Syndicat des professionnelles et professionnels de l'éducation du Saguenay et Commission scolaire de la Jonquière (grief syndical) |
2014 QCTA 929 |
TRIBUNAL D’ARBITRAGE
CANADA
PROVINCE DE QUÉBEC
N o de dépôt : 2014-9777
Date : 15 novembre 2014
DEVANT L’ARBITRE : M e MARCEL MORIN
SYNDICAT PROFRESSIONEL(LE)S DE L'ÉDUCATION DU SAGUENAY
Ci-après appelé « le Syndicat »
ET
COMMISSION SCOLAIRE DE LA JONQUIÈRE
Ci-après appelée « l’Employeur »
Plaignant : Le Syndicat
Grief : N o du syndicat : 2015-0000343-5210
Nature du grief : Libérations syndicales - objection syndicale à la compétence d'un arbitre nommé par le Greffe des Tribunaux d'Arbitrage du secteur de l'éducation
Convention collective : 2010-2015
SENTENCE ARBITRALE
(Art.
[01] Le présent Tribunal a été mandaté le 26 février 2014 par le ministère du Travail pour entendre un grief patronal déposé auprès du Syndicat le 23 janvier 2014 (E-4). Le 5 février 2014, la Commission scolaire faisait parvenir à l'arbitre en chef, Me Jean Guy Ménard, le même grief patronal en précisant que le tribunal désigné par le Greffe en conformité des dispositions de la convention collective a juridiction pour entendre et décider des réclamations en cause (E-2). Le 1 er mars 2014, le soussigné faisait parvenir aux parties un courriel par lequel il informait les parties qu'il n'accepterait ce mandat que s'il passait par le Greffe des Tribunaux d'Arbitrage du secteur de l'éducation. Il informait également les parties que si sa demande n'était pas acceptée, il retournerait le mandat au ministère du Travail. De fait, le Greffe des Tribunaux d'Arbitrage secteur de l'éducation a référé ce même grief au même Tribunal.
[02] Au tout début de l'audition, le Tribunal s'est ravisé et il a informé les parties que, quelle que soit la décision à laquelle il en arriverait sur l'objection de la partie syndicale, il accepterait le mandat.
ADMISSIONS DES PARTIES
[03] Dès le début l'audience, les parties ont procédé à l'admission suivante : le Tribunal a compétence pour se prononcer sur sa propre compétence de décider si un grief patronal doit être déposé conformément au Code du travail ou s'il doit l'être conformément à la convention collective.
LE GRIEF
[04] La Commission scolaire, sous la signature de sa directrice générale, Madame Aline Laforge, a déposé un grief patronal E-2 se lisant ainsi :
« OBJET : GRIEF PATRONAL
La Commission scolaire de la Jonquière et le Syndicat des professionnelles et professionnels de l'Éducation du Saguenay (SPPÉS)
Re : libérations syndicales - dispositions applicables
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Monsieur,
Par la présente, nous vous informons que nous soumettons le présent grief relativement aux dispositions applicables dans le cadre des libérations syndicales concernant le président du Syndicat, à savoir Monsieur Richard Brisson.
Les faits :
[1.] Nous constatons que depuis le début de l'année scolaire, vos libérations syndicales ne peuvent d'aucune façon correspondre à une absence ponctuelle, la fréquence des libérations devant être considérées comme couvertes par la section 2 du chapitre 3-4.00 de la convention collective.
CONCLUSION :
[2.] Nous soumettrons au tribunal d'arbitrage que les libérations syndicales demandées par le président sont de longue durée et doivent être remboursées selon la section 2 du chapitre 3-4.00 de la convention collective.
[3.] En conséquence, nous demandons :
a. que le tribunal d'arbitrage FASSE DROIT au grief patronal;
b. que le tribunal d'arbitrage RECONNAISSE que lesdites libérations syndicales sont en conformité avec la section 2 du chapitre 3-4.00 de l'entente nationale;
c. que le Syndicat REMBOURSE les libérations syndicales en conformité avec la section 2 du chapitre 3-4.00 de l'entente nationale;
d. de retenir toute autre conclusion appropriée.
Nous entendons réclamer au tribunal des dommages pour préjudices ainsi que des intérêts. Nous demandons également de RÉSERVER à la Commission scolaire le droit de prendre tout autre recours et des conclusions additionnelles.
