Section des affaires sociales

En matière de services de santé et de services sociaux, d'éducation et de sécurité routière

 

 

Date : 4 septembre 2014

Référence neutre : 2014 QCTAQ 094

Dossier  : SAS-M-218426-1311

Devant le juge administratif :

CAROLINE GONTHIER

 

C... F...

Partie requérante

c.

SOCIÉTÉ DE L'ASSURANCE AUTOMOBILE DU QUÉBEC

Partie intimée

 

 


DÉCISION




[1]               La requérante conteste la décision rendue par la partie intimée, la Société de l’assurance automobile du Québec (la Société), le 25 octobre 2013, laquelle décision lui impose, pour obtenir un nouveau permis de conduire, de se soumettre à une évaluation complète auprès de l’Association des centres de réadaptation en dépendance du Québec (l’Association) [1] .

[2]               Cette décision découle du rapport d’évaluation sommaire dont les résultats démontrent que son comportement relativement à la consommation d’alcool ou de drogues représente un risque pour la sécurité routière.

[3]               Par son recours, la requérante soutient qu’elle ne représente pas un tel risque et demande de récupérer son permis de conduire sans autre condition.

 

LES FAITS

[4]               La preuve documentaire au dossier du Tribunal confirme qu’à la suite d’une déclaration de culpabilité prononcée le 18 juin 2013 pour une infraction à l’article 253 (1) A) du Code criminel , commise le 16 juin 2012, le permis de conduire de la requérante a été révoqué conformément à l’article 180 du Code de la sécurité routière [2] (CSR).

[5]               Le 15 juillet 2013, la Société informe la requérante, pour qu’elle soit admissible à l’obtention d’un nouveau permis de conduire le 18 juin 2014, qu’elle devra, en premier lieu, se soumettre à une évaluation sommaire et si celle-ci est favorable, elle devra suivre le programme d’éducation Alcofrein. En cas contraire, elle sera tenue de poursuivre une autre démarche pour obtenir son permis [3] .

[6]               Elle est également informée que si aucune autre sanction n’est en vigueur à son dossier, elle pourra obtenir un permis restreint à compter du 18 septembre 2013 et pour y être admissible, elle devra participer à un programme d’utilisation d’un antidémarreur éthylométrique et assumer les frais qui y sont associés.

[7]               Le 18 octobre 2013, la requérante rencontre madame Marie-Ève Gagnon, évaluatrice accréditée par l’Association, afin de procéder à l’évaluation sommaire qui sert à établir la compatibilité de son comportement de conductrice relativement à la consommation d’alcool ou de drogues avec la conduite sécuritaire d’un véhicule routier [4] .

[8]               À la suite de l’analyse des informations recueillies et du résultat des différents questionnaires qui lui ont été administrés, la conclusion du rapport de l’évaluation sommaire est non favorable. Conséquemment, l’évaluatrice recommande que la requérante se soumette à une évaluation complète afin de s’assurer que ses habitudes de consommation d’alcool sont compatibles avec la conduite sécuritaire d’un véhicule routier [5] .

[9]               Le 22 novembre 2013, la requérante conteste la décision de la Société qui entérine cette recommandation, d’où le présent recours auprès du Tribunal administratif du Québec (TAQ) [6] .

 

LA PREUVE

[10]            Témoignant, la requérante, âgée de 36 ans, précise qu’elle ne recherche pas à excuser le geste pour lequel elle a été trouvée coupable. Cependant, elle est en total désaccord avec le fait qu’elle constitue un risque de récidive alors que les conclusions tirées de l’évaluation sommaire ne correspondent aucunement à ce qu’elle représente  comme individu.

[11]            À son avis, de porter un jugement aussi rapidement sur ses habitudes de consommation ne veut pas nécessairement dire qu’elle utilisera son véhicule lors de ses déplacements.

[12]            Elle précise que la déclaration de culpabilité au Code criminel pour conduite sous l’effet de l’alcool est très lourde de conséquences sur l’ensemble de sa vie. Comme elle ressent suffisamment de regret et de honte face à ce geste, elle ne croit pas avoir besoin de se soumettre à une évaluation plus approfondie pour démontrer que les chances de récidive dans son cas sont nulles.

[13]            Elle fait valoir qu’elle est mère de deux enfants et qu’elle détient maintenant un emploi stable. Elle est très consciente des répercussions beaucoup plus graves qui auraient pu résulter de sa décision de conduire son véhicule sous l’effet de l’alcool le soir du 16 juin 2012. Elle ne prend pas à la légère la consommation d’alcool et la conduite automobile.

