A.A. c. H.L. |
2014 QCCS 5480 |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DISTRICT DE |
MONTRÉAL |
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N° : |
500-17-081435-144 |
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DATE : |
17 novembre 2014 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE : |
L’HONORABLE |
BENOÎT EMERY, j.c.s. |
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A... A... |
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-et- |
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F... L... |
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Partie demanderesse |
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c. |
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H... L... |
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Partie défenderesse |
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-et- |
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LE CURATEUR PUBLIC DU QUÉBEC ès qualités de F... L... |
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Mis en cause |
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-et- |
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R... L... , ès qualités de feue A... A... |
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Demandeur en reprise d'instance |
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JUGEMENT |
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[1] Le liquidateur R... L... au nom de sa mère feue A... A... et le Curateur public au nom de F... L... demandent l'annulation d'un contrat signé le 15 juin 2010 ainsi qu'une condamnation de 10 000 $ pour chacun des demandeurs à titre de dommages punitifs. Subsidiairement, ils demandent une diminution de 50 % à 10 % de toute somme que le défendeur pouvait recouvrir en vertu de cette entente.
[2] Le défendeur H... L...conteste cette réclamation en plaidant que le consentement de sa mère A... A... n'a jamais été vicié par la crainte, le dol ni par de fausses représentations. Quant à son père F... L..., il soumet qu'il était apte au moment où il a signé le contrat du 15 juin 2010.
I - Les parties :
[3] F... L... est âgé de 93 ans. Feue A... A... était son épouse. Elle est décédée en 2013 à l'âge de 84 ans. Il est le père et elle était la mère de H... L...(défendeur), Y... L..., Fr... L..., T... L..., B... L..., M... L..., R... L... (demandeur en reprise d'instance) et L... L....
[4] Afin de rendre plus fluide la lecture du présent jugement, le tribunal réfèrera aux enfants en les identifiant par leur prénom en soulignant qu'il ne s'agit nullement d'un manque de respect.
[5] Le 18 septembre 2012, la Cour supérieure prononçait au bénéfice du père l'ouverture d'un régime de protection pour sa personne et ses biens [1] en nommant le Curateur public qui le représente dans la présente instance.
[6] R... agit à titre de liquidateur de la succession de sa mère feue A... A....
[7] R... L... ainsi que le Curateur public réclament donc au nom d'A... A... et F... L... la nullité du contrat du 15 juin 2010 produit sous la cote P-2.
II - Les faits :
[8] Au printemps 2006, alors qu'il était âgé de 84 ans, le père fait une chute dans l'immeuble où il réside avec son épouse feue A... A.... Il se fracture la hanche.
[9] Estimant que le propriétaire de l'immeuble a engagé sa responsabilité en rendant l'endroit non sécuritaire, H... évoque la possibilité que son père et sa mère puissent réclamer une indemnité. Ses frères et sœur font savoir d'emblée qu'ils n'ont pas l'intention d'investir temps et argent dans une telle réclamation.
[10] H... qui s'occupait beaucoup de ses parents décide néanmoins d'aller de l'avant. Il fait parvenir une mise en demeure au propriétaire qui la fait suivre à son assureur AXA. Celui-ci fait une première offre de règlement d'environ 12 000 $ [2] . Il fut convenu de rejeter cette offre. AXA bonifie alors son offre en proposant 30 000 $ [3] . H... est d'avis que ses parents ont droit à une indemnité beaucoup plus élevée. Une fois de plus, il tente de convaincre ses frères et sœur mais en vain. Aucun autre frère ni sa sœur ne souhaitent investir temps et argent dans une éventuelle action contre le propriétaire et son assureur.
[11] Convaincu que ses parents ont droit à une indemnité plus élevée, H... poursuit ses démarches. À ses yeux, il est injuste que ses parents dont les revenus sont très modestes se voient privés d'une indemnité à laquelle ils ont droit. Il décide non seulement d'investir du temps mais aussi de son propre argent pour étayer la réclamation. Il convainc ses parents d'intenter une action contre le propriétaire de l'immeuble, le gestionnaire de même que l'assureur. Il les assiste et voit à ce qu'une action soit déposée le dernier jour de la prescription.
