Industries Mailhot inc. c. Allard |
2014 QCCA 1995 |
COUR D'APPEL
CANADA
PROVINCE DE QUÉBEC
N o : |
500-09-023566-136 |
|
(500-17-068077-117) |
|
PROCÈS-VERBAL D'AUDIENCE |
|
DATE : |
Le 31 octobre 2014 |
CORAM : LES HONORABLES |
YVES-MARIE MORISSETTE , J.C.A. |
APPELANTE / INTIMÉE INCIDENTE |
AVOCATS |
INDUSTRIES MAILHOT INC.
|
M e ann sophie del vecchio M e carl panet-raymond ( Loranger Marcoux s.e.n.c.r.l. )
|
INTIMÉE / APPELANTE INCIDENTE |
AVOCATE |
JEANNINE ALLARD
|
M e nicole gagné ( Rivest, Tellier, Paradis, Comm. normes du travail )
|
MISE EN CAUSE |
AVOCAT |
COMMISSION DES RELATIONS DU TRAVAIL
|
|
En appel d'un jugement rendu le 10 avril 2013 par l'honorable Danielle Grenier de la Cour supérieure, district de Montréal. |
NATURE DE L'APPEL : |
Travail - révision judiciaire - appréciation de la preuve |
Greffière d’audience : Marcelle Desmarais |
Salle : Antonio-Lamer |
|
AUDITION |
|
9 h 30 |
Suite de l’audition du 30 octobre 2014. |
|
Arrêt déposé ce jour - voir page 3. |
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
(s) |
Greffière d’audience |
PAR LA COUR
|
ARRÊT |
|
[1] Industries Mailhot inc. se pourvoit contre un jugement de la Cour supérieure [1] , district de Montréal (l'honorable Danielle Grenier) rendu le 10 avril 2013 qui accueille une requête en révision judiciaire présentée par Jeannine Allard contre une décision de la Commission des relations du travail [2] , laquelle avait rejeté sa plainte logée en vertu de l'art. 124 de la Loi sur les normes du travail [3] pour contester son congédiement.
[2] La Cour supérieure conclut au paragr. [64] de ses motifs que la Commission ignore un pan important de la preuve, omet d’en débattre et d’en tirer des conclusions justes et raisonnables, ce qui constitue une violation du droit de Mme Allard d’être entendu. Pour la juge, la décision de la Commission selon laquelle Mme Allard a été congédiée pour une cause juste et suffisante ne possède pas les attributs de la raisonnabilité au sens de l’arrêt Dunsmuir [4] .
***
[3] Un bref rappel des faits s'impose.
[4] En 2009, Jeannine Allard occupe le poste de directrice des ressources humaines chez Industries Mailhot, où elle compte vingt-trois ans d'ancienneté. Elle est également la principale collaboratrice d’Yvan Morin, le président de l'entreprise.
[5] En mars 2009, Mme Allard est questionnée par Bernard Filion, le vice-président Finances, puis par François Morin, fils d’Yvan Morin et vice-président Ressources humaines et Affaires corporatives, au sujet de trois factures pour des bottes pour homme payées par l'employeur en contravention avec sa politique visant à fournir des bottes de sécurité aux employés. Après quelques discussions, le 18 mars 2009, Mme Allard avoue finalement à M. François Morin avoir reçu un remboursement de l’employeur pour des bottes destinées à son fils qui, lui, n’y avait pas droit.
[6] Le 19 mars 2009, Mme Allard rencontre M. Yvan Morin. Les parties offrent des versions contradictoires du déroulement de cette rencontre.
[7] Selon Mme Allard, ils ont convenu qu'elle remboursera les bottes. En conséquence de cette fraude, alors qu’ils sont seuls, M. Yvan Morin lui demande de renoncer au billet à ordre de 110 560 $ obtenu en échange d'actions de l'entreprise qu'elle et d'autres cadres détenaient. Toujours selon Mme Allard, ils discutent aussi des retraits qu'elle a effectués du compte bancaire personnel de M. Morin. Elle explique qu’il s’agissait d’un prêt pour faire des rénovations dans sa nouvelle maison. Elle informe alors M. Morin qu’elle peut rembourser ce prêt et ils s’entendent sur un remboursement de 1 000 $ par mois. Il n'est pas question de congédiement.
