[1] L'appelant se pourvoit contre le jugement de la Cour du Québec, district de Longueuil (l'honorable Claude Laporte), qui, en date du 8 février 2013, accueille pour partie l'action en responsabilité civile intentée à l'intimée et condamne celle-ci à des dommages-intérêts de 3 000 $.
[2] L'intimée se pourvoit contre le même jugement, par appel incident.
* *
[3] L'appelant, professeur dans un collège d'enseignement général et professionnel, est congédié le 19 juillet 2007, en raison du harcèlement psychologique auquel il s'est livré à l'endroit de certains collègues [1] . L'employeur impose cette sanction disciplinaire sur la foi de trois rapports d'enquête, dont deux rédigés par l'intimée.
[4] L'employeur a adopté une Politique pour contrer le harcèlement psychologique en milieu de travail , politique dont la facture laisse à désirer à certains égards et n'est pas étrangère au débat qui oppose les parties. Outre les affirmations usuelles en la matière, découlant des dispositions de la Loi sur les normes du travail [2] et reconnaissant le droit de chaque salarié à un environnement de travail sain et exempt de harcèlement, cette politique établit un modus operandi en deux parties pour le traitement des situations de harcèlement. Au niveau I (voir la section 6 de la politique), on gère les différends de manière informelle, grâce à l'intervention d'une personne-ressource. Au niveau II (voir la section 7 de la politique, la personne qui s'estime victime de harcèlement psychologique peut faire une plainte formelle, qui donnera lieu à la mise en place d'un comité d'enquête de trois personnes (deux enquêteurs externes et un représentant de la catégorie de personnel à laquelle appartient le plaignant [3] ). Ce comité fera rapport à l'employeur, qui décidera des suites de l'affaire, incluant des sanctions disciplinaires, si harcèlement psychologique il y a eu.
[5] En l'occurrence, un tel comité est formé afin d'enquêter sur les plaintes de harcèlement que deux collègues ont portées contre l'appelant. Il enquêtera également sur les plaintes de même nature formulées par ce dernier.
[6] Dans ce cadre, les services de l'intimée sont retenus par l'employeur, aux termes de deux contrats de service, afin qu'elle procède à l'enquête, en compagnie des deux autres membres du comité. L'intimée assume la coordination de ce comité, dont elle est la responsable.
[7] Au terme de cette enquête, l'intimée rend deux rapports. L'un conclut que l'appelant a bel et bien harcelé psychologiquement les plaignants, l'autre conclut au rejet de ses propres plaintes.
[8] L'appelant poursuit l'intimée en responsabilité civile (extracontractuelle), lui reprochant divers manquements procéduraux dans la conduite de son enquête et lui imputant la responsabilité de son congédiement, alors qu'elle a, par son rapport, avalisé des allégations mensongères et erronées. L'appelant réclame des dommages-intérêts de 65 000 $.
[9] Le juge de première instance accueille l'action pour partie. Il estime que l'intimée a manqué aux obligations que lui imposait la politique de l'employeur de même qu'aux obligations découlant de ses contrats de service. Conformément à ces instruments, elle devait assurer l'équité du processus d'enquête, forme d'équité procédurale qu'elle a enfreinte à diverses reprises : refus de transmettre à l'appelant les plaintes formulées contre lui, refus de lui remettre une copie de la politique, refus de lui transmettre la version des faits des témoins et des plaignants, défaut de s'assurer que l'enquête soit menée par les mêmes personnes du début à la fin (il appert en effet que sa co - enquêteuse initiale s'est retirée en cours de route et qu'elle a été remplacée par une autre personne), demande indue d'un engagement de confidentialité écrit, avis de convocation tardifs, insuffisance du rapport relatif aux plaintes formulées contre l'appelant.
[10] D'avis que ces manquements ont causé un préjudice moral à l'appelant et qu'aucune immunité ne protège l'intimée, le juge condamne cette dernière à verser 3 000 $ au premier. L'appelant, écrit le juge au paragr. 179 de son jugement, « s'est senti diminué en raison du sentiment d'injustice qu'il a éprouvé durant tout le processus ».
[11] Le juge rejette par contre les réclamations relatives au congédiement. Il refuse également les dommages punitifs puisque l'intimée, conclut-il, quoiqu'elle ait erré, n'a pas agi de mauvaise foi.
[12] C'est de ce jugement dont les parties interjettent appel.
