COMMISSION DES RELATIONS DU TRAVAIL |
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(Division des relations du travail) |
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Dossier : |
AM-1001-4868 |
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Cas : |
CM-2013-2474 |
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Référence : |
2014 QCCRT 0593 |
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Montréal, le |
30 octobre 2014 |
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DEVANT LE COMMISSAIRE : |
Mario Chaumont, juge administratif |
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Claude Froment
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Plaignant |
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c. |
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Syndicat des chauffeurs d’autobus, opérateurs de métro et employés des services connexes au transport de la STM, section locale 1983, SCFP
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Intimé |
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Société de transport de Montréal
Mise en cause |
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DÉCISION |
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[1]
Le 15 mai 2013, Claude Froment (le
plaignant
) dépose une plainte en vertu des articles
[2] Le plaignant demande que sa réclamation soit soumise à un arbitre et que le syndicat paye ses frais de défense.
[3] Le plaignant est chauffeur d’autobus pour la Société de transport de Montréal (la STM ou l’ employeur ) depuis le début des années 1990. Durant un an, il a occupé la fonction syndicale de délégué. Pendant la durée de son emploi, plusieurs griefs le concernant sont déposés. Au moment des incidents relatés ci-dessous, il est affecté au Service du transport adapté.
[4] À la fin de juin 2010, le plaignant est l’objet d’une arrestation par les policiers de la Ville de Longueuil. Il est remis en liberté le 23 juin de la même année à la suite de certains engagements, dont « de ne pas être en présence de mineurs sauf en présence d’un adulte responsable et au courant des présentes accusations et de ne pas accepter ou garder d’emploi ou de travail de bénévole qui le placerait en position d’autorité ou de confiance face à des jeunes de moins de 18 ans. »
[5] Mis au courant par le Service de sécurité de la STM des accusations et des engagements pris par le plaignant, le « surintendant » du Service du transport adapté décide de le suspendre. Il le convoque à une rencontre devant se tenir le 6 juillet 2010.
[6] Le 6 juillet, sont présents le chef des opérations, soit le supérieur immédiat du plaignant, ce dernier et un directeur syndical. On lui remet la lettre de suspension émanant du « surintendant », rédigée comme suit :
Objet : suspension à durée indéterminée
Monsieur,
Nous avons obtenu des informations à l’effet que vous étiez arrêté en date du 23 juin 2010 par les policiers de la ville de Longueuil et avez été remis en liberté le jour même avec un certains nombres de conditions. Ces conditions sont incompatibles avec les responsabilités qu’implique votre travail de chauffeur.
Devant ces faits, vous êtes suspendu sans solde, pour une durée indéterminée.
Nous attendons les résultats de l’enquête pour évaluer la situation à l’égard de votre emploi au sein de la STM.
(reproduit tel quel)
[7] Le plaignant témoigne que, durant la rencontre, tant le représentant de l’employeur que celui du syndicat lui disent que, s’il est acquitté des accusations portées contre lui, son salaire lui sera remboursé.
[8] Le chef des opérations nie avoir mentionné la possibilité d’un remboursement, n’ayant de toute façon pas l’autorité pour le faire. Il dément aussi que le directeur syndical ait émis de tels propos.
[9] Le plaignant déclare qu’après la rencontre et sans le lui avoir demandé, le directeur syndical l’informe qu’il fera un grief pour contester sa suspension.
[10] En janvier 2011, le plaignant communique avec son directeur syndical pour lui signifier que son procès est reporté en 2012.
[11] En décembre 2011 ou en janvier 2012, le plaignant communique avec l’agent de griefs du syndicat qui s’occupe maintenant de son dossier pour l’informer du report de son procès. Il témoigne avoir alors appris qu’il n’y a pas eu de dépôt d’un grief contestant sa suspension sans traitement d’une durée indéterminée.
[12]
Le 26 septembre 2012, le plaignant est acquitté de deux chefs
d’accusation en échange d’engagements, soit de ne pas troubler l’ordre public
et de respecter certaines conditions prises conformément à l’article
Ne pas avoir de contact - notamment communiquer, par quelque moyen que ce soit, avec des personnes âgées de moins de 16 ans, à moins de le faire sous la supervision constante d’une personne adulte responsable au fait des présentes accusations (...)
Exception prévue : Dans le cadre de son travail régulier et rémunéré à la STM, s’il devait être temporairement en contact avec une personne de moins de 16 ans, il devra réduire au strict minimum les contacts avec cette personne, de manière à n’exécuter que son travail dans les règles de l’art. De plus, son employeur à la STM devra être informé des conditions de cet engagement.