[8] Selon Yvan Morin, après la discussion au sujet des bottes, Mme Allard lui avoue avoir pris environ 6 000 $ dans son compte personnel sans autorisation. À la suite de cette révélation, il informe Mme Allard que la relation de confiance entre eux est terminée, de même que son emploi chez Industries Mailhot. Il décide toutefois de ne pas la renvoyer pour fraude sur-le-champ afin de lui donner une chance de se trouver un autre emploi. Il lui accorde six mois pour le faire, au cours desquels elle doit rembourser, au rythme de 1 000 $ par mois, la somme retirée de son compte personnel. Pendant cette période, elle accomplit uniquement des tâches cléricales. D'après Yvan Morin, c'est à la suite de cette révélation concernant les retraits qu'il demande à Mme Allard de lui rendre le billet à ordre. Il n'informe pas François Morin de la question des retraits.
[9] M. Yvan Morin explique que la rencontre avec Mme Allard s'est poursuivie en présence de son fils François. Ils conviennent des modalités de remboursement pour l'achat des bottes. M. Yvan Morin explique à M. François Morin que Mme Allard se rapportera dorénavant à lui seul et qu'on lui enlèvera ses tâches progressivement. Il explique également que les six prochains mois seront une période de transition vers le départ de Mme Allard.
[10] Selon Mme Allard, il n'a jamais été question de fin d'emploi, de période de transition ou de perte de confiance lors de la rencontre du 19 mars 2009.
[11] Entre mars et août 2009, Mme Allard rembourse la somme due à M. Morin, qui a été retirée de son compte personnel entre 2005 et 2009. Le total s’élève à 14 400 $ et non plus 6 000 $.
[12] Le 17 août 2009, Yvan Morin et Jeannine Allard se rencontrent. Elle lui annonce qu'elle a terminé de rembourser la somme de 14 400 $. M. Morin dit avoir appris à ce moment le nouveau montant. Il affirme qu'il a demandé à Mme Allard de signer une note faisant état du remboursement des sommes prélevées sans autorisation, ce qu'elle a refusé de faire.
[13] Mme Allard a une version différente de cette rencontre. Elle n'a aucun souvenir de ladite note. Selon elle, M. Yvan Morin lui a demandé une quittance à l'égard du billet à ordre. Elle lui fait alors part de son souhait de consulter un avocat pour connaître ses droits à cet égard. M. Morin l'a alors menacée de la congédier si elle consultait un avocat, dit-elle.
[14] À la suite de cette rencontre, Me Pierre Dozois reçoit de Yvan Morin le mandat de régler la fin d'emploi de Mme Allard, incluant la question du billet à ordre. Dans les jours qui suivent, Mme Allard refuse de signer une quittance pour le billet à ordre.
[15] À la fin septembre 2009, Mme Allard reçoit une lettre de congédiement et un relevé d'emploi.
[16] Mme Allard dépose une plainte à la Commission des normes du travail dans laquelle elle allègue avoir été congédiée sans cause juste et suffisante.
***
[17] Au terme d'une enquête d'une durée de sept jours et de l'analyse des quarante-six pièces déposées en preuve, la Commission des relations du travail conclut que le congédiement de la plaignante se fondait sur une cause juste et suffisante et rejette la plainte de Mme Allard.
[18] Le commissaire souligne que Mme Allard a menti plusieurs fois au sujet des bottes. Il ne croit pas Mme Allard lorsqu'elle affirme avoir eu l'autorisation d'effectuer des retraits dans le compte personnel de M. Morin et ne croit pas non plus qu'elle notait les montants empruntés dans un calepin. Le commissaire dénote plusieurs invraisemblances dans son témoignage et conclut à l'absence de crédibilité de Mme Allard. Quant à M. Yvan Morin, le commissaire considère son témoignage honnête, cohérent et vraisemblable et il le retient dans sa totalité.
[19] En ce qui concerne l'incident des bottes, le commissaire conclut qu'il aurait pu, à lui seul, justifier un congédiement, compte tenu des circonstances. Quant aux retraits au compte personnel de M. Morin, le commissaire considère que ce geste, d'une gravité extrême, justifie également à lui seul le congédiement de Mme Allard.
[20] Le commissaire retient le témoignage de M. Yvan Morin lorsqu’il explique, à la suite de l'aveu concernant les retraits non autorisés, avoir décidé que Mme Allard ne travaillait plus pour lui, mais de néanmoins lui accorder un délai de six mois pour se trouver un nouvel emploi. L'employeur n'a donc pas tardé à communiquer sa décision de congédier Mme Allard pour les fautes commises. Bien que son départ ait été suspendu pour une période de six mois, la décision de la congédier a été prise le 19 mars 2009.
