Dommages

Lessard c. Bissonnette

2014 QCCQ 8906

COUR DU QUÉBEC

« Division des petites créances »

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

BEAUHARNOIS

LOCALITÉ DE

SALABERRY-de-VALLEYFIELD

« Chambre civile »

N° :

760-32-015841-135

 

 

 

DATE :

Le 12 mai 2014

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SOUS LA PRÉSIDENCE DE

L’HONORABLE

CLAUDE MONTPETIT, J.C.Q.

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STÉPHANE LESSARD &

MICHELLE GRAHAM

 

Demandeurs-Défendeurs reconventionnels

 

c.

 

CHRISTOPHER BISSONNETTE &

DARREN BISSONNETTE &

CINDY ROBERTS

 

Défendeurs-Demandeurs reconventionnels

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JUGEMENT

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[1]            Le présent dossier fait suite à des événements survenus depuis le 19 août 2013, soit depuis le jugement prononcé par l’Honorable Céline Gervais, J.C.Q., qui a entendu les parties, qui sont voisins immédiats, le 4 avril 2013, en raison de réclamations mutuelles de dommages pour troubles de voisinage.

[2]            Encore une fois, les parties allèguent que l’attitude de l’autre leur cause une perte de jouissance de leur propriété, des ennuis et inconvénients en raison de gestes d’intimidation et d’empiètement à leur vie privée.

[3]            D’entrée de jeu, le Tribunal a souligné clairement aux parties qu’il n’entendrait que la preuve des événements survenus après le 4 avril 2013, date du procès devant la Juge Gervais qui a disposé des incidents survenus avant cette date.

LE JUGEMENT DU 19 AOÛT 2013

(Dossier 760-32-015109-129)

[4]            Le Tribunal estime important de rappeler les passages suivants de la décision de la Juge Gervais :

[11]         C'est un fait que chaque partie a produit en preuve de nombreux extraits de films montrant chacune des familles dans leurs différentes activités quotidiennes.

[12]         Par ailleurs, M. Bissonnette se plaint du fait que la caméra de M. Lessard est orientée directement sur sa maison et qu'elle vise non pas à assurer la sécurité de sa propriété, mais plutôt à l'espionner.  Dans sa contestation, il demande au Tribunal de rendre une ordonnance afin que M. Lessard repositionne sa caméra de façon à respecter sa vie privée.  Le Tribunal a informé M. Bissonnette qu'une telle ordonnance était de la juridiction de la Cour supérieure, et qu'il ne pourrait en conséquence l'accorder.

[….]

[15]         À cause de tous ces événements, M. Lessard réclame la somme de 6000 $, soit 1500 $ pour chacun des membres de sa famille, soulignant que ses enfants, âgés de 7 ans et de 11 ans, refusent désormais d'aller jouer dehors et sont craintives depuis l'incident du lancer des œufs.

[16]         En demande reconventionnelle, M. Bissonnette réclame 4000 $, soit 1000 $ pour chacun des membres de sa famille, soulignant que ses enfants, et surtout sa plus jeune fille, sont traumatisés de l'état des relations de voisinage et n'osent plus aller jouer dehors.

[….]

[20]         Les dossiers impliquant des troubles de voisinage sont rarement faciles à trancher, et de façon générale, chacun des voisins contribue à une escalade d'événements qui finissent par atteindre un point culminant qui fait dégénérer la situation.

[….]

[27]         Monsieur Lessard a par contre raison de se plaindre des agissements du fils de M. Bissonnette.

[28]         On ne peut impunément écrire n'importe quoi sur les réseaux sociaux sans que cela n'amène des conséquences.  Bien que Darren Bissonnette n'ait vraisemblablement pas eu l'intention d'incendier la maison de son voisin, il était totalement inappropriée (sic) d'y faire allusion.

[29]         C'est pourquoi le Tribunal entend accorder une somme symbolique de 500 $ à M. Lessard et Mme Graham pour compenser les inconvénients subis par les agissements du fils de M. Bissonnette. »

LES FAITS SURVENUS APRÈS LE JUGEMENT GERVAIS

[5]            Suite à l’audition du procès du 4 avril 2013, la preuve démontre que la situation a été calme durant tout l’été 2013 et que les premiers événements d’importance sont survenus le 3 octobre 2013.

[6]            À cette date, il n’est pas contesté qu’entre 22h00 et 22h15, un soir de semaine, le défendeur, Christopher Bissonnette, a demandé à son fils Darren d’aller sonner à la porte des demandeurs afin de leur présenter des excuses et leur remettre la somme de 500,00$ à laquelle il a été condamné  par la Juge Gervais.

