Jaud c. Déménagement La Capitale

2014 QCCQ 10966

JV0516

 
COUR DU QUÉBEC

« Division des petites créances »

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

MONTRÉAL

« Chambre civile »

N° :

500-32-130722-111

 

 

 

DATE :

 24 octobre 2014

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SOUS LA PRÉSIDENCE DE :

L’HONORABLE

SUZANNE VADBONCOEUR, J.C.Q.

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ANNIE JAUD

[…] Montréal (Qc) […]

Demanderesse

c.

 

DÉMÉNAGEMENT LA CAPITALE
5700 rue d'Iberville

Montréal (Qc) H2G 2B3

Défenderesse

 

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JUGEMENT

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[1]            La demanderesse réclame de la défenderesse (LA CAPITALE) la somme de 2 075$ pour les dommages causés à ses meubles lors de l'un des deux déménagements et de l'entreposage desdits meubles faits sous la surveillance et la responsabilité de la défenderesse le 14 juillet 2010 et le 7 août 2011.

[2]            La réclamation se divise comme suit :

v   canapé-lit  :                                                                             1 000,00$

v   fauteuil Louis XVI :                                                                    250,00$

v   tapis taché :                                                                               250,00$

v   nettoyage du canapé :                                                              100,00$

v   vitrine du meuble-télé :                                                             250,00$

v   vaisselle cassée :                                                                     275,00$

[3]            La défenderesse nie devoir ces montants, alléguant que la demanderesse a elle-même emballé ses meubles et ses effets et que dans ces circonstances, la responsabilité de la défenderesse ne saurait être engagée.

LES FAITS

[4]            La demanderesse a connu deux déménagements en un an après avoir vendu sa résidence :  lors du premier, le 14 juillet 2010, ses meubles et effets ont été transportés par LA CAPITALE à un entrepôt choisi par elle, où ils devaient être maintenus entreposés durant environ un an, alors qu'au second, le 7 août 2011, ils étaient ré-acheminés à sa nouvelle résidence.

[5]            Durant cette période, la demanderesse a été plusieurs mois à ne pas vivre à Montréal, neuf mois sur treize plus précisément.

[6]            Ce n'est qu'au second déménagement, lorsque la demanderesse a récupéré ses choses et qu'elle a déballé ses boîtes et découvert ses meubles, qu'elle a constaté les bris :  le canapé-lit était endommagé, l'un des fauteuils Louis XVI était amputé d'une patte et son tissu était déchiré, le tapis chinois était endommagé et la vitrine de la crédence était cassée.  Quant à la vaisselle, plusieurs morceaux étaient brisés et il en fut de même de quelques verres de cristal.

[7]            Madame Jaud est formelle et elle l'écrit dans tous ses envois par lettres ou par courriels :  malgré ce qui est indiqué sur la facture du 14 juillet 2010 (P-1), une boîte contenant de la vaisselle et des verres a été emballée par LA CAPITALE.

[8]            Plusieurs photos font foi des différents bris (P-8) et des photos supplémentaires sont produites en liasse sous la cote P-11.

[9]            Madame Jaud précise que ses objets fragiles et de valeur, tels que lampes, miroirs, tableaux, œuvres d'art, etc., ont été transportés chez un ami, Lucien Moatti, lors du premier déménagement et n'ont donc pas été manipulés par les employés de LA CAPITALE.

[10]         Monsieur Moatti confirme ce fait et ajoute qu'il était présent lors du second déménagement :  il a constaté les bris décrits plus haut par la demanderesse.

[11]         Madame Jaud envoie sa réclamation à LA CAPITALE le 16 août 2011 (P-3), accompagnée d'une quinzaine de photos;  celle-ci lui répond le 18 août 2011.

[12]         Une mise en demeure de la demanderesse suit le 20 septembre 2011 (P-4) et Richard Desjardins de Déménagement La Capitale y répond dès le lendemain (P-5) en niant toute responsabilité.  Il invoque trois motifs : 

v   que les meubles et effets ont été emballés par madame Jaud et non par les déménageurs de LA CAPITALE;

v   que les couvertures n'ont pas été maintenues sur les meubles durant la période d'entreposage;

v   que les meubles ont été entreposés ailleurs que dans les entrepôts de LA CAPITALE.

