Jacques c. Maurus

2014 QCCQ 10668

COUR DU QUÉBEC

« Division administrative et d’appel »

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

MONTRÉAL

LOCALITÉ DE

MONTRÉAL

« Chambre civile »

N° :

500-80-027278-135

 

DATE :

9 octobre 2014

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE

L’HONORABLE

CLAUDE LAPORTE, J.C.Q.

______________________________________________________________________

 

 

SYLVIE JACQUES

Appelante

c.

LUC MAURUS

et

MICHAEL MAURUS

Intimés

et

LE COMITÉ DE DISCIPLINE DE L'ORGANISME

D'AUTORÉGLEMENTATION DU COURTAGE

IMMOBILIER DU QUÉBEC

Mise en cause

 

______________________________________________________________________

 

JUGEMENT

______________________________________________________________________

 

[1]    Sylvie Jacques, qui est syndique adjointe de l'Organisme d'Autoréglementation du Courtage Immobilier du Québec ( OACIQ ), se pourvoit en appel d'une décision prononcée le 13 novembre 2013 par le Comité de discipline de OACIQ (le Comité ).

[2]    Dans sa décision le Comité a conclu au rejet des plaintes émises contre chaque intimé.

LES PLAINTES

[3]    Le chef d'accusation suivant se retrouve dans les plaintes émises contre les intimés  ( * )  :

1.  As of July 2 nd , 2009, regarding the property located at 3 Aimé Aubry Street, at Rigaud, the Defendant did not inform the prospective buyer, Shawn Taylor, that there had been a periodical accumulation of water on the property and a water spill in the basement, committing therefore an offense to sections 1,13, 26 and 28 of Rules of professional ethics of the Association des courtiers et agents immobiliers du Québec.

 

QUESTIONS SOUMISES & CONCLUSIONS RECHERCHÉES

[4]    L'appelante soumet les questions suivantes au soutien de son appel :

1.          Le Comité de discipline a-t-il commis une erreur de faits déterminante en déclarant les intimés non coupables de l'infraction en vertu de l'article 28 des Règles de déontologie de l'ACAIQ au motif que la preuve aurait établi que l'Acheteur, Shawn Taylor, aurait pris connaissance d'un formulaire de déclaration du vendeur lors de l'inspection de la résidence et que ledit formulaire aurait été révisé point par point avec l'inspecteur?

2.          Le Comité de discipline a-t-il commis une erreur de faits déterminante et de droit en accordant une importance capitale au formulaire de déclaration du vendeur alors que son existence ou son utilisation n'est pas un élément essentiel constitutif de l'infraction reprochée?

3.          Le Comité de discipline a-t-il commis une erreur de droit en assimilant le devoir d'information du courtier à une infraction technique et en retenant que les conséquences de la commission de l'infraction constituent une faute sans gravité?

4.          Le Comité de discipline a-t-il commis une erreur de droit en associant le devoir de divulgation de l'article 28 des Règles de déontologie de l'ACAIQ à la nécessité de présenter une preuve d'une norme que l'agent immobilier devait respecter?

5.          Le Comité de discipline a-t-il commis une erreur de droit en statuant sur un amendement sur le chef d'infraction alors que les parties n'ont pas fait de représentation à ce sujet?

 

 

[5]    L'appelante demande au Tribunal : d'infirmer la décision sur culpabilité rendue par le Comité dans les deux dossiers, de déclarer les intimés coupables et de retourner les dossiers devant le Comité de discipline afin que ce dernier prononce la sanction.

 

LES FAITS

[6]    Marie-Michèle Émond et Marc-André Deschamps concluent le 20 avril 2009 un contrat de courtage avec les intimés Luc Maurus et Michael Maurus pour la vente de leur maison, une résidence unifamiliale.  Émond témoigne que lors de la première visite des intimés elle est descendue avec eux au sous-sol et leur a expliqué le problème d'infiltration d'eau qu'ils ont vécu.