[7]            Les défendeurs sont au courant que deux jeunes enfants sont dans la maison.

[8]            Ayant sonné à deux reprises sans réponse, Darren Bissonnette frappe à la porte sans résultat encore et quitte les lieux après avoir été vu par madame Graham par une fenêtre.

[9]            L’enveloppe contenant le paiement de 500,00$ est accrochée à la poignée d’un véhicule stationné dans l’entrée.

[10]         Quelques minutes plus tard, vers 22h20, le demandeur Lessard quitte pour son travail de nuit avec son véhicule qui était dans le garage.

[11]         Vers 22h30, sachant que monsieur Lessard est parti, Christopher Bissonnette retourne sur les lieux, récupère l’enveloppe,  sonne et cogne à nouveau à la porte.

[12]         N’ayant pas de réponse, il fixe l’enveloppe à la poignée de la porte de la maison des défendeurs et quitte après avoir été vu, lui aussi, par madame Graham.

[13]         Nerveuse et craintive, madame Graham appelle son conjoint qui lui conseille de retourner se coucher avec les enfants qui ont été réveillés par les deux incidents.

[14]         Le lendemain matin, le demandeur Lessard retrouve l’enveloppe fixée à la poignée de la porte et encaisse la somme de 500,00$ plus tard en journée.

POSITION DES PARTIES

[15]         En plus de la visite tardive du 3 octobre 2013, le demandeur Lessard reproche aux défendeurs le stationnement de véhicules devant chez lui et les nombreux virages en U effectués par les Bissonnette dans son entrée, les insultes et les gestes d’intimidation qui reprennent à l’automne 2013, pour lesquels il réclame une somme de 6 000,00$, soit 1 500,00$ par occupant (lui, son épouse et ses deux enfants).

[16]         De leur côté, les défendeurs réclament également 6 000,00$ pour l’atteinte à leur vie privée en raison de la caméra braquée sur leur maison 24 heures par jour (articles 35 et 36 C.c.Q.), les propos injurieux et l’attitude belliqueuse de monsieur Lessard.

ANALYSE

[17]         À première vue, le Tribunal estime que les défendeurs Christopher et Darren Bissonnette ont commis une grossière erreur en se rendant, à tour de rôle, chez les demandeurs entre 22h00 et 22h30 le 3 octobre 2013, un jeudi soir.

[18]         Le défendeur Darren Bissonnette, âgé de 18 ans depuis septembre 2013,  a, à tout le moins, l’excuse de l’inexpérience et  il a agi sous la demande et l’influence de son père, Christopher Bissonnette.

[19]         Quant au défendeur Christopher Bissonnettte, âgé de 40 ans au moment des événements, il s’agit, de l’avis du Tribunal, d’une erreur inexcusable d’envoyer son fils sonner chez les voisins à une heure aussi tardive, sachant que sa condamnation à payer une somme de 500,00$ était directement reliée à un geste obscène que son fils avait posé à l’endroit des demandeurs et des propos menaçants qu’il avait écrit sur les réseaux sociaux à l’endroit du demandeur Lessard.

[20]         Par ce geste volontaire qu’il a posé le soir du 3 octobre 2013 et pour en avoir remis en retournant lui-même devant la porte des demandeurs pour sonner et frapper de nouveau, il a engagé sa responsabilité civile.

[21]         N’ayant pas compris la gravité de la situation et le message clair que contenait le jugement de la Juge Gervais, il devra supporter seul une somme de 500,00$ mais, cette fois-ci, avec les intérêts légaux, l’indemnité additionnelle (art. 1619 C.c.Q.) et les frais judiciaires des demandeurs.

[22]         Dans la fixation du montant à payer pour le geste posé par le défendeur Christopher Bissonnette, le Tribunal tient compte de l’admission du demandeur Lessard qu’il a utilisé des propos injurieux à l’endroit de monsieur Bissonnette et que si ces propos n’avaient pas été tenus, la condamnation aurait été plus élevée.

[23]         La preuve ne permet pas également de condamner madame Cindy Roberts qui, comme il se doit, n’a pas tenu un rôle actif dans le cadre du présent litige.

LA DEMANDE RECONVENTIONNELLE

[24]         Le Tribunal rejette la prétention des défendeurs que la caméra de surveillance installée par les demandeurs a comme objectif de les « espionner » ou de capter leur image alors qu’ils sont sur un lieu privé.

