Cortina c. Thouret

2014 QCCS 5531

JR 1189

 
 COUR SUPÉRIEURE

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

 DISTRICT DE QUÉBEC

 

N° :

200-17-017205-121

 

 

 

DATE :

    21 octobre 2014

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SOUS LA PRÉSIDENCE DE L’HONORABLE MICHEL RICHARD, J.C.S.

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NICOLA CORTINA , domicilié et résidant au […], Québec, district de Québec, […]

            Demandeur

c.

BRICE THOURET , domicilié et résidant au […], Québec, district de Québec, […]

Défendeur

Et

BRICE THOURET , domicilié et résidant au […] , Québec, district de Québec, […]

            Demandeur en garantie

c.

SSQ, ASSURANCES GÉNÉRALES , ayant une place d’affaires au 2515, boul. Laurier, Québec, district de Québec, G1V 0A5

            Défenderesse en garantie

 

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JUGEMENT

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[1]            Le défendeur propriétaire d’un terrain en forte pente peut-il être tenu responsable de l’érosion du fonds supérieur par le seul fait d’être propriétaire de son terrain?

 

[2]            Le demandeur recherche principalement l’émission d’une ordonnance du Tribunal pour contraindre le défendeur, son voisin contigu et propriétaire du terrain en forte pente, à construire un mur de soutènement (selon la solution qu’il propose) et de procéder à la restauration de son terrain, le tout aux frais du défendeur et dans les délais proposés et qu’à défaut par le défendeur de se conformer à l’ordonnance à être émise, d’être autorisé à les faire exécuter aux frais du défendeur, y compris les entretiens des ouvrages qui seront plus tard exécutés suivant son plan.

[3]            De plus, le demandeur recherche également que les titres de propriété de la pente forte du défendeur (je souligne) soient reconnus par le Tribunal comme conformes au rapport de l’arpenteur Robitaille (P - 16A et P-27). De ce fait, le litige concerne la portée des titres de propriété des terrains contigus que les parties possèdent.

[4]            Le demandeur fonde ses procédures sur les articles 976 , 991 , 1457 , 1465 et 1467 du Code civil du Québec.

LES FAITS

[5]            Le demandeur est propriétaire du lot 2 076 130 du cadastre de Québec qu’il a acquis en 1986 (P-1).

[6]            Ce lot avait une dimension de 1084.4 mètres carrés et selon la preuve, la cime d’une falaise (forte pente) bornait sa propriété côté sud.

[7]            Dans son titre d’acquisition P-1, le demandeur devait s’empresser d’obtenir les autorisations nécessaires pour lui permettre de construire sur son lot auprès des autorités compétentes, car celles-ci s’apprêtaient à modifier les conditions d’octroi de permis pour un terrain de cette nature situé en bordure d’une forte pente.

[8]            Les articles pertinents du contrat P-1 sont les suivants :

Art. 4     Il déclare avoir connaissance de la limite de construction à VINGT (20) mètres de recul sur le côté ouest de l’immeuble ci-dessus désigné, prenant effet officiellement le premier avril mil neuf cent quatre-vingt-six (1 er avril 1986). Toutefois, le vendeur et l’acquéreur déclarent avoir connaissance que cette marge de recul de vingt (20) mètres doit être respectée le plus possible afin de se conformer à l’esprit de la réglementation qui entrera en vigueur le premier avril mil neuf cent quatre-vingt-six (1 er avril 1986).  

 

 

 

Art. 5     Effectuer les démarches nécessaires le plus tôt possible afin d’obtenir son permis de construction auprès de la Ville de Sillery ainsi que l’autorisation du Ministère des Affaires Culturelles, et ce, avant le premier avril mil neuf cent quatre-vingt-six (1 er avril 1986), date à laquelle le permis devra être obtenu afin de bénéficier du règlement intérimaire.

[9]            D’ailleurs, le seul fait de ne pas obtenir le permis de construction dans un court laps de temps à partir de la signature du contrat P-1 constituait aux yeux des parties à la vente une clause résolutoire.

