Montréal, Maine & Atlantique Canada Cie (Montreal, Maine & Atlantic Canada Co.) (MMA) (Arrangement relatif à)

2014 QCCS 4514

JD 2364

 
COUR SUPÉRIEURE

Chambre commerciale

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

SAINT-FRANÇOIS

 

N° :

450-11-000167-134

 

 

 

DATE :

28 mars 2014

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE :

L’HONORABLE

GAÉTAN DUMAS, J.C.S.

______________________________________________________________________

 

 

Dan s l’affaire du plan d’arrangement avec les créanciers de  :

 

MONTRÉAL, MAINE & ATLANTIQUE CANADA CIE (MONTREAL, MAINE & ATLANTIC CANADA CO.) (M.M.A.)

Débitrice

Et

RICHTER ADVISORY GROUP INC.

(RICHTER GROUPE CONSEIL INC.)

Contrôleur

Et

ORFORD EXPRESS INC.

Requérante

Et

RAILROAD ACQUISITION HOLDINGS LLC

Mise en cause

______________________________________________________________________

 

JUGEMENT

______________________________________________________________________

 

 

 

[1]    Le tribunal est saisi d’une requête pour modifier une ordonnance antérieure et pour obtenir diverses ordonnances déclaratoires de la requérante Orford Express inc.

[2]    Le présent dossier fait suite à la tragédie ferroviaire survenue le 6 juillet 2013 dans la ville de Mégantic.

[3]    Pour une meilleure compréhension des faits, le tribunal réfère le lecteur et les parties aux divers jugements déjà rendus, entre autres :

- Approval and vesting order , 23 janvier 2014, auquel était joint l’ Asset Purchase Agreement comme Annexe A;

- Order, 19 décembre 2013, approuvant l’assumption and assignment procedures ;

- Ordonnance pour joint status conference before US and Canadian Court , 17 février 2014;

- Ordonnance visant l’augmentation du montant de la charge administrative datée du 14 mars 2014;

[4]    Les faits et les motifs mentionnés aux jugements ci-haut mentionnés sont toujours d’actualité.

[5]    Dans le cadre de son processus de restructuration, MMA a mis en place un processus visant à vendre l’ensemble de ses actifs.

[6]    Aux termes de ce processus, MMA a accepté une offre d’achat présentée par Railroad Acquisition Holdings, mise en cause, sur la présente requête.

[7]    En date du 23 janvier 2014, le soussigné a accordé une requête en autorisation de la vente des actifs à Railroad Acquisition Holdings et l’émission d’une ordonnance de dévolution.

[8]    À la même date, une requête visant l’émission d’une ordonnance approuvant et autorisant la cession de contrats a également été accordée.

[9]    Orford Express exploite un service de train touristique principalement entre Magog et Sherbrooke en utilisant la voie ferrée, propriété de MMA, en vertu d’un «  Agreement  » signé le 7 avril 2005 [1] . L’«  Agreement  » a été cédé à Orford Express le 29 septembre 2005.


 

[10]    En date du 18 mars 2007, un addenda modifiant le terme de l’«  Agreement  » est signé et finalement, en date du 25 octobre 2008, les parties signent :

-         une transaction « and Amendement to a Lease Agreement » que Orford fait publier le 25 février 2009 au Bureau de la publicité des droits.

[11]    Orford Express est propriétaire du matériel roulant utilisé pour opérer le train touristique constitué de deux locomotives et de trois voitures-restaurants qui peuvent accueillir jusqu’à 212 passagers.

[12]    Orford Express propose à sa clientèle trois randonnées par jour de 3 ½ heures chacune avec repas pour une période s’échelonnant de mai à décembre de chaque année.

[13]    Pour l’ensemble des randonnées, le train touristique circule sur les voies ferrées de MMA conformément à l’entente contractuelle intervenue entre les parties. Orford Express est en croissance constante et emploie présentement 20 employés à temps plein et 64 employés à temps partiel pendant les périodes d’opération des trains touristiques et dessert une clientèle d’environ 40 000 clients annuellement.

[14]    La requérante Orford Express explique dans sa requête qu’elle n’a fait aucune représentation le 23 janvier 2014 puisqu’elle croyait que les ordonnances à être rendues ce jour-là n’auraient pas d’impact sur le contrat la liant à MMA.

