Beaulieu c. Loukili

2014 QCCQ 10734

   JG2338

 
 COUR DU QUÉBEC

« Division des petites créances »

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

BEAUHARNOIS

LOCALITÉ DE SALABERRY-DE-VALLEYFIELD

« Chambre civile »

N° :

760-32-016020-143

 

 

 

DATE :

3 novembre 2014

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SOUS LA PRÉSIDENCE DE :

L’HONORABLE

 CÉLINE GERVAIS, J.C.Q

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HÉLÈNE BEAULIEU et JONATHAN GIGUÈRE

demandeurs

 

c.

 

OMAR LOUKILI et GHIZLANE EL MESSAOURI

défendeurs

 

 

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JUGEMENT

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[1]            Il s'agit d'une action réclamant 3500 $ de dommages à la suite du non-respect d'une promesse d'achat par les promettant-acheteurs.

LES FAITS :

[2]            Le 3 octobre 2012, Omar Loukili et Ghizlane El Messaouri présentent une offre d'achat pour la maison d'Hélène Beaulieu et Jonathan Giguère située sur la rue Chapais à Châteauguay pour une somme de 203 500 $, laquelle est acceptée.  Cette offre est conditionnelle à l'inspection de l'immeuble.

[3]            Le 20 octobre suivant, M. Loukili et Mme El Messaouri mandatent La Maison de l'Inspection pour procéder à l'inspection de la propriété, et le rapport leur est transmis le 26 octobre.  Le rapport indique un certain nombre de réparations à effectuer.  Monsieur Loukili transmet un premier courriel à M. Giguère avec le rapport d'inspection indiquant qu'il l'a remis à un entrepreneur qui doit évaluer le coût des réparations. 

[4]            Il lui transmet un second courriel le 28 octobre 2012 à 21 h 58 l'informant du fait qu'il n'entend pas procéder à l'achat, vu les conclusions du rapport.  Il cite entre autres certaines des réparations requises, soit la fixation des planches qui flottent sur le toit et l'installation de ventilateurs; la réparation des bulles d'air sous le tapis du toit; la mise à niveau du sol pour éloigner l'eau de la fondation; la construction de protège-fenêtre sur toutes les fenêtres de chambres du sous-sol et l'installation de gouttières autour de la maison.

[5]            Il ajoute qu'il s'agit là de dépenses qu'il n'entendait pas assumer au moment de l'achat d'une maison et invoque la clause 6.2.1 de l'offre d'achat indiquant que cette offre était conditionnelle à l'inspection de l'immeuble.

[6]            Madame Beaulieu et M. Giguère répondent à M. Loukili le 30 octobre 2012 et lui indiquent qu'ils seraient prêts à assumer entièrement les dépenses des modifications mentionnées dans le rapport.  Ils lui demandent une réponse dans les 48 heures, soulignant qu'ils ont eux-mêmes fait une autre offre d'achat sur un autre immeuble et que son défaut d'acheter leur occasionnerait d'autres dommages.

[7]            Monsieur Loukili a indiqué à l'audition n'avoir pas jugé nécessaire de répondre à ce courriel, sa position ayant déjà été clairement exprimée dans son courriel du 28 octobre précédent.

[8]            Monsieur Giguère et Mme Beaulieu ont décidé de ne pas transmettre de mise en demeure à M. Loukili et Mme El Messaouri les sommant de passer titre, puisqu'ils ont accepté une autre offre d'achat pour une somme de 200 000 $, et qu'ils ont pu vendre leur maison le 17 décembre suivant.

[9]            Ils réclament donc la différence entre les deux prix de vente, soit 3 500 $.

[10]         Les mises en demeure transmises subséquemment n'ont pas été reçues par M. Loukili et Mme El Messaouri, soit parce qu'elles n'ont pas été réclamées, soit parce que ceux-ci étaient déménagés.

ANALYSE ET DÉCISION :

[11]         La responsabilité de M. Loukili et de Mme El Messaouri à la suite de leur refus de donner suite à leur promesse d'achat doit être évaluée en fonction des termes de l'offre d'achat, et plus particulièrement de son article 6.2.1, qu'il est nécessaire de reproduire ci-après :

"6.2.1   Inspection

Cette offre d'achat est conditionnelle à ce que l'Acheteur puisse faire inspecter l'immeuble par un expert en bâtiment dans les sept (7) jours consécutifs suivant l'acceptation de la présente offre d'achat. Si cette inspection révèle l'existence de vices ou facteurs affectant l'immeuble lesquels sont susceptibles, de façon significative, de diminuer la valeur ou les revenus ou d'augmenter les dépenses de l'immeuble, l'Acheteur devra en aviser le Vendeur par écrit et devra lui remettre dans les quatre (4) jours consécutifs suivant l'expiration du délai ci-haut mentionné, une copie du rapport d'inspection ainsi que sa décision soit: i) d'acheter selon les termes de la présente offre d'achat; ii) de proposer une modification à la présente offre d'achat; ou iii) de déclarer la présente offre d'achat nulle et non-avenue. À défaut de procéder à l'inspection ou d'aviser le Vendeur selon les termes ci-haut dans le délai prévu, l'Acheteur sera réputé avoir renoncé à la présente condition."