[10]         Il faut donc conclure que le demandeur a obtenu son permis dans les délais pour lui permettre de construire sa résidence puisqu’il a fait construire sur son terrain une maison cossue desservie par des aménagements extérieurs, dont des terrasses et une piscine creusée.

[11]         Aux yeux des autorités municipales, la falaise qui bornait son terrain est une forte pente selon la définition qu’en fait la réglementation applicable.

[12]         Il est plaidé qu’à l’époque de la construction de la résidence du demandeur, la réglementation interdisait tout aménagement en deçà d’une bande de protection de 20 mètres du haut de la falaise (contrat P-1).

[13]         Le défendeur, quant à lui, est maintenant propriétaire du lot 2 074 815 du cadastre de Québec, qu’il a acquis en 2001.

[14]         Dans ce lot se retrouve la partie de l’ancien lot 310 qui comportait la zone de forte pente. Il faut préciser que c’est en juillet 2002 que la révision cadastrale a touché cette partie du territoire du Québec, dont ceux des terrains du demandeur.

[15]          Ce pourquoi, le demandeur s’appuie sur la qualité de propriétaire de la falaise du défendeur pour le poursuivre.

[16]         Sur les lots acquis par le défendeur était construite une maison et dépendance qu’il s’est contenté de rénover et non d’agrandir. Déjà cette construction datait de plusieurs décennies.

[17]         Selon la preuve, le défendeur n’a jamais fait quelques travaux dans la falaise ou le talus ou la forte pente, selon la qualification qu’on en donne.

 

 

[18]         Le défendeur est diplômé ingénieur en géologie en 1996 et au moment de l’acquisition de sa propriété, il était bien au fait de l’existence de la falaise et de la forte pente ainsi que des composantes rocheuses.

[19]         Or, il appert que sur une période de presque 30 ans, l’extrémité sud du terrain du demandeur a connu une érosion, de telle sorte qu’il aurait perdu une superficie, selon lui, de 70 mètres carrés environ et que son terrain aurait reculé d’environ neuf pieds durant cette période.

[20]         C’est d’ailleurs ce que démontrent les différentes lignes tracées sur le plan produit sous l’onglet 16 du rapport de l’arpenteur géomètre qui indiquent où se situait la cime de la falaise au moment de l’acquisition du terrain par le demandeur à différentes époques.

[21]         Ainsi donc, la perte alléguée du demandeur serait d’environ un mètre et demi sur une période de 30 ans, soit l’équivalent de 50 centimètres sur une période de 10 ans ou d’environ cinq centimètres sur une base annuelle.

[22]         Par la solution qu’il propose le demandeur recherche que son terrain soit restauré par le défendeur notamment par la construction d’un mur de soutènement pour en assurer la stabilité.

LA FORTE PENTE

[23]         En accord avec les parties, le Tribunal s’est déplacé pour aller visiter les lieux à partir du lot du défendeur situé sur le fonds inférieur pour finir par le terrain du demandeur situé sur le fonds supérieur.

[24]         Selon les experts, géologiquement parlant, la composition de la pente forte est constituée principalement de deux rocs géologiques, soit du shale et du grès.

[25]         Sur le côté est du terrain du défendeur, on constate la présence plus abondante du grès et du shale par superposition dans la pente forte, alors que du côté nord de la pente forte, le shale domine de façon très importante.

[26]         Le shale est un roc tendre, très friable qui s’effrite et qui devient facilement érodable, selon le témoignage de l’expert Juneau.

[27]         Il reconnaît d’ailleurs qu’une des causes de l’effritement de la pente forte peut être attribuable à la composition du talus par l’existence de ce roc.

[28]         À l’évidence et de l’aveu de toutes les parties, la forte pente s’est érodée à plusieurs endroits.

[29]         L’expert Juneau, un homme  de plus de 30 ans d’expérience en mécanique des sols, explique l’érosion par la désagrégation du shale notamment sous l’effet des cycles de gel-dégel, du ruissellement de l’eau de surface ou de l’effet répété et consécutif des cycles de mouillage et de séchage qu’a subi la pente forte.

