Syndicat des employés manuels de la Ville de Terrebonne - CSN et Terrebonne (Ville de) (Hugo Ouellet) |
2014 QCTA 775 |
Article
TRIBUNAL D’ARBITRAGE
No de dépôt : 2014-7212
Date : 25 juin 2014
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DEVANT L’ARBITRE : Pierre Cloutier ll.m
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Syndicat des employés manuels de la Ville de Terrebonne - CSN
« Le syndicat »
ET
Ville de Terrebonne
« L’employeur »
Griefs nos : 12-26 et 13-01
Plaignant : M. Hugo Ouellet
Mme Chloé Dansereau
Pour le syndicat
Me Mario Lavoie
Pour l’employeur
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SENTENCE ARBITRALE
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[1] Le présent tribunal est saisi de 2 griefs, le premier reprochant à l'employeur de ne pas permettre au plaignant d'effectuer les heures de travail auxquelles il a droit et le deuxième contestant une suspension sans solde d'une journée de travail.
I - LES FAITS
]1] Les faits sont relativement simples. Le plaignant, M. Hugo Ouellet, travaille comme appariteur concierge à temps partiel pour la Ville de Terrebonne où il vient de terminer sa période de probation.
[2] Son travail consiste à faire l'entretien des bâtiments administratifs de la Ville, mais il peut aussi être affecté à divers travaux manuels reliés à certains événements qui peuvent se tenir dans certains locaux publics situés sur le territoire de la ville.
[3] Le 12 novembre 2012, il effectue un remplacement à l'hôtel de Ville de Terrebonne où il s'occupe de l'entretien ménager sur le quart de soir entre 17 heures et 24:30 heures. Il travaille seul, sans aucun contremaître pour le surveiller.
[4] L'alinéa 10.17 A) de la convention collective prévoit qu'un employé qui travaille plus de 6 heures consécutives, mais moins de 10 heures a droit à une période de repos de 30 minutes. Le texte de la convention collective précise aussi que la période de repos doit être prise sur les lieux de travail et l'employé doit rester disponible durant cette période et intervenir au besoin.
[5] Ce soir-là, M. Ouellet voulait regarder une émission à la télévision et il s'est installé, durant sa pause, dans le bureau du directeur général de la Ville où il y a un téléviseur. Il a mangé une salade sur la table de conférence du bureau et en a profité pour brancher un câble de recharge de son ordinateur Ipad.
[6] Malheureusement pour lui, en terminant sa pause, il a oublié son câble dans le bureau du directeur général, ce qui allait lui occasionné certains ennuis comme nous le verrons par la suite.
[7] Il faut mentionner qu'il n'existe aucune directive de la part de l'employeur, ni verbale ni écrite, qui empêche un employé de prendre une pause dans un bureau d'un immeuble où il est affecté, mais la preuve démontre qu'il y a une petite cuisine au deuxième étage de l'Hôtel de Ville où les employés peuvent manger et se reposer.
[8] Arriva ce qui devait arriver. En entrant au travail le lendemain matin, le directeur général de la Ville trouve le câble de recharge du Ipad et ordonne à ses subordonnés d'effectuer une petite enquête interne pour trouver le coupable.
[9] Le dossier aboutit finalement entre les mains du coordonnateur à l'entretien, M. Jean-Paul Desroches, qui en remontant à la source, identifie rapidement le propriétaire du câble comme étant le plaignant, M. Ouellet.
[10] De son côté, M. Ouellet cherche son câble et s'informe auprès d'un collègue de travail pour savoir s'il ne l'a pas trouvé et devant sa réponse négative il lui laisse son numéro de téléphone cellulaire pour le prévenir s'il le trouve.
[11] M. Desroches décide de son côté de remettre dans la même semaine le câble à M. Ouellet, mais avec l'intention bien arrêtée, après consultation du service des ressources humaines, de le convoquer en entrevue pour connaître sa version des faits.
[12] Le lundi 19 novembre 2012, M. Ouellet est effectivement convoqué à une rencontre accompagnée d'une déléguée syndicale, Mme Chantale Matteau. M. Desroches représente l'employeur et il est accompagné de M. Vincent Massé, alors conseiller en relations professionnelles au service des ressources humaines de la Ville.
[13] D'entrée de jeu, M. Massé demande à M. Ouellet de lui raconter de façon générale ce qui s'est passé lors de sa journée de travail le 12 novembre 2012, à l'hôtel de Ville. M. Massé précise dans son témoignage qu'il procède toujours de la même façon lors des enquêtes en posant des questions ouvertes pour amener le salarié à donner sa version des faits.
[14] Il ajoute qu'il avait procédé de la même manière dans un autre cas avec Mme Matteau et qu'il n'y avait eu aucun problème.
[15] Cette fois-ci, toutefois, Mme Matteau s'objecte à ce que l'employeur procède de cette façon. Elle demande à M. Massé d'être plus précis dans ses questions et elle exige qu'il donne les raisons de la convocation de M. Ouellet.
[16] M. Massé refuse et exige des réponses de M. Ouellet.
[17] Mme Matteau et M. Ouellet sortent alors de la pièce pour revenir quelques minutes plus tard avec les mêmes exigences. Nouveau refus de l'employeur de changer sa méthode.
[18] La réunion prend fin abruptement quand Mme Matteau et M. Ouellet quittent définitivement la pièce.
[19] Dans leurs témoignages, Mme Matteau et M. Ouellet affirment qu'il n'a jamais été question du câble de recharge oublié dans le bureau du directeur général. Mais M. Desroches et M. Massé prétendent exactement le contraire.
[20] M. Desroches affirme que M. Ouellet avait en mains 3 indices qui pouvaient l'aider à répondre : la date, l'endroit et la référence au câble Ipad.
[21] En contre-preuve, M. Massé dit qu'il a fait « allusion » au câble Ipad et on retrouve dans ses notes la mention « Référence Ipad ».
[22] Après la sortie de Mme Matteau et de M. Ouellet, M. Desroches tente de rejoindre M. Ouellet sur son téléphone cellulaire mais il n'y a pas de réponse.
[23] M. Desroches explique que, comme M. Ouellet refuse de répondre aux questions concernant sa journée de travail du 12 novembre 2012, il n'était pas question de le laisser travailler au même endroit, compte tenu des circonstances.
[24] Il téléphone donc de nouveau à M. Ouellet et laisse un message dans sa boite vocale pour lui intimer l'ordre de ne pas se présenter au travail le soir du 19 novembre, comme prévu à son horaire.
