COMMISSION DES RELATIONS DU TRAVAIL

(Division des relations du travail)

 

Dossier :

AM-2000-5725

Cas :

CM-2014-1610

 

Référence :

2014 QCCRT 0522

 

Montréal, le

29 septembre 2014

 

 

______________________________________________________________________

 

DEVANT LA COMMISSAIRE :

Esther Plante, juge administrative

______________________________________________________________________

 

 

Scott Hughes

 

Plaignant

c.

 

Syndicat des travailleuses et travailleurs
de la région du Lac Saint-Louis (CSN)

Intimé

et

 

Centre de santé et de services sociaux de l’Ouest-de-l’Île

Mise en cause

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION

______________________________________________________________________

 

 

[1]            Le 11 février 2014, Scott Hugues (le plaignant ) dépose une plainte en vertu de l’article 47.2 du Code du travail , RLRQ, c. C-27 (le Code ) contre le Syndicat des travailleuses et travailleurs de la région du Lac Saint-Louis (CSN) (le syndicat ). Il allègue que le syndicat a manqué à son devoir de représentation dans la défense de ses droits à la suite de la mise en place d’une garde sur appel par le Centre de santé et de services sociaux de l’Ouest-de-l’Île (l’ employeur ).

[2]            Le syndicat soutient que la plainte est sans fondement puisque des griefs ont été déposés à l’encontre des suspensions et du congédiement que l’employeur a imposés au plaignant à la suite de son refus d’effectuer de la garde sur appel.

[3]            Le plaignant n’est pas représenté par avocat. Au début de l’audience, la Commission lui explique la nature du recours dont elle est saisie et les règles de preuve applicables. Il convient de procéder sans autre formalité.

[4]            L’audience a porté non seulement sur les faits à l’origine de la plainte, mais aussi sur les faits postérieurs à son dépôt, tel le congédiement du plaignant survenu le 15 avril 2014, lesquels s’inscrivent dans le même continuum factuel.

les faits

[5]            Le plaignant travaille à temps plein comme mécanicien de machines fixes à l’Hôpital général du Lakeshore.

la mise en place de la garde sur appel

[6]            Le 6 décembre 2013, les représentants de l’employeur le rencontrent avec les deux autres mécaniciens de machines fixes pour leur annoncer qu’ils effectueront à tour de rôle une semaine de garde sur appel, à compter du vendredi 13 décembre 2013.

[7]            Dans les jours suivants, le plaignant se renseigne sur ses droits auprès de l’agent de griefs.

[8]            Le plaignant insiste à l’audience sur le fait que l’employeur ne peut exiger qu’il effectue une telle garde en plus de ses heures régulières de travail puisqu’il n’en a pas été question au moment de son embauche.

[9]            De son côté, l’agent de griefs souligne qu’il y a toujours eu de la garde sur appel, mais que deux employés se partageaient auparavant cette tâche sur une base volontaire. Au départ de l’un d’eux, l’employeur a décidé d’impliquer tous les mécaniciens de machines fixes. L’agent de griefs a d’ailleurs participé à deux rencontres à ce sujet les 2 et 4 décembre 2013. Pour ce motif, le syndicat a refusé de déposer un grief à l’encontre de la garde comme telle.

les mesures disciplinaires

[10]         Le plaignant doit assumer une première semaine de garde dans la semaine du 27 décembre 2013.

[11]         Le 10 janvier 2014, les représentants de l’employeur lui reprochent de ne pas avoir répondu à deux appels dans la nuit du 30 décembre et lui imposent une suspension de trois jours, soit du 13 au 15 janvier suivants, en l’avisant qu’il est susceptible de faire l’objet d’une sanction plus sévère s’il n’accepte pas d’effectuer sa prochaine garde, laquelle commence le 17 janvier.

[12]         Le 16 janvier 2014, le plaignant répond à ses supérieurs qu’il n’entend pas effectuer de garde :

You requested that I work on call duty next week. I did not consent and still do not consent in doing extra time because I have other obligations to fulfill most of which are religeous, therefore I am not interested.

As an act of «  Good faith  », I tried to ask the other employees […] if they can do these requests you ask. They told me no.