NOMINATION DE L'ARBITRE
S'il n'y a pas de règlement avant le 5 février 2014, notre demande sera déférée à l'arbitrage en conformité avec la convention collective des professionnels, article 9-2.00. Par l'entremise de nos représentants, nous demanderons à l'arbitre en chef des tribunaux d'arbitrage du secteur de l'éducation afin qu'il nomme un arbitre conformément à la clause 9-2.00 de l'Entente nationale.
À défaut de pouvoir
convenir avant le 5 février 2014, de la nomination conjointe d'un arbitre ou de
consentir à ce que cette nomination soit faite par l'arbitre en chef, telle que
suggérée, la demande de nomination de l'arbitre sera adressée au greffe de
l'éducation, en vertu de l'article 9-2.00, et au ministre du Travail, en vertu
de l'article
Le défaut du Syndicat de faire connaître sa position sur le mode de nomination de l'arbitre dans le délai imparti sera interprété par la Commission scolaire comme un refus d'une entente à ce sujet.
Nous vous prions d'agréer, Monsieur, l'expression de nos sentiments les meilleurs. »
OBJECTION SYNDICALE À LA COMPÉTENCE DU GREFFE DES TRIBUNAUX D'ARBITRAGE DU SECTEUR DE L'ÉDUCATION
[05] Après avoir déposé les pièces introductives, les parties n'ont fait entendre aucun témoin.
ARGUMENTATION DES PARTIES
A) SYNDICALE
[06] Le Code du travail à son article 100 stipule :
« 100. [Arbitrage des griefs] Tout grief doit être soumis à l'arbitrage en la manière prévue dans la convention collective si elle y pourvoit et si l'association accréditée et l'employeur y donnent suite; sinon il est déféré à un arbitre choisi par l'association accréditée et l'employeur ou, à défaut d'accord, nommé par le ministre.
[Choix de l'arbitre] L'arbitre nommé par le ministre est choisi sur la liste prévue à l'article 77.
[Incompatibilité des dispositions] Sauf disposition contraire, les dispositions de la présente section prévalent, en cas d'incompatibilité, sur les dispositions de toute convention collective.
S.R. 1964, c. 141, a.88; 1969, c. 47, a. 36;1969, c. 48, a.28; 1977, c. 41, a. 48; 1983, c. 22, a.61. »
[07] Or, la convention collective ne prévoit que les modalités pour le dépôt de griefs syndicaux. Comme elle est totalement muette au sujet des griefs patronaux, c'est uniquement le Code du travail qui s'applique pour de tels griefs.
[08] L'article 9-1.00 ne concerne que les dispositions générales et procédures de règlement des griefs alors que l'article 9-2.00 traite de l'arbitrage. Toutes ces clauses ne s'adressent qu'au Syndicat.
[09] Une disposition claire ne souffre pas d'interprétation. La clause 9-1.02 prévoit que l'avis de grief est soumis par le Syndicat ou par les professionnel(le)s selon le formulaire apparaissant à ladite clause. La clause 9-2.01 mentionne que « Le syndicat qui désire soumettre un grief à la procédure régulière d'arbitrage doit [...] » impliquant que toute cette procédure ne s'adresse qu'au Syndicat et aux professionnels.
[10] Le grief de la Commission scolaire (E-2) n'a pas été soumis sous la forme du formulaire requis par la clause 9-1.02. Or, la Commission scolaire voudrait que cette clause englobe aussi l'Employeur alors qu'elle a choisi de ne pas respecter le formulaire recommandé.
[11] À la clause 9-1.07, il n'est nullement question de l'Employeur dans la procédure de règlement des griefs. Il s'agit d'une façon de faire pour le Syndicat. La clause 9-1.09 stipule : qu'
« Un grief est soumis à la commission par la professionnelle ou le professionnel ou par le syndicat en son nom ou au leur.