[13]         Madame Jaud affirme n'être allée qu'une seule fois à l'entrepôt en avril 2011 pour prendre deux boîtes de vêtements qu'elle avait soigneusement placées à l'entrée du local pour ne rien déplacer.  Elle dit aussi que personne d'autre qu'elle n'a été en possession de la clé du cadenas du local d'entreposage - il n'existe aucun double de cette clé - donc que personne d'autre qu'elle n'y a eu accès.

[14]         La demanderesse produit une liste révisée des coûts de réparation ou de remplacement comme pièce P-10.

[15]         Quant à la représentante de la défenderesse, Nathalie St-Pierre, elle se rabat sur certaines clauses du contrat de service, en matière d'assurance et de responsabilité notamment, pour rejeter toute réclamation dans ce dossier.

[16]         Elle soutient que le document de réservation a été envoyé à madame Jaud pour chacun des deux déménagements (le 28 mai 2010 et le 29 juin 2011) (D-1) mais la défenderesse nie avoir jamais reçu ces documents.

[17]         Selon la preuve, ils ont été envoyés à l'entrepôt et l'ancienne adresse de la demanderesse.

L'ANALYSE

[18]         Dans tout recours en justice, la partie demanderesse doit démontrer au Tribunal, par une preuve prépondérante, le bien fondé de ses prétentions conformément aux articles 2803 et 2804 du Code civil du Québec , lesquels se lisent comme suit :

«  2803.      Celui qui veut faire valoir un droit doit prouver les faits qui soutiennent sa prétention.

                  Celui qui prétend qu'un droit est nul, a été modifié ou est éteint doit prouver les faits sur lesquels sa prétention est fondée.

2804.         La preuve qui rend l'existence d'un fait plus probable que son inexistence est suffisante, à moins que la loi n'exige une preuve plus convaincante. »

[19]         Le contrat qui lie les parties en l'espèce est un contrat de service régi par les articles 2098 et suivants du Code civil du Québec .

[20]         En vertu de l'article 2100 C.c.Q., le prestataire de services (la défenderesse) est tenu d'agir dans le meilleur intérêt de son client, avec prudence et diligence :

«  2100.  L'entrepreneur et le prestataire de services sont tenus d'agir au mieux des intérêts de leur client, avec prudence et diligence. Ils sont aussi tenus, suivant la nature de l'ouvrage à réaliser ou du service à fournir, d'agir conformément aux usages et règles de leur art, et de s'assurer, le cas échéant, que l'ouvrage réalisé ou le service fourni est conforme au contrat.

Lorsqu'ils sont tenus du résultat, ils ne peuvent se dégager de leur responsabilité qu'en prouvant la force majeure. »

[21]         Il appartient donc au client (la demanderesse) de démontrer que l'entreprise de déménagement a failli à son devoir et n'a pas respecté ses obligations.

[22]         Il s'agit aussi d'un contrat régi par la Loi sur la protection du consommateur [1] puisque la demanderesse est une consommatrice et LA CAPITALE, un commerçant au sens de la Loi.

[23]         Les articles 37 et 38 de cette Loi, relatifs à la garantie de qualité, s'appliquent non seulement au contrat de vente mais également au contrat de service :

«  34.  La présente section s'applique au contrat de vente ou de louage de biens et au contrat de service.

37.  Un bien qui fait l'objet d'un contrat doit être tel qu'il puisse servir à l'usage auquel il est normalement destiné.

38.  Un bien qui fait l'objet d'un contrat doit être tel qu'il puisse servir à un usage normal pendant une durée raisonnable, eu égard à son prix, aux dispositions du contrat et aux conditions d'utilisation du bien. »

[24]         Ce sont les articles invoqués par la demanderesse. 

[25]         Selon les photos produites, il est vrai que certains articles semblent avoir été endommagés.  Mais puisqu'ils ont été emballés par la demanderesse, les déménageurs ne peuvent pas témoigner de l'état dans lequel ils étaient avant le déménagement.

[26]         De plus, le contrat de service contient certaines clauses, tout à fait légales, auxquelles la demanderesse a souscrit en signant son contrat.  Les plus pertinentes se lisent comme suit :

«  5.       RESPONSABILITÉS PARTICULIÈRES

En tout temps et sans limitation, le déménageur ne peut être tenu responsable :

v   Des dommages ou pertes causés à tous articles qui ne sont pas emballés par les agents, commettants ou employés du déménageur.