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[13] Selon l'appelant, le juge de première instance a gravement sous-estimé l'importance des fautes de l'intimée (dont la mauvaise foi serait patente), ainsi que le préjudice qu'elles lui ont causé. Il lui reproche l'insignifiance du montant des dommages qui lui ont été accordés et réclame les dommages punitifs qui lui ont été refusés.
[14] Son mémoire reproche également au juge d'avoir retenu que l'intimée était impliquée dans deux des cinq rapports mentionnés dans la lettre de congédiement de l'employeur, alors qu'elle est l'auteure de quatre de ces rapports. Il ajoute que les conclusions desdits rapports ne tiennent pas et sont infirmées dans tous les cas par la décision administrative qui reconnaît son droit à des prestations d'assurance-emploi, les autorités ayant conclu qu'aucune inconduite ne pouvait lui être reprochée, vu le fait que le congédiement n'a pas été précédé d'avertissements verbaux ou écrits relatifs à son comportement.
[15] Il demande par ailleurs que l'employeur retire de ses dossiers les rapports de l'intimée.
[16] Il exige aussi que la Cour sanctionne le Barreau du Québec « pour ses accrocs au Code de déontologie et au Code des professions » [4] . Il appert en effet que le Barreau a refusé de se saisir de la plainte formulée par l'appelant contre l'intimée, au motif que celle-ci, dans le cadre de l'enquête qu'elle a menée pour le compte de l'employeur, n'agissait pas comme avocate. Dans le même temps, pourtant, le Fonds d'assurance responsabilité du Barreau a accepté de défendre l'intimée. L'appelant voit là une répréhensible incohérence.
[17] Enfin, il estime que l'appel incident doit être rejeté, car abusif et dilatoire. Les arguments qu'il fait valoir sont une manière de renforcer son propre appel. Ainsi, non seulement l'intimée a-t-elle manqué à ses obligations en n'accordant pas à l'appelant un délai raisonnable pour se défendre contre les plaintes portées contre lui et en refusant « de lui fournir les faits qui sous-tendent les allégations des plaignants » [5] , mais elle n'a pas vérifié le bien-fondé des allégations de harcèlement, « a manipulé secrètement le contenu des plaintes sans en faire état dans ses rapports » [6] , « a menti à l'appelant » [7] , « n'a procédé à aucune enquête » [8] et autres. Elle aurait de surcroît indûment retranché ou ajouté des faits aux plaintes, n'aurait pas pris la peine de vérifier les allégations des plaignants et aurait généralement tenté de nuire à l'appelant. À tout le moins, elle se serait conduite envers lui d'une manière délibérément insouciante et négligente.
[18] Cet appel se heurte ici à la norme d'intervention applicable en appel. Les moyens qu'il plaide ne sont que de fait. En pareil cas, seule une erreur manifeste et dominante pourrait permettre de modifier le jugement de première instance [9] . C'est l'appelant qui porte le fardeau de démontrer l'existence d'une telle erreur, fardeau dont il ne se décharge pas en l'espèce.
[19] Les moyens qu'il avance sont en effet vagues, généraux ou alors mal fondés à l'évidence. Par exemple, la décision des autorités de l'assurance-emploi n'a et ne peut avoir aucun impact sur l'issue du débat (que ce soit en première instance ou en appel) et elle est sans rapport avec l'enquête menée par l'intimée. Rien d'autre ne permet de conclure que l'intimée (même si elle a pu commettre certaines erreurs - nous y reviendrons) a agi de mauvaise foi, qu'elle a menti à l'appelant, refusé de faire enquête, trafiqué les allégations des plaignants ou manipulé quiconque.
[20] L'appelant s'acharne par ailleurs sur des points qu'il estime déterminants, sans que l'on puisse exactement comprendre l'importance ou l'intérêt du reproche. Ainsi s'en prend-il aux dates inscrites dans l'une des plaintes, concernant des actes qui se seraient produits, dans un cas, le 22 novembre 2006 et, dans l'autre, les 25, 26 et 27 novembre 2006. Or, il est impossible de conclure quoi que ce soit à ce sujet, car ce n'est pas tant la date des événements qui importe que le fait qu'ils soient survenus. Selon l'appelant, le fait que l'intimée n'a pas corrigé ces dates dans son rapport montrerait qu'elle n'a pas enquêté correctement sur ces allégations qu'il lui aurait été facile de démentir si elle s'en était donné la peine. Malheureusement, la documentation reproduite au dossier d'appel ne permet pas de tirer cette inférence.