[7]    Le 29 juin 2009 l'acheteur éventuel, Shawn Taylor, visite l'immeuble avec Michael Maurus et complète le même jour une promesse d'achat.  Celle-ci est conditionnelle à une inspection dans un délai de 7 jours de l'acceptation.

[8]    Émond et Deschamps présentent une contre-proposition la même journée.  Celle-ci est acceptée le lendemain par Taylor.

[9]    Le formulaire de déclaration du vendeur (ci-après la déclaration du vendeur ) est complété avec les vendeurs par Michael Maurus le 2 juillet 2009.  On y spécifie au paragraphe 3.1 qu'il y a déjà eu une infiltration d'eau au sous-sol de la propriété ("manqué électricité sump pump"). 

[10]         L'inspection pré-achat par Richard Baker a lieu le 4 juillet 2009 en présence de Taylor et de Michael Maurus.  Taylor se souvient qu'il n'y a eu aucune mention d'infiltration d'eau passée.  Aucune documentation particulière ne lui a alors été remise.  Il nie avoir vu la déclaration du vendeur avant l'audience.

[11]         Baker témoigne n'avoir reçu aucun document avant l'inspection : c'est pourquoi il aurait indiqué sur le rapport d'inspection (P-13) : " The listing agent will fax it to the office " [1] .  Il explique que la raison pour laquelle il a néanmoins coché la case " Yes " (située à côté de la première ligne du paragraphe 3.1 : " The Inspector obtained from the seller and reviewed with the customer a document entitled "Owners/Sellers Disclosure" relating to the building" ), c'est qu'il aurait vu le document durant l'inspection :

«When I chose yes it's because I saw the document during the inspection, but I did not obtain a copy of it during the inspection»

[12]         Baker ajoute n'avoir aucun souvenir d'avoir examiné la déclaration du vendeur page par page avec Taylor durant l'examen de la maison, précisant que le document ne lui a par la suite  jamais été transmis par fax.

[13]         La vente a lieu le 28 septembre 2009.

[14]         Le 3 août 2010 Michael Maurus est informé par Taylor que le sous-sol de l'immeuble est inondé, et ce, pour une troisième fois depuis l'achat. 

DÉCISION DU COMITÉ

[15]         Le Comité retient que la vendeuse Émond a clairement indiqué aux intimés qu'elle avait eu un problème d'infiltration d'eau au sous-sol.

[16]         Il retient également du témoignage de Baker qu'il n'a jamais reçu copie de la déclaration du vendeur suite à sa visite d'inspection, cependant qu'il aurait reconnu avoir eu en main une copie de la déclaration au moment de son inspection et même d'en avoir discuté avec le promettant-acheteur.

[17]         Le Comité conclut que l'appelante n'a pas déchargé son fardeau de prouver l'existence d'une norme en vertu de laquelle il était recommandé au courtier immobilier de remettre au promettant-acheteur une copie de ce genre de déclaration.

[18]         En ce qui a trait à l'application de l'article 28 des règles de déontologie [2] , le Comité, après avoir indiqué que cette disposition n'impose aucun délai spécifique quant au moment où l'information doit être donnée, conclut en l'acquittement des intimés car, selon lui, la preuve "établit de façon claire et nette que le promettant-acheteur a pris connaissance de la déclaration du vendeur lors de l'inspection de la résidence le 4 juillet 2009 et que celle-ci fut révisée, point par point, avec l'inspecteur Baker" [3] .

ANALYSE ET DÉCISON

(i)  Norme de contrôle

[19]         A quelle norme de contrôle le Tribunal est-il assujetti?

[20]         En 2008, dans Proprio Direct inc . [4] , la Cour suprême établit que c'est la norme de la décision raisonnable qui s'applique aux décisions rendues par un comité de discipline sous le régime de la Loi sur le courtage immobilier [5] .