[25] Le 28 novembre 2012, l'employeur fait parvenir la lettre suivante à M. Ouellet :
Le 28 novembre 2012
« Remise en mains propres »
Monsieur Hugo Ouellet
[…] Terrebonne (Québec) […]
Objet : Avis de suspension
Monsieur Ouellet,
le 12 novembre dernier, vous étiez affecté au poste de concierge sur le bloc #6. Votre travail consistait à effectuer le ménage à l'Hôtel de Ville. Certains agissements alors que accomplissiez le ménage à cet endroit ont été portés à notre connaissance.
En fait, il a été constaté que vous aviez mangé et que vous aviez utilisé la télévision dans le bureau du directeur général. De plus, un câble de recharge a été également retrouvé dans ce même bureau.
Le 19 novembre dernier, nous vous avons convoqué pour tenter de comprendre la situation et vous permettre de vous expliquer. Lors de cette rencontre, nous vous avons questionné sur votre emploi du temps le 12 novembre 2012, plus précisément à l'Hôtel de Ville mais vous avez refusé de collaborer. Nous vous avons rappelé que cette rencontre vous permettrait de vous expliquer et ainsi recevoir votre version des faits. Malgré tout, vous avez persisté à ne pas collaborer.
Considérant que vous avez fait preuve de négligence lors de l'exécution de vos tâches,
Considérant le manque de collaboration lors de la rencontre du 19 novembre 2012 et que par conséquent nous n'avons pas pu prendre en considération votre version des faits.
Considérant que ces gestes constituent un manquement à vos devoirs et responsabilités à titre d'employé de la Ville et que cette situation ne peut être tolérée par votre employeur.
Compte tenu de l'ensemble des circonstances nous vous avisons que nous recommanderons au Comité exécutif de la Ville de Terrebonne qu'une suspension sans solde d'un (1) jour ouvrable vous soit imposée. Une fois approuvée, nous vous transmettrons la date de votre suspension avec solde.
Nous vous rappelons qu'il est interdit de manger et d'utiliser les équipements et le matériel dans les bureaux des employés de la Ville. De plus, soyez avisé que nous attendons que vous fournissiez votre pleine prestation de travail avec diligence. En cas de récidive, nous n'aurons d'autre choix que d'appliquer des mesures disciplinaires plus sévères.
(S) Jean-Paul Desroches
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Jean-Paul Desroches
Coordonnateur - Unité de l'entretien et soutien aux activités
Direction du loisir et de la vie communautaire.
[26] Le 10 décembre 2012, le Comité exécutif de la Ville de Terrebonne, par sa résolution portant le numéro 672-12-2012, accueille la suggestion de M. Desroches et suspend M. Ouellet pour une (1) journée et le 11 février 2013, M. Desroches avise par écrit M. Ouellet que sa suspension aura lieu le 15 février 2013.
[27] Dans son témoignage, M. Ouellet admet les faits, sauf la référence au câble Ipad lors de la rencontre du 19 novembre 2012.
[28] La preuve révèle enfin que l'employeur a payé 3 heures de travail à M. Ouellet pour la rencontre du 19 novembre 2012.
II - L'ARGUMENTATION DES PARTIES
2.1 - L'argumentation de l'employeur
[29] Après avoir résumé la preuve, le procureur patronal, Me Mario Lavoie, affirme que cette preuve démontre par prépondérance que le plaignant a fait preuve de négligence dans l'exécution de ses fonctions en prenant son repas dans le bureau du directeur général, en se servant de son téléviseur et d'une prise de courant pour charger son ordinateur Ipad.
[30] Tous ces faits sont admis par le plaignant lui-même, dit Me Lavoie.
[31] Ces faits constituent une faute de gros bon sens, poursuit Me Lavoie, compte tenu du fait qu'il existe un endroit spécifique à l'hôtel de Ville où les employés peuvent prendre leurs pauses et manger.
[32] Les employés d'entretien de la Ville, poursuit le procureur patronal, n'ont pas besoin de directives spéciales pour comprendre que leur rôle est de faire le ménage et non pas de se servir des bureaux et des équipements de la Ville à des fins personnelles.
[33] Pour ce qui est de la rencontre du 19 novembre 2012, Me Lavoie souligne qu'il y a une question de crédibilité à résoudre. En effet, dit-il, les 2 témoins de l'employeur ont affirmé qu'il avait été question du câble de recharge du Ipad alors que les 2 témoins syndicaux le nient.
[34] Dans un tel cas, dit-il, il faut favoriser le témoignage d'un témoin qui affirme des choses et qui donne des détails à un témoin qui se contente de nier.
[35] Il ajoute aussi que le témoignage de M. Massé doit être privilégié parce qu'il est corroboré par des notes qu'il a prises au moment de la rencontre.
[36] Il faut aussi tenir compte du fait, dit-il, que M. Massé a procédé toujours de la même façon lors des rencontres disciplinaires et que lors d'une rencontre antérieure, la déléguée syndicale, Mme Matteau, n'a soulevé aucune objection.
[37] Ceci signifie donc, poursuit Me Lavoie, que lors de la rencontre du 19 novembre 2012, le plaignant avait en mains toutes les informations nécessaires pour répondre aux questions, notamment l'endroit, la date et la référence au câble Ipad.
[38] Comme il a refusé de répondre, dit Me Lavoie, l'employeur était totalement justifié de ne pas lui permettre de retourner au travail sur le même quart et au même endroit. La sanction de perte de salaire imposée par la Ville est donc raisonnable, d'autant plus que le plaignant a été payé pour 3 heures ce jour-là.
[39] Me Lavoie mentionne aussi que le plaignant a avoué, dans son témoignage avoir été maladroit en laissant derrière lui une trace de sa faute, à savoir le fil Ipad, ce qui constitue à son avis, un aveu de culpabilité.
[40] En ce qui concerne la suspension d'une journée de travail, Me Lavoie mentionne qu'elle est justifiée et qu'elle constituait une exception au principe de la gradation des sanctions principalement à cause du fait qu'il est important pour la Ville d'envoyer un message clair aux employés d'entretien qu'ils ne doivent pas se servir des bureaux de la Ville et des équipements à des fins personnelles.
[41] Compte tenu de cela, conclut-il, la suspension est tout à fait raisonnable et le présent tribunal ne devrait pas intervenir pour la modifier.
2.2 - L'argumentation du syndicat
[42] La
procureure syndicale, Mme Dansereau mentionne tout d'abord que la sanction
administrative imposée le 19 novembre 2012 ne rencontre pas les critères
déterminés par la Cour suprême du Canada dans
L'Industrielle-Alliance
Compagnie d'Assurance sur la Vie c. Gilbert Cabiakman
,
[43] Mme Dansereau souligne à ce sujet que l'employeur n'a pas démontré que la suspension administrative du plaignant était nécessaire pour protéger ses intérêts légitimes, qu'il n'a pas agi de bonne foi en ne renseignant pas suffisamment le plaignant sur les faits qu'on lui reprochait et que la suspension aurait dû être imposée avec solde et non sans solde.