[13] Par lettre datée du 31 octobre 2012, la STM convoque le plaignant à une rencontre devant se tenir le 16 novembre 2012 et lui demande d’apporter tous les documents relatifs à sa cause afin de discuter des modalités de son retour au travail. Y assistent trois représentants de l’employeur, le plaignant et l’agent de griefs du syndicat.
[14] Le plaignant est questionné sur les accusations et les circonstances sur lesquelles elles reposent. À la fin de la rencontre, aucune décision n’est prise, le plaignant est toujours suspendu.
[15] Aux alentours du 28 novembre 2012, l’employeur soumet un projet d’entente au plaignant. En échange d’une retraite qui prendrait effet à partir du 1 er janvier 2013 et d’un désistement de ses griefs, au nombre de 11, il recevra une somme de 5 000 $. Il refuse, car l’argent sera transmis à son ex-conjointe à titre de remboursement de la pension alimentaire.
[16] En décembre 2012, le plaignant communique avec le Service des ressources humaines afin d’évaluer la possibilité de prendre sa retraite. Il consulte aussi divers intervenants juridiques qui l’informent que la STM devrait lui rembourser le salaire perdu durant sa suspension puisqu’il a été acquitté.
[17] Par lettre datée du 11 décembre 2012, le plaignant met en demeure la STM de lui payer la totalité de son salaire et de le réintégrer au travail.
[18] À la fin du mois de décembre 2012, le plaignant prend sa retraite qui sera en vigueur le 1 er janvier 2013.
[19] Le 18 janvier 2013, le plaignant envoie un courriel à deux représentants syndicaux, dont l’agent de griefs. Il écrit :
Objet : paiement de deux ans et sept mois de suspension.
Messieurs,
Suite à mon coup de téléphone du 10 janvier 2013, à votre local il m’est un devoir de vous faire part des points suivants.
Dans un premier temps, je n’ai pas signé la convention exigée par l’employeur. Après plusieurs démarches, selon mon avocat, les normes du travail, la commission des normes du travail ainsi que l’avocat du Centre de Justice du grand Montréal, je dois recevoir les sommes qui correspondent au temps de ma suspension soit deux ans et sept mois.
Monsieur le Président Denis Vaillancourt, vous à donné une liste de choses dont j’ai besoin afin de compléter mon dossier. Il y a une correction à effectuer : pour ce faire j’ai besoin du nom du représentant du Syndicat F.T.Q. et de son numéro de téléphone.
Ceci, afin que si je n’ai pas entière satisfaction dans le règlement de ce dossier, je sois en mesure d’aller plus haut.
Dans un deuxième temps, je ne comprends pas pourquoi vous ne faites pas la démarche et que vous me m’ignorez. Comme vous le savez, j’ai été acquitté des charges criminelles. Or tous les intervenants à mon dossier me disent que mon employeur se doit de payer l’arriérage.
Si vous ne réussissez pas a parvenir à une entente avec la S.T.M. travaillez avec votre représentant à la F.T.Q. et ses avocats.
Dans un troisième temps, je vous fais part que la Commission des Relations du Travail m’a fait parvenir un formulaire. J’attends, sous peu, votre réponse au sujet des démarches que vous aurez effectuées avant de remplir ce formulaire.
Dans l’espoir que tout se règlera rapidement veuillez accepter (…)
(reproduit tel quel)
[20] Par la suite, il y a aussi une discussion téléphonique entre, d’un côté, le président du syndicat et le conseiller syndical et, de l’autre, le plaignant. Le syndicat demande à une avocate de préparer un avis juridique sur les chances de succès d’un grief réclamant le remboursement du salaire pendant la période correspondant à la suspension de durée indéterminée.
[21] L’avis juridique daté du 11 mars 2013 est remis au président du syndicat. Les questions qui y sont traitées sont les suivantes :
· Un salarié peut-il être suspendu sans solde lorsqu’il est sous le coup d’accusations criminelles et qu’il doit, de ce fait, respecter une ordonnance de la Cour contenant un engagement incompatible avec son emploi régulier ?
·
L’issue du procès donne t-elle un droit au salarié suspendu de
recouvrer rétroactivement son salaire ? Par ailleurs, une ordonnance prise
en vertu de l’article
· Comment la jurisprudence a-t-elle traité des suspensions d’employés accusés d’infraction d’ordre sexuel impliquant des mineurs et qui, dans le cadre de leur travail, ont un contact régulier avec une clientèle mineure?
(reproduit tel quel)
[22] Trois ouvrages de doctrine portant sur l’arbitrage, les mesures disciplinaires et les mesures administratives ainsi que des décisions de la Cour supérieure et de la Cour suprême et des sentences arbitrales apparaissent à la bibliographie ayant servi à la confection de l’avis juridique comportant 18 pages. Des extraits de certaines de ces décisions et de ces sentences servent à tracer l’état du droit en vigueur.