[12] Il paie de sa poche, au bénéfice de ses parents, les coûts d'une expertise médicale. Il tient informés tous ses frères et sœur en dépit de leur total désintérêt. Malgré l'institution de l'action, ceux-ci refusent toujours de s'impliquer de quelque façon.
[13] H... agit alors bénévolement au seul bénéfice de ses parents.
[14] Non seulement ses frères et sœur réitèrent leur refus de s'investir de quelque manière mais l'un d'eux l'accuse d'avoir clandestinement réglé avec l'assureur et empocher l'argent. C'est la goutte qui fait déborder le vase. H... écrit alors à tous ses frères et sœur de même qu'à ses parents pour les informer qu'il se retire totalement du dossier. Cette accusation s'avère totalement fausse.
[15] Les parents supplient H... de demeurer au dossier ce qu'il refuse catégoriquement de faire. Il est profondément insulté de cette fausse accusation alors qu'il a toujours consacré beaucoup de temps bénévolement à ses parents. Il importe de noter que le différend opposait principalement H... et R..., ce dernier étant le demandeur en reprise d'instance pour le compte de leur mère.
[16] Pour ne pas que ses parents perdent leurs droits dans l'action contre le propriétaire et son assureur, H... implore ses frères et sœur de prendre promptement la suite de cette affaire. Or, une fois de plus, aucun n'accepte de prendre la suite ni consacrer temps et argent dans cette affaire y compris R....
[17] Les parents finissent par convaincre H... de continuer à s'occuper du dossier. Celui-ci accepte mais, échaudé, il impose ses conditions. Il tient absolument à ce que ses parents reconnaissent par écrit qu'il ne s'est jamais approprié quelque somme que ce soit. De surcroît, pour éviter tout différend advenant que ses parents soient déboutés à la Cour, il consent dans cet écrit à assumer tous les débours tels que les frais d'expertise, les frais judiciaires et extrajudiciaires, les frais pour l'obtention des dossiers médicaux, etc. En revanche, il est prévu que si ses parents ont gain de cause, ceux-ci partageront avec lui 50 % des sommes obtenues par jugement ou règlement hors cour.
[18] Puisque le litige porte entièrement sur cette entente, il importe de la reproduire au long :
Entente négociée entre F... L..., A... A..., d'une part, et, d'autre part, H... L....
Compte tenu du refus individuel et collectif de nos autres enfants de prendre en charge le recours juridique intenté contre J.C Bleau et Progim ou d'y contribuer monétairement; nous, F... L... et A... A..., sommes parvenus à une entente négociée avec notre fils H... L...selon les termes suivants :
1) Nous reconnaissons que l'idée de tenir le propriétaire J.C. Bleau et le gestionnaire Progim responsables des dommages que nous avons subis émane de notre fils H... L..;
2) À plusieurs reprises, la demande de collaboration ou de contribution financière que H... a adressée à ses frères et sœur reste sans réponse positive;
3) Du 26 mai 2006 à nos jours, H... est le seul à entreprendre toutes les démarches et à payer toutes les factures;
4) De plus, notre fils H... L... s'engage à assumer les autres dépenses telles: les frais d'expertise médico-légale, les frais d'enregistrement de la requête, les frais de dossiers médicaux et les honoraires de Me Myriam Moussignac advenant le rejet de notre requête par le tribunal,
5) Suite aux réunions familiales du 24 mai, 5 juin et 12 juin 2010, nous déclarons sans fondement les allégations relatives au manque de transparence, au refus d'accepter l'offre finale qu'on croyait disponible, au vol d'une somme d'argent hypothétique qu'on espérait recevoir de l'assureur du propriétaire et nous déclarons erronée l'interprétation d'une des clauses de la procuration qu'on croyait autoriser notre fils H... L...à s'approprier de tout montant d'argent qui proviendrait du dossier juridique;
6) Nous assumons la responsabilité des serments qu'il a proférés suite aux fausses accusations énoncées précédemment;
7) Tenant compte des préjudices qu'il a subis et du risque financier encouru, nous acceptons de partager à part égale (50%) avec note fils H... L...toute somme d'argent provenant du dossier juridique , advenant que le tribunal accueille favorablement notre requête ou qu'une entente hors cour soit conclue avec la partie adverse;
8) Nous comprenons que toutes les dépenses y afférentes doivent être déduites avant le calcul des 50%;
9) Investi de notre pleine confiance, notre fils H... L... n'est pas obligé de faire rapport à ses frères et sœur ;
10) Nous demandons à chacun de nos enfants de respecter notre décision de confier ce dossier à notre fils H... L...selon les termes de ladite entente;
11) Nous, F... L... et A... A... avons lu, compris et accepté les termes de ladite entente et avons signé devant témoins.