[30]         D’ailleurs, il s’agit là d’un processus normal d’altération de tel genre de pente.

[31]         La visite des lieux a permis au Tribunal de constater que par l’effet du ruissellement de l’eau une partie importante du shale désagrégée s’est retrouvée dans le bas de la pente dans ce que les parties ont appelé le tas d’érosions.

[32]         Non seulement la désagrégation s’est-elle retrouvée en partie en bas du talus, mais une partie actuelle importante du terrain du demandeur est en suspension tellement le sol sous cette portion de terrain en suspension est érodé. Les photographies produites le démontrent.

[33]         Le Tribunal et l’expert Juneau ont noté la présence de ravinement dûment identifié sur la photo P-21-6.

[34]         À l’évidence, certains arbustes qui étaient situés en haut se sont retrouvés au milieu de la pente forte.

[35]         De plus, une portion de la clôture du terrain du demandeur est carrément dans le vide tellement que deux socles de la clôture sont maintenus en suspension sans qu’il ne repose sur le sol (P-21-5 et 6).

[36]         Par la visite des lieux, le Tribunal a constaté que la gouttière arrière de la résidence du demandeur pointe encore en direction du haut de la falaise, même si elle est située en bordure de la maison, alors que la preuve a révélé que ce n’est qu’en 2010 que le demandeur, à la demande de la Sécurité publique, par l’intermédiaire de la ville de Québec, a enlevé les gouttières dont l’extrémité reposait carrément en haut du talus, tel que la pièce C-3 le démontre.

[37]         Selon l’expert Juneau, il appert que tout ce qui est près du talus va inévitablement avoir tendance à glisser vers la base par l’effet du fluage, ce pour quoi son bureau d’experts recommande de ne rien installer dans une bordure d’au moins cinq pieds du haut d’une falaise pour éviter tel phénomène en plus de proscrire d’orienter dans la falaise le surplus d’eau qui provient du fond supérieur.

LA CAUSE AVANCÉE DE L’AFFAISSEMENT OU DE L’ÉROSION

[38]         Selon l’expert Juneau, l’érosion est causée par des travaux faits par l’homme qui aurait modifié la configuration du talus.

 

 

[39]         Ce faisant, l’homme aurait rendu le talus sensible aux effets de l’érosion.

[40]         Il ajoute toutefois ne pas savoir quand cela a été fait dans le temps et reconnaît que le défendeur n’a jamais été impliqué dans ce qu’il a appelé le fait de l’homme en regard du talus.

[41]         Il reconnaît aussi que concentrer de l’eau vers le talus a comme conséquence de provoquer un ravinement que nous avons bien vu dans la forte pente et qui est illustré dans les photos P-21.

[42]         Faut-il le souligner, la preuve a démontré que ce n’est qu’en 2006 que le demandeur a enlevé son tuyau de décharge en haut du talus, alors qu’il y dirigeait son eau depuis 1986, soit l’année de construction de sa maison.

[43]         Aux yeux de l’expert Juneau, si rien n’est fait l’érosion du demandeur va se rendre à la limite jusqu’à la maison de ce dernier, ce qui peut prendre encore peut-être plusieurs décennies, sinon jusqu’à 200 ans.

[44]         Toutefois, il ne faut absolument pas amputer la base de l’érosion du terrain de la forte pente parce que ce faisant, cela aggraverait l’actuelle position des parties.

ÉVOLUTION DE L’ÉROSION DANS LE TEMPS

[45]         Le seul témoin qui a pu parler de l’évolution de l’érosion de la falaise a été le défendeur, M. Thouret.

[46]         Il signale qu’entre 2001 et 2005, il a constaté un peu d’érosion, mais sans que tout cela ne soit très significatif. La pente se minait quelque peu.

[47]         Par contre, en 2005, il y a eu un décrochement important d’une partie du grès côté est, alors que des blocs de grès sont venus s’appuyer en bordure de son immeuble situé côté droit de sa propriété.

