Syndicat des agents de la paix en services correctionnels du Québec c. Pineau |
2014 QCCS 5265 |
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JG1116
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DISTRICT DE |
MONTRÉAL |
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N° : |
500-17-081169-149 |
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DATE : |
5 NOVEMBRE 2014 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE : |
L’HONORABLE |
DANIELLE GRENIER, J.C.S. |
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SYNDICAT DES AGENTS DE LA PAIX EN SERVICES CORRECTIONNELS DU QUÉBEC |
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Requérant |
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c.
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MICHÈLE PINEAU, en sa qualité d’arbitre de griefs |
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Intimée |
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PROCUREURE GÉNÉRALE DU QUÉBEC |
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Mise en cause |
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TRANSCRIPTION DES MOTIFS DU JUGEMENT RENDU SÉANCE TENANTE LE 4 NOVEMBRE 2014 |
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[1] Le 1 er mai 2013, la plaignante subit une abdominoplastie dans une clinique privée à La Havane, Cuba.
[2] Elle revient au Canada le 17 mai 2013 et y poursuit sa convalescence.
[3] L’employeur refuse sa demande initiale d’indemnisation le 30 avril 2013. Ce refus est réitéré le 22 mai et le 2 juin 2013 après que l’employeur eut pris connaissance des renseignements médicaux fournis par la plaignante.
[4] Le 24 mai 2013, le Syndicat dépose au nom de la plaignante, Sylvie Bertrand, un grief contestant la décision de l’employeur de ne pas autoriser l’absence de cette dernière pour cause d’invalidité et de ne pas lui verser les indemnités qu’elle réclame à compter du 2 mai jusqu’au 29 juillet 2013.
[5] Le 20 janvier 2014, l’Arbitre rejette le grief du Syndicat.
[6] L’Arbitre a jugé que la plaignante n’était pas invalide au sens de l’article 38,03 de la convention collective [1] . Cet article se lit ainsi :
38,03 Par invalidité, on entend un état d’incapacité résultant d’une maladie, y compris un accident, une complication grave d’une grossesse ou une intervention chirurgicale reliée directement à la planification familiale, nécessitant des soins médicaux et qui rend l’employé totalement incapable d’accomplir les attributions habituelles de son emploi ou de tout autre emploi comportant une rémunération similaire qui lui est offert par le sous ministre.
[7] Selon le Syndicat, la question que devait trancher l’Arbitre était la suivante : peut-on distinguer la chirurgie et l’état de santé de la plaignante entre le 2 mai et le 29 juillet 2013, période de convalescence où elle ne pouvait travailler.
[8] Le Syndicat soutient que le raisonnement de l’Arbitre n’appartient pas aux issues possibles et acceptables pouvant se justifier en regard des faits et du droit, en ce qu’elle [2] :
a) Refuse de reconnaître comme étant une maladie l’altération de l’état de santé de la plaignante à la suite de l’intervention chirurgicale consistant en une abdominoplastie;
b) Refuse de reconnaître que l’altération de l’état de santé de la plaignante la rendait totalement incapable d’accomplir les attributions habituelles de son emploi ou de tout autre emploi comportant une rémunération similaire qui lui est offert par le sous ministre;
c) Excède sa juridiction lorsqu’elle exclut le paiement d’indemnité d’assurance salaire parce que l’état d’invalidité de la plaignante résultait de sa décision de procéder à un traitement susceptible d’améliorer sa condition;
d) Le raisonnement de l’arbitre voulant donner un sens restrictif à la notion de « maladie » a pour effet de modifier la convention collective régissant les parties.
[9] La plaignante ne remplissait pas les trois conditions prévues à l’article 38,03 de la convention collective. La sentence arbitrale n’est donc pas déraisonnable.
[10] Il s’agit d’une demande de contrôle de l’appréciation des faits et de l’interprétation d’une disposition de la convention collective. La norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable.
[11] L’arrêt Dunsmuir [3] nous rappelle que le caractère raisonnable d’une décision « tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».
[12] Le Syndicat soutient que la plaignante avait le droit de recevoir une indemnisation d’assurance salaire à la suite d’une chirurgie volontaire. Il cite deux décisions qui, selon lui, appuient cette thèse.
[13] Le Syndicat invoque l’arrêt Syndicat des employé-e-s de techniques professionnelles et de bureau d’Hydro-Québec, section locale 2000 (SCFP-FTQ) c. Hydro-Québec et Gilles Corbeil [4] ainsi que l’arrêt Health Employers’ Assn. Of British Columbia and British Columbia Nurses’ Union [5] au soutien de ses prétentions.
[14] Selon le Syndicat, l’article 38,03 de la convention collective n’évoque aucune restriction quant à la possibilité de recevoir une indemnisation d’assurance salaire en raison d’un état d’incapacité qui résulte d’une chirurgie volontaire. Les parties n’ayant pas expressément exclu les interventions esthétiques ou dites volontaires de l’application du régime d’assurance salaire, il s’en suivrait que la cause de l’altération de santé d’une employée serait sans importance.
