COMMISSION DES RELATIONS DU TRAVAIL |
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(Division des relations du travail) |
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Dossier : |
AM-2000-3357 |
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Cas : |
CM-2013-4192 |
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Référence : |
2014 QCCRT 0529 |
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Montréal, le |
1 er octobre 2014 |
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DEVANT LE COMMISSAIRE : |
Alain Turcotte, juge administratif |
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Anik Prince
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Plaignante |
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c. |
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Syndicat des travailleuses et travailleurs de Louis-H. Lafontaine
et de Gouin Rosemont
-
CSN
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Intimé |
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et |
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Institut universitaire en santé mentale de Montréal |
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Mise en cause |
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DÉCISION |
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[1]
Le 2 août 2013, la Confédération des syndicats nationaux (la
CSN
)
écrit à Anik Prince (la
plaignante
) pour confirmer qu’elle cesse de
la représenter dans le cadre de son dossier de santé et sécurité du travail
devant la Commission des lésions professionnelles (la
CLP
). Le 21 août
suivant, la plaignante dépose une plainte en vertu des articles
[2] Le 15 novembre 2013, la CSN dépose une requête en rejet sommaire de la plainte.
[3] Le jour de l’audience, le 12 septembre 2014, la plaignante n’est pas représentée par avocat. Au début de l’audience, la Commission lui explique la nature du recours dont elle est saisie, les règles de preuve applicables et la nature des décisions qu’elle pourra rendre. La plaignante convient de procéder sans autre formalité. Il est convenu que la Commission procédera d’abord par la requête en rejet sommaire.
[4] Notons que l’Institut universitaire en santé mentale de Montréal (l’ employeur ), mis en cause dans la présente affaire, est absent, bien qu’il ait été dûment convoqué.
[5] La plaignante est une ergothérapeute qui travaille chez l’employeur depuis 2003.
[6] Vers la fin d’avril 2011, elle tombe en arrêt de travail. Le motif de son invalidité est contesté par l’employeur. À ce sujet, la plaignante se dit harcelée par l’infirmière de l’employeur qui met en doute le motif et lui déclare que son absence ne sera pas reconnue par l’assureur.
[7] Aussi consulte-t-elle son syndicat. Des échanges ont lieu en mai et juin 2011. Notamment, une date de retour au travail est prévue pour le 8 juin 2011, date qui est contestée par la plaignante. Finalement, en juillet 2011, après une contre-expertise demandée par l’employeur, l’invalidité de la plaignante est reconnue par l’assureur.
[8] À l’époque, la plaignante ignore qu’il pourrait exister un lien entre son état de santé et son milieu de travail.
[9] Justement, en mars 2012, un médecin fait un lien entre les symptômes éprouvés par la plaignante et la présence de moisissures sur les lieux de travail. Le 28 mars 2012, la plaignante fait une réclamation en vertu de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles , RLRQ, c. A-3.001 (la LATMP ). Elle transmet des informations et documents médicaux à son délégué syndical.
[10] La réclamation de la plaignante est refusée par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST ), le 17 septembre suivant. La plaignante continue les contacts avec le syndicat afin de contester ce refus. Le 23 octobre 2012, elle signe le document suivant :
MANDAT DE REPRÉSENTATION
Je donne mandat à la Confédération des syndicats nationaux (CSN), à son personnel et/ou à la personne qu’elle désigne, de me représenter devant un conciliateur-décideur, la Commission des lésions professionnelles ou un tribunal judiciaire susceptible de rendre une décision, de maintenir ou modifier une décision concernant ma réclamation ou ma plainte auprès de la CSST.
J’autorise la Confédération des syndicats nationaux (CSN), son personnel et/ou la personne qu’elle désigne à recueillir, utiliser, reproduire ou conserver tout document d’ordre médical ou administratif utile à la gestion de ma réclamation à la CSST, en possession de mes employeurs, thérapeutes ou médecins ainsi que toute clinique, tout hôpital, assureur ou organisme public ou privé détenant de telles informations.
[11] Le document comporte également les mentions suivantes :
Je suis informé(e) et comprends que je dois concourir activement à la réalisation du présent mandat.
Je suis informé(e) qu’au terme d’une période de trois ans après l’émission d’une décision finale ou d’une transaction disposant du litige, je dois reprendre possession de mon dossier et à défaut par moi de ce faire, j’autorise la CSN à détruire les documents en sa possession sans autres avis.