[21] Pour le reste, ce que souhaite l'appelant équivaut à demander une reprise du procès. Or, ce n'est pas le rôle d'une cour d'appel [10] .
[22] Finalement, il n'est pas besoin de s'attarder aux conclusions recherchées à l'endroit de l'employeur ou du Barreau du Québec, qui n'étaient pas parties à l'instance devant la Cour du Québec, ne le sont pas devant notre cour et ne peuvent y être mis en cause à ce stade. Les ordonnances que recherche l'appelant à leur endroit ne sont en rien rattachées au débat qui s'est déroulé en première instance et ne trouvent aucun fondement dans la preuve ou le droit.
[23] Pour ces raisons, il y aura lieu de rejeter l'appel principal.
* *
[24] Il conviendra par contre de faire droit à l'appel incident.
[25] En l'espèce, la seule question que devait se poser le juge de première instance était la suivante : dans l'exécution de la mission d'enquête que lui a confiée l'employeur, par contrat, en vertu de la politique adoptée afin de contrer le harcèlement psychologique au travail, l'intimée a-t-elle manqué aux obligations qui lui incombaient et commis une faute de nature à engendrer sa responsabilité civile extracontractuelle envers l'appelant, sujet de cette enquête?
[26] Dans les circonstances, on ne peut répondre à cette question en renvoyant simplement aux règles de l'équité procédurale que connaît le droit administratif et public. Ce concept ne s'impose pas à l'employeur (même public) qui fait enquête en vue 1º de décider s'il y a une situation de harcèlement psychologique et 2º d'y remédier, le cas échéant, notamment par l'imposition d'une sanction disciplinaire (pouvant aller jusqu'au congédiement). C'est là l'enseignement de la jurisprudence [11] .
[27] Une telle enquête, même menée par une tierce personne à qui l'employeur confie la mission de vérifier les faits allégués dans une plainte de harcèlement psychologique, est intrinsèquement reliée à l'exercice du pouvoir patronal de gestion et de discipline. Elle n'a pas à être soumise à des exigences comparables à celles qui s’imposent devant, par exemple, le comité de discipline d'un ordre professionnel (qui exerce des fonctions juridictionnelles). Il ne s'agit pas non plus d'un processus contradictoire semblable à celui qui a cours devant les tribunaux administratifs ou judiciaires.
[28] Cela dit, l'employeur peut, bien sûr, choisir de se doter d'une politique qui incorpore à son processus d'enquête disciplinaire les règles de la justice naturelle ou de l'équité procédurale ou certaines d'entre elles. Il peut prévoir des balises modelées sur ces règles ou s'en inspirer plus ou moins librement et de plus ou moins près. Il peut s'imposer des normes de conduite ou les imposer aux personnes qu'il charge de faire enquête pour son compte ou en son nom.
[29] La violation des règles auxquelles l'employeur décide ainsi de s'astreindre pourra avoir diverses conséquences, selon les circonstances. Ainsi, la validité de la sanction disciplinaire imposée par l'employeur pourrait, dans certains cas, s'en trouver affectée (pensons au contexte d'un arbitrage de grief). Que cette violation puisse entraîner la responsabilité civile de son auteur n'est pas exclu non plus.
[30] Ajoutons d'ailleurs que le domaine des enquêtes de cette sorte n'échappe pas aux règles ordinaires de la responsabilité civile. Même en l'absence de toute politique patronale, si une enquête bâclée mène à une sanction disciplinaire imméritée et préjudiciable, la responsabilité civile de l'employeur ou celle des personnes chargées de l'enquête en question peut être engagée dans la mesure où faute il y aurait (que cette faute soit contractuelle ou extracontractuelle, son existence et sa réparation pouvant par ailleurs dépendre de règles propres au droit du travail).
[31] Qu'en est-il en l'espèce?
[32] Le collège qui employait l'appelant a adopté une politique prévoyant entre autres la tenue d'une enquête sur les plaintes formulées par les personnes qui s'estiment victimes de harcèlement psychologique. Cette politique prévoit le recours à un comité d'enquête formé de deux membres externes et d'un membre interne. Il impose à ces personnes et, en particulier à la coordonnatrice du comité, de voir à l'« équité du processus » et précise certaines formalités destinées à assurer celle-ci (voir annexe VI de la politique, ainsi que sa clause 11.7).