(reproduit tel quel, en omettant le nom des employés)

[13]         Le jour suivant, l’un de ses supérieurs le rencontre en compagnie d’un représentant des ressources humaines et de l’agent de griefs, dans le but de savoir en quoi la garde pourrait nuire à l’exercice de ses obligations religieuses. Comme il refuse de répondre, il est suspendu pour cinq journées. Les représentants de l’employeur considèrent qu’il refuse sans motif valable de leur fournir des explications et d’effectuer de la garde. Dans la lettre de suspension, ils réitèrent qu’une sanction plus sévère et pouvant aller jusqu’au congédiement pourra lui être imposée s’il maintient son refus.

[14]         Le plaignant s’absente par la suite du travail pour cause de maladie pendant une certaine période, dont la preuve ne permet pas d’établir la durée.

[15]         Le 28 janvier 2014, le plaignant se renseigne auprès d’une représentante de la centrale syndicale. Celle-ci lui aurait répondu que le syndicat n’avait pas l’intention d’agir, ce qui, selon toute vraisemblance, amène le plaignant à déposer la présente plainte.

le congédiement

[16]         Le 7 avril 2014, à son retour au travail, le plaignant indique à un représentant de l’employeur qu’il maintient son refus d’effectuer des gardes.

[17]         Le 14 avril suivant Jean-François Richard, «  Chief of Physical Facilities  », le rencontre en compagnie d’un représentant des ressources humaines et de l’agent de griefs. Le plaignant reste sur sa position. Cela étant, les représentants de l’employeur lui accordent une période de réflexion avec traitement de 24 heures.

[18]         Le lendemain, l’employeur procède à son congédiement.

les griefs

[19]         Le syndicat conteste par grief les deux suspensions et le congédiement du plaignant. La procédure suit son cours normal. Plus précisément, le syndicat attend l’avis de convocation pour l’audition des griefs.

les reproches du plaignant

Le refus de contester la mise en place de la garde

[20]         Essentiellement, le plaignant reproche au syndicat de ne pas avoir contesté la mise en place de la semaine de garde sur appel.

[21]         Il déplore l’absence d’un représentant syndical à la réunion du 6 décembre 2013 pour en discuter avec les représentants de l’employeur et les mécaniciens de machineries fixes.

[22]         Il prétend, par ailleurs, que l’entrée en vigueur de l’horaire de garde n’a pas été précédée d’un avis suffisant et que l’avis reçu ne pouvait valablement être signé par Karla Tallar et Alain Carette, lesquels détiennent respectivement les postes de directeur des Services techniques et de chef du Service des installations matérielles par intérim et non à titre permanent. Selon lui, il appartenait au syndicat de soulever ces irrégularités sans qu’il ait à le demander.

La position du syndicat

[23]         L’agent de griefs précise qu’il était présent à deux rencontres que l’employeur a tenues avec les mécaniciens de machineries fixes avant d’imposer une garde sur appel, celles des 2 et 4 décembre 2013. Il a demandé à l’employeur d’inclure un quatrième employé dans la rotation, mais ce ne fut pas retenu.

[24]         Il est clair pour le syndicat que la convention collective permet à l’employeur d’imposer une garde et il en a informé le plaignant tout en lui conseillant d’effectuer ses gardes pour ne pas s’exposer à subir des mesures disciplinaires, et ce, à plus d’une reprise.

[25]         Le plaignant est, par ailleurs, insatisfait du traitement de son dossier et mentionne divers manquements.

Une connaissance insuffisante de la langue anglaise

[26]         Le plaignant a une certaine connaissance de la langue française et reproche à l’agent de griefs de ne pas avoir une connaissance suffisante de la langue anglaise.

[27]         Celui-ci répond qu’il comprend l’anglais mieux qu’il ne le parle et que le plaignant comprend le français mieux que lui-même ne comprend l’anglais. Il précise que le plaignant ne s’est jamais opposé à ce que les rencontres avec l’employeur se déroulent en français.

L’inaction du syndicat

[28]         Selon le plaignant, le syndicat aurait dû intervenir en sa faveur auprès de l’employeur dès la première suspension.

[29]         Il reproche également à l’agent de griefs de ne pas s’être opposé aux questions des représentants de l’employeur lorsque ceux-ci ont voulu l’interroger sur ses croyances religieuses. En réponse à une question du procureur du syndicat, il déclare simplement qu’il «  worships from 4 p.m. to 7 p.m . », c’est-à-dire de la fin d’une journée de travail au début de la suivante.