[44] Sur la suspension disciplinaire, Mme Dansereau souligne tout d'abord que les faits reprochés ne constituent pas en soi un manquement ou une faute, car il n'existe aucune directive écrite ou verbale de la Ville interdisant à ses employés d'entretien les faits reprochés.
[45] Il faut tenir compte aussi, dit Mme Dansereau, du fait que le plaignant n'a pas pris son repas sur le bureau du directeur général mais sur une petite table de conférence adjacente.
[46] Le plaignant a toujours pensé, poursuit la procureure syndicale, qu'il n'était pas interdit de prendre des pauses dans les bureaux de la Ville et ceci est d'autant plus vrai que les employés d'entretien sont seuls lorsqu'ils font le ménage et qu'il n'y a personne dans les bureaux.
[47] Mme Dansereau fait remarquer qu'il existe une différence notoire entre fouiller dans les effets personnels d'un employé et regarder la télévision ou brancher un fil dans une prise électrique.
[48] Elle ajoute que, de toute façon, même si on devait considérer que le plaignant a commis une faute, l'employeur n'était pas justifié d'imposer une suspension d'une journée de travail au plaignant, car un simple avertissement aurait suffi. L'employeur, précise-t-elle, en agissant ainsi n'a pas respecté le principe reconnu par la doctrine et la jurisprudence de la gradation des sanctions.
[49] Mme Dansereau soulève aussi le paragraphe 7.03 de la convention collective qui mentionne que toute mesure disciplinaire doit être précédée d'un avis écrit sur un acte similaire afin de donner la chance à l'employé fautif de s'amender.
[50] Sur la rencontre administrative, Mme Dansereau estime qu'il faut prêter foi à la version syndicale qui affirme qu'il n'a jamais été question du câble Ipad lors de la rencontre du 19 novembre 2012 et que l'employeur aurait dû agir de façon franche, ouverte et transparente en précisant au plaignant les faits qu'on lui reprochait et en le confrontant plutôt que de poser des questions générales et ouvertes sur son emploi du temps.
2.3 - Réplique de l'employeur
[51] Sur la décision de la Cour suprême déposée par la procureure syndicale, Me Lavoie estime que les faits relatifs à cette décision ne sont pas pertinents avec la présente affaire puisque l'employé visé dans la décision de la Cour suprême faisait face à des accusations criminelles.
[52] Me Lavoie affirme aussi que l'employeur n'a pas besoin de faire la preuve d'une politique disciplinaire concernant les faits reprochés au plaignant puisque ce dernier a admis implicitement avoir commis une faute en laissant maladroitement une trace de ses actes dans le bureau du directeur général.
[53] Sur le paragraphe 7.03 de la convention collective, Me Lavoie mentionne qu'il existe une décision arbitrale qui réfute la thèse syndicale, soit la décision rendue par l'arbitre Denis Provençal dans Syndicat canadien de la fonction publique, section locale 1009 et Ville de Terrebonne, 12 mars 2013, grief de M. Mathieu Charest, suspension.
III - DÉCISION ET MOTIFS
[54] Commençons par la suspension non disciplinaire ou administrative du plaignant qui lui a été imposée par son supérieur immédiat, M. Desroches, le 19 novembre 2012.
[55) Rappelons brièvement les faits : ce jour-là, le plaignant, M. Ouellet, devait travailler au même endroit, l'hôtel de Ville, et sur le même quart, de 17:00 à 12:30 heures que le lundi précédent, jour où l'employeur lui reproche d'avoir fait preuve de négligence dans l'exécution de sa prestation de travail en se servant du bureau du directeur général à des fins personnelles.
[56] Convoqué à une rencontre avec sa déléguée syndicale, le plaignant quitte précipitamment la rencontre sous les conseils de cette dernière qui estime que les représentants de l'employeur refusent de le renseigner suffisamment sur les manquements qu'on lui reproche.
[57] Après la fin de la rencontre, M. Desroches tente de rejoindre M. Ouellet sur son téléphone portable, sans succès, et décide de lui laisser un message lui intimant l'ordre de ne pas se présenter au travail ce jour-là.
[58] La preuve révèle cependant que le plaignant a été rémunéré pour 3 heures pour ce que la partie syndicale estime être sa participation à la rencontre disciplinaire, le tout en vertu d'une disposition précise de la convention collective que l'on retrouve au paragraphe 14.03.
[59] Il s'agit donc, dans les faits, d'une suspension sans solde , car à la suite de la décision de l'employeur, le plaignant a été privé de son salaire pour les heures qu'il aurait pu effectuer sur son horaire de travail prévu pour le 19 novembre 2012.
[60] J'ai lu avec beaucoup d'intérêt et d'attention la décision rendue par la Cour suprême du Canada dans L'industrie-Alliance , déposée par la partie syndicale.
[61] Bien que les faits diffèrent d'avec ceux du présent litige, les grands principes de droit dégagés par la Cour suprême doivent quand même y trouver application.
[62] Dans cette affaire, il s'agissait d'un cadre d'une compagnie d'assurance qui avait été suspendu sans solde par l'employeur après avoir été accusé de tentative d'extorsion envers son courtier en valeurs mobilières. Cette suspension sans solde a finalement duré 2 ans et a été levée à la suite de l'acquittement du plaignant.
[63] La Cour suprême reconnaît que le droit pour un employeur de suspendre un employé pour des motifs administratifs est un pouvoir résiduel de l'employeur qui fait partie intégrante de tout contrat de travail, mais qui doit être exercé selon 4 conditions bien précises :
1. La mesure doit être nécessaire pour protéger les intérêts légitimes de l'employeur;
2. L'employeur doit être de bonne foi et agir équitablement, tout en ayant l'obligation de laisser l'employé s'expliquer s 'il le désire;
3. La suspension doit être de courte durée;
4. La suspension est en principe imposée avec solde, à moins de circonstances exceptionnelles.
[64] La 1ère question qu'il faut résoudre est celle de savoir s'il était nécessaire pour l'employeur, dans le présent dossier de suspendre temporairement le plaignant pour protéger les intérêts légitimes de la Ville.
[65] Dans son témoignage, M. Desroches dit que, comme le plaignant ne voulait pas répondre aux questions qu'on lui posait et que l'employeur ne connaissait pas en conséquence sa version des faits, il lui apparaissait donc raisonnable pour protéger les intérêts de la Ville de ne pas permettre au plaignant de remplir sa prestation de travail au même endroit et sur le même quart de travail où on lui reprochait d'avoir commis des gestes répréhensibles, à savoir avoir utilisé le bureau du directeur général à des fins personnelles.