[33] Il n'y a pas lieu pour autant, au vu du langage dont use cette politique, de conclure qu'elle impose le respect intégral du concept d'équité procédurale, tel qu'il a pu être développé en droit public, et moins encore qu'elle impose le respect des règles qui seraient de mise devant un organisme exerçant des fonctions juridictionnelles.
[34] La politique, par ailleurs, ne contient rien qui permette de transformer l'enquête en un processus contradictoire, avec toutes les garanties inhérentes à un tel processus.
[35] Enfin, les termes de la politique sont assez larges pour laisser aux enquêteurs une certaine latitude, et même une latitude certaine, dans les manières de faire. Il suffisait alors que l'intimée agisse de manière raisonnable.
[36] Or, de l'avis de la Cour, c'est ce qu'elle a fait, même si son parcours ne fut pas sans heurt. La plupart des blâmes que retient le juge à son endroit sont cependant infondés.
[37] Tout d'abord, le juge de première instance ne pouvait reprocher à l'intimée (dont il reconnaît l'entière bonne foi) le fait que, en cours de route, sa co-enquêteuse s'est retirée de l'affaire et a été remplacée par une autre personne. L'arrêt Ellis-Don Ltd. c. Ontario (Commission des relations de travail) [12] , que cite le juge à l'appui de sa détermination, n'est aucunement transposable à une enquête comme celle de l'espèce.
[38] Ensuite, le juge ne pouvait pas réprimander l'intimée pour avoir sollicité de l'appelant un engagement écrit de confidentialité. Cette demande était tout à fait raisonnable dans les circonstances, vu, notamment, l'insistance de la politique sur la confidentialité du processus. Notons également que le refus de l'appelant de se plier à cette demande n'a eu aucune conséquence.
[39] Le juge ne pouvait pas non plus conclure que l'intimée a manqué à son devoir en ne transmettant pas à l'appelant la politique de l'employeur, politique que l'intéressé connaissait et qu'il avait déjà en main. Au pire, puisque la politique prévoit une telle transmission, c'était là une omission technique et, en l'occurrence, sans conséquence aucune.
[40] Le principal reproche que le juge adresse à l'intimée tient au fait que celle-ci n'aurait pas fait parvenir à l'appelant copie des plaintes portées contre lui et ne lui aurait pas acheminé la version des faits des plaignants et des témoins, ce que prévoit pourtant expressément la politique. La clause 11.7 de celle-ci énonce en effet que la personne visée a le droit de « [r]ecevoir par écrit une copie de la plainte (niveau II) ». Son annexe VI indique que « une copie de la version des faits est acheminée aux personnes mises en cause ».
[41] Puisque copie des plaintes n'a pas été envoyée à l'appelant, on peut convenir qu'il y a eu accroc à la politique, du moins en apparence. L'intimée tente de s'expliquer en invoquant les exigences et les interdits de la Loi sur l'accès aux documents des organismes publics et la protection des renseignements personnels [13] , mais, même si elle avait raison (ce sur quoi la Cour ne se prononce pas), cela n'aurait pu justifier que l'appelant soit laissé dans le noir quant aux raisons de l'enquête menée à son endroit.
[42] Or, il se trouve que, bien qu'il n'ait pas reçu copie des plaintes elles-mêmes, l'appelant a néanmoins été mis au courant de toutes les allégations des plaignants, et ce, bien avant de rencontrer les membres du comité d'enquête. L'intimée a effectivement fait parvenir à l'appelant, vers la fin mars 2007, un résumé des allégations des plaignants, résumé qui, en réalité, n'en est pas un. Ce document dresse plutôt la liste complète des allégations des plaignants, certains retranchements ou ajouts mineurs ayant été faits à la suite de l'enquête menée auprès de ces personnes. Plus précisément, ce que l'intimée a transmis à l'appelant correspond à ce que l'on retrouve à la rubrique 4 (« Les faits reprochés ») du rapport du 20 mai 2007 (pièce D-2). Ce faisant, elle s'acquittait du même coup de son obligation d'acheminer à l'appelant la « version des faits » dont il est question dans l'annexe VI de la politique.
[43] Lors de l'audience d'appel, l'appelant - et l'on doit lui savoir gré de cette honnêteté - confirme qu'il a bel et bien reçu le document en question, qui reprenait le détail des allégations et la version des plaignants.