L'avis de grief doit être transmis par poste certifiée, par lettre recommandée ou par télécopieur, ou autrement remis à l'autorité désignée par la commission, dans les quatre-vingt-dix (90) jours de la date de l'événement qui a donné naissance au grief »
[12] Ainsi, la convention collective ne concerne que les griefs déposés par la partie syndicale lesquels sont soumis dans un délai de 90 jours de la date de l'événement qui a donné naissance au grief alors que le délai prévu au Code du travail est de six mois (art. 71). On réfère le Tribunal à la sentence de notre collègue Me Martin Racine dans Syndicat des professionnelles et professionnels du milieu de l'éducation de Montréal (SPPMEM) et Commission scolaire de la Pointe-de-l'île, 2014 CanLII 35722 (QC SAT) dans laquelle l'arbitre précise que dans le cadre d'un grief patronal le délai de prescription est de six mois alors qu'il est de 90 jours pour le Syndicat.
[13]
L'objection préliminaire ne constitue
nullement un désaveu du grief par la partie syndicale, mais il s'agit d'une
question qui n'a jamais été négociée par les parties. Il ne peut y avoir de
différence de délai pour soumettre un grief si la procédure prévue à la
convention collective s'applique indistinctement au Syndicat et à l'Employeur.
Or, ce n'est manifestement pas le cas puisque l'article
[14] La clause 9-1.14 ne traite que du Syndicat. Il en est de même de la procédure d'arbitrage accéléré à la clause 9-2.30 dans laquelle on parle de « tout grief ». Toutefois, la procédure régulière d'arbitrage ne prévoit aucunement que cette procédure puisse s'appliquer à l'Employeur.
[15] Le Tribunal n'a pas à interpréter la clause permettant au Syndicat de soumettre un grief à l'arbitrage. En vertu de la clause 9-2.20, le Tribunal ne peut ajouter à la convention collective. Prévoir que le Greffe des Tribunaux d'arbitrage du secteur de l'éducation est compétent et que le délai de dépôt ne s'applique pas tout comme le formulaire prévu à la clause 9-1.02 serait justement ajouter à la convention collective.
[16]
Deux sentences arbitrales ont traité
de cette question dans le secteur des enseignants malgré des dispositions
conventionnelles différentes à la présente convention collective : Commission
scolaire des Samares et Syndicat de l'enseignement de Lanaudière, SAE 7735 du
25 février 2005 de l'arbitre Maureen Flynn qui a rejeté une objection
préliminaire du Syndicat et décidé que la procédure d'arbitrage prévue à la
convention collective s'appliquait à un grief patronal alors que dans
Commission scolaire de la Pointe-de-l'île et Syndicat de l'enseignement de la
Pointe-de-l'île de l'arbitre Guy E. Dulude,
[17] Ces autorités jurisprudentielles jettent un éclairage intéressant malgré des dispositions conventionnelles différentes dont certaines ont été modifiées ultérieurement. Dans la convention collective à l'étude, il n'est question que du Syndicat et non de « tout grief ». Dans les circonstances, le Tribunal devrait suivre la position de l'arbitre Dulude dont la sentence a fait l'objet d'une requête en révision judiciaire, laquelle a été rejetée par la Cour supérieure.
[18] Le Tribunal devrait accueillir l'objection préliminaire basée sur l'absence de compétence du Greffe des Tribunaux d'arbitrage du secteur de l'éducation et décider du grief selon le mandat qu'il a reçu du ministère du Travail. Par contre, si le Tribunal devait arriver à la conclusion que le Greffe des Tribunaux arbitral du secteur de l'éducation a compétence, il devrait dire que les clauses 9-2.01 et 9-2.02 doivent s'appliquer.
B) PATRONALE
[19] Le procureur de la Commission est d'accord avec la procureure syndicale lorsqu'elle précise qu'à la clause 9-2.30, concernant la procédure d'arbitrage accéléré, il est fait mention de « tout grief » impliquant que la Commission pouvait s'en prévaloir. Or, l'expression « tout grief » n'est pas utilisée uniquement dans cette clause.
[20] La première sentence qui a traité de cette question est celle de Me Bernard Lefebvre dans Commission scolaire Chomedey de Laval et Syndicat de l'enseignement de Laval, SAE 5929 du 12 juillet 1993. L'arbitre avait reçu mandat du ministère du Travail pour ce grief patronal. Or, le Syndicat a soulevé une objection préliminaire sur l'absence de compétence du ministère du Travail pour nommer l'arbitre devant disposer de ce grief, alléguant que le Greffe des Tribunaux d'arbitrage du secteur de l'éducation avait compétence pour nommer l'arbitre. Me Bernard Lefebvre avait rendu une sentence interlocutoire donnant raison au Syndicat.