Fait à Montréal, le mardi 15 juin 2010
(s) F... L... (s) A... A...
(s) H... L...
Témoins
(s) T... L... (s) M... L...
[19] L'action [4] intentée par Me Myriam Moussignac au nom du père et de la mère recherche une condamnation de 300 000 $.
[20] Les parties finissent par régler hors cour. Les parties signent une transaction le 17 janvier 2012. En vertu de ce règlement, l'assureur consent à payer 110 520 $ en capital, intérêts et frais. L'assureur émet un chèque à l'ordre de Me Myriam Moussignac en fidéicommis. À même cette somme et avec l'accord de ses clients, Me Moussignac encaisse 15 000 $ pour ses honoraires extrajudiciaires. Il subsiste toutefois un différend quant à des honoraires additionnels. Ce différend se transportera au Barreau du Québec. Un litige subsiste toujours si bien qu'à l'heure actuelle, Me Myriam Moussignac détient encore dans son compte en fidéicommis 95 520 $.
[21] Théoriquement, selon l'entente P-2, H... aurait droit à 47 760 $ soit 50 % de 95 520 $.
[22] À l'instigation de R..., les parents ont alors intenté la présente action en nullité de l'entente P-2.
[23] Dans l'intervalle, la mère A... A... est décédée le 4 décembre 2013 alors que la Cour supérieure a prononcé le 18 septembre 2012 un régime de protection visant F... L... qui est représenté dans la présente instance par le Curateur public.
III - Prétentions des parties :
A) Prétentions des demandeurs :
[24] Le Curateur public plaide au nom du père que celui-ci était inapte lors de la signature de l'entente P-2 en juin 2010 même si ce n'est que le 18 septembre 2012 que la Cour supérieure a prononcé l'ouverture d'un régime de protection. Selon lui, les premiers signes d'un problème de santé mentale du père remontent aussi loin qu'en 2006.
[25] R... ajoute que H... a profité de cette vulnérabilité pour l'inciter à signer l'entente P-2 en juin 2010.
[26] Quant à la mère, R... soumet que son consentement en juin 2010 n'était ni libre ni éclairé. Il ajoute que son frère H... a fait de fausses représentations quant aux risques financiers que représentait la réclamation contre le propriétaire et l'assureur. Il soumet aussi que sa menace de se retirer du dossier constituait une crainte viciant le consentement de sa mère.
[27] Il fait valoir que la rétribution de 50 % de toutes sommes obtenues de la partie adverse est déraisonnable et constitue une exploitation à l'endroit de deux personnes âgées en violation de la Charte des droits et libertés de la personne :
48 . Toute personne âgée ou toute personne handicapée a droit d'être protégée contre toute forme d'exploitation. Telle personne a aussi droit à la protection et à la sécurité que doivent lui apporter sa famille ou les personnes qui en tiennent lieu.
[28] Quant au Code civil, R... invoque les dispositions suivantes :
1399 . Le consentement doit être libre et éclairé. Il peut être vicié par l'erreur, la crainte ou la lésion.
1401
. L'erreur d'une partie, provoquée par le
dol de l'autre partie ou à la connaissance de celle-ci, vicie le consentement
dans tous les cas où, sans cela, la partie n'aurait pas contracté ou aurait
contracté à des conditions différentes.
Le dol peut résulter du silence ou d'une réticence.