[12] Le 14 décembre 2012, la révision administrative de la CSST maintient le refus de la réclamation. Avec l’aide de la CSN, la plaignante conteste le tout devant la CLP.
[13] Après différents échanges, une rencontre a lieu le 21 mars 2013 aux bureaux de la CSN. Sont présents, outre la plaignante, le délégué syndical et un avocat. La plaignante affirme que lors de la rencontre, l’avocat adopte une attitude vexatoire à son égard en mettant en doute sa volonté de travailler.
[14] Un peu plus tard, elle fait parvenir à l’avocat des documents médicaux qui confirmeraient le lien entre ses problèmes de santé et la présence de moisissures sur les lieux de travail. En prévision de l’audience devant la CLP, la plaignante contacte l’avocat en avril 2013. Elle l’avise que son médecin traitant l’a dirigée en neurologie. L’audience sera remise.
[15] Une seconde rencontre a lieu le 25 juin 2013 avec l’avocat de la CSN et le délégué syndical. Celle-ci a lieu au sous-sol des lieux de travail. La plaignante est incommodée par la forte odeur d’humidité et l’avocat lui tourne le dos et soupire. Par contre, le délégué obtient un changement de local. Pendant la rencontre, l’avocat se montre peu empathique envers la plaignante. Il semble se baser sur les seuls documents de l’employeur. À un certain moment, il évoque la possibilité de changer de procureur si la plaignante et lui ne s’entendent pas.
[16] Le 2 juillet 2013, la plaignante appelle l’avocat pour lui dire qu’elle veut se prévaloir de l’option de changer de représentant. Elle est consciente que son cas est difficile et désire quelqu’un qui sera motivé à relever le défi. Lors de la conversation, l’avocat lui demande si elle veut qu’il assiste à une rencontre préparatoire avec un médecin spécialiste prévue le 16 suivant. La plaignante refuse, mais apprend que l’avocat a assisté quand même à cette rencontre.
[17] Le 15 juillet, Jean-François Lapointe, un conseiller syndical de la CSN, responsable de la défense des personnes accidentées, demande à la plaignante des informations sur son dossier avant de le confier à une autre personne. Entre autres, il désire une autorisation d’accès au dossier d’un spécialiste qu’elle a consulté. La plaignante lui exprime qu’elle veut en discuter avec ce dernier et qu’il ne revient de vacances que le 20 juillet. Jean-François Lapointe insiste et lui affirme que sa signature est requise.
[18] Il envoie à la plaignante un document semblable à celui qu’elle a déjà signé, mais avec des clauses particularisées :
[…]
Je, soussigné(e), Anik Prince autorise la Commission de la santé et de la sécurité du travail (CSST) à communiquer à la Confédération des syndicats nationaux (CSN), à son personnel et/ou à la personne qu’elle désigne, les renseignements se rapportant à mon dossier numéro […] ainsi que la liste des dossiers et événements (incluant le siège de lésion) me concernant. De ce fait, je dégage la CSST de toute responsabilité eu égard aux communications de renseignements personnels faites en vertu de la présente. Je comprends que cette communication est nécessaire au mandat de représentation que j’ai confié à la CSN relativement à ma réclamation pour lésion professionnelle et que l’information transmise à la CSN ne pourra être utilisée qu’à cette fin. Cette autorisation est valide pour la durée du mandat que j’ai confié à la CSN relativement à mon dossier numéro […].
Je, soussigné(e), Anik Prince autorise la Confédération des syndicats nationaux (CSN), son personnel et/ou à la personne qu’elle désigne à recueillir, utiliser, reproduire ou conserver tout document d’ordre médical ou administratif utile à la gestion de ma réclamation à la CSST, en possession de mes employeurs, thérapeutes ou médecins ainsi que de toute clinique, tout hôpital, assureur ou organisme public ou privé détenant de telles informations.
( reproduit tel quel, à l’exception de l’omission des renseignements personnels )
[19] Le 30 juillet 2013, la plaignante joint finalement son spécialiste. Celui-ci trouve la demande syndicale non pertinente pour le dossier devant la CLP et recommande de ne pas signer le document envoyé par la CSN. Il offre de répondre aux questions que les représentants de la CSN pourraient lui poser à ce sujet.