[21] Cette sentence a été suivie de celle de Me Denis Tremblay dans Commission scolaire d'Aylmer et Syndicat de l'enseignement de l'Outaouais, SAE 5991 du 1 er novembre 1993. Il s'agit d'un grief patronal déposé au Greffe des Tribunaux d'arbitrage du secteur de l'éducation. Sur l'objection préliminaire du Syndicat, l'arbitre a décidé que les griefs patronaux relèvent du Code du travail puisque la convention collective n'a prévu aucune mécanique d'arbitrage pour ce type de grief.
[22] Par la suite, la sentence de l'arbitre Me Maureen Flynn dans Commission scolaire des Samares et Syndicat de l'enseignement de Lanaudière, précitée, alors que le Syndicat soutient que la procédure d'arbitrage de griefs prévue à la convention collective ne pourvoit pas au grief patronal. L'arbitre Flynn rejette cette objection et considère que le grief patronal peut-être référé à l'arbitrage selon la clause 9-2.03 de la convention des enseignants.
[23] Plusieurs griefs patronaux en vertu de la convention collective des professionnels n'ont pas contesté la compétence du Greffe des Tribunaux d'arbitrage du secteur de l'éducation.
[24] Pour le procureur de la Commission scolaire, la sentence de l'arbitre Dulude constitue une erreur.
[25]
Depuis plus de 20 ans, la Cour suprême
a rendu des arrêts qui ont élargi la compétence de l'arbitre. Il fait notamment
référence aux arrêts Weber v. Ontario Hydro
[26] Le procureur de la Commission réfère au point 1 du grief E-2 qui expose les faits de même qu'à la lettre (E-3) de la directrice générale de la Commission scolaire, Madame Aline Laforge, adressée à l'arbitre en chef, Me Jean Guy Ménard, lui faisant parvenir copie du grief et soumettant que le Tribunal d'arbitrage désigné en conformité avec le chapitre 9 de la convention collective a juridiction.
[27] Le 31 janvier 2014, Me Brigitte Venne, procureure SPPES/FPPE, faisait parvenir à la directrice générale de la Commission scolaire (E-5) sa position sur le grief patronal et une possible objection à la compétence du Greffe des Tribunaux d'arbitrage du secteur de l'éducation pour désigner un arbitre. La lettre était également accompagnée d'un grief syndical contestant le remboursement des libérations syndicales et alléguant qu'il s'agit de représailles à l'encontre du Syndicat. Le Syndicat s'est ensuite désisté de ce grief.
[28] Dans la sentence Commission scolaire des Samares et Syndicat des professionnelles et professionnels de l'éducation de Laurentides-Lanaudière, l'arbitre Jacques Bherer a décidé d'un grief patronal alors que la partie syndicale n'a nullement contesté la compétence du Greffe des Tribunaux d'arbitrage du secteur de l'éducation.
[29] L'arbitre Maureen Flynn dans la sentence Commission scolaire des Samares et Syndicat de l'enseignement de Lanaudière, précitée, a consigné l'admission du Syndicat voulant que l'Employeur ait le droit de déposer un grief patronal, mais qu'il ne pouvait être régi par le chapitre 9 de la convention collective.
[30]
La définition de grief à l'article
« Toute mésentente relative à l'interprétation ou l'application d'une convention collective ».
[31] Cette définition couvre tous les griefs. La convention collective contient une procédure de soumission d'un grief par le Syndicat, mais une telle procédure n'empêche pas le dépôt d'un grief patronal à l'arbitrage.
[32] Bien que les articles 9-1.00 et 9-2.00 réfèrent au Syndicat, la clause 9-2.04 traite de « ... tout grief soumis à l'arbitrage est décidé par une ou un arbitre choisi parmi les personnes suivantes [...] ». La clause 9-2.06 vise autant un grief syndical que patronal de sorte qu'il n'y a pas lieu de faire une distinction.
[33] Il ne faut pas conclure que le Greffe des Tribunaux d'arbitrage du secteur de l'éducation doit être exclu pour les griefs patronaux. Il faut faire une distinction sur le mode de nomination d'un arbitre par l'arbitre en chef et la procédure de soumission d'un grief par la partie syndicale. Ainsi, le présent Tribunal a compétence en vertu des pouvoirs confiés à l'arbitre en chef et au Greffe.
