Section des affaires sociales

En matière de services de santé et de services sociaux, d'éducation et de sécurité routière

 

 

Date : 4 novembre 2014

Référence neutre : 2014 QCTAQ 10726

Dossier  : SAS-Q-198771-1401

Devant les juges administratifs :

MICHÈLE RANDOIN

KATHYA GAGNON

 

M... D...

Partie requérante

c.

SOCIÉTÉ DE L'ASSURANCE AUTOMOBILE DU QUÉBEC

Partie intimée

 

 


DÉCISION




[1]               Le requérant conteste une décision en révision rendue le 3 décembre 2013 par l’intimée, la Société de l’assurance automobile du Québec (la Société), par laquelle elle maintient la suspension de son permis de conduire.

La preuve documentaire

[2]               De l’ensemble du dossier, le Tribunal retient les faits suivants.

[3]               Le 1 er juin 2012, la Société reçoit une déclaration d’inaptitude de la part d’un professionnel de la santé, en raison d’atteintes cognitives identifiées chez le requérant à la suite d’une rupture d’anévrysme cérébral subie le 16 mars 2012 [1] . Monsieur ne peut demeurer seul à la maison en raison de ces problèmes qui touchent la mémoire, l’autocritique, l’orientation dans l’espace et l’attention-concentration, entre autres. S’ensuivra une lettre de l’intimée, datée du même jour, réclamant à monsieur de faire remplir des formulaires par les professionnels de la santé concernés.

[4]               Un rapport d’optométriste [2] indique que monsieur présente un strabisme de naissance, mais qu’il peut conduire avec des lunettes. Il ne présente pas de diplopie et les champs visuels sont normaux.

[5]               Un rapport médical du 29 mai 2012 précise que monsieur présente une paralysie du 6 e nerf droit [3] . Quelques autres conditions médicales stables sont mentionnées. En outre, la Dre Tremblay mentionne la rupture récente d’un anévrysme, qui a dû être embolisé et traité par dérivation ventriculo-péritonéale. Elle est d’avis que monsieur présente une diminution de son attention et de la concentration ainsi que de la rapidité devant une tâche plus complexe. Ainsi, elle recommande à la fois une évaluation fonctionnelle par un ergothérapeute et une évaluation sur route [4] .

[6]               Le dossier comprend un premier rapport d’évaluation daté du 12 février 2013, à la suite d’une évaluation clinique du 9 novembre 2012 suivie d’un test sur route du  28 janvier 2013 [5] . Plusieurs problèmes sont identifiés. Monsieur présente une baisse de l’exploration visuelle, un manque dans le respect de la signalisation, une diminution de rapidité dans la prise de décisions, une distractibilité cognitive, une diminution des capacités d’anticipation et de planification, de la flexibilité mentale et des capacités mnésiques. Un des tests passés est à l’effet que monsieur présenterait un risque modéré à élevé d’accident, en raison d’une atteinte de l’attention visuelle divisée et sélective [6] . L’examinateur est d’avis que monsieur n’est pas apte à la conduite automobile.

[7]               C’est ce qui motive la décision initiale de l’intimée [7] .

[8]               Toutefois, la Société reçoit un rapport médical du 19 septembre 2013 voulant que monsieur présente une amélioration cognitive et requiert une nouvelle évaluation. De même, un court certificat médical du 26 août 2013 rend compte d’une amélioration cognitive «  significative  ».

[9]               C’est ainsi qu’un second rapport d’évaluation sera produit le 26 novembre 2013, à la suite d’un examen en salle du 19 novembre 2013 et d’un examen routier du 22 novembre 2013 [8] .

[10]            Une partie de l’examen en salle comprend divers tests cognitifs administrés par l’ergothérapeute. Plusieurs difficultés sont présentes, dont un balayage visuel désorganisé et une diminution importante de l’attention sélective.

[11]            Avant le test sur route, le requérant a bénéficié de séances d’apprentissage. À cette occasion, le moniteur rapporte que le client a éprouvé des difficultés importantes, dont l’omission de faire trois arrêts obligatoires.

[12]            Le test sur route est effectué dans deux petites villes, dans des quartiers résidentiels tranquilles, puis quelques boulevards dont l’achalandage est «  plutôt faible  » et que le client connaît. Puis, une partie se déroule sur l’autoroute afin de compléter le test.


[13]            Sur la route, le requérant présente un balayage visuel variable, il ne perçoit pas certains panneaux routiers importants, entre autres [9] .

[14]            Il omet de s’immobiliser à un arrêt obligatoire. Il a des difficultés avec les priorités de passage. Il ne perçoit pas la signalisation près d’une école. Il arrive trop rapidement  sur le dos d’âne dont il ne connait pas l’usage. Il s’immobilise à un endroit où il n’y a pas lieu de le faire, créant ainsi de la confusion.