[25]         La preuve démontre plutôt que l’objectif premier de la caméra des demandeurs est de surveiller les intrusions sur leur propre terrain et non pas d’espionner les défendeurs.

[26]         D’ailleurs, les images captées n’ont jamais fait l’objet d’aucune diffusion et ont été produites au dossier de la Cour dans un objectif de corroboration.

[27]         Le Tribunal procède d’ailleurs au scellé des images captées de part et d’autre qui ne pourront être utilisées à aucune autre fin.

[28]         Les défendeurs-demandeurs reconventionnels n’ont pas prouvé les allégations de leur demande reconventionnelle et comme la Juge Gervais l’a fait dans son jugement du 19 août 2013, le Tribunal conclut que chacune des parties a contribué à l’escalade qui a mené à l’incompréhension, l’absence de respect et de dialogue paisible entre les parties.

RECOMMANDATIONS

[29]         Afin d’éviter tout nouveau litige et limiter les recours devant les tribunaux ainsi que le stress qui accompagne les présences à la Cour, le Tribunal a fortement recommandé aux parties de s’abstenir de toute communication directe ou indirecte, de quelque nature que ce soit, et même de s’ignorer mutuellement à l’avenir.

[30]         Le défendeur Christopher Bissonnette a soulevé que la rue appartenait à tout le monde et qu’il avait le droit de stationner devant la propriété de monsieur Lessard car une borne-fontaine limite l’espace de stationnement devant chez lui.

[31]         L’analyse des photos démontre que l’entrée charretière de monsieur Bissonnette comporte cinq places et qu’en sus, deux portes de garage peuvent accommoder deux véhicules additionnels, pour un total de sept.

[32]         La borne-fontaine, située à l’extrémité de son terrain, ne l’empêche pas de stationner son véhicule devant chez lui, pour un total de huit places disponibles.

[33]         Bien sûr, la Cour du Québec, division des Petites créances, ne peut émettre d’injonction interdisant à l’un ou l’autre de faire ou de ne pas faire quelque chose.

[34]         Le Tribunal a souligné à monsieur Bissonnette que le fait de stationner un véhicule devant la maison de monsieur Lessard était une source d’irritation et « allume la flamme » de celui-ci.

[35]         Éviter de stationner ses véhicules devant la propriété de l’autre voisin serait une excellente habitude à prendre pour les deux parties et éviterait de provoquer une nouvelle confrontation en Cour.

[36]         Quant à l’importance de pouvoir profiter de sa quiétude dans le havre de paix que doit représenter une résidence, le Tribunal a longuement entretenu les parties sur la nécessité d’éviter tout contact dans l’avenir.

[37]         Finalement, quant à la question de la légalité de la présence des caméras, il s’agit d’une question qui relève de la réglementation municipale et qui ne peut être tranchée devant la division des Petites créances mais plutôt devant la Cour municipale concernée.

PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

            ACCUEILLE la demande principale en partie;

CONDAMNE le défendeur, Christopher Bissonnette, à payer aux demandeurs la somme de 500,00$ avec intérêts au taux légal, l’indemnité additionnelle prévue à l’article 1619 C.c.Q. à compter de l’assignation du 27 novembre 2013 et les frais judiciaires de 167,00$.

ORDONNE que le paiement de la somme en capital, intérêts et frais soit effectué au greffe de la Cour du Québec, division des Petites créances du district judiciaire de Beauharnois, au 74, rue Académie, à l’intérieur du délai de 30 jours prévu par la loi;

REJETTE la demande des demandeurs contre les défendeurs Darren Bissonnette et Cindy Roberts, sans frais;

            REJETTE sans frais la demande reconventionnelle.

 

 

 

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CLAUDE MONTPETIT, J.C.Q.

(JM2018)

 

 

Date d’audience :  Le 17 avril 2014

 

 

 

 

SECTION III

DU RETRAIT ET DE LA DESTRUCTION DES PIÈCES

 

Les parties doivent reprendre possession des pièces qu'elles ont produites, une fois l'instance terminée.  À défaut, le greffier les détruit un an après la date du jugement ou de l'acte mettant fin à l'instance, à moins que le juge en chef n'en décide autrement.

 

Lorsqu'une partie, par quelque moyen que ce soit, se pourvoit contre le jugement, le greffier détruit les pièces dont les parties n'ont pas repris possession, un an après la date du jugement définitif ou de l'acte mettant fin à cette instance, à moins que le juge en chef n'en décide autrement.  1994, c. 28, a. 20.