C) RÉPLIQUE
[34] Le grief patronal doit être déposé dans un délai de six mois alors que le grief syndical doit l'être dans les 90 jours. La Commission scolaire ne peut pas tout avoir. La partie syndicale se réserve le droit de soumettre une autre objection à la prescription du grief advenant le rejet de son objection.
[35] La clause 9-2.04 s'applique autant pour la procédure régulière que pour la procédure accélérée, car il n'y a pas de liste d'arbitres pour la procédure accélérée. Quant à cette dernière, les parties doivent s'entendre selon la clause 9-2.30. L'article 9-3 00, Médiation préarbitrale s'applique aux deux parties.
[36] Quant à la sentence Commission scolaire des Samares de l'arbitre Bherer, la procureure syndicale souligne qu'aucune objection n'a été soulevée à la compétence d'un arbitre nommé par le Greffe puisque les parties étaient en attente de la révision judiciaire de la sentence de l'arbitre Dulude la Commission scolaire de la Pointe-de-l'île, précitée. Le grief syndical annexé à la lettre E-5 a fait l'objet d'un règlement.
[37] Enfin, pour faire droit à la prétention de la Commission scolaire, il faudrait comprendre la clause 9-2.01 comme devant se lire « Le syndicat ou la commission qui désire soumettre un grief à la procédure régulière d'arbitrage doit [...] », ce qui fait beaucoup d'ajouts pour une clause très claire.
D) SUPPLIQUE
[38] Pour le procureur de la Commission scolaire, il ne faut pas ajouter à la clause 9-2.01 puisque la clause 9-2.04 traite de tout grief et que le Tribunal se doit d'appliquer la clause 9-2.20.
MOTIFS ET DÉCISION
[39] Le grief patronal déposé à la partie syndicale par la Commission scolaire a été simultanément transmis au ministère du Travail et au Greffe des Tribunaux d'arbitrage du secteur de l'éducation pour nomination d'un arbitre. Chacune de ces instances a désigné l'arbitre soussigné. Le Tribunal doit-il s'en tenir à la procédure prévue au Code du travail ou à la manière prévue à la convention collective à l'article concernant l'arbitrage ? Posée autrement, la question est de déterminer si les dispositions de la convention collective portant sur l'arbitrage, et notamment la clause 9-2.01 traitant de la manière dont un grief syndical peut être déféré à l'arbitrage, ont pour effet d'exclure le grief patronal ?
[40] Il s'agit d'une question qui a été soulevée à quelques reprises dans des sentences portant plus particulièrement sur le secteur des enseignants bien qu'on n'en dénombre certaines chez les professionnels.
[41] Les conventions collectives impliquées présentent de grandes similitudes mêmes si parfois les textes ont une rédaction légèrement différente.
[42] Dans le cas à l'étude, le présent Tribunal aura à disposer des autres questions que soulève ce grief patronal, qu'il agisse sous l'égide du ministère du Travail ou du Greffe des Tribunaux d'Arbitrage du secteur de l'éducation. Les parties reconnaissent que la Commission scolaire avait le droit de soumettre un grief patronal à la partie syndicale. Fin des admissions. Toutefois, les parties ont implicitement reconnu que la procédure de grief et d'arbitrage est utilisée en grande partie par le Syndicat et que le grief patronal est plutôt l'exception à la règle. Dans un tel contexte, il ne faut pas se surprendre que le libellé de la convention collective mette presque exclusivement l'accent sur les griefs déposés par le Syndicat ou par les professionnels concernés. D'ailleurs, à titre d'exemple, les conventions des infirmières sont rédigées au féminin puisqu’elles représentent plus de 90 % du personnel infirmier. Mais est-ce suffisant pour exclure la façon d'exercer un grief patronal ?
[43] Le grief patronal tel que libellé se fonde sur le chapitre 3-4.00 de l'entente nationale. À ce titre, il répond parfaitement à la notion de grief selon la définition qu'en donne le Code du travail et l'entente nationale.