[66] Au départ, il faut mentionner que, contrairement à l'affaire L'Industrie-Alliance , il n'est pas question d'accusations criminelles contre le plaignant ni même de soupçons à ce sujet.
[67] D'autre part, il faut comprendre également que ce n'est pas parce que le plaignant a commis une faute selon l'employeur que ce dernier lui a interdit d'exécuter sa prestation de travail, mais parce qu'il estimait que le plaignant refusait de répondre aux questions générales qu'il lui posait sur son emploi du temps.
[68] Dans une décision que j'ai rendue en avril 2013 dans Syndicat manuel des travailleurs et travailleuses de Vaudreul-Dorion (CSN) c.Ville de Vaudreuil-Dorion, grief no 2011-06, plaignant, M. Clayton West, j'ai eu l'occasion d'examiner en profondeur la question de la nature d'un interrogatoire fait par l'employeur lors d'une rencontre disciplinaire.
[69] Dans cette affaire, il s'agissait d'un employé, qui était aussi président du syndicat et qui était soupçonné de fraude à l'endroit de l'employeur puisqu'il avait réclamé des heures aux cours desquelles il n'avait pas travaillé.
[70] Alors qu'il était censé être au travail, l'employé s'était rendu avec un autre employé, vice-président du syndicat, à la demeure de ce dernier qui désirait surveiller des travaux de rénovation effectués à sa maison.
[71] Les 2 employés avaient fait l'objet d'une filature de la part de leurs supérieurs immédiats et l'employeur avait donc en mains une preuve concrète de leur comportement.
[72] Convoqué à une rencontre disciplinaire, l'employeur, plutôt que de confronter directement l'employé avec la preuve qu'il avait en mains, a préféré y aller de manière indirecte en posant à ce dernier des questions générales ouvertes sur son emploi du temps au cours des dernières semaines.
[73] L'employé a répondu du mieux qu'il pouvait en avouant certains petits écarts de conduite mineurs, mais sur l'incident principal, l'employeur, au lieu de confronter l'employé avec sa preuve de filature, s'est contenté de lui demander de façon générale, s'il s'était livré à des activités personnelles au cours de son travail, avec un de ses collègues, au cours des dernières semaines.
[74] L'employé, qui a prétendu lors de son témoignage, n'avoir pas « allumé » sur cette question précise, a répondu de façon négative et par la suite l'employeur a utilisé ce fait comme facteur aggravant.
[75] Dans ma décision, j'ai écrit ceci :
[279] Je ne veux blâmer l'employeur d'aucune façon, car il fallait faire preuve d'une certaine dose d'habileté et de doigté pour parvenir à avoir toute la vérité dans une affaire assez sérieuse mettant en cause le président et le vice-président du syndicat et qui pouvait apparaître à priori comme une collusion, une complicité planifiée ou un système bien organisé de fraude à l'endroit de la Ville.
[280] Par contre, je suis mal à l'aise - et je l'ai mentionné lors de l'audience - avec le fait que l'employeur se soit contenté de poser au plaignant des questions ouvertes concernant l'événement du 30 août 2011 alors qu'il avait en mains une preuve solide pour le confronter directement en lui posant des questions fermées et en le mettant devant le fait accompli.
[281] Ceci est d'autant plus vrai que le plaignant a pris la peine de dire aux 2 représentants de la Ville qui l'interrogeaient, que « s'ils ont d'autres choses à lui reprocher, ils n'ont qu'à le dire » et qu'il répondrait.
[282] L'explication du plaignant à ce sujet n'est pas déraisonnable : sur le coup il n'a pas « allumé » et c'est uniquement lorsqu'il a vu M. X à la fin de l'entrevue qu'il a compris où la Ville voulait en venir.
[283] I l aurait été plus simple, comme je l'ai mentionné, de parler directement de l'incident du 30 août 2011, de confronter directement le plaignant avec les faits que l'employeur avait déjà au dossier et de permettre ainsi au plaignant d'admettre ces faits tout en donnant des explications qui auraient certes pu améliorer son sort.
[284] Pour les questions portant sur des faits dont il n'avait pas connaissance, l'employeur pouvait certes utiliser la méthode des questions ouvertes, où dans le jargon du métier (juridique) on dit « aller à la pêche », dans le but de vérifier la qualité générale de la prestation de travail du plaignant. On ne peut rien reprocher à l'employeur à ce sujet, d'autant plus qu'il n'existe pas en droit du travail, comme en droit criminel, un droit fondamental au silence et une protection contre l'auto-incrimination.
[285] Cependant, pour l'événement du 30 août 2011, le contexte est fort différent. Le 6 septembre 2011, l'employeur est parfaitement au courant des faits grâce aux observations effectuées au domicile de M. X par MM. Gendron et Houde.
[286] Il ne manque que la version du plaignant. S'il avait été confronté avec les faits observés par MM. Gendron et Houde, le plaignant aurait eu 2 choix très clairs devant lui : où il niait ou il s'expliquait. S'il avait nié, l'employeur avait en mains une preuve en « béton armé » qui lui aurait permis de recueillir une preuve de mensonge et de mauvaise foi évidente et qui l'aurait justifié à appliquer une sanction très sévère contre le plaignant.
[287] D'autre part, si le plaignant s'était expliqué immédiatement, cela aurait permis à l'employeur de comprendre la nature du dossier dans une juste perspective et de cibler son attention sur M.X, en ayant en mains une déclaration du plaignant qui aurait incriminé M. X.
[288] En posant des questions ouvertes alors qu'il avait tous les faits en mains, en « tournant autour du pot », pour employer une expression consacrée, l'employeur ne s'est pas rendu service puisqu'il s'est privé d'une occasion importante de tester la crédibilité du plaignant et il a dû se contenter d'une déclaration ambiguë qui peut toujours s'expliquer et qui ne révèle pas nécessairement la mauvaise foi du plaignant.
[289] Dans de telles circonstances, l'employeur avait tout intérêt à être le plus transparent possible et à « mettre les cartes sur la table », non pas dans le but de piéger le plaignant, mais de tester sa crédibilité de façon directe .
[290] Il ne l'a pas fait et il est donc plus difficile pour lui d'affirmer que le plaignant a menti ou a nié sa participation à cet événement d'autant plus que le plaignant, rappelons-le, a pris la peine de dire aux représentants de l'employeur : « Si vous avez d'autres choses, dites-le et je vais vous répondre ».
[291] On ne peut pas donc conclure de façon certaine que le plaignant a menti ou était de mauvaise foi et, à mon avis, l'employeur ne peut pas invoquer cet argument comme facteur aggravant pour justifier la rigueur de sa sanction.
