BUREAU DES RÉGISSEURS

Régie du bâtiment du Québec

 

 

No du dossier :

8108-7553

 

No du rôle :

41.d-C-14

 

Date :

17 octobre 2014

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DEVANT :

M e Sylvie Séguin

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RÉGIE DU BÂTIMENT DU QUÉBEC

Requérante

 

c.

 

Construction J.G.M. inc.

INTIMÉE

 

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DÉCISION

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[1]            Le 24 septembre 2014, la Régie du bâtiment du Québec (ci-après la Régie) reçoit de monsieur Jean-Guy Monger une demande de délivrance d’une licence d’entrepreneur de construction, pour la personne morale Construction J.G.M. inc. (ci-après JGM).

[2]            Le 10 octobre 2014, la Direction des affaires juridiques de la Régie (ci-après la Direction) transmet au Bureau des régisseurs un avis d’intention lui demandant de tenir audience afin de décider si la licence demandée doit être refusée pour le motif suivant :

«  Monsieur Jean-Guy Monger a été dirigeant de l’entreprise 9196-7109 Québec inc. dans les douze mois qui ont précédé la faillite de cette entreprise, soit le 6 février 2014. Monsieur Jean-Guy Monger est actuellement dirigeant de Construction J.G.M. inc.

Dispositions de la Loi : art. 61 al.1 par.1 ° et art 45.

 

Disposition du Règlement sur la qualification professionnelle des entrepreneurs et des constructeurs-propriétaires : art. 2. »

[3]            L’entreprise JGM est titulaire d’une licence d’entrepreneur de construction jusqu’au 13 septembre 2014.  Elle est d’abord convoquée le 1 er août 2014.  L’audience fixée pour le 26 août est remise au 24 octobre 2014, à la demande du procureur de l’entreprise.

[4]            Le 13 septembre 2014, la licence de JGM est annulée parce que l’entreprise n’a pas acquitté les droits et frais de maintien.  Sur ce constat, l’entreprise dépose une demande de délivrance d’une licence d’entrepreneur de construction, laquelle fait l’objet de la présente.

[5]            Le 14 octobre, le procureur de l’entreprise, avec l’accord de la Direction, demande à ce que le présent dossier soit entendu dans les meilleurs délais.  L’entreprise et monsieur Monger, par l’entremise de leur procureur, renoncent aux délais de convocation et de communication des pièces et l’audience est fixée au 15 octobre.

[6]            Au jour de l’audience, l’entreprise est représentée par monsieur Jean-Guy Monger, son président, et la Direction, par M e Alex Giroux.

 

LA PREUVE

[7]            Monsieur Monger est dirigeant de JGM (P-15) de 1998 à ce jour et de 9196 - 7109 Québec inc. (ci-après 9196) de 2008 à 2014 (P-1).

 

[8]            En 2008, monsieur Monger s’associe à monsieur Carl Parisée.  Ce dernier souhaite répondre à une offre de l’entreprise Arcelor Mittal pour la construction de bâtiments résidentiels dans la ville de Fermont et veut s’associer un entrepreneur d’expérience.  À eux deux ils démarrent 9196.

 

[9]            Monsieur Monger gère 9196 de la place d’affaires de JGM à Sept-Îles, alors que monsieur Parisée dirige les chantiers à Fermont.  Les affaires de 9196 sont prospères et l’entreprise génère des profits forts intéressants.  Monsieur Monger évalue le chiffre d’affaires de 9196 à environ 3 millions par année au cours des 3 premières années d’opération.

 

[10]         9196 rencontre des difficultés à partir de 2011.

 

[11]         Un important contrat de construction d’un commerce de type dépanneur pour l’Association des Mooses de Fermont fait perdre plus de 250 000 $ à l’entreprise.  Le représentant de l’Association qui a donné le contrat à 9196 décède alors que les travaux sont en cours.  Un nouveau membre de l’Association prend la relève, exige des modifications importantes, contraires aux ententes prises initialement.  La somme de 250 000 $ pour les travaux réalisés demeure impayée.

 

[12]         Puis, 9196 procède à l’achat de terrains à Fermont et débute un projet de construction.  Une entreprise spécialisée en ingénierie-construction conseille 9196 et suggère un budget de 550 000,00 $ pour la réalisation du projet.

 

[13]         Or, le terrain sur lequel ils entendent construire dissimule une nappe d’eau souterraine importante, non révélée au moment de l’estimation des coûts par la firme conseil et après de nombreuses difficultés, 9196 y engouffre une somme considérable.

 

[14]         Avec l’annonce du Plan Nord, plusieurs grandes entreprises dans le domaine de l’ingénierie et de la construction s’installent à Fermont et obtiennent les contrats de taille.  9196 se voit privée d’entrées importantes.

 

[15]         Les associés tentent d’éviter la faillite, vendent leur entrepôt de Fermont, monsieur Monger emprunte de ses amis, effectue des travaux pour compléter les contrats à ses frais, sans réussir à redresser les finances de l’entreprise.