[21] Pour le commissaire, c'est également à la suite de cet aveu que M. Morin a demandé à Mme Allard de lui remettre son billet à ordre.
[22] Le commissaire conclut que le congédiement de Mme Allard lui a été imposé pour une cause juste et suffisante et rejette sa plainte.
[23] Mme Allard saisit la Cour supérieure d'une requête en révision judiciaire.
***
[24] La juge de la Cour supérieure précise d'abord que la norme de révision applicable est celle de la décision raisonnable.
[25] La juge explique qu'elle a procédé à l'étude complète de la preuve administrée devant le commissaire. Elle y a été incitée par le fait que le commissaire a omis d'étudier la question du billet à ordre et sa portée sur l'issue du litige, dit-elle.
[26] Selon la juge, le commissaire a attaché trop d'importance au mensonge de Mme Allard au sujet des bottes. Ce faisant, il a occulté un pan de preuves convaincantes et pertinentes démontrant le véritable motif du congédiement, qui est le refus de Mme Allard de signer le document de quittance pour son billet à ordre. En ignorant la preuve présentée par Mme Allard sous prétexte que sa crédibilité était entachée par son mensonge au sujet des bottes, le commissaire a remis à Mme Allard, et à tort, le fardeau de prouver que le congédiement a été fait sans cause juste et suffisante.
[27] La juge conclut ses motifs ainsi :
[63] La décision de la CRT souffre de lacunes importantes. Sa façon de voir les choses est difficilement réconciliable avec le simple bon sens. Elle repose sur la prémisse erronée qu’une personne qui a menti une fois mentira toujours.
[64] La justice naturelle exige que les organismes administratifs respectent les règles d’équité procédurale. Bien que le contenu de la règle audi alteram partem soit variable, on peut affirmer qu’il comprend le droit de présenter une preuve et de faire des représentations en fonction de la preuve administrée. Ignorer un pan important d’une preuve pertinente, omettre d’en débattre et d’en tirer des conclusions justes et raisonnables constitue une violation du droit d’être entendu et mène, en l’espèce, à une injustice réelle. Il ne s’agit certes pas d’une issue possible acceptable au sens de l’arrêt Dunsmuir.
[références omises]
[28] Étant d'avis que la décision de la Commission est déraisonnable, la juge accueille la requête en révision judiciaire, casse la décision et retourne le dossier à la Commission afin que la plainte soit entendue par un autre commissaire.
[29] Industries Mailhot obtient la permission d'appeler d'un juge de la Cour [5] qui la lui accorde « [c]onsidérant la nature et l’étendue de l’intervention de la première juge ».
[30] Jeannine Allard se porte appelante incidente. Elle soutient que la juge de la Cour supérieure a erré en droit en retournant le dossier à la Commission au lieu d'accueillir sa plainte.
***
[31] La juge de la Cour supérieure a-t-elle erré en cassant la décision de la Commission au motif qu'elle était déraisonnable?
[32] Rappelons que le choix de la norme de révision judiciaire n'est pas contesté ici : la critère de la décision raisonnable, décrit dans l'arrêt Dunsmuir [6] , s'applique.
[33] Dans l'arrêt Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c. Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor) [7] , la juge Abella souligne la déférence due aux décisions rendues par les organismes administratifs sur des questions de fait:
[17] […] Les juges siégeant en révision doivent accorder une « attention respectueuse » aux motifs des décideurs et se garder de substituer leurs propres opinions à celles de ces derniers quant au résultat approprié en qualifiant de fatales certaines omissions qu’ils ont relevées dans les motifs.
[34] Dans l'arrêt de la Cour dans l'affaire Brunet c. Arthrolab [8] , le juge Forget précise:
[43] Il importe peu de penser que le poids de la preuve paraît favoriser la thèse de l'employeur; en appel, on s'abstient de réviser l'appréciation de la preuve par le premier juge, cette règle s'applique à plus forte raison dans une procédure en révision judiciaire.
[35] Avec égards, nous sommes d'avis que la juge se méprend dans son application de la norme de la décision raisonnable et qu'il y a lieu d'accueillir l'appel.
***
[36] Il convient d'analyser les arguments soulevés par l’appelante en s'attardant sur les erreurs relevées par la juge de la Cour supérieure et sur lesquelles elle s'appuie pour intervenir.