[21]         Quelques années plus tard, en 2013, dans Papadopoulos [6] , le juge Mark Shamie J.C.Q., qui était saisi d'un appel d'une décision d'un comité de discipline de l'OAICQ, fait une étude minutieuse de la norme de contrôle applicable et conclut lui aussi en l'utilisation de la norme de la décision raisonnable. 

[22]         Les jugements postérieurs prononcés par la Cour suprême concernant la norme de la décision raisonnable, notamment dans les affaires Syndicat [7] , Mc Lean [8] et Agraira [9] , confirment l'approche adoptée par le juge Shamie.

[23]         C'est donc cette norme de contrôle qui sera utilisée par le Tribunal.

 

(ii)  Le critère de la raisonnabilité

[24]         Dans Dunsmuir [10] la Cour suprême a traité tel que suit de la norme de la décision raisonnable :

...Le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l'intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu'à  l'appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

(iii) Première question en litige

Le Comité de discipline a-t-il commis une erreur de faits déterminante en déclarant les intimés non coupables de l'infraction en vertu de l'article 28 des Règles de déontologie de l'ACAIQ au motif que la preuve aurait établi que l'Acheteur, Shawn Taylor, aurait pris connaissance d'un formulaire de déclaration du vendeur lors de l'inspection de la résidence et que ledit formulaire aurait été révisé point par point avec l'inspecteur?

 

[25]         L'obligation du courtier, au terme de l'article 28 des Règles de déontologie de l'ACAIQ est d'informer son client.  Le moyen importe peu.

[26]         En l'espèce, le seul moyen qu'auraient utilisé les intimés pour dénoncer l'information est la transmission de la déclaration du vendeur.  Il appert qu'ils auraient transmis cette déclaration à Baker, l'inspecteur en bâtiment engagé par leur client.

[27]         Dans sa décision le Comité écrit ceci, en parlant du témoignage de Baker :

[25]  "De son témoignage, il est important de retenir que, malgré l'engagement de l'intimé Michael Maurus, il n'a jamais reçu une copie de la déclaration du vendeur (P-10) suite à sa visite d'inspection;

[26]  Cependant, il reconnaît avoir eu en main une copie de la déclaration (P-10) au moment de son inspection même d'en avoir discuté, point par point, avec son client, le promettant-acheteur."

[28]         Le paragraphe [26] de la décision ne relate pas ce que la preuve a révélé : Baker  n'a jamais témoigné avoir discuté point par point de la déclaration du vendeur avec l'acheteur.  De plus, Baker a seulement dit qu'il a "vu" le document.

[29]         Le Comité conclut ensuite comme suit :

[67] "Or, la preuve établit de façon claire et nette que le promettant-acheteur a pris connaissance de la déclaration du vendeur lors de l'inspection de la résidence le 4 juillet 2009 et que celle-ci fut révisée, point par point,  avec l'inspecteur Baker."

[30]         Pour en arriver là le Comité ne pouvait s'appuyer sur les témoignages de Taylor et de Baker.  Considérant la note infrapaginale à laquelle réfère le paragraphe 67 de la décision, il semble que le Comité ait principalement - sinon uniquement - pris appui sur le rapport d'inspection (P-13), plus particulièrement sur le paragraphe 3.1, pour conclure ainsi.

[31]         Qu'en est-il?

[32]         En ce qui a trait à la pièce P-13 , la preuve démontre, somme toute, qu'il était techniquement erroné pour Baker de cocher la case " Yes " puisque le document n'avait pas encore été reçu par Baker [11] , tout au plus avait-il été "vu" par ce dernier.  La preuve ne révèle pas non plus que le document a été discuté avec l'acheteur.

[33]         S'ajoutent à ce qui précède le témoignage de Baker qui n'a aucun souvenir d'avoir discuté de la déclaration avec le promettant-acheteur et celui de Taylor , qui dit n'avoir jamais vu cette déclaration avant l'audience.

[34]         Le témoignage de Michael Maurus, qui était présent lors de l'inspection effectuée par Baker, n'a apporté aucun éclairage pertinent sur ce qui s'est passé, compte tenu du nombre de contradictions et d'hésitations dans son témoignage.  Ce n'est d'ailleurs pas sans raison que le Comité ne parle pas de son témoignage dans sa décision.