[44] On ne peut tirer de cela qu'une seule conclusion : si la lettre de la politique n'a pas été respectée, il demeure que son esprit l'a été. Cette politique veut que la personne contre laquelle est formulée une plainte de harcèlement soit informée des allégations portées contre elle. Ce fut le cas ici et l'on ne peut pas reprocher à l'intimée d'avoir commis une faute en remettant à l'appelant la liste - mise à jour en quelque sorte - des allégations des plaignants et de leur version des faits, plutôt que les plaintes elles-mêmes.
[45] L'appelant soutient cependant que cette liste ne correspond pas exactement aux plaintes elles-mêmes, et il en donne l'une de ces dernières en exemple. La comparaison des documents montre toutefois qu'ils sont quasiment identiques. Les quelques différences que l'on observe peuvent être qualifiées de mineures (par exemple, dans un cas, un événement qui, selon la plainte, se serait produit le 14 octobre 2005, est décrit par l'intimée comme étant survenu le 12 octobre 2005; autre exemple, un même événement serait survenu le 14 octobre 2005 selon l'intimée et le 15 selon la plainte, et ainsi de suite; un événement de l'automne 2006 ne paraît pas avoir été retenu par l'intimée (et ne figure d'ailleurs pas dans son rapport), tandis qu'un dernier événement (une requête en Cour supérieure, en date du 23 novembre 2006) ne figure pas dans la plainte).
[46] L'appelant attache une importance démesurée à ces quelques différences, qui lui semblent vicier irrémédiablement le processus d'enquête. Pourtant, elles n'altèrent d'aucune façon l'information qui lui a été transmise et, connaissant toutes ces allégations, il avait amplement le loisir de s'en défendre, ce qu'il a choisi de ne pas faire (il a en effet toujours refusé de donner sa version des faits et de répondre aux reproches des plaignants).
[47] Encore une fois, l'esprit de la politique a été respecté.
[48] Que reste-t-il alors des reproches du juge de première instance à l'endroit de l'intimée? Peu de choses : les courts délais de convocation, d'une part, et le caractère insuffisant du rapport. Examinons-les tour à tour.
[49] Considérant les exigences de célérité imposées au comité d'enquête par la politique de l'employeur, les délais n'étaient peut-être pas si courts que le juge de première instance le laisse entendre. Mais, même s'ils l'étaient, il faut surtout constater que le comité a, en définitive, accommodé l'appelant.
[50] Ainsi, notons d'abord que, par lettre du 2 mars 2007, l'intimée informe l'appelant de l'existence des deux plaintes et du fait que le comité entend le rencontrer dans le cours de son enquête. Par la suite, le 19 mars, l'intimée envoie à l'appelant, par la poste, un avis le convoquant à une rencontre fixée au 23 mars. En lui-même, ce délai n'était pas particulièrement court (sans compter que l'appelant avait déjà reçu la lettre du 2 mars), mais il n'a pas suffi, dans les faits, considérant que l'appelant était à l'époque en arrêt de travail, qu'il résidait à 150 km du lieu où il était convoqué et qu'il a reçu l'avis le jour même où devait se tenir la rencontre, trop tard pour y être. Un autre avis a été envoyé le 23 mars, cette fois pour le 30 mars 2007, délai raisonnable et même généreux dans les circonstances. Cet avis du 23 mars a été réitéré par une autre lettre du 27 mars, envoyée par la poste et par courriel, convoquant toujours l'appelant pour le 30 mars.
[51] Mais l'important est que, chaque fois qu'il a reçu ces avis qu'il jugeait trop courts, l'appelant (qui était par ailleurs difficile à joindre) a protesté et on lui a finalement donné raison. C'est d'ailleurs pourquoi il a été reçu en entrevue par le comité près de cinq semaines après le premier avis de convocation, soit le 27 avril 2007.
[52] Peut-on conclure à faute de la part de l'intimée?
[53] Reconnaissons d'abord qu'une allégation de harcèlement psychologique n'est pas une affaire banale. Pour autant, bien que la politique patronale cherche à assurer l'équité du processus, il faut rappeler que le salarié convoqué pour répondre d'une telle allégation au stade de l'enquête de l'employeur ne se prépare pas à une audience devant un tribunal judiciaire et ne peut pas exiger qu'on lui laisse des semaines ni même des jours de réflexion et de préparation. Certes, l'enquête doit être sérieuse, mais il y a des vertus à la célérité à ce stade, ne serait-ce que parce que les plaignants ont droit, aux termes de la même politique, à ce que leurs plaintes soient traitées avec diligence.