(…)

a)    L'accessibilité des lieux est nécessaire en tout temps. Le transporteur ne peut être tenu responsable :

v   Des dommages reliés au fait que le déménageur doit retirer une porte pour le passage d'objets ainsi que le démontage et l'assemblage de meuble. (Ex:  porte de réfrigérateur ou porte d'entrée etc.)

v   L'espace tel que cage d'escalier, cadre de porte etc. trop restreinte (sic). 

Vous êtes donc responsable des conséquences et suppléments inhérents à ces situations. »

[27]         Ainsi, LA CAPITALE ne saurait être tenue responsable des dommages causés aux effets qui n'ont pas été emballés par elle, ses agents ou ses employés.

[28]         Or, la demanderesse a admis, tant verbalement à l'audience que par écrit, avoir elle-même emballé ses meubles et effets, même la vaisselle de tous les jours, à l'exception des choses fragiles comme la verrerie de cristal et les objets de valeur.  Ceci a d'ailleurs fait l'objet de frais supplémentaires de 25$ comme on peut le voir au contrat à l'item «  Emb. S péciaux  ».

[29]         Elle a également fourni les couvertures et les emballages de plastique pour les meubles.  En effet, la demanderesse a choisi de ne pas payer pour la location de couvertures à raison de 5$ par année par couverture, comme en font foi les deux factures de mai 2010 (#63692) et de juin 2011 (#70535).

[30]         Il est certain que les meubles et effets emballés par le client ne peuvent faire l'objet d'un examen préalable par les déménageurs, susceptible de démontrer que les meubles étaient déjà abîmés au moment du premier déménagement.

[31]         Madame Jaud invoque l'assurance pour laquelle elle a payé.  Mais elle oublie que le contrat contient la clause suivante, dans un encadré, comme pour attirer l'attention : 

«  AVIS IMPORTANT (ASSURANCES)

Afin que l'assurance soit en vigueur, tous les meubles doivent être emballés à l'aide de couvertures capitonnées à l'intérieur de votre domicile et les couvertures ne doivent en aucun cas être retirées des meubles avant qu'ils aient été replacés dans votre nouvelle demeure.  De cette façon, nous protégeons aussi vos murs et planchers aux deux endroits. 

(…)

Note  :   Si vous considérez que certains de vos meubles n'ont pas à être emballés, veuillez le noter sur votre contrat et ils ne seront ainsi pas assurés. »

 

[32]         Il est clair par cette clause que les meubles non emballés par LA CAPITALE et non recouverts des couvertures capitonnées de celle-ci ne sont pas couverts par l'assurance.  Ils ne peuvent donc faire l'objet d'aucune réclamation.

[33]         De plus, la preuve a démontré que la rampe de l'escalier menant au logement de la demanderesse faisait obstacle au passage de meubles imposants.  Au lieu de risquer de briser un meuble comme ce fut le cas, les déménageurs auraient dû enlever la rampe et facturer un surplus pour ce travail additionnel comme le leur permet la clause 5a) ci-dessus.

[34]         Il s'agit là d'une faute de la part de la défenderesse qui est, en conséquence, responsable des dommages causés au fauteuil Louis XVI qui a vu une de ses pattes arrachée par la rampe.

[35]         LA CAPITALE est aussi responsable des dommages causés à la verrerie de cristal étant donné que la preuve prépondérante démontre qu'ils n'ont pas été emballés par la demanderesse et ont fait l'objet d'un emballage spécial. 

[36]         Il en est de même du tapis.

[37]         Quant au montant des dommages, le Tribunal les détaille item par item comme suit :

[38]         Tapis chinois  :  la demanderesse produit sa facture d'achat fait en 1987.  Le Tribunal n'estime pas que le remplacement du tapis soit nécessaire;  un simple nettoyage suffit.  Un montant de 159,50$ est alloué à ce chapitre, tel qu'il figure à la facture de Tapis Abay Oriental inc . (B-3).

[39]         Fauteuil Louis XVI :   tel que dit plus haut, le Tribunal considère LA CAPITALE responsable d'avoir brisé la patte du fauteuil, compte tenu que ses employés n'ont pas enlevé la rampe d'escalier qui constituait un obstacle au déménagement de ce meuble.  La demanderesse a elle-même donné une valeur de 50$ à ce pied dans la réclamation envoyée à la défenderesse au mois d'août 2011.

[40]         Par contre, ce fauteuil n'ayant pas été emballé par la défenderesse avec des couvertures capitonnées, celle-ci n'est pas responsable de la déchirure du tissu.