 

[16]         9196 dépose un bilan de faillite le 6 février 2014.  Le passif est estimé à 2 456 171,00 $ (P-3).  Il n’y a aucune réclamation par les autorités fiscales ou les associations de réglementation du secteur de la construction.

 

[17]         Monsieur Monger est dirigeant de JGM depuis 1998 (P-6).  L’entreprise devient titulaire d’une licence d’entrepreneur de construction le 6 avril de la même année (P-7).  À l’époque de la délivrance, monsieur Monger en est le seul répondant.  En 2013, monsieur Arsenault se joint à JGM et habilite de nouvelles sous-catégories (P-8).

 

[18]         L’état des renseignements au Registraire des entreprises du Québec (P-6) révèle qu’au 28 mai 2014, JGM est détenue majoritairement par Gestion Lafam inc., entreprise sous le contrôle de monsieur Monger (P-18) et 9268-2301 Québec inc. (ci-après 9268) (P-19).

 

[19]         9268 est administrée par messieurs Arsenault et Boisvert.  Elle détient 15% des actions de JGM, selon les informations du registre au 28 mai 2014.  Monsieur Monger témoigne que 9268 s’est jointe à titre d’actionnaire au moment d’entreprendre un projet de construction d’un hôtel à Sept-Îles.  Ses deux actionnaires souhaitent prendre une part active dans les opérations de JGM dans le but de racheter les actions de Gestion Lafam inc. (Monger) dans quelques années.  Monsieur Monger envisage prendre sa retraite du secteur de la construction et de la rénovation pour se consacrer à son entreprise de gestion immobilière.

 

[20]         À la suite de la faillite de 9196 et la réorganisation de JGM, 9268 se retire de JGM.  Les documents officialisant son retrait ont été reçus devant un notaire récemment.

 

[21]         JGM connaît des difficultés en 2013 à l’occasion de la construction d’un hôtel.  Monsieur Monger essuie une perte de 2 millions.  Il emprunte la somme de 1 million pour terminer la construction et donne ses actions en garantie.  Il négocie une entente avec le propriétaire de l’hôtel afin que tous les sous-traitants soient payés.

 

[22]         Monsieur Monger témoigne qu’en juillet et août dernier, il compose avec la réorganisation de JGM, le suivi de la faillite de 9196 et les difficultés avec la construction de l’hôtel.  Au même moment, la Régie envoie à JGM, le rappel pour le paiement des droits et frais exigibles pour le maintien de la licence (P-11, P-13).

 

[23]         La personne exerçant les fonctions de contrôleur au sein de JGM se marie à la même époque et s’absente.  Le paiement n’est pas effectué à temps.  Lorsque monsieur Monger en est informé par la réception de la décision d’annulation de la licence de la Régie (P-16), il s’informe sans délai de la procédure à suivre pour régulariser la situation.

 

[24]         Il complète et signe le 19 septembre dernier, une demande de délivrance d’une licence d’entrepreneur de construction pour et au nom de JGM.  Le formulaire est reçu par la Régie le 24 septembre (P-17).

 

[25]         JGM se relève des pertes occasionnées à l’occasion de la construction de l’hôtel et se porte bien depuis les 5 derniers mois.

 

[26]         L’entreprise emploie une quarantaine d’employés répartis entre Sept-Îles, Havre St-Pierre et Fermont.  La moitié de ces effectifs opère de Sept-Îles.

 

[27]         Jusqu’en 2012, JGM enregistre un chiffre d’affaires de 5 à 8 millions par année.  C’est à ce niveau de rentabilité que monsieur Monger aspire aujourd’hui.  Pour ce faire, il réaménage le soutien clérical en réduisant le nombre d’employés. Les techniciens et les ingénieurs ont été mis à pied ou se sont retirés.  Il diminue ainsi ses coûts d’opération, revenant à la gestion telle que connue avant 2013.

 

[28]         Monsieur Monger est actif dans le secteur de l’immobilier depuis plusieurs années.  Il possède de nombreux immeubles locatifs lesquels génèrent un revenu brut d’environ 2 millions par année pour JGM.  Son épouse dirige ce secteur d’activités.

 

[29]         Il cesse d’utiliser des marges de crédit et paie ses fournisseurs et employés à même les sommes détenues en épargne par JGM.

 

[30]         L’entreprise est actuellement engagée dans trois projets d’importance : Véolia à Fermont, le Quai de la relance à Sept-îles et des rénovations au parc immobilier de l’Office municipal d’habitation d’Havre St-Pierre.

 

[31]         Monsieur Monger témoigne avoir tiré des leçons de la faillite de 9196.

 

ANALYSE

 

[32]         La délivrance d’une licence d’entrepreneur de construction à une entreprise doit-elle être refusée lorsque l’un de ses dirigeants a été dirigeant d’une société ou personne morale dans les douze mois qui précédent la faillite de celle-ci survenue depuis moins de 3 ans ?