[14]            Elle juge non nécessaire de se soumettre à l’évaluation complète qui ne fait que reporter plus loin l’obtention de son permis de conduire régulier alors que tout le processus dans lequel elle est confrontée chaque jour, si ce n’est que l’utilisation de l’éthylomètre, est déjà très lourd pour elle. Elle a maintenant amplement payé sa dette.

[15]            Contre-interrogée, la requérante mentionne que l’évaluation en présence de madame Gagnon s’est bien déroulée. Toutefois, ce qu’elle reproche à ce type d’évaluation, c’est la corrélation qui est faite entre les réponses qu’elle a données aux questions et la conclusion qu’elle constitue un risque de récidive. Elle souligne qu’elle conteste justement la mauvaise interprétation qui en est faite.

[16]            À cet égard, elle cite en exemple que l’évaluatrice a retenu comme facteur de risque le nombre isolé de consommations d’alcool lors d’une fête de famille pour le transposer à l’effet qu’elle représente un risque de récidive. À son avis, cette corrélation n’a pas sa place.

[17]            Madame Marie-Ève Gagnon, évaluatrice accréditée par l’Association, a également témoigné devant le Tribunal et a déposé l’ensemble des documents relatifs à l’évaluation sommaire à laquelle s’est soumise la requérante [7] .

[18]            À la demande du procureur de la partie intimée, le Tribunal a émis une ordonnance de non-divulgation, de non-publication et de non-diffusion de tout renseignement contenu à ces documents sous peine d’outrage au Tribunal.

[19]            Madame Gagnon décrit les différentes étapes de cette évaluation qui sert à évaluer si la personne représente ou non un risque de récidive. Il s’agit d’un protocole préétabli.

[20]            Elle précise que c’est à partir des données fournies par la requérante lors de la rencontre qui s’est déroulée sans anicroche, que ce protocole permet d’évaluer le niveau de risque de récidive qu’elle peut représenter.

[21]            Ce moyen d’évaluation ne lui permet aucunement d’émettre son opinion personnelle. Elle s’en remet uniquement au protocole établi, lequel consiste à évaluer 10 facteurs de risque.

[22]            Si la personne évaluée cote à au moins trois de ces facteurs, il s’ensuit automatiquement une recommandation non favorable.

[23]            En l’espèce, le témoin indique que la requérante cote à quatre facteurs significatifs à risque, d’où la recommandation non favorable.

[24]            Ces facteurs sont liés aux habitudes de conduite, aux habitudes de consommation d’alcool, aux risques liés aux attitudes, intentions, comportements, cognition ainsi qu’au taux d’alcoolémie à l’arrestation qui, selon le certificat du technicien qualifié, est de plus de 161 mg/100ml [8] .

[25]            Toutefois, à la suite de l’admission faite par l’intimée voulant que le facteur lié aux habitudes de conduite ne soit pas significatif à l’endroit de la requérante, l’évaluatrice explique le pointage qui a mené à la cotation des trois facteurs et, par conséquent, à la  recommandation non favorable.

[26]            Contre-interrogée, l’évaluatrice confirme que si la requérante s’était présentée une semaine plus tard à son évaluation, sa consommation excessive lors d’une fête de famille n’aurait pas été considérée dans les 35 derniers jours et elle n’aurait pas coté au facteur lié à ses habitudes de consommation en regard de cet événement.

 

[27]            Le Tribunal est appelé à statuer sur le bien-fondé de la décision rendue par la Société, laquelle refuse de délivrer le permis de conduire à la requérante au motif qu’elle ne répond pas aux exigences énoncées au troisième paragraphe de l’article 81 du CSR.

[28]            Cette disposition se lit comme suit :

«  81.   La Société peut refuser de délivrer un permis, d'en changer la classe ou de lui en ajouter une autre, si la personne qui en fait la demande :

[ ]

3 ° selon un rapport d'examen ou d'évaluation visé aux articles 64, 73, 76.1.2 , 76.1.4 ou 76.1.4.1 ou un rapport visé à l'article 603, est atteinte d'une maladie, d'une déficience ou se trouve dans une situation non visées dans les normes concernant la santé établies par règlement mais qui, d'après l'avis d'un professionnel de la santé ou d'un autre professionnel que la Société peut désigner nommément ou d'une personne autorisée par un centre de réadaptation pour personnes alcooliques et autres personnes toxicomanes, sont incompatibles avec la conduite d'un véhicule routier correspondant au permis de la classe demandée ; »

(L’accentuation est du Tribunal)

[29]            Après avoir entendu les témoignages de la requérante et de l’évaluatrice, analysé l’ensemble des documents relatifs à l’évaluation sommaire et considéré les arguments des deux parties, le Tribunal conclut au bien-fondé de cette décision pour les raisons suivantes.