[15]    Par sa requête, Orford Express demande :

A) que l’ordonnance de dévolution soit modifiée afin de préciser que la purge des droits, notamment prévue au paragraphe 12 du jugement, ne vise pas la publication du bail au registre foncier;

B) qu’il soit déclaré que les droits et obligations de MMA, aux termes du bail, sont transférés à Railroad Acquisition, aux termes de l’ordonnance de dévolution, et que les droits d’Orford Express, aux termes du bail sont opposables à Railroad Acquisition à compter de la clôture de la transaction de vente autorisée par l’ordonnance de dévolution.

[16]    Notons immédiatement que les motifs pour lesquels Orford Express n’a pas contesté la requête du 23 janvier 2014 n’a pas d’impact sur le sort de sa requête.

[17]    En effet, du consentement de MMA et de Railroad Acquisition Holdings, le tribunal a permis à la procureure d’Orford Express de plaider ce qu’elle aurait plaidé si elle s’était présentée à la Cour le 23 janvier 2014.

[18]    En effet, si Orford Express a des droits, les intimés seraient malvenus de contester la requête sur la seule base que jugement a été obtenu le 23 janvier 2014, surtout dû aux faits que des amendements de dernières minutes ont été apportés à la liste des créanciers et des contrats pour lesquels un vesting order a été accordé.

[19]    D’autre part, Railroad Acquisition et MMA ont raison lorsqu’elles affirment que les changements apportés le 23 janvier 2014 à la liste des contrats assumés auraient pu l’être jusqu’à la date de la signature de l’acte de vente.

[20]    À tout évènement, autant MMA que Railroad Acquisition plaide que le jugement rendu le 23 janvier 2014 n’a aucune incidence sur les droits d’Orford Express si celle-ci détient effectivement un bail sur les immeubles de MMA. Là-dessus, MMA et Railroad Acquisition ont raison. Si effectivement Orford Express détient un bail sur les immeubles de MMA, il n’est pas nécessaire de modifier l’ordonnance de dévolution rendue le 23 janvier 2014. Le présent jugement ne serait qu’un jugement déclaratoire confirmant que le bail en faveur d’Orford Express est opposable à l’acquéreur des actifs de MMA.

[21]    Subsidiairement, Orford Express plaide que si l’«  Agreement  » [2] n’est pas un bail, le tribunal devrait exercer son pouvoir inhérent pour ordonner que le contrat liant MMA et Orford Express soit opposable à l’acquéreur. Nous y reviendrons.

[22]    Orford Express base sa requête sur l’article 1851 C.c.Q. qui prévoit :

«  Le louage, aussi appelé bail, est le contrat par lequel une personne, le locateur, s'engage envers une autre personne, le locataire, à lui procurer, moyennant un loyer, la jouissance d'un bien, meuble ou immeuble, pendant un certain temps. »

[23]    Pour ainsi qualifier l’«  Agreement  » de bail, Orford Express renvoie aux préambules du bail qui prévoit :

« TETE intends to operate a tourist train in the Province of Quebec and more specifically on the line of the Railroad between Sherbrooke and Bromont.

The Railroad and TETE have agreed to the terms and conditions set out below under which TETE may operate TETE’s tourist train on the Railroad’s line between Sherbrooke, Magog and Bromont. » [3]

[24]    Selon elle, le bail prévoit principalement deux obligations de MMA envers l’Orford Express soit :

«  a) l’obligation de procurer à Orford Express l’utilisation de son chemin de fer pour qu’Orford Express puisse y faire circuler son train entre Sherbrooke, Magog et Bromont. Cette obligation est soumise à certaines modalités d’accès pour que MMA puisse également utiliser la voie ferrée (paragraphe 2.3 et 2.4 du Bail d’origine).

 

b) l’obligation de mettre à la disposition d’Orford Express l’équipage pour l’opération du train d’Oxford Express, incluant un ingénieur, un conducteur et un mécanicien pour l’inspection (paragraphes 2.1, 3.2 et 3.3 du Bail d’origine). »

[25]    Quant à Orford Express, elle a deux obligations corrélatives face à MMA soit de payer un «  Daily Fee » pour l’utilisation du chemin de fer et de payer les frais pour l’équipage (paragraphes 3.2, 3.3 et 3.4 de l’«  Agreement  »).