[37] Selon la juge de la Cour supérieure, l'évaluation de la crédibilité a pris une orientation plus subjective qu'objective et Mme Allard n'a pas été crue sur la question des retraits non autorisés uniquement parce qu'elle avait menti une première fois au sujet des bottes (paragr. [57]). La décision du commissaire repose, selon la juge, sur « la prémisse erronée qu'une personne qui a menti une fois mentira toujours » (paragr. [63]).
[38] Nous ne partageons pas l'avis de la juge que le commissaire a rejeté l'ensemble du témoignage de Mme Allard simplement en raison du fait qu'elle a menti au sujet des bottes.
[39] Il est vrai que le commissaire insiste sur ces mensonges de Mme Allard, notamment au paragr. [72] alors qu'il écrit que « c'est "trop peu, trop tard" pour prétendre par la suite au droit d'être crue sur parole ». Toutefois, cette phrase ne doit pas être analysée en vase clos. Le commissaire précise qu'il ne croit pas le témoignage de Mme Allard à propos de l'autorisation qu'elle aurait eu de M. Morin pour retirer des sommes de son compte personnel et souligne les incohérences dans son témoignage à ce chapitre (paragr. [73] et [74]). Il ne la croit pas non plus sur le fait qu'elle notait les montants retirés dans un calepin qu'elle a détruit après sa fin d'emploi (paragr. [75]). Plus encore, le commissaire ajoute au paragr. [76] que ces éléments ne sont pas les seuls sur lesquels il s'appuie pour conclure à l'absence de crédibilité de Mme Allard. Son analyse de la crédibilité n'est pas subjective comme le dit la juge de la Cour supérieure; au contraire, elle prend appui sur l'ensemble de la preuve.
[40] La juge de la Cour supérieure est d'avis que M. Yvan Morin n'aurait jamais congédié Mme Allard après vingt ans de service pour avoir menti au sujet de trois paires de bottes de sécurité (paragr. [43] et [45]).
[41] Aux paragr. [82] à [85], le commissaire se penche sur la question de savoir si l'achat frauduleux des bottes justifiait le congédiement de Mme Allard. Il conclut que les trois achats frauduleux de bottes « auraient pu justifier, à eux seuls, le congédiement de la plaignante, malgré le faible montant en cause et les 23 années de service de la plaignante ».
[42] La question de savoir si ce motif constitue une cause juste et suffisante pour le congédiement de Mme Allard est hypothétique, puisque le commissaire conclut que ce n'est pas l’unique raison qui l’explique. Le Commission statue, à partir d’une preuve contradictoire, que Mme Allard a effectué des retraits sans autorisation du compte personnel de M. Morin. Il précise que ce geste, aussi, justifie le congédiement (paragr. [89]).
[43] Quant aux retraits du compte personnel de M. Morin, la juge de la Cour supérieure aborde la question en ces termes :
[44] Encore une fois, les probabilités jouent en faveur de la requérante. Si effectivement, la requérante pigeait dans le compte bancaire de M. Yvan Morin, comment expliquer que ce dernier n’ait jamais demandé à voir les relevés mensuels de son compte bancaire; qu’il n’ait fait aucune démarche pour s’assurer de la véracité des informations communiquées par la requérante quant au montant qui lui était dû; qu’il n’ait révoqué la procuration de la requérante auprès de la Caisse populaire que le 17 septembre 2009 [Pièce P-2], après le congédiement; qu’il n’ait jamais demandé à la requérante de lui signer une reconnaissance de dette; qu’il n’ait jamais fait de suivi concernant les remboursements qu’elle a effectués; qu’à l’été 2009 il lui ait communiqué son numéro de carte de crédit pour qu’elle lui commande des balles de golf; qu’il n’ait jamais rien fait pour empêcher que la requérante continue d’effectuer des transactions dans les comptes bancaires de Industries Mailhot inc. et que le fils d’Yvan Morin, François Morin, n’ait été mis au courant des retraits prétendument non autorisés qu’après que la requérante eût refusé de renoncer aux droits garantis par le billet à ordre. À cela, la CRT n’apporte aucune réponse. Il s’agit d’une preuve qu’elle ignore complètement.
[45] Après plus de vingt ans de loyaux services, on ne congédie pas son adjointe parce qu’elle a menti au sujet de trois paires de bottes. En mars 2009, un congédiement aurait peut-être été justifié si la requérante avait effectivement retiré, sans autorisation, 14 400 $ dans le compte personnel d’Yvan Morin. Or, comme le démontre la prépondérance de la preuve, Yvan Morin a continué de se comporter vis-à-vis la requérante comme il l’avait toujours fait. […]
[soulignements ajoutés]
[44] Selon la juge, le commissaire ne croit pas Mme Allard sur la question des retraits non autorisés en raison de son mensonge au sujet des bottes alors que plusieurs éléments de preuve, notamment le témoignage de François Allard, corroboraient pourtant sa version (paragr. [57]).