[35]         Avec respect, il appert que le Comité a pris ce qui a été écrit au paragraphe 3.1 du rapport P-13 pour le témoignage de Baker.

*    *    *    *

[36]         La preuve ne révèle donc pas que la déclaration du vendeur a été transmise à Taylor. 

[37]         Cette déclaration n'a pas non plus été transmise à Baker avant (ou lors) de son inspection et son contenu n'a pas été discuté avec Taylor (Au demeurant, même si la déclaration du vendeur avait été transmise à Baker en temps utile, il est douteux que cela eût été suffisant.  En effet Baker n'est ni le client des intimés ni leur mandataire. 

[38]         Il est également acquis que l'information n'a pas été transmise à Taylor par un autre moyen.

[39]         Il s'ensuit que ce qu'énonce le Comité au paragraphe 67 de sa décision et la conclusion qui en découle directement ne sont pas étayés par la preuve.

[40]         En conséquence la décision n'est pas raisonnable.

(iv)  Autres questions en litige

[41]         Compte tenu de la conclusion du Tribunal relativement à la première question, il n'est pas nécessaire de répondre aux autres.

 

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[42]         FAIT DROIT à l'appel de l'Appelante;

[43]         INFIRME les décisions sur culpabilité rendues par le Comité dans les dossiers 33-13-1563 et 33-13-1564;

[44]         INFIRME les verdicts de non-culpabilité du Comité dans les dossiers 33-13-1563 et 33-13-1564; 

[45]         DÉCLARE chacun des intimés coupable de l'infraction reprochée dans les dossiers 33-13-1563 et 33-13-1564;

[46]         RETOURNE les dossiers 33-13-1563 et 33-13-1564 au Comité afin qu'il prononce une sanction juste et appropriée;

 

[47]         LE TOUT AVEC DÉPENS.

 

 

__________________________________

CLAUDE LAPORTE, J.C.Q.

 

Me Isabelle Martel

Procureure de la demanderesse

 

LUC MAURUS

et

MICHAEL MAURUS

Personnellement

 



( * ) Comme les deux intimés se sont engagés conjointement, les deux dossiers seront traités comme un seul.

 

[1] La même information se retrouve au rapport de Baker, en page 4 ("Owner Seller disclosure").

[2] L'article 28 des Règles de déontologie de l'ACAIQ stipule :

28.  Le membre doit informer son client et toutes les parties à une transaction visée à l'article 1 de la Loi de tout facteur dont il a connaissance qui peut affecter défavorablement les parties ou l'objet même de la transaction.

[3] Paragraphe [67] de la décision.

 

[4] Association des courtiers et agents immobiliers du Québec c. Proprio Direct inc. , [2008] 2 R.C.S. 195 ; voir également, à cet égard : Morand c. McKenna , 2011 QCCA 1197 .

 

[5] RLRQ c. c- 73.2.

 

[6] Pâris Papadopoulos c. Organisme d'Autoréglementation du Courtage Immobilier du Québec , 2013 QCCQ 2092 , para. 26 à 67.

 

[7] Syndicat canadien des communications de l'énergie et du papier, section locale 30 c. Pâtes et Papier Irving Ltée , 2013 CSC 34 .

 

[8] Mc Lean c. Colombie-Britannique , 2013 CSC 67 .     

 

[9] Agraira c. Canada , 2013 CSC 36 .

 

[10] Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick , [2008] 1 R.C.S. 190 .

 

[11] Ce n'est pas sans raison d'ailleurs que la ligne "If applicable" : ("If applicable THE INSPECTOR could not obtain the owners / Sellers Disclosure for the following reasons") a été complétée par l'ajout des mots suivants : " the listing agent will fax it to the office ".  Cette écriture n'était de toute évidence pas nécessaire si le document était en possession de Baker.