[26]    Selon la requérante, la prestation de base prévue au contrat est l’obligation de MMA de mettre le chemin de fer à la disposition d’Orford Express moyennant un loyer alors que l’obligation de MMA de mettre un équipage à la disposition d’Orford Express ne serait qu’une prestation accessoire. Selon elle, Orford Express pourrait opérer son train sur le chemin de fer de MMA sans l’équipage de MMA, puisqu’Orford Express pourrait engager son propre équipage, mais qu’au contraire, elle ne peut opérer son train avec l’équipage sans avoir accès au chemin de fer.

[27]    En effet, il n’y a pas lieu pour Orford Express de payer pour un équipage si elle ne peut utiliser la voie ferrée.

[28]    Selon elle, le fait que la jouissance du chemin de fer par Orford Express soit assujettie à la propre jouissance de MMA et aux aléas relatifs au trafic ferroviaire n’altérera en rien le fait qu’Orford Express bénéficierait de la jouissance du chemin de fer moyennant un loyer.

[29]    L’article 2.3 de la convention prévoit :

«  MMA’s freight trains always have priority over the Tourist Train.  »

[30]    À l’article 2.4, il est prévu :

«  It is expressly acknowledged and understood by Orford Express that the daily operation of MMA may require that the Tourist Train be delayed (s. 2.4); »

[31]    De plus, la requérante plaide que les termes utilisés par les parties confirment leur intention d’un contrat de louage surtout en considérant que le deuxième amendement porte le titre de «  Transaction and Amendement to lease  » [4] .

[32]    De plus, dans la pièce R-5, les parties ont convenu qu’Orford Express pouvait publier :

« It’s right to operate a tourist train on the tracks of Railroad, such publication to be limited to :

i)              a simple statement of its right to use Railroad’s tracks between Sherbrooke and Bromont;

and

ii)             the Initial Service Term as defined in the present Transaction ; »

[33]    L’avis de bail commercial [5] publié au Bureau de la publicité des droits mentionne, quant à lui :

«2. Ce bail porte sur la location des rails de chemin de fer, étant des biens immeubles, et le droit d’exploiter un train touristique sur ces rails, entre Sherbrooke, Magog et Bromont, dans la province de Québec. »

[34]    Monsieur André L’Espérance, président-directeur général d’Orford Express, a témoigné et mentionné, qu’au début des opérations, Orford Express aurait voulu que ses propres membres d’équipage opèrent le train, mais que le syndicat de MMA s’y opposait. Il mentionne également que le contrat a été entièrement rédigé par MMA et qu’ils ont accepté le contrat tel quel.

[35]    D’autre part, Fred Yocum, directeur de MMA Canada, a toujours travaillé dans le domaine ferroviaire et a agi à titre de consultant pour diverses entreprises à plusieurs reprises. Il est très clair dans son esprit que l’«  Agreement  » R-2 est un «  Operating Agreement  ». Il témoigne que le train, propriété d’Orford Express, est contrôlé par les employés de MMA. C’est MMA qui fournit les ingénieurs, les employés de la tour de contrôle ainsi que les répartiteurs ( dispatcher ).

[36]    Il témoigne que même si le mot «  lease  » se retrouve au document R-5, il a toujours été convenu que le contrat était un «  Operating Agreement  ». De plus, il croyait que le fait de publier le contrat ne créait aucun droit en faveur d’Orford Express.

[37]    En contre-interrogatoire, il témoigne que MMA a dû modifier son «  certificate of fitness  » pour lui permettre d’opérer un train de passagers sur ses rails puisqu’il n’y avait que des trains de marchandises qui y passaient. Il mentionne que le «  certificate of fitness  » est accordé au propriétaire de la voie ferrée et non pas au propriétaire des wagons.

[38]    Il témoigne que les «  Operating Agreement  » sont des contrats courants dans le domaine ferroviaire autant aux États-Unis qu’au Canada.

Position de Railroad Acquisition Holdings et de MMA

[39]    Selon elles, le contrat intervenu entre les parties est un contrat de service et non pas un bail. Elles basent leur prétention sur les articles 2098 et 2099 C.c.Q. :

«  2098.  Le contrat d'entreprise ou de service est celui par lequel une personne, selon le cas l'entrepreneur ou le prestataire de services, s'engage envers une autre personne, le client, à réaliser un ouvrage matériel ou intellectuel ou à fournir un service moyennant un prix que le client s'oblige à lui payer.

2099.  L'entrepreneur ou le prestataire de services a le libre choix des moyens d'exécution du contrat et il n'existe entre lui et le client aucun lien de subordination quant à son exécution. »

[40]    Selon elles, si le contrat n’est pas un contrat de service, il serait au mieux un contrat innommé.