[45] Au paragraphe [44] de ses motifs, précité, la juge énumère plusieurs éléments de preuve auxquels la Commission n'apporte aucune réponse, à son avis, dans l’évaluation du caractère justifié du congédiement. Or, la Commission n'avait pas à s'expliquer sur chacun de ces éléments de preuve. Il suffit que les motifs « permettent à la cour de révision de comprendre le fondement de la décision du tribunal et de déterminer si la conclusion fait partie des issues possibles acceptables » [9] .
[46] En outre, il est inexact de dire que la Commission « ignore complètement » les éléments de preuve dont la juge fait état. La Commission tient compte du fait qu’Yvan Morin n'a pas parlé des retraits à son fils François (paragr. [41]), du montant dû par Mme Allard (paragr. [96] et [97]) et du mode de remboursement (paragr. [101]).
[47] En l’occurrence, la juge a erré dans son application de la norme de la décision raisonnable. La preuve présentée à la Commission au sujet des retraits était contradictoire. À la lumière de la crédibilité qu'elle accordait aux témoins après l’analyse de toute la preuve, la Commission a préféré la version d’Yvan Morin et a rejeté celle de Mme Allard, la jugeant invraisemblable.
[48] L'exercice de réinterprétation de la preuve par la juge ne correspond pas à une application de la norme de la décision raisonnable. Comme le disait le juge Forget dans Brunet c. Arthrolab , précité, si l'appréciation de la preuve commande de la retenue judiciaire en appel, c'est d'autant plus le cas en révision judiciaire. La juge procède à sa propre analyse de la preuve et se demande quelle décision aurait dû être rendue. Comme le dit l'appelante, la juge semble appliquer la norme de la décision correcte : elle statue sur le fond et de novo au lieu de statuer comme elle le devait sur la raisonnabilité de la décision de la Commission.
[49] L'appelante a raison de dire que l'analyse de la mesure disciplinaire imposée à l'égard du comportement de Mme Allard s'inscrit au cœur du champ d'expertise de la Commission. Sa conclusion sur le congédiement fait partie des issues possibles acceptables.
[50] Selon la juge de la Cour supérieure, « la balance des probabilités joue en faveur de la requérante qui, vraisemblablement, a été congédiée non pas en mars 2009, comme le prétend la mise en cause, mais bien en septembre 2009, comme elle le soutient » (paragr. [27]). La juge ajoute, plus loin, que le commissaire a « occulté tout un pan de preuves convaincantes et pertinentes qui tendaient à démontrer que le congédiement et le refus de la requérante de renoncer à une somme de plus de 110 000 $ étaient concomitants » (paragr. [47]).
[51] Encore une fois, la Commission était devant une preuve contradictoire. Aux paragraphes [45], [46], [63] et [64], le commissaire prend note du témoignage de Mme Allard qui affirme qu'il n'a jamais été question de congédiement en mars 2009 et que son congédiement résulte du refus de signer une quittance pour le billet à ordre. Le commissaire retient cependant la version des faits de M. Yvan Morin. Le commissaire a tranché entre deux versions contradictoires. Il n'y a rien de déraisonnable dans son analyse de la preuve ou dans son analyse de crédibilité des témoins; sa décision est justifiée, transparente et intelligible.
[52] En outre, la Commission n'a pas violé les règles de l'équité procédurale en ignorant un pan important de la preuve.
[53] Comme l'explique le commissaire, c'est le témoignage de M. Yvan Morin qui est révélateur quant au motif du congédiement. C'est lui qui a pris cette décision après que Mme Allard lui ait avoué avoir retiré 6 000 $ de son compte personnel, et non simplement en raison de l'incident des bottes, tout en lui donnant une chance de le rembourser pendant qu'elle chercherait un nouvel emploi. Rappelons que M. Morin a discuté, seul avec Mme Allard, des retraits non autorisés, sans en parler à son fils François qu’au mois de septembre 2009. M. François Morin était donc sous l'impression que l'incident des bottes justifiait le congédiement de Mme Allard au terme d'un préavis de six mois.