1402 . La crainte d'un préjudice sérieux pouvant porter atteinte à la personne ou aux biens de l'une des parties vicie le consentement donné par elle, lorsque cette crainte est provoquée par la violence ou la menace de l'autre partie ou à sa connaissance.
Le préjudice appréhendé peut aussi se rapporter à une autre personne ou à ses biens et il s'apprécie suivant les circonstances.
1403 . La crainte inspirée par l'exercice abusif d'un droit ou d'une autorité ou par la menace d'un tel exercice vicie le consentement.
1404 . N'est pas vicié le consentement à un contrat qui a pour objet de soustraire celui qui le conclut à la crainte d'un préjudice sérieux, lorsque le cocontractant, bien qu'ayant connaissance de l'état de nécessité, est néanmoins de bonne foi.
1405 . Outre les cas expressément prévus par la loi, la lésion ne vicie le consentement qu'à l'égard des mineurs et des majeurs protégés.
1406 . La lésion résulte de l'exploitation de l'une des parties par l'autre, qui entraîne une disproportion importante entre les prestations des parties; le fait même qu'il y ait disproportion importante fait présumer l'exploitation.
Elle peut aussi résulter, lorsqu'un mineur ou un majeur protégé est en cause, d'une obligation estimée excessive eu égard à la situation patrimoniale de la personne, aux avantages qu'elle retire du contrat et à l'ensemble des circonstances.
1407 . Celui dont le consentement est vicié a le droit de demander la nullité du contrat; en cas d'erreur provoquée par le dol, de crainte ou de lésion, il peut demander, outre la nullité, des dommages-intérêts ou encore, s'il préfère que le contrat soit maintenu, demander une réduction de son obligation équivalente aux dommages-intérêts qu'il eut été justifié de réclamer.
1408 . Le tribunal peut, en cas de lésion, maintenir le contrat dont la nullité est demandée, lorsque le défendeur offre une réduction de sa créance ou un supplément pécuniaire équitable.
[29] R... plaide que son frère n'a rendu aucune prestation de service justifiant une rétribution de 50 % des sommes recouvrées de la partie adverse. D'ailleurs, il souligne que jusqu'en juin 2010, H... s'occupait du dossier bénévolement. Il avait déjà reçu avant même d'intenter une action une première offre de 12 000 $ suivie d'une seconde de 30 000 $.
[30] R... soumet qu'en dépit de ce qui est mentionné à l'entente P-2, H... n'encourait aucun risque financier puisque Me Myriam Moussignac devait être payée seulement si elle recouvrait des sommes d'argent. Il plaide alors qu'il y a eu fausses représentations et donc dol auprès de ses parents.
B) Prétentions du défendeur H... L... :
[31] H... reconnaît d'emblée qu'il s'occupait du dossier bénévolement jusqu'en juin 2010. Toutefois, il n'avait aucune obligation de continuer à le faire après qu'on l'ait faussement accusé de fraude.
[32] H... soumet que n'eut été de son acharnement en dépit du désintérêt et de l'indifférence totale de ses frères et sœur relativement à cette réclamation, les parents n'auraient obtenu aucune somme d'argent alors qu'il a réussi à obtenir de l'assureur 110 520 $ ce qui, même en tenant compte de la rétribution, représente un gain de 47 760 $ advenant que les honoraires extrajudiciaires de Me Myriam Moussignac soient limités au 15 000 $.
[33] Il plaide que ce gain net de 47 760 $ au bénéfice de ses parents ne peut en aucun cas être qualifié d'exploitation auprès de personnes âgées.
[34] Tel qu'il apparaît de l'entente P-2, il était entendu qu'advenant le rejet de la réclamation, il assumait seul tous les débours afférents à cette réclamation soit les frais d'expertise, les frais judiciaires, les frais de dossiers médicaux de même que les honoraires extrajudiciaires de Me Myriam Moussignac.
[35]
H... fait valoir qu'il n'a nullement dépouillé ses parents de leurs
actifs mais qu'il souhaitait simplement être rétribué advenant qu'il soit
capable de recouvrir de l'argent de la part de l'assureur. Encore là, il
souligne qu'il ne s'agit pas d'une forme d'exploitation au sens de l'article
IV - Discussion :
[36] Il importe de situer le présent litige dans la conjoncture qui régnait à l'époque.