[41]    Évidemment, si le contrat n’est pas un bail, mais est un contrat de service ou un contrat innommé, il ne peut être publié [6] .

[42]    Subsidiairement et se basant principalement sur des autorités américaines, elles plaident que le droit d’opérer sur une voie ferrée ne confère pas d’intérêt dans l’immeuble.

[43]    Bien que ces décisions soient très intéressantes, elles n’ont aucun impact sur le présent litige.

[44]    La décision doit être rendue suivant le droit québécois ou en vertu des lois canadiennes si elles s’appliquent [7] .

Discussion et décision

[45]    La question en litige en est une de qualification du contrat. Si le contrat est un bail, il est opposable à Railroad Acquisition puisqu’il a été publié [8] .

[46]    Comme le mentionnent les auteurs Lluelles et Moore [9]  :

« 1726. La qualification tend à élucider un texte contractuel quant à sa portée essentielle. Exercice distinct de l'interprétation (sous-section 1), la qualification vise à déterminer le régime normatif applicable (sous-section 2), selon une méthodologie relativement simple (sous-section 3). L’opération relève exclusivement du juge et constitue une question de droit (sous-section 4). »

(note de bas de page omise)

[47]    Un peu plus loin, ils mentionnent :

« 1727 (…) Ainsi, le fait de qualifier s'apparente à l’interprétation, puisque, dans les deux cas, on sollicite la volonté des parties. Mais il y a une différence. Dans l'interprétation, on se demande quel sens les parties ont vraisemblablement voulu donner à telle partie du texte de la convention. Dans la qualification, on se demande quel objet les parties ont voulu donner à l'ensemble de leur entente. Dans l'interprétation, il est question d’élucider un point de détail. Dans la qualification, il s'agit de déterminer l'économie d'ensemble de la convention ou, autrement dit, de « discerner quelle opération économique les [contractants] ont souhaité réaliser d'un commun accord. »

(notes de bas de page omises)

[48]    Pour qualifier le contrat :

« 1733 (…) Le juge essaie de déterminer, tantôt le but qui a présidé à la convention, tantôt - en fait, le plus souvent - la prestation essentielle au cœur de l’entente. » [10]

[49]    En l’espèce, le tribunal ne voit pas comment l’«  Agreement  » signé entre les parties peut être qualifié de bail. Il s’agit, à notre avis, d’un contrat de service comme les parties l’ont elles-mêmes qualifié et appliqué.

[50]    Bien sûr, le tribunal n’est pas lié par la qualification du contrat par les parties, mais il s’agit d’un élément dont il doit tenir compte dans sa décision.


 

[51]    Vincent Karim, dans son volume Contrats d’entreprise [11] , mentionne :

« La qualification du contrat par les parties d'un contrat d'entreprise ou de prestation de services, mandat ou contrat de travail ne lie pas le tribunal et celui-ci peut arriver à une conclusion contraire, suite à l'examen et à l'analyse de stipulations de ce contrat. Le tribunal peut aussi tenir compte de la conduite et du comportement des parties pour vérifier le véritable rapport entre elles et ainsi, déterminer la nature de leurs relations. À titre d'illustration, il arrive, dans bien des cas, que la qualification du contrat ou le titre que les parties lui ont donné ne correspond pas à son contenu ni au véritable rapport contractuel qui reflète leurs comportements et conduite depuis sa conclusion. Ainsi, les parties peuvent donner à leur contrat le titre de contrat de travail, alors qu'il appert des stipulations de ce contrat, de la conduite et des comportements des parties qu'il s'agit d'un contrat d'entreprise ou de prestation de services. Le critère déterminant est l'absence du lien de subordination et la liberté dont dispose L'entrepreneur ou le prestataire de services quant au choix de moyens et de méthodes d'exécution du contrat. »

[52]    La qualification du contrat est une question de droit. [12]

[53]    Notons d’abord que le mot «  lease  » n’est utillisé à nulle part dans l’«  Agreement  » R-2. Le seul endroit où on retrouve le mot «  lease  » est dans le titre de la transaction R-5.