[30]            Tout d’abord, le Tribunal retient que la Société appuie sa décision sur l’avis émis par madame Gagnon, évaluatrice accréditée par l’Association, laquelle a procédé à l’évaluation sommaire de la requérante, le 18 octobre 2013, qui s’est soldée par un échec.

[31]            Outre le fait que son analyse a été effectuée en tenant compte du résultat des tests standardisés et des informations fournies par la requérante, les explications livrées par l’évaluatrice lors de son témoignage concernant la présence de facteurs significatifs de risque chez la requérante convainquent le Tribunal que cette dernière représente un risque de récidive relativement à la conduite sécuritaire d’un véhicule routier.

[32]            À cet égard, le Tribunal estime que l’opinion de l’évaluatrice basée sur son rapport d’évaluation est motivée d’une façon satisfaisante. De plus, cette opinion est prépondérante sur celle de la requérante qui, basée que sur des convictions personnelles, bien que crédibles, ne peuvent à elles seules convaincre le Tribunal qu’elle ne constitue pas un risque de récidive.

[33]            Ensuite, le Tribunal n’a pas la preuve que, dans le cadre du déroulement de l’évaluation sommaire de la requérante, des erreurs déterminantes se seraient produites et auraient conduit faussement à la recommandation non favorable.

[34]            En somme, la requérante prétend qu’elle a été pénalisée, parce qu’elle a répondu de façon honnête aux questions visant notamment ses habitudes de consommation durant les 35 derniers jours et que si elle s’était présentée à l’évaluation une semaine plus tard, ce facteur n’aurait pas été considéré tenant compte d’un événement isolé.

[35]            À cet effet, le Tribunal rappelle que le but de l’évaluation sommaire est d’évaluer la compatibilité du comportement du conducteur relativement à la consommation d’alcool ou de drogues, avec la conduite sécuritaire d’un véhicule routier. En d’autres mots, elle sert à déterminer si la personne constitue un risque de récidive.

[36]            Cela étant, comme plaidé par le procureur de l’intimée, selon l’article 76.1.9 du CSR, l’élaboration du protocole n’est pas de la compétence directe du Tribunal, puisque ce moyen d’évaluation relève des centres de réadaptation pour personnes alcooliques et autres personnes toxicomanes et des centres hospitaliers offrant un service de réadaptation pour de telles personnes.

[37]            De cette manière, le Tribunal n’a aucune compétence pour se prononcer sur la validité du protocole d’évaluation standardisé qui a été mis en place par la Société et par l’Association de ces centres qui, par ailleurs, tient compte de la consommation durant les 35 derniers jours partant de la date de la rencontre avec l’évaluatrice.

[38]            Malgré ce fait, même si elle s’était présentée à l’évaluation une semaine plus tard, rien ne permet de conclure qu’il ne se serait pas produit d’autres événements au cours desquels elle aurait consommé plus de deux consommations par occasion.

[39]            Ainsi, puisque la requérante a échoué l’évaluation sommaire, suivant les étapes déterminées par l’article 76.1.2 du CSR, pour obtenir de nouveau son permis de conduire, elle n’aura d’autre choix que de se soumettre à une évaluation complète et y démontrer que son rapport à l'alcool ne compromet pas la conduite sécuritaire d'un véhicule routier.

POUR CES MOTIFS, le Tribunal :

-         REJETTE le recours de la requérante;

-         CONFIRME la décision rendue par la Société, le 25 octobre 2013, qui refuse de lui délivrer un permis de conduire conformément au paragraphe 3 de l'article 81 du Code de la sécurité routière ;

-         ORDONNE la non-publication, la non-divulgation et la non-diffusion des renseignements contenus dans les documents relatifs à l’évaluation sommaire du 18 octobre 2013 qui auraient pour effet de révéler le contenu des tests et les résultats pondérés de l’évaluation, à l’exception de l’avis du professionnel de la santé ou d’un autre professionnel que la Société a désigné nommément ou d’une personne autorisée par un centre de réadaptation pour personnes alcooliques et autres personnes toxicomanes.

 


 

 

CAROLINE GONTHIER, j.a.t.a.q.


 

Dussault, Mayrand

Me François Desroches Lapointe

Procureur de la partie intimée


 



[1] Le Tribunal a autorisé une réduction du quorum à un seul membre en vertu de l’article 82 , alinéa 3 de la Loi sur la justice administrative .

[2] RLRQ, chapitre C-24.2.

[3] Pages 3 et 4.

[4] Pages 5 et 6.

[5] Page 6.

[6] Pages 8 à 10.

[7] Pièce I-1.

[8] Page 29.