[37] À la suite de la chute du père en 2006, seul H... avait évoqué la possibilité de réclamer des dommages auprès du propriétaire. Pendant près de trois ans, il a tenté en vain d'impliquer et d'intéresser l'un ou l'autre de ses huit frères et sœur. Vu le désintérêt et l'indifférence de tous ses frères et sœur, il a pris sur lui l'initiative de faire parvenir une lettre de mise en demeure [5] ce qui a entrainé la prise en charge de ce dossier par l'assureur AXA au nom du propriétaire.
[38] Avant même qu'une action soit intentée, AXA a présenté une offre de 12 000 $ [6] . Cette offre était valable que pour une durée de sept jours. Après avoir consulté ses frères et sœur, il fut convenu de rejeter cette offre mais de présenter une contre-offre de 50 000 $. Le 27 avril 2010, AXA refusait cette contre-offre en se disant toutefois prête à verser 30 000 $ en capital, intérêts et frais [7] . Cette offre n'était valable que pour une durée de trois jours.
[39] Constatant qu'il avait suscité une offre de 30 000 $ avant même d'impliquer un avocat, H... se disait qu'il pourrait obtenir plus d'argent pour ses parents. L'offre de 30 000 $ a donc été refusée. H... a alors entrepris de documenter la réclamation au bénéfice de ses parents. Il a notamment approché Me Myriam Moussignac. Malgré ses démarches, aucun de ses frères et sœur ne voulait s'impliquer dans ce dossier.
[40] N'eut été d'une accusation de fraude de la part d'un membre de sa famille, H... aurait probablement continué à travailler bénévolement dans ce dossier. La preuve a clairement démontré qu'entre mai 2006 et juin 2010, H... n'a jamais eu l'intention de tirer quelque avantage pécuniaire en rapport avec ce dossier. La fausse accusation de fraude l'a profondément touché et insulté.
[41] Cette fausse accusation pousse H... à se retirer du dossier [8] . Le tribunal observe qu'à cette date, H... n'a pas tenté de négocier le prolongement de son implication dans le dossier. Il a simplement avisé ses frères et sœur qu'il se retirait du dossier. Il les a néanmoins imploré de prendre la suite [9] afin que les droits de leurs parents ne soient pas compromis. Dans un courriel du 14 juin 2010 [10] , H... énumère en détail tout ce que le nouveau mandataire devra faire pour prendre la suite.
[42] Dans un ultime effort pour impliquer l'un ou l'autre de ses frères et sœur, H... fait parvenir un dernier courriel [11] le 15 juin 2010 indiquant que si personne ne se manifeste, il fera parvenir une lettre le lendemain à Me Moussignac lui demandant de fermer le dossier.
[43] Dans l'intervalle, les parents implorent H... de continuer à s'occuper de cette réclamation.
[44] C'est dans ce contexte bien précis et face à l'indifférence totale de ses frères et sœur que H... souhaite d'abord et avant tout sauver son honneur. Il demande alors à ses parents s'ils sont disposés à signer un écrit dans lequel ils reconnaissent la fausseté des accusations de fraude.
[45] Afin d'éviter tout autre différend avec ses frères et sœur, l'entente prévoit d'une part qu'il s'engage à assumer seul tous les débours afférents à cette action advenant le rejet par le tribunal. En revanche, il est prévu que les sommes recouvrées seront partagées à parts égales entre les parents d'une part et H... d'autre part.
[46] À cette date, il est important de souligner qu'il est manifeste que tous les membres de la famille ne croient pas à cette réclamation.
[47] C'est ainsi que le 15 juin 2010, H... s'est présenté avec l'entente P-2. Voulant éviter quelque problème, il suggère à ses parents de faire intervenir deux de ses frères comme témoins. Les parents communiquent alors avec T... et M... qui se présentent aussitôt chez eux.