[41]         Il en est de même de tous les bris survenus aux autres meubles (canapé-lit, crédence, canapé du salon) puisqu'ils n'ont pas été emballés par la défenderesse ni recouverts des couvertures capitonnées appartenant à LA CAPITALE.

[42]         En outre, les taches que l'on peut voir sur certains meubles ne peuvent être imputables à la défenderesse :  en effet, le fait que non seulement la demanderesse n'ait pas eu recours aux couvertures capitonnées de la défenderesse lors du premier déménagement mais qu'au surplus, elle ait laissé les meubles à découvert, c'est -à-dire sans aucune couverture, durant plus d'un an alors qu'ils étaient en entreposage, empêche toute possibilité de réclamation contre LA CAPITALE, conformément à la clause 5 et à la clause d'assurance énoncées au contrat (précitées).

[43]         Quant à la vaisselle , le contrat démontre qu'aucune boîte de vaisselle ne figure dans les objets pris en charge par la défenderesse.  Madame Jaud a signé ce contrat et en a accepté les clauses et conditions le 14 juillet 2010.  Si l'on se fie aux deux estimations faites par LA CAPITALE le 23 septembre 2009 et le 21 mai 2010 (P-9 en liasse), on constate que sept boîtes de vaisselle à 19,95$ chacune avaient été prévues en 2009 alors que cet item a été complètement éliminé en 2010, à peine deux mois avant la signature du contrat du premier déménagement (#63692).  Puisque l'on peut supposer que le retrait de cet item a été voulu, on peut se demander pourquoi madame Jaud aurait soudainement changé d'idée et aurait fait emballer sa vaisselle fragile par les déménageurs.

[44]         On peut aussi se demander pourquoi, si la vaisselle était si fragile de même que la verrerie, madame Jaud n'a pas expédié ces objets chez son ami monsieur Moatti, comme les autres objets fragiles et de valeur.

[45]         En vertu des règles de preuve édictées par le Code civil du Québec , on ne peut par témoignage contredire un contrat valablement fait :

«  2863 .   Les parties à un acte juridique constaté par un écrit ne peuvent, par témoignage, le contredire ou en changer les termes, à moins qu'il n'y ait un commencement de preuve . »

[46]         Le Tribunal doit donc s'en remettre au contrat tel que signé et conclure que la vaisselle n'a pas été emballée par LA CAPITALE.  Rappelons d'ailleurs que la demanderesse a admis dans son témoignage avoir emballé sa vaisselle de tous les jours.  Aurait-elle placé l'assiette de porcelaine et le plat à soupe dans cette boîte?  La preuve ne dit rien à cet égard mais le contrat, lui, est clair.

[47]         Enfin, la verrerie a subi quelques bris selon les photos produites.  Où avait-elle été placée et par qui?  La seule preuve dont dispose le Tribunal à cet égard est l'affirmation de la demanderesse ainsi que son courriel du 9 septembre 2011 à l'effet que les déménageurs ont emballé les verres.  Ils étaient peut-être dans la boîte indiquée «  Emb. Spéciaux  »?  Il n'y a aucune preuve au contraire.

[48]         Même si la représentante de la défenderesse mentionne dans son témoignage que la verrerie est considérée comme de la vaisselle, le Tribunal ne partage pas cette position.  Autant il croit que la vaisselle proprement dite n'a pas fait l'objet d'un emballage spécial par les déménageurs, autant il croit que la verrerie l'a été.

[49]         Le Tribunal est donc disposé à accorder à la demanderesse le prix de remplacement des trois verres brisés, soit le verre Baccarat (105$), le verre à cognac (75$) et le verre à martini (75$), selon le document P-10.

[50]         Le Tribunal conclut donc de l'ensemble de la preuve que la réclamation de la demanderesse ne doit être accueillie qu'en partie.

PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL  :

ACCUEILLE en partie la demande de la demanderesse;

CONDAMNE la défenderesse à payer à la demanderesse la somme de 464,50$ avec l'intérêt au taux légal de 5% l'an et l'indemnité additionnelle prévue à l'article 1619 du Code civil du Québec à compter du 20 septembre 2011, ainsi que les frais de timbre judiciaire au montant de 100$.

 

 

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SUZANNE VADBONCOEUR, J.C.Q.

 

 

 

 

 

 

 

Date d’audience :

5 juin 2014

 



[1]     L.R.Q., c. P-40.1