[15]            L’ergothérapeute est d’avis qu’il s’agit d’erreurs importantes au niveau des manœuvres, qui sont compatibles avec une diminution de l’attention sélective, telle qu’évaluée lors des tests en salle. C’est la constance nécessaire au niveau de l’attention qui fait défaut pour lui permettre de demeurer sécuritaire durant toute la durée du trajet, malgré le fait que cette seconde évaluation ait été effectuée sur un trajet plus simple et moins achalandé que la première.

[16]            L’ergothérapeute émet donc une recommandation défavorable, d’où la décision en litige.

Le témoignage du requérant

[17]            Présent à son audience, le requérant, maintenant âgé de 76 ans, s’exprime ainsi.

[18]            Il soutient que lorsqu’il a passé le premier test routier réclamé par la Société, cela faisait un an qu’il n’avait pas conduit, d’où certaines erreurs possibles.

[19]            Par ailleurs, il soumet qu’il possède une expérience de conduite s’étalant sur 573 mois et qu’il ne se serait jamais fait arrêter par la police. Il aurait déjà eu quelques accidents causant des bris matériels sur son auto, mais jamais a-t-il blessé quelqu’un et jamais a-t-il conduit en état d’ébriété.

[20]            De plus, lors des tests routiers, on lui aurait demandé de conduire en ville, dans la ville A et la ville B, la ville B étant une grande agglomération. Or, il demeure dans un village. Il ne connaissait pas les endroits où il devait conduire aux fins de ses examens. À une occasion, il affirme que dans la ville B, l’arrêt obligatoire était situé dans un endroit peu visible.

[21]            Il ne réclame pas un permis pour faire du taxi, mais pour son usage personnel : on devrait donc être moins sévère. Il reconnaît avoir fait des erreurs, mais ne croit pas qu’un parcours sans aucune faille devrait être exigé afin d’obtenir son permis. Il estime que 70 à 80 % des gens font les mêmes erreurs que lui. Il réclame pouvoir bénéficier d’un permis assorti de conditions restreignant ses déplacements, par exemple limitant son périmètre de conduite à 50 kilomètres autour de son village. Il se sent «  en prison  » dans sa maison.

[22]            Par ailleurs, il convient avoir subi une rupture d’anévrysme cérébral.

[23]            C’est ainsi que se résument les arguments du requérant.

Les motifs

[24]            Les dispositions applicables sont d’abord les articles 73 et 109 du Code de la sécurité routière [10]  :

«  73. La Société peut exiger d'une personne qui demande l'obtention ou le renouvellement d'un permis, d'en faire changer la classe ou de lui en ajouter une autre ou de faire supprimer une condition y apparaissant, qu'elle se soumette à un examen médical ou à une évaluation sur sa santé fait par un médecin spécialiste ou un autre professionnel de la santé que la Société peut désigner nommément. Cette personne doit, à la demande de la Société, lui remettre le rapport de cet examen ou de cette évaluation dans le délai qu'elle lui indique et qui ne peut excéder 90 jours.

[…] »

«   109. La Société peut exiger que le titulaire d'un permis se soumette à un examen ou à une évaluation visés aux articles 67 ou 73 dans les cas suivants:

1° il a atteint l'âge de 70 ans;

2° son permis autorise la conduite d'un véhicule de commerce, d'un véhicule d'urgence, d'un taxi, d'un autobus ou d'un minibus;

3° il n'a pas subi d'examen depuis 10 ans;

4° elle a des motifs raisonnables de vérifier son état de santé ou son comportement de conducteur;

5° il n'a plus l'autorisation de conduire un véhicule routier depuis trois ans ou plus. »

(Les reliefs sont des soussignées)

[25]            À la suite de la déclaration d’inaptitude reçue en juin 2012, la Société avait des motifs raisonnables de vérifier l’état de santé ou le comportement de conducteur du requérant.

[26]            S’autorisant des articles précités, elle a donc réclamé au requérant qu’il fasse compléter des rapports médicaux concernant sa vision ainsi que son état de santé global. Toutefois, le médecin précisant qu’il y avait lieu d’évaluer les capacités du requérant par une évaluation en ergothérapie ainsi qu’un test routier, ces deux évaluations furent commandées.

[27]            Une première évaluation en ergothérapie couplée à un test routier permet de déceler des manquements importants dus à une altération significative des fonctions cognitives du requérant.

[28]            Toutefois, à la suite de deux documents médicaux voulant que monsieur présente une amélioration significative, une seconde évaluation est requise par la Société.

[29]            Cette seconde évaluation comprend un test en salle ainsi qu’un test routier.

[30]            L’évaluation en salle comprend une partie qui concerne les fonctions cognitives.

[31]            Il est à noter que ces tests cognitifs ne constituent pas le fondement sur lequel l’ergothérapeute a fait une recommandation défavorable. Il s’agit plutôt «  d’enrichir l’analyse de la mise en situation sur la route et de conclure sur les capacités à conduire.  » [11]

[32]            Ces tests démontrent effectivement une amélioration des fonctions cognitives si on les compare aux résultats qui prévalaient auparavant. Toutefois, il persiste principalement des difficultés d’attention sélective.