[30]         L’agent de griefs souligne que le plaignant a invoqué plus d’un motif pour justifier son refus d’effectuer des gardes. Ce n’est qu’à la rencontre de congédiement qu’il a été informé que la garde empêcherait le plaignant d’exercer ses obligations religieuses.

Les griefs

[31]         Le plaignant allègue que le syndicat a rédigé les griefs sur des formulaires en langue française bien qu’il lui ait demandé de se servir d’un formulaire de langue anglaise.

[32]         De plus, certains des termes employés dans la rédaction des griefs sont inappropriés, ce qui démontre que le syndicat est de collusion avec l’employeur. Le plaignant illustre son point en s’appuyant sur le texte du grief de congédiement :

In accordance with the collective agreement, I contest the letter of april 15 th 2014 (Dismissal) and its content.

I request the withdraw of the letter of april 15 th 2014 and my reintegration into the workplace, in my post at the CSSS-Ouest-de-l’Île, as soon as possible, without prejudice, recourse and remedy.

(reproduit tel quel)

[33]         La Commission note que le plaignant y a écrit la note suivante : «  Note : Recourse and remedy at issue plus monetary compensation. [illisible]  » On peut aussi y lire que le syndicat réclame

[…] tous les droits prévus à la convention collective et dédommagement pour préjudices subis, incluant les dommages moraux et exemplaires, ainsi que le préjudice fiscal, le tout rétroactivement avec intérêts au taux prévu au code du travail, et sans préjudice aux autres droits dévolus.

(reproduit tel quel)

[34]         Selon le plaignant, le terme «  request  » donne à l’employeur la possibilité de refuser. Il fallait écrire «  want/demand  ». Il aurait aussi mieux valu demander la destruction de l’avis de congédiement et non qu’il soit retiré («  withdraw  ») afin que l’employeur ne puisse le reclasser dans son dossier. Finalement, l’expression «  reintegration  » ne renvoie à rien de connu. Cependant, il ne se souvient pas d’avoir demandé au syndicat de remplacer l’un ou l’autre de ces mots.

[35]         Le plaignant fait, par ailleurs, remarquer que les représentants syndicaux l’ont convoqué dans un établissement de restauration rapide pour signer le grief de congédiement.

La position du syndicat

[36]         Au sujet des griefs déposés par le syndicat, l’agent de griefs souligne qu’ils ont été rédigés en anglais avec l’assistance de la conseillère syndicale et d’un autre représentant syndical. Le plaignant les a lus et a ajouté ses commentaires avant d’apposer sa signature. Le syndicat a dû le rencontrer dans un établissement de restauration rapide parce que l’employeur lui interdisait de se présenter sur les lieux de travail après son congédiement.

Défaut de déposer un grief de harcèlement psychologique

[37]         Le plaignant allègue enfin que les avis de suspension et de congédiement constituent des manifestations de harcèlement psychologique et reproche au syndicat de ne pas avoir déposé de grief de cette nature contre son employeur.

Collusion avec l’employeur

[38]         Le plaignant témoigne qu’il a pu constater que l’agent de griefs se trouvait dans la salle avec les représentants de l’employeur avant l’une des rencontres, ce que ce dernier nie.

analyse et motifs

les règles applicables

[39]         L’article 47.2 du Code énonce les obligations qui incombent au syndicat en regard de son devoir de représentation :

Une association accréditée ne doit pas agir de mauvaise foi ou de manière arbitraire ou discriminatoire, ni faire preuve de négligence grave à l’endroit des salariés compris dans une unité de négociation qu’elle représente, peu importe qu’ils soient ses membres ou non.

[40]         Le syndicat doit exercer son pouvoir exclusif de représentation en tenant compte de son devoir de représentation.

[41]         Reprenant les principes établis par la Cour suprême dans Noël c. Société d'énergie de la Baie James , [2001] 2 R.C.S. 207 , la Commission, dans Sadio c. Syndicat canadien de la fonction publique , section locale 3332, 2012 QCCRT 0116 , définit ainsi les comportements prohibés à l’endroit des salariés compris dans l’unité de négociation :

[46]      […] Le comportement de mauvaise foi est frauduleux, malicieux, malveillant ou hostile, et il présuppose une intention de nuire. Le comportement discriminatoire tente de défavoriser un individu ou un groupe d’individus sans que le contexte des relations de travail le justifie. Le comportement arbitraire implique un traitement superficiel ou inattentif de la plainte du salarié, volontaire ou non. Quant à la négligence grave, elle survient quand le syndicat commet une faute grossière dans le traitement de la plainte du salarié, même en l’absence d’intention de nuire.