[48] Ceux-ci ont témoigné au procès en affirmant que H... a expliqué tant en français qu'en créole chacun des paragraphes de cette entente. Tout comme H..., T... et M... affirment que ses parents comprenaient bien la teneur de cette entente. De surcroît, ils ont confirmé qu'ils étaient d'accord avec ce partage à 50 %. Fr... et B... ont également témoigné au procès en affirmant eux aussi qu'ils étaient d'accord avec ce partage à 50 %.
[49] En fait, outre R..., il appert que seul L... ait manifesté quelque réticence face à ce partage sans toutefois qu'il s'y oppose formellement.
[50] Il ressort de la preuve que tous les frères et sœur à l'exception de H... ne croyaient pas en cette réclamation. Visiblement, ils estimaient que leurs parents n'obtiendraient pas beaucoup plus que 30 000 $ avec même le risque que l'action soit rejetée.
[51] Ce n'est que lorsque l'action a été réglée pour 110 520 $ en janvier 2012 que R... s'est insurgé en réalisant que son frère H... pourrait obtenir 50 % de cette somme une fois les honoraires de Me Myriam Moussignac payés. R... a alors convaincu ses parents d'intenter la présente action en nullité de l'entente P-2.
[52] Il reste maintenant à déterminer si le père F... L... était inapte au moment où il a signé l'entente P-2 le 15 juin 2010 et si le consentement de la mère, A... A..., était vicié.
[53] Au soutien de ses prétentions, le Curateur public a fait entendre Alain St-Arnaud, neuropsychologue. L'expert a vu le père pour la première fois le 27 juillet 2006 et l'a revu les 21 et 28 août 2006. Déjà à cette époque, l'expert observe une évolution cognitive problématique depuis plusieurs mois. L'évaluation montre des troubles au niveau des mécanismes attentionnels, de la mémoire d'encodage et d'évocation (avec interférence proactive) et des capacités d'abstraction et de conceptualisation. Selon l'expert, il s'agissait déjà d'une condition irréversible.
[54] Sa situation s'est encore détériorée à la suite d'un accident vasculaire en avril 2010, soit deux mois avant qu'il signe l'entente P-2.
[55] À la demande du tribunal, l'expert a pris connaissance de l'entente P-2. Selon lui, le père était alors incapable d'en saisir ni la teneur ni la portée.
[56] Même si ce n'est qu'en 2012 que la Cour supérieure fut saisie d'une requête visant l'ouverture d'un régime de protection, laquelle requête a été accueillie le 18 septembre 2012 [12] , le neuropsychologue affirme que le père était inapte au moment où il a signé l'entente P-2 le 15 juin 2010.
[57] Il n'y a aucune contre-expertise soumise à l'encontre de cette opinion.
[58] Même si le tribunal n'est pas lié par l'opinion d'un expert, il doit avoir des motifs sérieux pour l'écarter [13] . Or, H... n'a pas convaincu le tribunal qu'il devait écarter cette expertise.
[59] Conséquemment, le tribunal conclut qu'en date du 15 juin 2010, F... L... était inapte lorsqu'il a signé l'entente P-2 même si H... a tenté de lui expliquer sa teneur tant en français qu'en créole.
[60] Il reste maintenant à déterminer si le consentement de feue A... A... a été vicié à cette même date.
[61] R... soumet en premier lieu que leur mère a signé sous la contrainte vu la menace de H... de ne plus s'occuper de la réclamation. Le tribunal ne partage pas cette opinion. H... a effectivement annoncé qu'il se retirait du dossier en exhortant toutefois ses frères et sœur de prendre la suite ce qu'ils n'ont jamais voulu faire.
[62] H... avait été profondément insulté et affligé par les fausses accusations d'un membre de la famille. Dans son esprit, il était hors de question qu'il continue de s'occuper de ce dossier vu le bris du lien de confiance. C'est à la demande expresse de ses parents qui l'ont imploré de reprendre le dossier que H... a finalement consenti. Ainsi, il est faux de prétendre que la décision de H... dans les circonstances puisse être assimilée à de la crainte au sens du Code civil.