[15] Selon la mise en cause, la question devant l’Arbitre ne consistait pas à déterminer si les chirurgies volontaires sont couvertes ou non par la convention collective, mais plutôt de déterminer si la situation de la plaignante la rendait invalide au sens de la convention collective, c’est-à-dire dans un état d’incapacité résultant d’une maladie.
[16] L’Arbitre s’est livrée à une analyse attentive et fouillée de la jurisprudence. Elle a écarté l’application des principes retenus par la Cour d’appel dans l’arrêt Hydro-Québec en distinguant, à juste titre, le libellé de la disposition de la convention collective applicable dans cette affaire [6] .
[17] Le fondement de la décision de l’Arbitre se trouve aux paragraphes 52 à 62 de la sentence arbitrale. Son raisonnement repose sur les constats suivants :
1. Les parties ont admis que la chirurgie esthétique de la plaignante n’était pas une maladie (paragr. 54);
2. Le certificat du médecin traitant de la plaignante avant la chirurgie indique que la période d’invalidité faisait partie du traitement;
3. La détérioration de la santé de la plaignante n’est pas due à une autre condition qui se serait développée après une maladie, ni d’une complication distincte de la chirurgie, mais faisait partie des conséquences attribuables à la chirurgie.
[18] L’Arbitre s’est appuyée sur une décision rendue par l’arbitre Frumkin dans Commission scolaire Marie-Victorin et Syndicat des employées et employés professionnels-les et de bureau, section locale 578 (FTQ) [7] , dans laquelle ce dernier analyse une disposition de la convention collective applicable en l’espèce, qui était similaire à celle analysée par l’Arbitre dans la présente affaire. Il écrit :
[33] […] Dans la présente affaire, comme dans celles qui sont mentionnées ci-dessus, les prestations d’assurance salaire sont versées en cas d’incapacité résultant de maladie ou de blessure. Cependant, la clause 5-3.03 A) prévoit également que la protection est offerte en cas d’ « intervention chirurgicale reliée à la planification familiale ». Le tribunal déduit de cet ajout qu’une intervention chirurgicale pour fins de planification familiale n’était pas vue par les parties comme une incapacité résultant d’une maladie ou d’une blessure. Si tel avait été le cas, il n’aurait pas été nécessaire de prévoir de manière explicite la protection offerte en pareil cas.
[34] Ce qu’il faut déduire, c’est que les parties ne voulaient pas que les interventions chirurgicales volontaires, comme une intervention chirurgicale pratiquée à des fins de planification familiale, et l’incapacité qui en résulte soient considérées comme étant « un état d’incapacité résultant d’une maladie, y compris un accident… ». Pour cette raison, elles ont jugé nécessaire d’ajouter dans la disposition une mention spéciale concernant l’incapacité résultant d’une « planification familiale », parce qu’elles estimaient de façon générale que les interventions chirurgicales destinées à corriger des situations autres que la maladie ne seraient pas couvertes. En effet, un état d’incapacité résultant d’une intervention chirurgicale ne serait pas assuré, en l’absence d’une maladie, à moins que cette intervention soit « reliée à la planification familiale », éventualité que les parties souhaitaient protéger.
[19] Même si l’Arbitre ne le dit pas expressément, elle semble avoir suivi le raisonnement de M e Frumkin.
[20] Quoi qu’il en soit, la décision de l’Arbitre appelle à la déférence et ne peut être taxée de déraisonnable au sens de l’arrêt Dunsmuir , précité. Sa décision cadre bien avec les principes de justification, de transparence et d’intelligibilité préconisés par la Cour suprême dans les arrêts Dunsmuir [8] et Khosa [9] .
[21] REJETTE la requête introductive d’instance en révision judiciaire du Syndicat des agents de la paix en services correctionnels du Québec (CSN);
[22] AVEC DÉPENS .
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__________________________________ DANIELLE GRENIER, J.C.S. |
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M e Mathilde Baril-Jannard |
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LAROCHE MARTIN |
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Pour le requérant |
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M e Ruth Arless-Frandsen |
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BERNARD ROY (JUSTICE QUÉBEC) |
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Pour la mise en cause |
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Date d’audience : |
4 novembre 2014 |
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[1] Pièce R-7.
[2] Requête introductive d’instance en révision judiciaire du Syndicat, paragr. 22.
[3]
Dunsmuir
c.
Nouveau-Brunswick,
[4] Syndicat des employé-e-s de techniques professionnelles et de bureau d’Hydro-Québec, section locale 2000 (SCFP-FTQ) c. Hydro-Québec et Gilles Corbeil, (requête pour permission d’appeler rejetée, C.A. 30-11-2001, n o 500-09-007264-989).
[5] Health Employers’ Assn. of British Columbia and British Columbia Nurses’ Union, [1997] B.C.C.A.A.A. N o 502.
[6] Paragr. 60 de la sentence arbitrale.
[7]
Commission scolaire Marie-Victorin
et
Syndicat des employées et
employés professionnels-les et de bureau, section locale 578 (FTQ)
, [2006]
n
o
[8] Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, préc., note 1.
[9]
Canada (Citoyenneté et Immigration)
c.
Khosa
,