[292] Il y a un doute raisonnable et une zone grise à ce sujet et ce doute doit profiter au plaignant puisque l'employeur a le fardeau de preuve en tout temps en matière disciplinaire.
[293] Il en est de même pour l'aveu du 8 septembre 2011. M. Houde n'a pas posé aucune question au plaignant alors qu'il y avait là une autre occasion d'exposer au plaignant les faits recueillis lors de l'événement du 30 août 2011, d'autant plus que l'employeur avait en mains beaucoup de précisions à ce sujet, notamment les heures d'arrivée et de départ de la résidence de M. X, les distances parcourues et le temps assez détaillé pour les parcourir.
[294] Comme l'a fait remarquer avec justesse le procureur syndical, la différence entre le temps évalué par l'employeur et celui donné par le plaignant - qui ne porte pas de montre sur lui - n'est pas en soi significatif pour justifier une sanction plus sévère.
[295] Pour toutes ces raisons et en toute justice pour le plaignant, je ne pense pas que l'employeur était justifié d'affirmer dans sa lettre du 12 septembre 2011 que ce dernier avait nié avoir mené des activités personnelles durant ses heures de travail.
(Je souligne)
[76] Dans le présent dossier, la preuve révèle que l'employeur était parfaitement au courant que le plaignant avait branché son câble de recharge de son ordinateur Ipad dans le bureau du directeur général puisque M. Desroches lui avait remis le câble durant la semaine précédant la rencontre disciplinaire.
[77] Ceci étant dit, il convient de déterminer si, lors de la rencontre du 19 novembre 2012, il fut question du câble de recharge. Le syndicat prétend que non alors que l'employeur affirme que oui. Il y a donc preuve contradictoire où la question de la crédibilité des témoins entre en jeu.
[78] À ce sujet, il existe une vieille règle de droit qui veut qu'on doit accorder plus de crédibilité à un témoin qui affirme des faits et qui donne des détails plutôt qu'un témoin qui se contente de nier.
[79] Dans son témoignage, M. Massé mentionne qu'il a fait allusion au Ipad et sur ses notes on voit qu'il a écrit en marge les mots « référence Ipad ».
[80] Mais il est clair de l'ensemble des témoignages que la question du câble de recharge ne fut pas abordée de façon directe et précise. M. Massé a d'ailleurs mentionné qu'il procédait toujours de la même façon, en posant des questions indirectes et générales et non pas directes et fermées.
[81] Qu'est ce qui empêchait l'employeur de confronter directement le plaignant en lui disant qu'on avait retrouvé son câble de recharge dans le bureau du directeur général puisqu'on avait une preuve tangible - le témoignage potentiel du directeur général lui-même et la remise du câble au plaignant qu'il l'a accepté reconnaissant ainsi sa preuve de propriété?
[82] En procédant ainsi, le plaignant aurait été obligé de répondre à la question et aurait su immédiatement ce qu'on lui reprochait. Pourquoi « tourner ainsi autour du pot », pour employer une expression consacrée et pourquoi ne faire pas preuve de la plus grande transparence possible quand on possède une preuve quasiment irréfutable?
[83] Ceci est d'autant plus vrai que, si le plaignant avait nié, l'employeur aurait pu alors faire facilement la preuve du contraire et se servir de cette preuve comme facteur aggravant sur la sanction.
[84] En procédant comme il l'a fait, l'employeur a créé de l'ambiguïté alors qu'il aurait été fort simple de mettre les cartes sur la table, ce qui ne l'aurait nullement empêcher de sanctionner le plaignant pour le manquement qu'il lui reprochait tout en réservant la possibilité d'utiliser une réponse négative du plaignant comme facteur aggravant.
[85] De plus, il est raisonnable de penser que le 19 novembre 2012, l'employeur avait déjà en mains tous les faits pertinents pour appliquer une sanction au plaignant et voici pourquoi.
[86] Dans son avis de suspension daté du 28 novembre 2012. l'employeur écrit ceci :
« En fait, il a été constaté que vous aviez mangé et que vous aviez utilisé la télévision dans le bureau du directeur général. De plus, un câble de recharge a été également trouvé dans le même bureau ».
[87] Donc le 28 novembre 2012, l'employeur sait que le plaignant a mangé et a regardé la télévision dans le bureau du directeur général et qu'il y a laissé un câble de recharge.
[88] Comment a-t-il été mis au courant de ces informations puisque lors de la rencontre du 19 novembre 2012, le plaignant n'a pas répondu aux questions et donné sa version des faits et qu'il l'a fait seulement lors de son témoignage devant le présent tribunal 1 an et demi plus tard?
[89] Il n'est donc pas déraisonnable de penser que le 19 novembre 2012, l'employeur avait en mains tous les éléments pertinents du litige pour lui permettre de confronter le plaignant et de lui poser des questions directes et précises sur ces faits.
[90] Il ne l'a pas fait et il a sanctionné le plaignant pour avoir refusé de répondre à des questions vagues, larges et imprécises sur son emploi du temps lors de sa prestation de travail l'empêchant de fournir cette prestation le 19 novembre 2012 même s'il était disponible pour le faire.
[91] De toute façon, même si l'employeur avait été justifié d'empêcher M. Ouellet d'effectuer sa prestation de travail, ce qui n'est pas le cas en l'espèce, on ne retrouve pas au dossier des circonstances exceptionnelles permettant à l'employeur de priver le plaignant du salaire auquel il avait droit en vertu de son contrat de travail.
[92] À ce sujet, il faut revenir à ce que la Cour suprême dit dans l'arrêt L'industrielle-Alliance , à la page 217 :
« Toutefois, une précision paraît de mise pour souligner que le pouvoir de suspension administrative n'entraîne pas, en principe, comme corollaire, le droit de suspension du salaire. L'employeur ne peut se dégager unilatéralement, sans autre cause, de l'obligation de payer le salaire de l'employé s'il prive ce dernier de la possibilité d'exécuter sa prestation.
L'employeur peut toujours renoncer à son droit de recevoir la prestation du salarié mais il ne peut se soustraire à son obligation de payer le salaire lorsque le salarié demeure disponible pour accomplir un travail dont l'exécution lui est refusée. En choisissant de ne pas mettre un terme au contrat de travail avec les compensations afférentes, fixées selon les principes applicables, l'employeur demeure en principe tenu de respecter ses propres obligations réciproques même s'il n'exige pas la prestation de travail de l'employé.
[93] Dans cette affaire, l'employé était accusé d'infractions criminelles ce qui n'a pas empêché la Cour suprême de déclarer qu'il n'y avait pas de circonstances exceptionnelles pour permettre à l'employeur de le suspendre sans solde.