[63] R... plaide ensuite qu'il y a eu dol en ce que H... aurait faussement représenté que le risque financier qu'il prenait justifiait une rétribution de 50 % des sommes recouvrées. Selon R..., il n'existait aucun risque financier puisqu'il prétend que Me Myriam Moussignac ne serait payée que si elle recouvrait des sommes de l'assureur. Or, force est de constater que la preuve à ce sujet n'est pas du tout probante. D'ailleurs, Me Moussignac a déjà encaissé 15 000 $ en honoraires extrajudiciaires. Quant au solde, s'il y en a un, le différend ne semble toujours pas réglé.
[64]
R... n'a pas réussi à démontrer que le consentement de feue A... A...
n'a pas été donné de façon libre et éclairée au sens de l'article
[65] R... plaide qu'il est illégal sinon immoral de réclamer à ses parents 50 % des sommes qu'il pourrait recouvrer d'une action pour dommages corporels.
[66]
R... ajoute qu'il y a violation de l'article
[67] Il est vrai qu'en théorie et en apparence, il peu paraître immoral voire illégal qu'un enfant s'entende avec ses parents pour obtenir 50 % de toute somme qu'il pourrait recouvrer dans le cadre d'une action en dommages corporels. Il n'y a qu'un pas à franchir pour conclure qu'il y a exploitation au sens de la Charte des droits et libertés de la personne . Toutefois, en raison des faits singuliers de la présente affaire, le tribunal ne franchit pas ce pas.
[68]
Dans la cause de
Jeanne Vallée
[14]
,
la Cour d'appel se prononçait en 2005 sur le sens donné à l'article
[23]
Je suis d’avis que l’article
[24]
En ce sens, l’article
[25]
Les facteurs suivants militent en
faveur d’une interprétation large du droit énoncé à l’article
[26] Les règles usuelles d’interprétation : Le caractère quasi constitutionnel conféré à la Charte justifie une interprétation large et libérale de ses dispositions pour favoriser le plein accomplissement des droits qui y sont prévus . Ce principe emporte la conséquence que la personne âgée a droit d’être protégée contre toute forme d’exploitation même si, du strict point de vue des règles de droit civil, son consentement est valide ou encore lorsqu’elle ne satisfait pas les conditions pour être déclarée inapte.
[29]
L’insuffisance des dispositions
du Code civil du Québec
: Les différentes mesures prévues au Code civil ne
permettent pas d’apporter une solution adéquate et satisfaisante aux
différentes formes d’exploitation dont peuvent être victimes les personnes
âgées ou les personnes handicapées. Une interprétation large de l’article
[36]
Il faut saluer le choix du Tribunal
des droits de la personne de souscrire à une interprétation large de l’article
La lésion résulte de l’exploitation de l’une des parties par l’autre, qui entraîne une disproportion importante entre les prestations des parties; le fait même qu’il y ait disproportion importante fait présumer l’exploitation.
[37]
Le Tribunal assimile donc le régime
prévu à l’article
L’évolution du droit civil québécois est donc, en
matière de lésion, remarquable. Elle permet de faire certaines constatations.
La première est que, sous le Code civil du Bas-Canada, ce n’est qu’une partie
de la jurisprudence qui a utilisé la discrétion conférée par certaines
dispositions comme l’article 1040c C.c.B.C. pour intervenir avec vigueur dans
les situations lésionnaires.
La seconde est qu’au-delà de la conception
traditionnelle de la lésion, dont la portée est certes limitée par l’article
[41]
À mon avis, l’article
[46]
Je suis d’accord qu’une personne
âgée, même vulnérable, conserve l’entier contrôle de ses biens et qu’elle en
dispose, selon sa volonté et même à son détriment. En revanche, lorsque la
personne âgée est victime d’exploitation, elle a le droit strict d’en être
protégée, dans toutes les situations, y compris celles où elle n’est pas
juridiquement inapte. Ce n’est donc pas la seule condition de vulnérabilité
d’une personne âgée qui fonde le recours en vertu de l’article
[69] Le tribunal retient que pour conclure à de l'exploitation, il doit y avoir une forme d'appauvrissement et de dépouillement qui mène à un enrichissement d'une autre personne. Or, même s’il peut y avoir enrichissement de la part de H..., le tribunal est d'avis que ses parents n'ont pas été dépouillés. N'eut été de l'acharnement de H... entre 2006 et 2012, ses parents n'auraient jamais obtenu d'argent. Si aujourd'hui, ils se retrouvent plus riches d'environ 50 000 $ net, c'est uniquement grâce à la persévérance de H... qui pendant des années contre vents et marées a fait face à l'indifférence totale de ses frères et sœur.