[44]
La base de l'argumentation des tenants
des deux positions jurisprudentielles repose sur l'article
« 100. [Arbitrage des griefs] Tout grief doit être soumis à l'arbitrage en la manière prévue dans la convention collective si elle y pourvoit et si l'association accréditée et l'employeur y donnent suite; sinon il est déféré à un arbitre choisi par l'association accréditée et l'employeur ou, à défaut d'accord, nommé par le ministre. »
[45]
Il existe une procédure de grief et
d'arbitrage dans la convention collective et la nomination d'un arbitre dont le
nom est prévu dans celle-ci relève du Greffe. En cas de silence de la
convention collective, le ministre nomme l'arbitre à partir de la liste prévue
à l'article
[46] Le tribunal a lu avec attention toutes les sentences arbitrales qui lui ont été déposées lors des argumentations respectives des parties. La sentence de Me Denis Tremblay à la Commission scolaire d'Aylmer fait ressortir que le libellé de la clause 9-2.01 est le suivant : « Tout grief peut être déféré à l'arbitrage par le syndicat, selon la procédure prévue au présent article. » Cette clause est maintenant libellée comme suit :
« Trois procédures d'arbitrage s'offrent aux parties :
- La procédure régulière;
- La procédure sommaire;
- La procédure allégée.
Tout grief peut être déféré l'arbitrage par le syndicat, selon la procédure prévue au présent article. »
[47] Cette clause est absente de la présente convention collective. La même clause 9-2.01 dans la convention collective à l'étude débute par l'alinéa suivant :
« Le syndicat qui désire soumettre un grief à la procédure régulière d'arbitrage doit, dans les quarante-cinq (45) jours suivant l'expiration du délai prévu à la clause 9-1.13, donner un avis à cet effet à la commission et à l'arbitre en chef, et ce, en utilisant le formulaire informatique du Greffe des Tribunaux d'Arbitrage du secteur de l'éducation. L'avis de grief doit y être reproduit. »
[48] On retrouve à la clause 9-2.03 de la convention collective des enseignants une clause identique à 9-2.04 de la convention à l'étude :
« Pour la durée de la présente convention, tout grief soumis à l'arbitrage est décidé par une ou un arbitre choisi parmi les personnes suivantes :
[...] »
[49] De l'avis du Tribunal, le libellé de la clause 9-2.1 de la convention collective à l'étude est d'une rédaction moins restrictive que celle des enseignants en vertu desquelles les arbitres Lefebvre et Tremblay ont rendu sentence. Par contre, la clause 9-2.04 doit être interprétée de façon très large et ne concerne pas seulement les griefs déposés par la partie syndicale.
[50] Sans reprendre la totalité de l'argumentation de l'arbitre Me Maureen Flynn dans sa sentence Commission scolaire des Samares, précitée, et notamment son analyse des sentences des arbitres Lefebvre et Tremblay, le Tribunal partage son opinion et se permet de reproduire les paragraphes 29 à 45 de sa sentence :
« [29] Quelques années plus tard, en 2003, l'arbitre François Bastien, dans l'affaire la "Commission scolaire Crie et le Syndicat des professionnelles et professionnels en milieu scolaire du Nord-Ouest" (FPPE/CSQ), 2003 II JCAN, adopte le raisonnement et les conclusions de M e Tremblay rendus en 1993.
[30] Entre-temps, malgré la décision rendue par l'arbitre Denis Tremblay en 1993, un survol de la jurisprudence nous démontre que le Greffe des tribunaux d'arbitrage de l'éducation a nommé une dizaine de fois des arbitres pour entendre des griefs patronaux.
[31] La nomination d'arbitre pour entendre un grief patronal a été également soulevée dans d'autres secteurs d'activités. En résumé, les arbitres concluent généralement qu'à moins de disposition expresse dans la convention collective référant au grief patronal, le Code du travail doit s'appliquer exclusivement (voir Centre hospitalier de St. Mary et Infirmières et infirmiers unis, arbitre Pierre Laporte, 21 février 1995).
[32] Tout en partageant la tendance jurisprudentielle concernant l'application d'une procédure d'arbitrage au grief patronal, je crois que ces conclusions ne s'appliquent plus au grief patronal issu de la convention collective. D'une part, ce changement découle d'une modification apportée au libellé de l'article 9-2-01 et de la négociation d'une procédure d'arbitrage pour le secteur de l'Éducation qui comporte quelques particularités dont la désignation d'un arbitre en chef assisté d'un greffier ou d'une greffière (9-2.21) qui coordonne l'arbitrage des griefs issus de la convention collective en collaboration avec les parties (9-2.07).