[12]         L'analyse d'une telle clause a été faite par notre collègue la juge Monique Dupuis, j.c.q., dans le jugement Thériault , où elle indique que la clause 6.2.1 ne peut trouver application et conduire à l'annulation de l'offre d'achat que si elle révèle:  - la présence de vices ou de facteurs; - qui sont susceptibles d'affecter la valeur de la propriété à la baisse ou d'en augmenter les dépenses; - de façon significative [1] .

[13]         Elle cite également le professeur Pierre-Gabriel Jobin, qui indique ce qui suit dans son ouvrage sur la vente:

" Les conditions dont est assortie la promesse sont le plus souvent stipulées dans l'intérêt de l'acheteur, qui a le choix de s'en prévaloir si elles se réalisent et de provoquer ainsi la résolution de la promesse, ou d'y renoncer et de contraindre alors le vendeur à procéder à la vente (… ) Même lorsque la rédaction de la promesse lui confère en apparence un caractère strict et inéluctable ou, à l'inverse, semble accorder une grande latitude à l'acheteur afin qu'il puisse se retirer s'il n'est pas entièrement satisfait, les tribunaux tiennent compte systématiquement de la bonne foi des parties et n'autorisent pas l'une d'elle à se servir de la condition comme d'un prétexte pour échapper à la vente. Pour que l'acheteur soit justifié d'invoquer la non-réalisation d'une condition, il faut même que le défaut soit important et que le vendeur n'offre pas d'y remédier ou qu'il en soit incapable . [2] "  [Références omises]  (Nous soulignons).

 

[14]         Le professeur Jacques Deslauriers, pour sa part, s'exprime ainsi quant à la promesse d'achat conditionnelle. 

214.  Le promettant-acheteur devrait aviser le promettant-vendeur de la raison pour laquelle il ne veut pas donner suite à sa promesse.  Ceci pourra non seulement le justifier d'agir ainsi, mais permettra au vendeur de remédier au problème si la nature du défaut reproché et les circonstances le permettent . [3]   (Nous soulignons)

[15]         Monsieur Giguère avait indiqué à M. Loukili qu'il était prêt à procéder aux réparations mentionnées à son courriel du 28 octobre 2012;  il a réitéré ce fait lors de l'audition.  Monsieur Loukili n'a pas daigné répondre à cette offre.

[16]         Dans la décision Ortiz , le juge Martin Hébert, j.c.q., rappelle la nécessité d'appliquer une norme objective pour justifier le refus de donner suite à une offre d'achat. [4]   Selon lui, cette norme objective doit se rapporter à l'état inadéquat de l'immeuble, eu égard au prix consenti par un acheteur raisonnable, prudent et diligent.

[17]         Monsieur Loukili n'a pas démontré que les réparations à être effectuées sur la maison de M. Giguère et Mme Beaulieu auraient augmenté les dépenses de l'immeuble de façon significative, d'autant plus que M. Giguère s'était dit disposé à les effectuer à ses frais.

[18]         Le refus de respecter les termes de la promesse d'achat constitue donc une faute contractuelle par M. Loukili et Mme El Messaouri, qui doivent être tenus responsables des dommages qu'elle a engendrés, soit la différence de prix de vente de 3500 $.

[19]         Lors de l'audition, M. Giguère et Mme Beaulieu ont demandé de procéder à un amendement pour réclamer également les frais de huissier et de courrier recommandé pour l'envoi des mises en demeure, totalisant 133 $ (96,48 $ pour les frais de huissier, ainsi que 4 envois recommandés au coût de 9,13 $ chacun).  Cette demande est également bien fondée.

 

PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

ACCUEILLE l'action des demandeurs;

CONDAMNE les défendeurs, Omar LOUKILI et Ghizlane EL MESSAOURI, solidairement, à payer aux demandeurs Jonathan GIGUÈRE et Hélène BEAULIEU la somme de 3633 $, en plus des intérêts au taux légal et de l'indemnité additionnelle prévue à l'article 1619 du Code civil du Québec depuis le 9 septembre 2013, date de signification de la mise en demeure;

LE TOUT avec les frais judiciaires de 137 $.

 

 

 

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CÉLINE GERVAIS, J.C.Q.

 

 

 



[1] Succession de Thériault   c.  Langlois , 2013 QCCQ 6346 , citant Lefrançois   c.  Kottaras , 2003 CanLii 1058 (C.S.).

[2]   Pierre-Gabriel JOBIN, La vente , 3 e éd., Les Éditions Yvon Blais inc., 2007, p. 56-57.

[3] Jacques DESLAURIERS, Vente, louage, contrat d'entreprise ou de service , 2 e éd., Wilson & Lafleur,    2013, p. 73.

[4]   Leclerc c. Ortiz , 2006 QCCQ 1634 .