 

[33]         L’article 61 (1°) de la Loi sur le bâtiment [1] (ci-après la Loi) énonce :

 

« La Régie peut refuser de délivrer une licence à une société ou personne morale lorsqu’un de ses dirigeants :

 

1 o   a été dirigeant d’une société ou personne morale dans les 12 mois précédant la faillite de celle-ci survenue depuis moins de trois ans.

 

2 o … »

[34]         La preuve démontre que monsieur Monger a été dirigeant de  9196 dans les 12 mois précédant la faillite de celle-ci, survenue le 6 février 2014.

 

[35]         Monsieur Monger est un dirigeant de JGM en demande de la délivrance d’une licence d’entrepreneur de construction.

 

[36]         La discrétion accordée par le législateur dans l’article précité de la Loi doit-elle être exercée par le régisseur en la présente affaire ?

 

[37]         Dans l’affaire 9184-7236 Québec inc. [2] , le régisseur décide qu’en une semblable matière, il y a lieu de déterminer:  « … si la faillite de l’entreprise … est le résultat d’une série de mauvaises décisions de la part du dirigeant ou bien s’il s’agit d’un concours de circonstances attribuables à des situations plus ou moins sous le contrôle du dirigeant, et ce, dans le cours normal des affaires. »

 

[38]         Dans cette affaire, le régisseur conclut en une faillite de la compagnie résultant d’une série de mauvaises décisions de la part du dirigeant et procède à l’annulation de la licence.

 

[39]         Ces principes dégagés de la jurisprudence en semblable matière s’appliquent en l’instance.

 

[40]         La preuve présentée établit que les ennuis financiers de 9196, à l’origine de sa faillite surviennent à l’occasion de deux projets de construction à Fermont.  Celui du dépanneur qui entraîne une perte au-delà de 250 000 $ après le décès du représentant de l’Association donneur d’ouvrage et le projet de construction de résidences à Fermont, pour lequel l’entreprise prend le soin de requérir l’expertise d’une firme spécialisée afin d’évaluer le coût de réalisation.  Or, l’état du sous-sol fait exploser ce coût.

 

[41]         Monsieur Monger tente de rétablir les finances de l’entreprise, vend un actif important de 9196, emprunte de l’argent pour renflouer les coffres de 9196, mais sans succès.  L’entreprise est incapable de retrouver le chemin de la rentabilité.  Elle déclare faillite.

 

[42]         Ces évènements constituent des circonstances hors du contrôle des dirigeants dans le cours normal des affaires de l’entreprise.

 

[43]         JGM opère depuis 1998.  Jusqu’aux difficultés de 9196, elle est une entreprise rentable et emploie environ 40 personnes.  En 2013, monsieur Monger envisage prendre sa retraite à court terme, alors qu’il est quadragénaire.  Des acheteurs potentiels se joignent à JGM dans cette perspective.

 

[44]         Monsieur Monger n’a pas joué un rôle important, voir prépondérant, dans la faillite de 9196 et il ne peut en être tenu responsable.

 

[45]         Les dispositions de l’article 110 de la Loi demandent la protection du public.

 

110 . La Régie a pour mission de surveiller l'administration de la présente loi, notamment en vue d'assurer la protection du public. 

 

[46]         Celles de l’article 111 énumèrent les différentes fonctions de la Régie.

111.  Pour la réalisation de sa mission, la Régie exerce notamment les fonctions suivantes:

1° vérifier et contrôler l'application de la présente loi et le respect des normes de construction et de sécurité;

 

2° contrôler la qualification des entrepreneurs et des constructeurs-propriétaires de façon à s'assurer de leur probité, leur compétence et leur solvabilité;

 …

 

[47]         Monsieur Monger a pris les mesures nécessaires pour que JGM se relève des difficultés vécues au cours de 2013 et 2014.

 

[48]         Il possède l’expérience nécessaire et l’a démontré pendant une quinzaine d’années.  La faillite de 9196 l’a amené à fixer des objectifs plus réalistes et à gérer JGM à moindres risques.

 

[49]         Ainsi, en la présente affaire, après avoir entendu la preuve dans son ensemble et examiné les documents déposés, la soussignée est d’opinion qu’il n’y a pas lieu de refuser la délivrance de la licence de JGM.

 

 

PAR CES MOTIFS, LA RÉGISSEUSE :

 

 

PERMET la délivrance d’une licence d’entrepreneur de construction à Construction J.G.M. Inc.

 

 

 

 

 

 

M e Sylvie Séguin

Régisseuse

 

M e Alex Giroux

GAUDREAU, DIONNE (RBQ)

Procureurs pour la Régie du bâtiment

 

Monsieur Jean-Guy Monger

Construction J.G.M. inc.

 

Date de l’audience : 15 octobre 2014



[1] RLRQ, c. B-1.1

[2] 9184-7236 Québec inc. (Re) , 2011 CanLII 17040 (QC RBQ)