[20] Le lendemain, lors d’une conversation téléphonique avec Jean - François Lapointe, la plaignante confirme qu’elle n’a pas encore signé le document et qu’elle n’a pas l’intention de le faire pour le moment. Devant ce refus, son interlocuteur soutient qu’elle ne collabore pas et que la CSN cessera de la représenter.
[21] C’est ce qui est confirmé le 2 août 2013 par lettre qui allègue la rupture réciproque du lien de confiance essentielle à l’exécution du mandat.
[22] À la fin de son témoignage, la plaignante soutient qu’elle a été la seule qui n’a pas été représentée devant la CLP. Cependant, elle nuance ses propos un peu plus tard en disant qu’une autre ergothérapeute et une éducatrice spécialisée ont déposé des plaintes pour défaut du respect du devoir de représentation.
[23] Selon le syndicat, la plainte vise exclusivement des activités reliées à la représentation devant la CLP et non un droit couvert par la convention collective. Par conséquent, la plainte est irrecevable, car elle ne découle pas du devoir de représentation prévu au Code.
[24] Par ailleurs, la Commission n’a aucune compétence sur l’application de la LATMP, celle-ci étant réservée à la CSST et la CLP. Donc, elle ne pourrait rendre d’ordonnance en ce sens.
[25] La plaignante expose que lorsqu’elle a eu des problèmes avec l’employeur en 2011, elle a demandé le dépôt d’un grief. De plus, les problèmes de santé découlant de la présence de moisissures sont connus du syndicat depuis au moins 2010, ce qui ressort encore plus d’une étude faite en 2012. Le syndicat aurait donc dû déposer un grief collectif.
[26] La pratique habituelle du syndicat est de représenter ses membres devant la CLP et cela est fait de sa propre initiative. Laisser tomber un membre une fois qu’on a accepté de le représenter, et ce, sans motif valable, est de la discrimination. En outre, le comportement de l’avocat syndical était malveillant et vexatoire à l’égard de la plaignante.
[27] Finalement, lorsque le syndicat a laissé tomber la plaignante, il était trop tard pour déposer un grief.
[28] Une requête en rejet sommaire, comme celle qui est présentement débattue, porte sur une question de droit. Dans l’étude de ce type de requête, il ne s’agit pas de décider qui a raison dans le litige devant la CSST ou si le syndicat a correctement représenté la plaignante. Il s’agit plutôt de se demander si la Commission détient le pouvoir de juger cette plainte.
[29]
La raison de ce questionnement provient du fait que, légalement, la
Commission est un tribunal spécialisé qui ne peut trancher que les litiges que
le Code ou une autre loi lui confient (article
[30] Lorsqu’un syndicat devient accrédité, il obtient l’exclusivité de représentation de tous les salariés de l’unité de négociation, que ceux-ci soient ses membres ou non. C’est ce qu’on appelle le monopole de représentation en regard des relations entre l’employeur et les salariés. Ce monopole couvre de manière générale tout ce qui concerne la négociation et l’application de la convention collective. Pour donner un exemple, le syndicat pourrait refuser de porter en arbitrage un grief que la plaignante aurait déposé. C’est ce qu’on veut dire par l’expression populaire dans les milieux de travail, « le syndicat est le propriétaire du grief ».
[31] Puisque le salarié n’a pas le choix d’utiliser les services du syndicat, le législateur a énoncé un devoir dans le Code :
47.2. Une association accréditée ne doit pas agir de mauvaise foi ou de manière arbitraire ou discriminatoire, ni faire preuve de négligence grave à l’endroit des salariés compris dans une unité de négociation qu’elle représente, peu importe qu’ils soient ses membres ou non.
[32] Ainsi, un salarié qui estime que le syndicat n’a pas respecté son devoir peut déposer une plainte à la Commission.
[33]
Cependant, la Commission a déjà spécifié dans de nombreuses décisions que
cet article vise les agissements provenant du monopole de représentation
syndical (voir, par exemple,
Bergeron
c.
Syndicat des agents de la
paix en services correctionnels du Québec
,
[34]
La plaignante soutient en premier lieu que le syndicat a refusé de
déposer un grief en sa faveur. Cette première proposition ne peut être retenue
en raison du délai de six mois pour déposer une plainte contre son syndicat (articles
[35] Peu importe que la plaignante ait demandé spécifiquement le dépôt d’un grief ou non, au moment où elle dit avoir éprouvé des difficultés avec l’employeur en 2011, il est manifestement trop tard pour le lui reprocher. En effet, la plainte en vertu des articles 47.2 et suivants a été déposée à la Commission le 23 août 2013.