[23] L’avocate conclut ainsi :
L’analyse de l’état actuel de la jurisprudence permet d’établir que l’existence d’une ordonnance de Cour contenant des engagements incompatibles avec l’emploi constitue un cas « exceptionnel » qui justifie l’employeur de suspendre l’employé sans solde. L’employeur n’est pas non plus tenu de rembourser le salaire perdu dans la mesure où l’employé n’était pas disponible pour donner sa prestation de travail.
Par ailleurs, les arbitres considèrent qu’une ordonnance de « 810 » ne saurait être confondue avec un acquittement et que celle-ci implique plutôt une reconnaissance des faits qui sera considérée comme un aveu judiciaire aux fins de l’arbitrage de grief.
Quant aux accusations d’infractions sexuelles sur des mineurs, une brève étude de la jurisprudence nous permet de conclure qu’elles sont généralement reconnues comme incompatibles avec des fonctions où le salarié est en contact direct avec une clientèle mineure, comme c’est le cas des chauffeurs d’autobus.
On entrevoit par contre une ouverture des cours à la rémunération rétroactive des employés suspendus dans des cas bien particuliers. D’abord lorsque les parties auraient pris le soin d’encadrer spécifiquement les suspensions lorsqu’un salarié est accusé au criminel dans leur convention collective, ce qui n’est pas le cas de la section locale 1983. De plus, une rémunération rétroactive pourrait être envisagée dans les cas où l’employeur aurait lui-même participé activement au processus de l’enquête criminelle et où, ce faisant, il aurait participé aux recommandations menant à l’ordonnance de Cour et qui rend l’employé non disponible.
[24] En mars ou avril 2013, en présence de l’agent de griefs, le conseiller syndical communique avec le plaignant. Citant l’avis juridique, il l’informe qu’il n’est pas possible de réclamer le paiement du salaire durant sa suspension d’une durée indéterminée.
[25] Il revient au plaignant de démontrer que le syndicat n’a pas respecté ses obligations prévues à l’article 47.2 du Code, qui se lit comme suit :
47.2. Une association accréditée ne doit pas agir de mauvaise foi ou de manière arbitraire ou discriminatoire, ni faire preuve de négligence grave à l'endroit des salariés compris dans une unité de négociation qu'elle représente, peu importe qu'ils soient ses membres ou non.
[26] Le plaignant soutient que, dès la première rencontre avec un représentant de l’employeur, le 6 juillet 2010, ce dernier et le représentant syndical lui ont indiqué qu’il serait payé rétroactivement s’il était acquitté. Cette prétention est niée par le représentant patronal en question. Qui dit vrai?
[27] La Commission ne retient pas la version du plaignant, préférant celle du représentant de l’employeur, en l’occurrence le chef des opérations. Son témoignage est clair et net tandis que, de façon générale, le plaignant avoue qu’il n’a que de vagues souvenirs, invoquant avoir été pris dans un tourbillon dont les effets ont perduré jusqu’au début de l’année 2013.
[28] Le chef des opérations n’avait pas le pouvoir de tenir un tel engagement, en tant que cadre de premier niveau. De plus, lorsqu’on analyse les mises en demeure du plaignant à l’endroit de l’employeur et du syndicat, en décembre 2012 et janvier 2013, aucune mention de cette promesse n’y apparaît. Si celle-ci avait existé, il l’aurait sûrement mise de l’avant afin d’en exiger le respect.
[29] Subsidiairement, même si cette promesse avait été prononcée, elle n’aurait pas de valeur contraignante à l’endroit de l’employeur et du syndicat, car leur représentant respectif n’avait pas le pouvoir de les lier.
[30] Demeure en litige le refus du syndicat de déposer un grief, refus transmis au plaignant au cours du mois de mars ou d’avril 2013. Cette décision repose sur une analyse juridique sérieuse, comme l’a constaté la Commission.
[31] Le syndicat n’est pas tenu à une obligation de résultat, mais de moyen. S’appuyant sur l’analyse des faits pertinents et l’état du droit, il a évalué qu’il avait peu de chance de succès, et ce, avec raison.
EN CONSÉQUENCE, la Commission des relations du travail
REJETTE la plainte.
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__________________________________ Mario Chaumont |
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M e Patrice Blais |
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Représentant du plaignant |
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M e Yves Morin |
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LAMOUREUX, MORIN, LAMOUREUX AVOCATS - S.E.N.C. |
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Représentant de l’intimé |
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M e Richard Coutu |
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BÉLANGER SAUVÉ, S.E.N.C.R.L. |
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Représentant de la mise en cause |
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Date de la dernière audience : |
16 septembre 2014 |
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/nl