir une formation universitaire. Celle-ci avait pris cet engagement lorsqu’elle avait obtenu le poste de directrice de l’une des installations du CPE. Selon une clause de son contrat de travail, elle s’engageait à obtenir une formation universitaire dans un délai de 5 ans, soit au plus tard en avril 2014.
[3] La plaignante prétend, à ce sujet, que la clause sur laquelle le CPE s’appuie ne comportait pas de disposition lui permettant de mettre fin à son emploi avant la fin avril 2014 et cela même si elle avait décidé de ne pas acquérir une formation universitaire. Par conséquent, le CPE l’a congédiée prématurément et sans cause juste et suffisante. Elle ajoute, subsidiairement, que si le CPE pouvait mettre fin à son emploi avant avril 2014, s’agissant d’un contrat d’adhésion, la clause est abusive, donc nulle, et la Commission ne doit pas en tenir compte.
[4] L’employeur pouvait-il mettre fin à l’emploi de la plaignante dès qu’elle l’avisait de son intention de ne pas acquérir de formation universitaire, contrairement à l’engagement pris dans son contrat de travail?
[5] Le CPE exploite trois installations en garderie, en plus d’agir comme bureau coordonnateur pour les services de garde en milieu familial de sa région. Ses salariés, les éducatrices notamment, sont syndiqués.
[6] La plaignante est embauchée au poste d’éducatrice, en janvier 2000. En octobre 2007, elle devient coordonnatrice.
[7] À la mi-avril 2009, elle obtient un poste de directrice de l’une des installations. Elle signe un contrat d’emploi qui comporte la clause suivante :
5- Formation
Un délai de cinq ans vous est accordé afin d’acquérir une formation universitaire directement liée à vos principales fonctions et reconnue par le Ministère de l’éducation.
(reproduit tel quel à l’exception du soulignement qui a été ajouté)
[8] L’exigence d’acquérir une formation universitaire constitue une norme adoptée par le gouvernement qu’un CPE peut choisir d’appliquer. Le contrat des deux autres directrices d’installation du CPE comporte aussi cette exigence à laquelle les directrices se sont conformées ou sont en voie de le faire.
[9] La directrice d’une installation a pour fonction de collaborer à la coordination générale, de voir au bon fonctionnement de l’installation dont elle est responsable et de superviser le personnel sous sa responsabilité.
[10] Au sujet de l’engagement d’acquérir une formation universitaire, la plaignante mentionne que la direction du CPE lui avait suggéré d’obtenir un certificat en ressources humaines, mais elle trouvait cette formation trop vague pour le milieu de la petite enfance. C’est pourquoi, en septembre 2011, elle fait part de sa réticence à la directrice Stéphanie Richer qui lui confirme « que ça valait ce que ça valait » et lui suggère de trouver une formation qui lui conviendrait davantage et serait plus en lien avec son milieu de travail. Elle dit alors à madame Richer qu’elle est intéressée par la formation en soutien pédagogique, choix avec lequel cette dernière est d’accord. Mais, malgré cela, elle ne s’inscrit pas à l’université.
[11] Il est à nouveau question de la formation universitaire que la plaignante s’était engagée à acquérir dans une lettre que madame Richer lui remet, en novembre 2012. Elle écrit :
Nancy,
Comme tu le sais, ton contrat d’engagement signé le 7 avril 2009 prévoyait spécifiquement qu’un délai de cinq (5) ans t’était accordé pour acquérir une formation universitaire directement liée à tes fonctions, formation devant être reconnue par le ministère de l’Éducation. Comme tu t’en rappelleras sûrement, il s’agissait là d’une condition essentielle pour que le conseil d’administration puisse t’octroyer le poste de directrice.
Lorsque nous nous sommes rencontrées en septembre 2011, tu m’as indiqué que tu n’avais toujours pas commencé la formation mais que tu comptais le faire sous peu. Nous avions également discuté que la meilleure formation à suivre pour te donner davantage d’outils afin d’assumer tes fonctions était un certificat en soutien pédagogique. À ce stade, puisqu’il ne reste plus que dix-sept (17) mois avant l’expiration du délai, je me permets de te transmettre la présente lettre pour te rappeler ton obligation d’avoir acquis cette formation universitaire au plus tard en avril 2014.
Dans ce contexte, j’aimerais que tu me remettes, dans les plus brefs délais, copie des documents pertinents (tel que confirmation d’inscription, description de programme, durée prévue de la scolarité ou autres), pour démontrer que tu seras en mesure de compléter ladite formation dans le délai convenu entre toi et le conseil d’administration.
[12] Au cours de novembre 2012, la plaignante fait part à madame Richer qu’elle n’est pas certaine de suivre la formation exigée parce qu’elle songe à redevenir éducatrice. Selon la plaignante, comme sa décision n’est pas encore prise, ils conviennent d’en reparler après le congé des Fêtes.
[13] Madame Richer nuance cette affirmation et prétend qu’à deux reprises, en décembre, elle revient sur la question avec la plaignante, notamment pour l’informer qu’elle a trouvé une université qui donne, à distance, la formation qu’elle souhaitait maintenant suivre.
[14] Dans un courriel qu’elle lui transmet le 7 janvier 2013, madame Richer demande à la plaignante de lui faire part de sa décision au sujet de la formation universitaire. La plaignante lui répond qu’elle aimerait la rencontrer au cours de l’après-midi parce qu’elle a des questions à lui poser.