[42]         Le fardeau de prouver que le syndicat a violé son obligation de juste représentation syndicale incombe au salarié. Il s’agit d’un fardeau exigeant : «  Il faut bien admettre que les vocables : mauvaise foi, arbitraire, discrimination et négligence grave, sont exorbitants eu égard à notre régime général de responsabilité civile extracontractuelle.  » (Jean - Yves BRIÈRE, L’obligation d’une juste et loyale représentation : analyse, perspective et prospective, Développements récents en droit du travail 2005, volume 224, Service de la formation permanente du Barreau du Québec, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2005, p. 153 à la p. 164).

[43]         À la lumière de ces considérations, le syndicat possède une discrétion appréciable dans le cadre de l’interprétation et de l’administration de la convention collective et il lui appartient de prendre les décisions dans la mesure où il exerce sa discrétion selon les critères de l’article 47.2 du Code.

[44]         Ainsi, le rôle de la Commission est ni de décider du bien-fondé de la réclamation du salarié ni de substituer son opinion à celle du syndicat en regard de la décision à prendre dans un cas donné, mais bien d’examiner le comportement syndical à la lumière de son obligation de juste représentation, dans le but de déterminer si le manquement reproché au syndicat résulte d’un acte arbitraire, de mauvaise foi, de discrimination ou de négligence grave ( Syndicat national des employées et employés du Centre de soins prolongés Grace Dart (CSN) c. Holligin-Richards , 2006 QCCA 158 , paragr. 31)

L’application des RÈGLes aux faits

[45]         Le plaignant diverge d’opinion avec le syndicat sur la possibilité pour l’employeur d’imposer aux mécaniciens de machines fixes une garde sur appel et il croit sérieusement qu’il ne peut, pour ce motif, le représenter adéquatement.

[46]         Cependant, il ne s’agit pas automatiquement d’un manquement au devoir de représentation. En effet, un syndicat est souvent susceptible de représenter des salariés aux opinions différentes de la sienne dans la conduite des dossiers individuels ou d’intérêt collectif. En l’absence de mauvaise foi, de conduite arbitraire, discriminatoire ou de négligence grave, la Commission ne peut intervenir parce qu’un salarié a perdu confiance en son syndicat ( Bédard c. Syndicat des employés manuels de la Ville de Québec, section locale 1638 - Syndicat canadien de la fonction publique , 2008 QCCRT 0160 , paragr. 39).

[47]         Dans le présent dossier, aucun des points que le plaignant soulève à l’audience ne démontre que le syndicat n’a pas pris les précautions raisonnables pour le représenter adéquatement à la suite de son refus répété d’effectuer des gardes.

[48]         Tout d’abord, rien dans la preuve ne démontre que le plaignant n’a pu communiquer convenablement avec l’agent de griefs ou les autres représentants syndicaux qui ont pu être impliqués dans son dossier en raison de la langue de ceux-ci.

[49]         Le syndicat a pris les recours appropriés en déposant des griefs à l’encontre des suspensions que l’employeur a imposées au plaignant et de son congédiement. Ceux-ci ont été rédigés en anglais. Le plaignant a pu en prendre connaissance et demander des explications de même qu’ajouter ses commentaires avant de les signer. La procédure suit son cours normal depuis. Il n’y a aucune raison objective de croire que le syndicat ne présentera pas le dossier du plaignant de façon adéquate devant l’arbitre.

[50]         Le plaignant a intérêt à fournir au syndicat toute l’information qui pourrait être utile pour justifier sa conduite, dont celle concernant le motif religieux le cas échéant, aux fins de mener à bien l’arbitrage de ses griefs. Cela est d’ailleurs son devoir ( Vigeant c. Syndicat de professionnelles et professionnels du gouvernement du Québec (SPGQ) , 2008 QCCA 163 ).

EN CONSÉQUENCE, la Commission des relations du travail

REJETTE                      la plainte.

 

 

__________________________________

Esther Plante

 

 

 

M e Johnathan Di Zazzo

LAPLANTE ET ASSOCIÉS AVOCATS

Représentant de l’intimé

 

Date de l’audience :

30 juin 2014

 

/ls