[94] Pour toutes ces raisons, j'estime que l'employeur n'avait aucune justification pour suspendre le plaignant le 19 novembre 2012 et qu'il n'existait aucune circonstance exceptionnelle de le priver du salaire auquel il avait droit en vertu de son contrat de travail..
[95] Ceci étant dit, il reste à examiner la question de la sanction disciplinaire d'une journée de suspension imposée par l'employeur dans sa lettre du 28 novembre 2012.
[96] Il y a 2 aspects à examiner : la faute et la sanction.
[97] Y-a-t-il eu faute? Dans sa lettre de suspension datée du 28 novembre 2012, l'employeur reproche 2 faits au plaignant : 1 - avoir fait preuve de négligence lors de l'exécution de ses tâches et 2 - n'avoir pas collaboré avec l'employeur lors de la rencontre du 19 novembre 2012.
[98] J'ai déjà disposé de la question entourant la rencontre du 19 novembre 2012 puisque je suis arrivé à la conclusion que l'employeur était responsable de cette situation par son approche indirecte et imprécise de son interrogatoire alors qu'il avait en mains tous les éléments pour confronter le plaignant et mettre les cartes sur la table.
[99] D'autre part, l'employeur ne peut utiliser une double sanction à l'endroit du plaignant puisqu'il l'avait déjà suspendu sans solde le 19 novembre 2012.
[100] Reste la question de la négligence dont aurait fait preuve le plaignant dans l'exécution de ses tâches le 12 novembre 2012.
[101] Dans son témoignage, le plaignant a admis lui-même avoir mangé une salade sur la table de conférence située dans le bureau du directeur général, avoir regardé la télévision et avoir utiliser une prise de courant pour brancher le câble de recharge de son ordinateur, le tout pendant sa période de pause prévue à la convention collective.
[102] L'aveu du plaignant est la meilleure preuve qui soit sur les faits allégués par l'employeur, mais encore faut-il que ces faits constituent une faute ou un manquement et comme l'employeur l'allègue lui-même une forme de négligence dans l'exécution de ses fonctions.
[103] Dans son avis de suspension, l'employeur mentionne qu'il est interdit de manger et d'utiliser les équipements et le matériel dans les bureaux des employés de la Ville, mais la preuve démontre qu'il n'existe aucune directive écrite ou verbale à ce sujet.
[104] L'employeur prétend qu'il s'agit d'une règle de « gros bon sens » et que le plaignant a avoué sa culpabilité en affirmant dans son témoignage qu'il avait été « maladroit » en oubliant le câble de recharge dans le bureau du directeur général.
[105] Le syndicat plaide de son côté, que, comme les employés d'entretien sont seuls lorsqu'ils exécutent leurs tâches, rien ne les empêche d'utiliser un des bureaux des employés pour prendre leur pause à la condition qu'ils ne touchent à aucun effet personnel des employés.
[106] Il ne faut pas oublier, au départ, que le fardeau de preuve repose dans ce dossier sur les épaules de l'employeur puisque nous sommes en matière disciplinaire.
[107] Si on fait référence à l'avis de suspension de l'employeur du 28 novembre 2012, ce dernier doit démontrer, par prépondérance de preuve, que le plaignant a fait « preuve de négligence dans l'exécution de ses tâches » et de façon subsidiaire ou complémentaire, également par prépondérance de preuve, comme il l'affirme dans cet avis de suspension, « qu'il est interdit de manger et d'utiliser les équipements et le matériel dans les bureaux des employés de la Ville ».
[108] À priori, je crois comprendre que l'employeur fait un lien entre le fait pour le plaignant d'avoir mangé et d'avoir utilisé les équipements (télévision) et le matériel (une prise de courant pour brancher un câble de surcharge pour son Ipad) dans les bureaux des employés de la Ville et d'avoir fait preuve de négligence dans l'exécution de ses tâches.
[109] Comme je l'ai mentionné précédemment, la preuve révèle qu'il n'y a pas de directive écrite ou orale qui interdit spécifiquement aux employés d'entretien de manger ou d'utiliser les équipements et le matériel dans les bureaux des employés de la Ville.
[110] Par contre, il n'est pas nécessaire qu'un comportement puisse constituer une faute de la part d'un salarié sans que ce comportement soit expressément prohibé par une directive écrite et verbale. L'exemple qui me vient spontanément à l'esprit est celui du salarié qui insulterait son supérieur immédiat en le traitant de tous les noms ou en lui criant par la tête.
[111] Il y a dans ce cas un comportement fautif qui relève de l'obligation contenue au contrat de travail pour un salarié d'effectuer une prestation de travail sous la direction et le contrôle d'un employeur à qui il doit respect et obéissance, sans qu'il soit nécessaire pour ce dernier de le préciser par une directive écrite ou orale particulière.
[112] C'est ce que l'employeur désigne, dans le présent cas, comme la règle implicite de « gros bon sens ».
[113] Pour comprendre cette règle du « gros bon sens », il faut
revenir à la base du contrat de travail que l'on retrouve à l'article
ART 2085 Le contrat de travail est celui par lequel une personne, le salarié, s'oblige pour un temps limité et moyennant rémunération à effectuer un travail sous la direction ou le contrôle d'une autre personne, l'employeur.
[114] L'article
[115] De façon plus précise, on retrouve à l'annexe F de la convention collective une description des tâches que devait accomplir le plaignant le soir du 12 novembre 2012. à savoir exécuter un travail de surveillance des lieux, effectuer des travaux légers d'entretien ménager, aller porter les clefs et/ou des rapports à la demande de l'employeur et faire le transport de matériel d'entretien ménager.
[116] D'autre part, la preuve démontre que la personne qui effectue des travaux de surveillance et d'entretien ménager le soir dans les bâtiments administratifs de la Ville est généralement seul et qu'il ne fait l'objet d'aucune surveillance ou de contrôle de la part d'un contremaître.
[117] Enfin le 2e alinéa du sous-paragraphe 10.17 A) mentionne que la période de repos prévue à ce sous-paragraphe doit être prise sur les lieux de travail et l'employé doit rester disponible durant cette période et intervenir si besoin est, même s'il peut, de façon exceptionnelle, si les besoins opérationnels le permettent, avec l'autorisation de son contremaître, prendre ses périodes de repos à l'extérieur du lieu de travail,
[118] Que faut-il conclure de tous ces éléments? Premièrement, il m'apparaît clair que le travail effectué par le plaignant présente un élément de sécurité important. Le concierge est plus qu'un simple employé qui fait le ménage. Il est responsable aussi de la surveillance des lieux lorsque les autres employés de la Ville y sont absents et il est l'intervenant de 1ere ligne en cas d'urgence ou d'incident.