[54] En l'occurrence, les délais n'étaient pas déraisonnables, sauf peut-être le premier (celui du 19 mars 2007), qui était court au vu des circonstances décrites plus haut. Mais on a remédié à ce défaut. Peut-il subsister une faute?
[55] On doit répondre à cette question par la négative. De plus, quoi qu'il en soit, on voit difficilement quel préjudice réel aurait pu découler en l'espèce d'un défaut auquel on a apporté un correctif, même si ce fut à la demande de l'appelant.
[56] Qu'en est-il enfin de l'insuffisance du rapport de l'intimée, dernier reproche que retient le juge de première instance?
[57] Il est vrai, ainsi que le constate le juge, que ce rapport, à première vue, paraît bien mince au chapitre de l'analyse. L'intimée, qui se présente comme une personne expérimentée en ce domaine, aurait certainement pu faire mieux. Mais qu'elle n'ait pas fait mieux constitue-t-il une faute, dans les circonstances?
[58] Soulignons d'abord que la politique de l'employeur exige que le rapport soit « objectif, clair, net et concis » [soulignement ajouté]. L'obligation de motiver se trouve ainsi balisée et l'on comprend que le rapport peut être succinct. Il doit demeurer compréhensible, sans doute, et ne peut faire l'économie d'une analyse, que prévoit d'ailleurs l'annexe VI, mais qui n'a pas à s'étendre en longueur.
[59] Par ailleurs, il faut absolument tenir compte du fait que l'appelant a toujours refusé de donner sa version des faits. L'on ne peut donc guère s'étonner que la version non contredite des plaignants l'ait emporté et n'ait pas fait l'objet d'une analyse poussée.
[60] Il paraît difficile, dans ce contexte, de parler de faute.
[61] Tout cela étant dit, même si le juge de première instance avait eu raison de reprocher à l'intimée d'avoir manqué à ses obligations par des convocations indûment pressantes et un rapport dont l'analyse aurait pu être plus étoffée, il est impossible, en l'espèce, de voir là la cause du préjudice moral qu'allègue l'appelant, et qui est de la nature d'un surcroît de stress et d'angoisse.
[62] Sans aucun doute, dès l'annonce des plaintes et pendant toute la durée de l'enquête, l'appelant s'est-il senti victime d'une injustice. Ce sentiment, cependant, ne peut être attribué aux erreurs de l'intimée et il est impossible d'isoler ici un préjudice particulier, qui serait issu de ces erreurs et qui se distinguerait des difficultés morales et inquiétudes inhérentes à l'existence même des plaintes, au processus d'enquête et aux événements qui ont suivi.
* *
[63] Bref, il se pourrait que la conduite ou la manière de faire d'un enquêteur comme l'intimée constitue une faute de nature à engager sa responsabilité extracontractuelle envers le salarié sous enquête, mais tel n'est pas le cas ici.
* *
POUR CES MOTIFS, LA COUR :
[64] REJETTE l'appel, avec dépens;
[65] ACCUEILLE l'appel incident, avec dépens;
[66] INFIRME le jugement de première instance;
[67] REJETTE la requête introductive d'instance du requérant, avec dépens.
[1] Notons que l'appelant a contesté ce congédiement par voie de grief, tout comme la suspension qui l'a précédé, le 4 juillet 2007.
[2] RLRQ, c. N-1.1.
[3] Ce représentant n'a pas de « droit de vote » (annexe VI de la politique), mais « [s]on rôle consiste à fournir de l'information contextuelle pertinente à la situation ».
[4] Mémoire de l'appelant, paragr. 143.
[5] Mémoire de l'appelant, paragr. 132.
[6] Mémoire de l'appelant, paragr. 134.
[7] Mémoire de l'appelant, paragr. 135.
[8] Mémoire de l'appelant, paragr. 136.
[9]
Voir :
H.L. c. Canada (Procureur général)
,
[10]
Voir :
Dupont c. Axa Assurances
, préc., note 9, paragr. 9;
Binet
c. Société des casinos du Québec inc.
,
[11]
Voir les arrêts
Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick
,
[12]
[13] RLRQ, c. A-2.1.