[54]    Quelle est l’entente entre les parties ? On retrouve les obligations à l’«  Agreement  » lui-même :

- MMA makes available to Orford Express an engineer and a conductor (the "MMA Crew") in order to allow Orford Express to offer the service of a Tourist Train between Sherbrooke, Magog and Bromont (s. 2. 1);

- The Tourist Train must be manned by and under the exclusive control of the MMA Crew at all times while it is on MMA's property (s. 2.2),

- MMA's freight trains always have priority over the Tourist Train (s. 2.3);

- it is expressly acknowledged and understood by Orford Express that the daily operation of MMA may require that the Tourist Train be delayed (s. 2.4);

- The MMA Crew are employees of MMA (s. 3.2);

- MMA also provides the service of a Mechanical Inspector who is an employee of MMA (s. 3.3);

- Orford Express must pay different amounts for the services offered by MMA under the Agreement (s. 3.1, 3.2 and 3.4);

- Service for special charter trips may be provided by MMA upon Orford Express' request, but MMA has discretion to refuse to provide service for such trips (s. 6. 2);

- MMA makes no representation or warranty as to the punctuality of service other than to, covenant to use commercially reasonable efforts to provide punctual service in accordance with the service schedule (s. 15. 1);

- MMA has the right to refuse to provide service, or to refuse continuing trip to a destination point, if an unsafe and or hazardous condition exits (s. 15.2); and

- MMA does not guarantee the condition of its lines or that operations thereover will not be temporarily interrupted. Nothing contained under the Agreement shall be construed to require MMA to make any changes or improvements to its line (s. 15.3).

[55]    En conséquence, nous croyons que les parties souhaitaient que MMA opère un train sur ses rails avec ses propres employés.

[56]    Il nous semble que l’«  Agreement  » s’apparente beaucoup plus à un contrat d’entreprise ou de service.

[57]    Les articles 2098 et 2099 C.c.Q. se lisent ainsi :

«  2098.  Le contrat d'entreprise ou de service est celui par lequel une personne, selon le cas l'entrepreneur ou le prestataire de services, s'engage envers une autre personne, le client, à réaliser un ouvrage matériel ou intellectuel ou à fournir un service moyennant un prix que le client s'oblige à lui payer.

2099.  L'entrepreneur ou le prestataire de services a le libre choix des moyens d'exécution du contrat et il n'existe entre lui et le client aucun lien de subordination quant à son exécution. »

[58]    Notre collègue Jean Frappier dans la décision Groupe Yoga Adhara inc. c. Coopérative de travail Le Collège de Saint-Césaire [13] résumait ainsi les principaux éléments ou critères du contrat de service :

« 19  Les principaux éléments ou critères du contrat de service peuvent être ainsi établis:

1.  Un entrepreneur ou prestataire de services...

2.  qui s'engage envers un client...

3.  à réaliser un ouvrage matériel ou intellectuel ou à fournir un service...

4.  moyennant un prix...

5.  que le client s'oblige à lui payer.

6.  L'entrepreneur ou le prestataire de services a le libre choix des moyens d'exécution du contrat...

7.  et il n'existe pas de lien de subordination entre les parties. »

[59]    En l’instance :

1) MMA, l’entrepreneur …

2) s’est engagé envers Orford Express …

3) à fournir un service d’équipage de mécaniciens, d’inspecteurs et de répartiteurs pour permettre à Orford Express d’offrir un service de train touristique sur la voie ferrée appartenant à MMA …

4) moyennant un prix prévu au contrat …

5) que Orford s’engage à payer …

6) MMA est libre des moyens d’exécution du contrat …

7) et il n’existe aucun lien de subordination entre les parties.

[60]    Bien plus, MMA a priorité sur ses rails et l’opération du train touristique ne doit pas affecter le transport de marchandises.


 

[61]    Ceci nous amène à un autre problème rencontré par Orford dans l’application qu’elle voudrait faire du contrat. Il est de l’essence du louage que le locateur s’engage à procurer la jouissance du bien. Le législateur le prévoit à l’article 1851 et le répète même à l’article 1854 C.c.Q. qui prévoit :

«  1854.  Le locateur est tenu de délivrer au locataire le bien loué en bon état de réparation de toute espèce et de lui en procurer la jouissance paisible pendant toute la durée du bail.

Il est aussi tenu de garantir au locataire que le bien peut servir à l'usage pour lequel il est loué, et de l'entretenir à cette fin pendant toute la durée du bail. »

[62]    En l’instance, Orford Express n’a pas accès direct aux rails. C’est MMA qui opère le train touristique.