[119] Deuxièmement, le plaignant travaille seul et il n'est l'objet d'aucune surveillance de la part d'un contremaître, comme je l'ai mentionné précédemment.
[120] Ces 2 caractéristiques de ce travail impliquent qu'il doit exister entre le plaignant et l'employeur un lien de confiance particulièrement important.
[121] Comme le plaignant est le répondant de 1ere ligne en cas d'urgence et comme il travaille seul, il doit faire preuve d'une loyauté sans faille à l'endroit de l'employeur et être au dessus de tout soupçon pour tout ce qui touche la propriété, la protection et la propreté du matériel, des équipements et des divers objets et documents appartenant à la Ville et à ses employés.
[122] Cela implique aussi pour le plaignant et ses semblables de faire preuve d'un sens particulièrement élevé de prudence et diligence dans l'exécution de ses fonctions et même lorsqu'il prend ses pauses puisqu'un article précis de la convention collective exige qu'il prenne ces pauses sur les lieux du travail et qu'il soit disponible en tout temps, sauf sur autorisation de son contremaître.
[123] Cette obligation de prudence et de diligence, doublée à celle de la loyauté, implique que le plaignant, lorsqu'il travaille seul le soir dans un immeuble particulièrement névralgique comme l'Hôtel de Ville, doit être au dessus de tout soupçon et éviter scrupuleusement de se servir du matériel et des équipements appartenant à la Ville à des fins personnelles, sauf évidemment en cas d'urgence ou de circonstances exceptionnelles.
[124] La preuve démontre qu'à l'Hôtel de Ville il existe une petite cuisine où les employés peuvent relaxer et prendre leur repas. C'est un endroit ouvert à tous les employés et contrairement aux bureaux privés, le matériel et les équipements s'y trouvant peuvent être utilisés par ceux qui s'y trouvent.
[125] Ceci veut dire que l'obligation de prudence qui incombe au plaignant dans l'exécution de ses tâches - y compris celle de surveillance générale des lieux - doit non seulement servir son employeur, mais également servir à le protéger lui-même contre des soupçons qui peuvent peser sur sa personne en cas de détérioration ou de disparition de matériel appartenant à la Ville ou à ses employés.
[126] Un autre élément important est celui de la vie privée des employés de la Ville pour qui leur espace de bureau est une extension de leur personnalité et une zone particulièrement délicate à envahir.
[127] L'employé qui vient faire l'entretien ménager dans ces bureaux, le soir, alors qu'il est seul doit être particulièrement sensible à cette obligation de prudence et au respect inconditionnel des espaces quasi-privés et personnalisés des bureaux des employés de la Ville.
[128] Donc, il n'est pas déraisonnable, dans un tel contexte, que l'employeur fasse référence dans ce cas, à une règle de « gros bon sens » qui interdit implicitement au plaignant et aux personnes faisant le même travail que lui, dans les mêmes circonstances, à ne pas se servir du matériel et des équipements de la Ville à des fins personnelles particulièrement dans les bureaux des employés de la Ville, qui doivent être considérés pour les fins de la présente comme des espaces quasi-privés et personnalisés.
[129] Donc, dans ce sens, on peut dire que le plaignant a commis une faute qui ne relève pas de la négligence, mais d'une violation élémentaire d'une règle de prudence dans l'exécution de ses tâches de surveillance et d'entretien ménager.
[130] La règle de prudence s'applique aussi quand le plaignant prend une pause car la convention collective prévoit qu'il doit rester à la disposition de l'employeur durant cette période de repos. Autrement dit, son obligation de prudence ne cesse pas lorsqu'il prend une pause.
[131] Après avoir déterminé que le plaignant a commis une faute, il reste à examiner si la sanction appliquée par l'employeur dans le présent cas est juste et raisonnable.
[132] Il faut mentionner au départ que le sous-paragraphe 8.11-B de la convention collective donne au présent tribunal une juridiction assez large à ce sujet. Ce sous-paragraphe se lit comme suit :
8.11-B Dans le cas d'un grief relatif à une mesure disciplinaire, l'arbitre a pleine juridiction pour maintenir, modifier, rejeter ou substituer une mesure disciplinaire et ordonner la réinstallation de l'employé dans tous ses droits, dans son emploi et à la fonction qu'il occupe ainsi que de déterminer, le cas échéant, toute indemnité jugée appropriée dans les circonstances. De cette indemnité, l'arbitre doit retrancher tout salaire et/ou rémunération reçu durant la sanction.
[133] Au départ, je dois tenir compte du fait que la Ville, jusqu'à maintenant, n'a émis aucune directive orale ou écrite interdisant de façon claire et explicite un tel comportement.
[134] Le plaignant a pris pour acquis qu'il n'avait commis aucune faute en mangeant sa salade sur une petite table de conférence dans le bureau du directeur général, en regardant la télévision et en se servant d'une prise de courant pour brancher son câble de recharge de son ordinateur.
[135] Il aussi sans doute pris pour acquis que ce qui n'est pas interdit est permis conformément à une règle générale de conduite qui existe dans les sociétés démocratiques.
[136] Mais il a cependant mal évalué la portée de son obligation de prudence, de diligence et de loyauté qui existe dans son contrat de travail, plus particulièrement en ce qui concerne les tâches qu'il doit accomplir non seulement pour servir efficacement son employeur, mais également pour se protéger lui-même de toute tentative de soupçon à son égard en ce qui concerne le matériel et les équipements de la Ville, particulièrement ceux qui se trouvent dans les bureaux des employés.
[137] Par contre, il aurait été souhaitable que l'employeur émette une directive claire pour circonscrire la portée de l'obligation qui est faite au plaignant et aux salariés qui exercent les mêmes fonctions de prendre leur période de repos sur les lieux de travail , comme le mentionne le 2e alinéa du sous-paragraphe 10.17 A) de la convention collective.
[138] Pour ces raisons, j'estime que l'employeur aurait dû dans les circonstances respecter la règle de la gradation des sanctions afin de permettre au plaignant de s'amender et surtout de bien comprendre la nature de son travail, l'importance du lien de confiance qui doit exister entre son employeur et lui et surtout la portée de son obligation de prudence dans l'exécution de ses fonctions, non seulement pour bien servir son employeur, mais également pour se protéger lui-même en se mettant à l'abri de tout soupçon en ce qui concerne le matériel et l'équipement de la Ville.
[139] Compte tenu de ces circonstances et étant donné la zone grise qui a pu exister dans ce dossier, je pense qu'un avertissement écrit est suffisant pour bien renseigner le plaignant et les employés qui exercent le même travail que lui sur leurs obligations envers la Ville.