[33]            Ces difficultés d’attention s’exprimeront et se concrétiseront lors du test routier qui suivra : elles occasionneront plusieurs erreurs dites importantes au niveau des manœuvres. Plusieurs arrêts obligatoires sont omis, il y a des difficultés d’analyse aux intersections, etc.

[34]            Pourtant, cette fois, monsieur était en terrain plutôt connu et en milieu peu achalandé.

[35]            L’ergothérapeute est d’avis que les erreurs commises sont bel et bien des manifestations de troubles d’attention qui font en sorte que monsieur ne présente pas la constance nécessaire au niveau de son attention pour lui permettre de demeurer sécuritaire durant toute la durée d’un trajet.

[36]            Ainsi, il y a un lien entre les troubles cognitifs identifiés et la pathologie initiale, soit la rupture d’anévrysme, et malgré l’amélioration connue, le requérant ne peut reprendre la conduite automobile de façon sécuritaire.

[37]            La condition du requérant rencontre donc l’article 48 du Règlement sur les conditions d’accès à la conduite d’un véhicule routier relatives à la santé des conducteurs [12] , qui dit ceci :

«   48. Les troubles neurologiques entraînant des perturbations légères des fonctions cognitives, de l'état d'éveil, de la conscience, des fonctions motrices ou sensitives, de l'équilibre ou de la coordination sont relativement incompatibles avec la conduite d'un véhicule routier. »

(Nos soulignements)

[38]            Selon l’article 190 du Code de la sécurité routière, la Société peut alors suspendre le permis de conduire du requérant. De même, en est-il en raison de son échec à un examen de compétence :

«   190. La Société peut suspendre un permis d'apprenti-conducteur et un permis probatoire ou un permis de conduire ou une classe de ceux-ci lorsque le titulaire de l'un ou plusieurs de ces permis:

[…]

selon un rapport d'examen ou d'évaluation visé aux articles 64, 73 , 76.1.2, 76.1.4 ou 76.1.4.1 ou un rapport visé à l'article 603, est atteint d'une maladie, d'une déficience ou se trouve dans une situation qui, suivant les normes concernant la santé établies par règlement, sont relativement incompatibles avec la conduite d'un véhicule routier correspondant à l'un des permis ou à l'une des classes de permis qu'il possède;

[…]

4° refuse de se soumettre à un examen de compétence ou y subit un échec ;

[…] »

(Les reliefs sont des soussignées)

[39]            Contrairement à ce que monsieur prétend en audience, il ne s’agit pas d’erreurs que tous et chacun peuvent faire en conduisant. Il s’agit de manifestations de séquelles cognitives à la suite d’un accident vasculaire cérébral.

[40]            Il s’agit de plusieurs erreurs importantes cumulatives à l’intérieur d’un trajet effectué durant une heure, ce que l’ergothérapeute estime comme n’étant pas le reflet d’une conduite sécuritaire.

[41]            Le Tribunal n’a aucune raison de mettre en doute le jugement de ce professionnel de la santé dûment formé pour ce faire [13] .

[42]            Le Tribunal a également pris connaissance de la requête introductive du recours du requérant, dans laquelle il estime avoir pourtant toujours les mêmes yeux qu’auparavant.

[43]            Il est à noter que le permis de monsieur n’a pas été suspendu en raison de sa vision à proprement parler ni de son strabisme, qui est effectivement de longue date.

[44]            Il s’agit plutôt de troubles d’attention et d’exploration visuelle, qui sont des fonctions cognitives et non uniquement sensorielles.

[45]            Pour ces raisons, malgré le fait que le Tribunal comprenne la déception du requérant et le fait qu’il se sente isolé en raison du fait qu’il ne conduit plus, les soussignées n’ont d’autre choix que de confirmer la décision en litige.

PAR CES MOTIFS, le Tribunal :

·         CONFIRME la décision en révision du 3 décembre 2013; et

·         REJETTE le recours.

 


 

MICHÈLE RANDOIN, j.a.t.a.q.

 

 

KATHYA GAGNON, j.a.t.a.q.


 

Me Myrna Germanos

Procureure de la partie intimée


 



[1] Page 4 du dossier.

[2] Page 5 du dossier.

[3] D’où le strabisme.

[4] Page 11 du dossier.

[5] Voir les pages 15 à 26 du dossier.

[6] Voir la page 25 du dossier.

[7] Voir la page 27 du dossier, décision du 23 février 2013.

[8] Voir les pages 36 à 43 du dossier.

[9] Voir la page 42 du dossier.

[10] RLRQ, chapitre C-24.2.

[11] Voir la page 40 du dossier.

[12] RLRQ, chapitre C-24.2, r. 8.

[13] Outre sa formation de base qui lui permet d’effectuer l’évaluation des fonctions cognitives du requérant, l’ergothérapeute en question possède un certificat de deuxième cycle en évaluation de la conduite automobile (voir la page 43 du dossier).