[54] Par ailleurs, la Commission n'a pas omis d'aborder la question du billet à ordre ou ignoré une preuve qui démontre que Mme Allard a été congédiée en raison de son refus de signer une quittance pour ce billet. Contrairement à ce qu'affirme la juge, la Commission traite du billet à ordre aux paragr. [92] à [94] de ses motifs et conclut que M. Yvan Morin a demandé à Mme Allard de le rendre en mars 2009 parce qu'elle n'y avait plus droit en raison de ses gestes malhonnêtes, soit l'achat frauduleux des bottes et les retraits. Le commissaire croit invraisemblable que Mme Allard ait rendu son billet pour trois paires de bottes comme elle l'affirme (paragr. [94]). Puis, aux paragr. [101] à [104], la Commission traite explicitement des circonstances dans lesquelles M. Yvan Morin et ensuite Me Dozois ont tenté d'obtenir la signature d'une quittance pour le billet à ordre.
[55] Nous sommes unanimement d’avis que la juge se méprend en disant au paragraphe [26] que la Commission a complètement occulté cette question. Le commissaire a tenu compte de l'ensemble de la preuve et a conclu que, malgré les événements entourant la demande de quittance, le congédiement avait été décidé en mars 2009 en raison des retraits non autorisés du compte de M. Yvan Morin. La décision de congédier Mme Allard a donc été prise le 19 mars 2009; et son exécution reportée en septembre 2009, au terme de la période de six mois prévue pour le remboursement des sommes prises sans autorisation (paragr. [109]).
[56] Quant au peu de changements dans les tâches de Mme Allard après le 19 mars 2009, alors qu'elle était dans une période de transition vers sa fin d'emploi, le commissaire l'évoque au paragr. [63] et en traite plus directement aux paragr. [110] et [111]. Le commissaire retient que si les tâches de Mme Allard ont été peu modifiées, c'est parce que M. Yvan Morin cherchait à protéger la réputation de celle-ci et du bureau du président. De plus, il note que M. Morin a tout de même pris des précautions auprès de la banque pour qu’elle l’avise de tout retrait effectué de son compte.
[57] En définitive, contrairement à ce qu'affirme la juge aux paragraphes [63] et [64], précités, la Commission n'a pas rejeté l'ensemble de la preuve de Mme Allard pour le simple fait qu'elle a menti au sujet des bottes. La Commission n'a pas, non plus, ignoré la preuve relative au billet à ordre et à la demande de signature d'une quittance ou la preuve concernant les tâches accomplies par Mme Allard après mars 2009. Nous ne sommes pas devant un cas de violation de l'équité procédurale. Mme Allard a pu présenter sa preuve; cette preuve a été analysée mais n'a tout simplement pas été retenue.
[58] La juge de la Cour supérieure n'avait pas à substituer son appréciation des faits et de la preuve à celle de la Commission. Elle n'avait pas non plus à se demander si la prépondérance de la preuve joue en faveur d'une partie (paragr. [27], [44], [45]) ou si la preuve démontre que l'employeur s’est déchargé de son fardeau (paragr. [51] à [55]). Il se peut que la juge de la Cour supérieure aurait rendu une autre décision que celle de la Commission eut-elle été saisie du litige en lieu et place de cette dernière, mais cela ne constitue pas un motif d'intervention dans le cadre de l'application de la norme de la décision raisonnable.
[59] Dans ce dossier que le commissaire qualifie d’un « cas d’espèce » (paragr. [112]), la conclusion de la Commission appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. La requête en révision judiciaire doit être rejetée.
[60] La question soulevée par l'appel incident est, par conséquent, sans objet.
POUR CES MOTIFS , la Cour :
[61] ACCUEILLE l’appel, avec dépens;
[62] INFIRME le jugement de première instance;
[63] REJETTE la requête en révision judiciaire, avec dépens;
[64] RÉTABLIT la décision de la Commission des relations de travail rendue le 1 er septembre 2011;
[65] DÉCLARE que l’appel incident est sans objet.
|
YVES-MARIE MORISSETTE, J.C.A. |
|
NICHOLAS KASIRER, J.C.A. |
|
MARTIN VAUCLAIR, J.C.A. |
[1] 2013 QCCS 1415.
[2] 2011 QCCRT 411.
[3] RLRQ, c N-1.1.
[4]
Dunsmuir
c.
Nouveau-Brunswick
,
[5] 2013 QCCA 1274.
[6] Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick , supra , note 4, paragr. 47.
[7]
[8]
[9] Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c. Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), supra , note 7, paragr. 16.