[63]    L’article 2.2 du contrat prévoit :

« The Tourist Train must be manned by and under the exclusive control of the MMA Crew at all times while it is on MMA's property) »

[64]    La lecture des clauses suivantes du contrat confirme que Orford Express n’a pas la jouissance paisible de la voie ferrée :

«- MMA's freight trains always have priority over the Tourist Train (s. 2.3);

- It is expressly acknowledged and understood by Orford Express that the daily operation of MMA may require that the Tourist Train be delayed (s. 2.4);

- Service for special charter trips may be provided by MMA upon Orford Express' request, but MMA has discretion to refuse to provide service for such trips (s. 6. 2); and

- MMA makes no representation or warranty as to, the punctuality of service other than to covenant to use commercially reasonable efforts to provide punctual service in accordance with the service schedule (s. 15. 1). »


 

[65]    Lamontagne et Larochelle, dans leur volume Droit spécialisé des contrats [14] , nous mentionnent que :

« (…) dans un bail, une clause qui aurait pour effet de dégager le locateur de l’obligation de procureur la jouissance du bien loué au locataire serait sans effet, puisqu’elle serait en contradiction avec la nature même du contrat de louage, qui est justement de procurer la jouissance d’un bien. »

[66]    Un peu plus loin, ils mentionnent :

« Le locateur ne peut se soustraire à cette obligation par une clause de dispense. Une telle clause serait inopérante puisqu’elle irait à l’encontre même d’une des obligations essentielles du louage. » [15]

[67]    Le contrat à l’étude n’est pas un bail où le locateur tente de se dégager de son obligation de procurer la jouissance du bien, mais plutôt un contrat où il est clairement indiqué qu’Orford Express n’a pas la jouissance des biens.

[68]    Il faut aussi mentionner que le certificat d’aptitude délivré par le «  Canadian Transport Agency  », prévu à la clause 7.3 du contrat, appartient à MMA et non pas à Orford Express.

[69]    L’article 854 C.c.Q. prévoit aussi que le locateur doit garantir au locataire que le bien peut servir à l’usage pour lequel il est loué. Or, l’article 15.3 de la convention prévoit expressément le contraire. En effet, il est prévu que MMA ne garantit pas la condition des voies ou que les opérations peuvent être temporairement interrompues.

[70]    Bien sûr, l’article 1854 n’est pas d’ordre public et les parties peuvent y déroger, mais il s’agit d’un autre indice confirmant que les parties n’entendaient pas signer un contrat de bail, mais plutôt un contrat de service.

[71]    La requérante tire également argument d’une décision rendue par notre collègue Henri Richard [16] de la Cour du Québec qui avait décidé qu’un billet de remontée mécanique émis par une station de ski n’était pas un contrat de service, mais plutôt un contrat de louage puisque le client transigeait avant tout pour avoir accès à la montagne pour pratiquer son activité. Avec beaucoup de respect pour notre collègue, le tribunal diverge d’opinion. Nous ne croyons pas qu’un billet de remontée mécanique puisse être qualifié d’un contrat de bail de la montagne.

[72]    Ainsi, l’automobiliste qui paie pour franchir le pont de l’autoroute 25 n’est pas un locataire du pont. Le patineur qui se rend à l’aréna pour pratiquer son loisir n’est pas locataire de l’aréna. De même, le bateau qui emprunte la voie maritime du St-Laurent n’est pas pour autant locataire. Les exemples seraient nombreux, mais il n’y a pas lieu d’aller plus loin.

[73]    En conséquence, le contrat R-2 et ses amendements ne peuvent être considérés comme un bail. La publication faite n’est pas opposable à Railroad Acquisition Holdings.

Demande subsidiaire afin que la Cour supérieure exerce son pouvoir inhérent

[74]    Tel que déjà mentionné, la requérante Orford Express demande au tribunal d’exercer sa juridiction inhérente si le tribunal en vient à la conclusion que le contrat n’est pas un bail.

[75]    En effet, Orford Express plaide que les conséquences de la non-opposabilité du contrat à Railroad Acquisition seraient catastrophiques pour Orford Express et forcerait sa fermeture.

[76]    Orford Express est un acteur important dans le tourisme estrien et apporte des retombées importantes sur la location de chambres et sur la restauration.

[77]    Orford Express base sa demande principalement sur l’article 11 LACC ainsi que sur l’article 32 LACC.