[70] Le tribunal rappelle d'ailleurs qu'entre 2006 et juin 2010, H... a agi de façon totalement bénévole. Ce n'est qu'après avoir été faussement accusé de fraude, que H... a voulu mettre les pendules à l'heure en rédigeant l'entente P-2. Le tribunal est donc d'avis que ses parents n'ont pas été dépouillés d'une somme d'environ 50 000 $ et qu'ils sont aujourd'hui plus riches de cette somme grâce à leur fils H.... Le tribunal conclut que celui-ci n'a donc pas exploité ses parents au sens de la Charte .
[71] Puisque l'entente du 15 juin 2010 est inopposable à F… L… en raison de son inaptitude d'y consentir, celui-ci pourra recouvrer sa part du 110 520 $ obtenu de l'assureur sans à payer à H... la commission de 50 % prévue à cette entente.
[72] Cela signifie que H... a droit de recouvrer 50 % seulement de l'autre part qui revient à la succession d'A... A..., une fois que les honoraires de Me Myriam Moussignac auront été établis et le cas échéant payés.
[73] Pour les fins du présent litige, le tribunal fixe à 50 % la part de feue A... A... à l'égard de l'indemnité de 110 520 $ versée par l'assureur dans la cause portant le numéro 500-17-061137-108.
[74] Puisqu'en raison des faits singuliers de la présente affaire, le tribunal estime qu'il n'y a pas d'abus de la part de H... et qu'il n'y a donc pas eu exploitation de ses parents, le tribunal rejette la demande de réduire le pourcentage dû à H... en vertu de l'entente du 15 juin 2014.
[75] Vu ce qui précède, la réclamation en dommages punitifs doit être rejetée sans frais.
[76] POUR CES MOTIFS, le tribunal :
[77] DÉCLARE l'entente P-2 du 15 juin 2010 inopposable à F... L... en autant qu'il est concerné puisqu'il était inapte au moment de la signature de cette entente;
[78] REJETTE l'action en nullité de cette entente en autant que la succession d'A... A... est concernée puisque le consentement de celle-ci n'était pas vicié;
[79] REJETTE la demande visant à réduire le pourcentage dû à H... en vertu de l'entente du 15 juin 2010;
[80] DÉCLARE que H... L...a le droit de recouvrer 50 % seulement de la part revenant à la succession d'A... A... du 110 520 $ obtenu lors de la transaction du 17 janvier 2012 dans le dossier 500-17-061137-108 une fois que les honoraires de Me Myriam Moussignac auront été établis et le cas échéant payés;
[81] REJETTE la réclamation pour dommages punitifs;
[82] LE TOUT sans frais de part et d'autre.
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__________________________________ BENOÎT EMERY, j.c.s. |
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Me R. Gauld Joseph |
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Procureur de la partie demanderesse et |
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De la partie demanderesse en reprise d'instance |
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Me Hanh Bao Lam |
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Procureur de la partie défenderesse |
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Me Saturnino Gennaro Iadeluca |
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Iadeluca, Iadeluca |
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Procureur de la partie mise en cause |
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Date d’audience : |
9, 10 et 11 septembre 2014 |
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[1] . Jugement produit sous la cote P-6.
[2] . Pièce P-10.
[3] . Pièce P-11.
[4] . Pièce P-4, 500-17-061137-108
[5] . Mise en demeure du 26 mai 2006 - pièce P-8.
[6] . Pièce P-10.
[7] . Pièce P-11.
[8] . Courriel du 7 juin 2010 produit sous la cote D-1.
[9] . Courriel du 8 juin 2010 produit sous la cote D-2, courriel du 13 juin 2010 produit sous la cote D-3.
[10] . Pièce D-4.
[11] . Pièce D-5.
[12] . Pièce P-6.
[13]
.
Art.
[14]
. Jeanne Vallée