[15] Lors de la rencontre, la plaignante demande à madame Richer ce qui arrivera si elle ne suit pas la formation. Cette dernière lui répond que le CPE mettra fin à son emploi. Puis, elle demande à madame Richer s’il lui serait possible de revenir travailler comme éducatrice. Celle-ci lui dit que le CPE a toujours besoin de bonnes éducatrices, mais qu’il faudrait qu’elle soit réembauchée parce que, ayant été cadre pendant plus de quatre ans, elle ne peut pas réintégrer l’unité de négociation. Elle lui souligne aussi qu’il n’est pas certain que le conseil d’administration accepte de reprendre une employée qui a été en position d’autorité.
[16] Selon madame Richer, à la suite de ces réponses, la plaignante lui dit qu’elle n’a pas d’argent pour suivre des cours et préfère utiliser celui dont elle dispose pour son enfant qui est inscrit au cégep.
[17] Le cas de la plaignante est discuté par le conseil d’administration le 7 janvier. Il est convenu d’obtenir une opinion juridique au sujet de l’obligation du CPE de la réembaucher.
[18] Entre-temps, le 16 janvier, la plaignante est informée par lettre que son emploi prendra fin le 12 mars, soit à l’expiration d’un préavis de 8 semaines. Celle-ci n’est pas surprise, vu sa décision de ne pas acquérir une formation universitaire.
[19] Le CPE met fin tout de suite à l’emploi de la plaignante, même si le délai qui lui avait été donné pour acquérir une formation universitaire n’est pas expiré parce qu’il ne veut pas envoyer comme message qu’un employé peut obtenir un poste en prenant l’engagement de suivre une formation et, le délai qui lui avait été donné expiré, demande à reprendre son ancien poste.
[20] Au sujet de la réembauche de la plaignante, une seconde discussion a lieu à une réunion du conseil d’administration, le 4 mars 2013. La majorité des membres sont mal à l’aise à l’idée de la reprendre, vu qu’elle a agi « à titre de directrice d’une installation avec un rôle de supervision auprès des éducatrices pendant plus de 4 ans ».
[21] La plaignante est surprise par cette décision. Elle croyait que sa réembauche ne serait qu’une formalité.
[22] L’article 124 de la LNT prévoit qu’un salarié qui bénéficie de 2 ans de service continu dans une même entreprise et croit avoir été congédié sans cause juste et suffisante peut, dans un délai de 45 jours de son congédiement, soumettre une plainte par écrit. Ce recours ne lui est cependant pas possible s’il bénéficie d’une autre mesure de réparation.
[23] Il n’est pas contesté que la plaignante était une salariée au sens de la LNT, qu’elle avait deux ans de service continu, qu’elle a été congédiée et qu’elle ne bénéficiait pas d’une autre mesure de réparation que la plainte en vertu de l’article 124 de la LNT. Ces éléments sont prouvés.
[24] La plaignante ne conteste pas que le CPE lui a accordé le poste de directrice d’une installation parce qu’elle s’est engagée à acquérir une formation universitaire dans un délai de 5 ans. Ce délai n’est pas une période de probation ou d’essai au cours de laquelle elle pouvait occuper le poste de directrice sans se soucier de l’obligation qu’elle avait prise. Il lui a été consenti pour se conformer à l’une des exigences requises pour obtenir le poste. Si elle n’avait pas pris l’engagement d’acquérir une formation universitaire, elle ne l’aurait pas obtenu. La situation n’est pas différente parce qu’elle avait commencé à l’occuper. Le CPE pouvait mettre fin à son emploi dès qu’elle l’avisait qu’elle n’avait pas l’intention d’acquérir une formation universitaire. Ce n’est qu’une conséquence logique du choix qu’elle a fait et la décision du CPE ne peut pas être considérée abusive.
[25] De plus, même en posant que le contrat d’engagement comme directrice d’installation en est un d’adhésion, puisqu’elle n’a vraisemblablement pas pu en négocier les conditions, il demeure que la clause par laquelle elle s’engage à acquérir une formation universitaire n’est ni incompréhensible ni abusive. Autrement, il faudrait croire que le CPE ne pouvait pas imposer comme condition de promotion que la plaignante satisfasse, dans un délai, à certaines exigences adoptées de bonne foi.
[26] L’argument de la plaignante selon lequel, si elle avait su qu’elle n’aurait pas été réembauchée comme éducatrice, elle aurait pu reconsidérer sa décision, ne peut pas être retenu non plus et apparaît invoqué après coup.
[27] Au début janvier 2013, le motif que la plaignante invoque pour ne pas s’inscrire à l’université est qu’elle n’a pas d’argent pour suivre des cours et préfère utiliser celui dont elle dispose pour son enfant. Elle sait aussi, de madame Richer, que sa réembauche ne sera pas automatique et que le conseil d’administration devra examiner la question.
[28] Jamais, entre ce moment et le début mars 2013, elle ne fait part au CPE qu’elle pourrait revenir sur sa décision si elle n’est pas réembauchée comme éducatrice. Elle ne lui en fait pas part non plus entre le 4 mars, date de la décision du CPE, et la fin de son emploi, le 12 mars 2013. La raison en est vraisemblablement que sa décision de ne pas acquérir de formation universitaire était réfléchie, ferme.
[29] Dans les circonstances, le CPE a démontré une cause juste et suffisante pour mettre fin à l’emploi de la plaignante.
EN CONSÉQUENCE, la Commission des relations du travail
REJETTE la plainte.
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__________________________________ Pierre Cloutier |
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M e Maude Galarneau |
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RIVEST, TELLIER, PARADIS |
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Représentante de la plaignante |
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M e Stéphane Fillion |
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FASKEN MARTINEAU DUMOULIN SENCRL |
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Représentant de l’intimée |
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Date de la dernière audience : |
10 juillet 2014 |
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