[78]    L’interprétation que donne Orford Express à l’article 32 LACC est irrecevable. En effet, celle-ci prétend que MMA n’aurait pu résilier de contrat sans obtenir l’autorisation en vertu de l’article 32 LACC. Elle a tort. L’article 32 s’applique lorsqu’une compagnie débitrice entend soumettre un plan et que pour se faire, elle doit résilier des contrats existants. Ce n’est pas le cas en l’espèce, MMA n’a résilié aucun contrat.

[79]    L’argument selon lequel en autorisant la vente à Railroad Acquisition le tribunal permet à celle-ci de faire indirectement ce que MMA ne pouvait pas faire directement ne peut être retenu. Ce n’est pas le cas, il n’y a aucune résiliation de contrat par Railroad Acquisition Holdings. MMA n’a pas déposé un plan où elle continue de faire affaires tout en résiliant certains contrats. En l’espèce, il s’agit d’une vente d’actifs qui aura les mêmes conséquences que toute vente d’actifs.

[80]    Il ne s’agit pas non plus du cas hypothétique d’une compagnie insolvable qui voudrait continuer ses opérations en se faisant acquérir par une compagnie liée. Le soussigné suit le processus en vertu de la LACC depuis le début du dossier et s’est déjà assuré que la vente était faite à un tiers de bonne foi et au meilleur prix possible.

[81]    Les jugements antérieurs expliquent la raison pour laquelle le prix espéré n’a pas été obtenu.

[82]    Quant aux pouvoirs inhérents de la Cour supérieure prévus à l’article 11 LACC, il y a lieu de rappeler que les ordonnances que peut rendre la Cour supérieure sont sous réserve des restrictions prévues par la présente loi. Or, ordonner à un tiers acquéreur de respecter des contrats antérieurs irait à l’encontre de l’esprit et de la lettre de la LACC.

[83]    Pour terminer, le tribunal tient à rappeler qu’Orford Express n’est pas sans ressource. Bien qu’elle ait qualifié de catastrophiques les conséquences de la non-reconnaissance du bail, ceci n’est pas tout à fait vrai. En effet, les procureurs de Railroad ont avisé le tribunal que celle-ci était prête à respecter le contrat pour la présente année, mais qu’elle n’était pas prête à s’engager jusqu’en 2025 ni à reconnaître que le contrat est un bail.

[84]    Orford pourrait donc s’entendre avec Railroad et continuer à exploiter le train touristique.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL  :

[85]    REJETTE la requête pour modifier une ordonnance antérieure et pour obtenir diverses ordonnances déclaratoires de la requérante Orford Express inc.

[86]    LE TOUT sans frais .

 

 

_ (s) Gaétan Dumas ___________________

GAÉTAN DUMAS, J.C.S.

 

Me Monica Maynard

Procureure de la requérante Orford Express

 

Me Marc-André Morin

McMillan

Procureurs de la mise en cause Railroad Acquisition Holdings inc.

 

Me Patrice Benoit

Gowling Lafleur Henderson s.e.n.c.r.l

Procureurs de la débitrice MMA

 

Me Sylvain Vauclair

Woods s.e.n.c.r.l.

Procureurs du contrôleur Richter

 

Service list

 

Date d’audience  :

21 mars 2014

 

 

 

 



[1] Voir pièce R-2.

[2] Pièce R-2.

[3] « Tete » signifiant Orford Express.

[4] Voir pièce R-5.

[5] Voir pièce R-6.

[6] Voir article 2938 C.c.Q.

[7] Entre autres, Loi sur les transports au Canada , L.C. 1996, ch. 10.

[8] Articles 696 et 696.1 C.p.c. et article 32 LACC.

[9] Droit des obligations, 2e édition, Les éditions Thémis, paragr. 1726 et ss.

[10] Idem, paragr. 1733.                                                                                                                            

[11] Vincent KARIM, Contrats d’entreprise, contrats de prestation de services et l’hypothèse légale, 2e édition, Wilson Lafleur, 2011, page 22.

[12] Voir également Michaudville c. Lafleur , EYB 1994-58655 .

[13] REJB 1998-08217 .

[14] Denys-Claude LAMONTAGNE et Bernard LAROCHELLE, Droit spécialisé des contrats, volume 1, Les principaux contrats : la vente, le louage, la société et le mandat, Éditions Yvon Blais, Cowansville, 2000, page 269.

[15] Idem, page 296.

[16] Barrette c. Station de sports Mont Avalanche , 2010 QCCQ 1787 .