[36] En ce qui concerne un grief collectif en faveur des salariés dont l’état de santé est mis en péril par le milieu de travail, il apparaît que cette question est soulevée pour la première fois dans le cadre de la présente plainte. La plaignante déclare que le syndicat est au courant de la situation depuis 2010 et qu’il aurait dû déposer un grief concernant les conditions de travail dangereuses.
[37] C’est peut-être ce qui aurait dû être fait, mais la Commission ne voit pas dans la preuve qu’une demande en ce sens ait été faite par la plaignante avant le dépôt de sa plainte. Il ressort plutôt de son récit que son dossier a toujours été traité sous l’angle d’une réclamation à la CSST.
[38] D’ailleurs, elle indique dans sa plainte qu’elle a eu connaissance du manquement qu’elle reproche le 1 er août 2013. Il s’agit de la conversation téléphonique avec Jean-François Lapointe selon laquelle la CSN cessait de la représenter. L’exposé de la plainte de la plaignante est très clair :
Mon syndicat m’a laissée tomber avant une audience dans laquelle il avait convenu de me représenter. Donc, il a agi de mauvaise foi et/ou de façon arbitraire en cessant de me représenter. Cette négligence grave me contraint à payer des frais de représentation au privé et d’assumer les frais d’expertise nécessaires pour l’audience qui ont été payés pour une collègue de travail de la même organisation syndicale.
[39] C’est le 1 er mars 2013 qu’elle apprend qu’un médecin fait un lien entre les symptômes qu’elle éprouve et la présence de moisissures dans son milieu de travail. Elle contacte alors son syndicat ce qui mènera au dépôt d’une réclamation à la CSST. Lorsque celle-ci est rejetée, elle signe un mandat à la CSN pour la représenter à la CLP.
[40] Le 28 mars 2013 donc, la plaignante fait une réclamation en vertu de la LATMP. Cette dernière loi s’applique dans tous les milieux, qu’ils soient syndiqués ou non.
[41]
La plaignante voulait contester le refus de sa réclamation par la CSST
devant la CLP. C’est parfaitement son droit, mais dans ce domaine, il n’y a pas
d’exclusivité réservée au syndicat. Cela ressort clairement des articles
279. Un travailleur peut requérir l’aide de son représentant ou mandater celui-ci pour donner un avis ou produire une réclamation conformément au présent chapitre.
429.17. Les parties peuvent se faire représenter par une personne de leur choix (…)
(soulignement ajouté)
[42] On trouve dans la convention un article qui s’intitule « SÉCURITÉ SANTÉ », cependant, la lecture de cet article démontre qu’il n’est pas question de la LATMP, si ce n’est que d’accorder des libérations sans perte de salaire lors des auditions devant les instances d’appel de cette loi. Par conséquent, il faut comprendre que pour les réclamations concernant les accidents de travail ou les maladies professionnelles, comme c’est le cas de la plaignante, il faut se référer uniquement à la loi.
[43] En d’autres termes, la plaignante n’était aucunement tenue de passer par l’intermédiaire de son syndicat pour sa réclamation à la CSST. Elle pouvait choisir qui elle voulait, en l’occurrence, la CSN. Bien que le syndicat, qui détient ici le monopole de représentation devant l’employeur, soit affilié à la CSN, on ne peut conclure que les deux organisations sont identiques.
[44] Même si le service semble être offert à tous les membres, il s’agit d’un service de la CSN, non du syndicat.
[45] Malheureusement pour la plaignante, la Commission ne peut se pencher sur sa plainte. Sans se prononcer d’aucune façon sur le traitement de son dossier par la CSN, elle doit exercer ses recours devant un autre tribunal si elle estime que cette organisation n’a pas respecté ses obligations.
EN CONSÉQUENCE, la Commission des relations du travail
REJETTE la plainte.
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__________________________________ Alain Turcotte |
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M e Julie Sanogo |
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LAROCHE MARTIN, AVOCAT-E-S (SERVICE JURIDIQUE DE LA CSN) |
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Représentante de l’intimé |
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Date de l’audience : |
12 septembre 2014 |
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/sc