[33] D'emblée, je crois que rien ne s'oppose à ce que l'on interprète distinctement la procédure préalable de règlement de griefs de la procédure d'arbitrage. Même le titre de la section 1 du chapitre 9-0.00 distingue les griefs de l'arbitrage et la procédure de règlement de griefs est réunie sous l'article 9-1.00 alors que les procédures d'arbitrage sont regroupées sous l'article 9-2.00. Il s'agit de deux procédures ayant des objectifs distincts.
[34] À l'époque de la décision rendue par M e Denis Tremblay, l'article 9-2.01 tel que reproduit dans sa décision édictait :
" Tout grief peut être déféré à l'arbitrage par le syndicat, selon la procédure prévue au présent article. "
Présentement, l'article 9-2.01 prévoit :
"Trois procédures d'arbitrage s'offrent aux parties :
- la procédure régulière ;
- la procédure sommaire ;
la procédure allégée.
Tout grief peut-être déféré à l'arbitrage par le syndicat, selon la procédure prévue au présent article. "
[36] Tel que souligné par le procureur patronal, la phrase introductive de l'article actuel 9-2.01 énonce clairement que "les trois procédures d'arbitrage s'offrent aux parties ". L'expression "parties " n'est toutefois pas définie au chapitre 1-0.00 de la convention collective.
[37] Cependant, une lecture comparative des articles 9-2.01 à 9-2.37 nous indique que le mot " partie " englobe autant la Centrale, la Fédération, le Ministère, la commission et le syndicat. En vertu de l'article 9-2.13, la Centrale, la Fédération et le Ministère peuvent indépendamment ou collectivement intervenir et faire toutes représentations qu'ils jugent appropriées ou pertinentes. Toutefois, en vertu de ce même article, elle doit aviser les autres parties de son intervention qui ne peut être dans ce contexte que la commission et le syndicat.
[38] Dans les cas où les parties souhaitent limiter la portée d'une disposition à une partie, elles le précisent. C'est le cas notamment à l'article 9-2.26 où le mot "partie " est expressément limité à " la commission et au syndicat " ou encore des expressions différentes sont utilisées telles que les parties à l'entente (9-2.07) ou les parties locales (9-2.32).
[39] L'on doit conclure tel que libellé à l'article 9-2.01 que " les trois procédures d'arbitrage s'offrent aux parties ", c'est-à-dire à toutes les parties concernées par la convention collective. D'ailleurs, chacune de ces parties intervient à différent titre dans le processus d'arbitrage. Par exemple, les arbitres sont nommés par la Centrale, la Fédération et le Ministère en vertu de l'article 9-2.03 alors que le rôle mensuel est dressé en présence des représentantes ou représentants des parties à l'entente. Les frais et honoraires de l'arbitre, lorsque le grief est déféré à l'arbitrage devant un arbitre seul, sont à la charge du Ministère.
[40] Les parties se sont dotées d'un système particulier d'arbitrage dont même le règlement sur la rémunération des arbitres adopté en vertu du Code du travail est expressément exclu. L'exclusion ne vise pas que le grief déféré à un arbitre nommé en vertu de la convention collective, mais à tout grief impliquant une association de salariés au sens du Code du travail et une commission scolaire visés dans la Loi sur le régime de négociation des conventions collectives dans les secteurs public et parapublic, ce qui est le cas dans la présente affaire.
[41] D'autre part, tel que mentionné précédemment, la partie patronale a le droit de déposer un grief dont la reconnaissance découle de la définition du mot " grief " défini au Code du travail. Les parties ont repris cette définition intégralement à l'article 1-1.29 de la convention collective. Cependant, en vertu de l'article 1-1.00, l'étendue de cette définition peut être modifiée dans les cas où le contexte s'y oppose.
[42] En vertu de l'article 9-2.26, tout grief portant sur certaines matières ou tout grief sur lequel les parties (commission et syndicat) s'entendent explicitement est déféré à la procédure d'arbitrage sommaire. Tel que libellé, le grief comprend autant le grief patronal que syndical. Puis, en vertu de l'article 9-2.32, tout grief peut être déféré à la procédure allégée d'arbitrage à la condition que les parties locales s'entendent explicitement pour qu'il en soit ainsi. Encore là, le grief comprend autant le grief patronal que le grief syndical.