[140] Reste la question du paragraphe 7.03 de la convention collective qui se lit comme suit :
7.03 Les mesures disciplinaires écrites ne pourront être versées au dossier de l'employé que si celles-ci ont été précédées d'un avis écrit sur un acte similaire pour donner à l'employé la chance de s'amender. Tout avis qui n'a pas été suivi d'une mesure disciplinaire durant les 12 mois suivant son infraction devient nul.
(Je souligne)
[141] J'ai lu avec intérêt les décisions qui ont été rendues par les arbitres Moalli et Provençal, la 1ere en 1992 et la 2e en 2013.
[142] Dans la décision de l'arbitre Provençal, je comprends qu'il s'agit d'une convention collective qui avait été signée entre la Ville et la section locale 1009 du Syndicat canadien de la fonction publique, en ce qui concerne les cols bleus et qu'il a eu changement d'allégeance syndicale par la suite en faveur de la CSN.
[143] Dans le présent dossier, c'est un peu la même chose, sauf que la convention vise les surveillants et les concierges.
[144] Toutefois les textes litigieux sont les mêmes sauf qu'ils portent des numéros différents, soit 17.03 dans la convention des cols bleus et 7.03 dans la convention des surveillants et concierges.
[145] Dans sa décision, l'arbitre Provençal note à la page 17 que depuis la décision rendue par l'arbitre Maolli en 1992, rejetant l'interprétation syndicale concernant le paragraphe 17.03, les parties n'avaient jamais modifié le texte de ce paragraphe- sauf pour un amendement mineur - et qu'elles l'avaient appliqué toujours de la même manière indiquée par l'arbitre Maolli.
[146] L'arbitre Provençal arrive donc à la conclusion qu'il existe une fin de non recevoir à l'objection syndicale puisqu'au cours des ans, la partie syndicale n'avait jamais soulevé ce moyen d'irrecevabilité.
[147] L'arbitre Provençal mentionne aussi que ce moyen n'a pas été soulevé à la 1ere opportunité raisonnable, soit lors de la procédure de grief, mais uniquement lors de la plaidoirie, ce qui justifie l'employeur a lui imposer une fin de non recevoir.
[148] Dans le présent dossier, il n'y a pas de preuve que le paragraphe 7.03 a fait l'objet d'un semblable traitement de la part des parties, mais, par contre, il aurait été souhaitable que le syndicat soulève ce moyen à la 1ere opportunité raisonnable au lieu d'attendre en plaidoirie pour le faire.
[149] Il n'est donc pas déraisonnable, dans les circonstances, que l'employeur oppose à ce paragraphe une fin de non recevoir.
[150] Enfin, je suis d'accord avec l'arbitre Provençal pour dire que ce paragraphe n'est pas un modèle de clarté et que les parties auraient tout intérêt à le clarifier, mais, par contre, compte tenu des circonstances du présent dossier et des conclusions auxquelles j'arrive, il est quand même possible de lui donner une interprétation qui soit raisonnable.
[151] Le but visé par cet article est d'inscrire de façon précise dans la convention collective le principe de la gradation des sanctions que l'on retrouve dans la jurisprudence et la doctrine arbitrales en droit du travail.
[152] À moins d'exception, le but de toute mesure disciplinaire vise à corriger le comportement fautif d'un salarié et non pas à le punir. Lorsqu'il sanctionne un salarié, l'employeur doit toujours commencer, sauf exception, par appliquer la sanction la moins sévère possible et y aller de façon graduelle en cas de récidive.
[153] On comprend alors qu'une mesure disciplinaire - autre qu'un simple avertissement écrit - doit être précédée d'un avis écrit sur un acte similaire afin de donner une chance à l'employé de s'amender.
[154] Dans la présente convention collective, la mesure disciplinaire la moins sévère est un avis écrit, comme on peut le déduire du paragraphe 7.02. On n'envoie pas à un salarié un avis écrit pour lui dire qu'on lui a donné un avis verbal.
[155] Par contre, si l'employeur applique le principe de la gradation des sanctions et impose un avis disciplinaire écrit à un salarié, il serait absurde de lui demander de lui envoyer un avis écrit sur un acte similaire avant d'envoyer son avis disciplinaire. Sinon, il ne pourrait pratiquement jamais sévir dans les cas mineurs.
[156] Comme j'ai annulé la suspension d'une journée par l'employeur et lui ai substitué un avis de réprimande écrit, il serait superfétatoire d'annuler cette suspension une deuxième fois en se basant sur le paragraphe 7.03.
POUR CES MOTIFS, LE PRÉSENT TRIBUNAL :
ACCUEILLE le grief portant le numéro AC 12-26;
ORDONNE à la Ville de rembourser au plaignant les sommes d'argent auxquelles il aurait eu droit s'il avait travaillé le 12 novembre 2012, le tout avec intérêts au taux légal ;
ACCUEILLE partiellement le grief portant le numéro AC 13-01 ;
ANNULE la suspension d'une journée de travail imposée au plaignant ;
IMPOSE au plaignant un avis disciplinaire écrit ;
ORDONNE à la Ville de rembourser au plaignant les sommes d'argent perdues à cause de cette suspension, le tout avec intérêts au taux légal ;
RÉSERVE sa juridiction en cas de mésentente entre les parties sur les questions monétaires.
Lawrenceville, le 25 juin 2014
____________________________
Pierre Cloutier ll.m
arbitre unique
ANNEXE « A »
LISTE DES TÉMOINS
POUR L'EMPLOYEUR
1 - M. Hugo Ouellet, appariteur-concierge;
2 - M. Jean-Paul Desroches, coordonnateur à l'unité d'entretien;
3 - M. Vincent Massé, directeur-adjoint en relations du travail
POUR LE SYNDICAT
1 - M. Hugo Ouellet, appariteur-concierge;
2 - Mme Chantale Matteau, appariteure-concierge et déléguée syndicale.
ANNEXE « B »
LISTE DES AUTORITÉS
PAR LE SYNDICAT
L'Industrielle-Alliance
Compagnie d'Assurance sur la Vie c. Gilbert Cabiakman
,
PAR L'EMPLOYEUR
Syndicat canadien de la fonction publique, section locale 1009 et Ville de Terrebonne, 12 mars 2013, grief de M. Mathieu Charest suspension.
PAR LE TRIBUNAL
L'Industrielle-Alliance
Compagnie d'Assurance sur la Vie c. Gilbert Cabiakman
,
Syndicat canadien de la fonction publique, section locale 1009 et Ville de Terrebonne, 12 mars 2013, grief de M. Mathieu Charest suspension.
Syndicat manuel des travailleurs et travailleuses de Vaudreul-Dorion (CSN) c.Ville de Vaudreuil-Dorion, grief no 2011-06, plaignant, M. Clayton West