[43] Dans la présente affaire, le grief est déféré à la procédure régulière d'arbitrage pour laquelle aucune condition d'exercice préalable et équivalente à celles des procédures sommaires et allégées n'est prescrite. Tout grief non couvert par les procédures particulières est donc soumis à la procédure régulière et l'article 9-2.03 édicte que " pour la durée de l'entente, tout grief déféré à l'arbitrage est décidé par une ou un arbitre choisi parmi les personnes suivantes [...]".
[44] En se fondant sur la décision de M e Denis Tremblay précitée, le procureur syndical soutient que la portée de l'article 9-2.03 est limitée au grief déféré à l'arbitrage par le syndicat puisque l'article 9-2.02 A) qui établit un délai pour ce faire ne s'applique qu'au syndicat. Compte tenu du libellé de l'article 9-2.01 et de la signification du mot grief, je crois qu'une telle interprétation équivaudrait à soustraire aux clauses de la convention collective, ce qui est prohibé par l'article 9-2.19. L'article 9-2.03 réfère à tout grief déféré à l'arbitrage sans restriction quant à la partie qui le soumet.
[45] En somme, compte tenu de la définition du mot grief, du libellé de l'article 9-2.01, de la présence d'un greffe qui coordonne l'arbitrage des griefs issus de la convention collective et du libellé de l'article 9-2.03 qui prévoit que tout grief déféré à l'arbitrage est décidé par un arbitre choisi en vertu de la convention collective, je conclus que la convention collective pourvoit à la nomination d'un arbitre pour entendre un grief patronal. »
[51] Le tribunal a pris connaissance de la sentence de notre collègue Me Jean Guy Roy dans Commission scolaire de la Seigneurie-des-Mille-Iles et Syndicat de l'enseignement des Basses-Laurentides, du 11 octobre 2013, SAE 8717, lequel partage l'opinion de Me Flynn. Il est intéressant de reproduire les trois derniers paragraphes de cette sentence :
« [35] Force nous est donc de constater que les ententes précitées ne font plus état du texte antérieur qui prévoyait que « Tout grief peut être déféré à l'arbitrage par le Syndicat [...] » conservant cependant intact le reste de cette clause qui précisent (sic) que trois procédures d'arbitrage s'offrent aux parties.
[36] Faut-il voir là la volonté manifeste des parties de ne pas empêcher une commission scolaire d'avoir accès à l'arbitrage en vertu des dispositions du chapitre 9-0.00 de l'Entente nationale ? Il n'est certes pas illogique de conclure en ce sens, surtout lorsqu'on constate que l'Entente nationale 2005-2010 a été signée le 6 mars 2007 et que les parties négociantes ne pouvaient ignorer la sentence du 14 mars 2005 de l'arbitre Flynn qui ne suivait pas la logique de décisions rendues antérieurement et qui concluait qu'elle était compétente pour entendre un grief déposé par une commission scolaire en vertu de l'Entente nationale.
[37] Au-delà des motifs que fait valoir l'arbitre Flynn, cette évolution historique des textes pertinents des ententes nationales constitue pour l'arbitre un élément supplémentaire qui le convainc du bien-fondé du droit de la Commission de déposer un grief et d'en demander l'arbitrage en vertu du chapitre 9-0.00 de l'Entente nationale. »
[52] Il est bon de rappeler qu'antérieurement la convention collective à l'étude comprenait la clause dont Me Roy fait état à son paragraphe 35 précité.
POUR TOUS CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
REJETTE l'objection du Syndicat voulant qu'un grief patronal ne puisse être acheminé à l'arbitrage selon les dispositions de la convention collective et qu'il puisse être régi par les dispositions de cette même convention collective créant le Greffe des Tribunaux d'Arbitrage du secteur de l'éducation;
DEMEURE saisi du grief selon les règles prévues à la convention collective;
ORDONNE la poursuite de l'audience à une date à être convenue avec les parties ou à défaut d'être fixée par le Greffe.
Me Marcel Morin
Arbitre de griefs C.A.Q.
Pour le Syndicat : Me Claudie Lévesque
Pour l’Employeur : Me Jean-Claude Girard
Date d’audience : 29 septembre 2014