[48]         À cette occasion, il dit avoir communiqué à plusieurs reprises avec le demandeur et qu’il a même fait appel à la Sécurité publique de la ville de Québec.

[49]         Comme réponse à ses communications avec le demandeur, celui-ci lui a traduit ne pas être responsable des dommages que pouvait avoir entraîné tel décrochage étant donné que le problème se situait dans la pente forte, soit sur le terrain du défendeur lui-même.

[50]         M. Thouret témoigne avoir constaté en 2006 que les socles des poteaux de la clôture du demandeur étaient dans le vide.

 

[51]         Puis, en 2007, toujours du côté droit de sa propriété, il constate qu’une petite partie du terrain du demandeur a décroché d’une façon non dramatique.

[52]         Enfin, il témoigne que l’érosion continue malgré tout progressivement.

[53]         Par son témoignage, on apprend qu’en 2008 la Sécurité civile a fait abattre des arbres sur la propriété du demandeur, arbres qui étaient situés en bordure de la falaise pour éviter que ceux-ci ne tombent sur la propriété du défendeur.

[54]         Enfin, en 2008, le témoignage non contredit du défendeur est à l’effet qu’il a vu des ouvriers du demandeur vidanger la piscine de ce dernier dans la falaise et qu’il s’est empressé de leur dénoncer cette situation. Les ouvriers ont cessé dès la dénonciation de ce faire, tout en précisant que c’était de cette façon qu’ils faisaient la vidange de la piscine à l’occasion.

SOLUTIONS PROPOSÉES PAR LE DEMANDEUR

[55]         Le demandeur a fait appel à M. Vincent Fournier, un ingénieur géotechnique d’expérience pour connaître de quelle façon son problème pourrait être résolu.

[56]         L’ingénieur a préparé un plan pour soumission au bénéfice d’un sous-traitant. Il s’agit du plan P-12.

[57]         Il a bien précisé que le plan soumis n’était qu’un plan de soumission et aucunement un plan de réalisation, lequel devait faire connaître des détails beaucoup plus précis en ce qui concerne la solution. À l’évidence, ce plan ne situe pas le lieu des travaux à réaliser.

[58]         Au soutien de cette façon de faire, le demandeur a obtenu une soumission de réalisation de M. Désilets au montant de 124 450 $, dont 66 905 $ était consacré à l’achat de blocs de soutènement.

[59]         Monsieur Désilets a bien témoigné que sa soumission était sujette à l’obtention d’un plan d’ingénieur de réalisation en bonne et due forme ainsi que d’un permis à être émis par la ville de Québec. Ces documents n’ont pas été produits.

[60]         Pour ne pas être en reste, le défendeur a également proposé une façon de faire qui ressemble à un mur de soutènement également, mais sous réserve de l’émission d’un permis de la ville de Québec et d’un plan d’ingénieur.

[61]         Or, par le témoignage de M. Laforce, technicien en bâtiment chargé de l’analyse des demandes de permis à la ville de Québec, et par le dépôt de la réglementation de la ville de Québec sous les cotes D-5, D-7 et D-10, il appert que le règlement de la ville de Québec ne permet pas la réalisation des travaux recommandés (D-5-A et D-5-B).

 

[62]         Monsieur Laforce a aussi témoigné que non seulement la Ville de Québec devait donner son aval à la réalisation de tels travaux, mais également la Commission de protection des bandes riveraines ainsi que le ministère de la Culture.

[63]         Monsieur Laforce a aussi témoigné qu’il n’était pas possible d’obtenir à l’égard de la réalisation des travaux proposés une dérogation mineure. Il est formel, les travaux proposés ne peuvent être autorisés en vertu des règlements en vigueur.

[64]         Il s’agit principalement des articles 495 et 738 du Règlement D-5 produit et qui fait état des restrictions et de l’impossibilité de construire ce que proposé.

LA PERTE DU TERRAIN DU DEMANDEUR

[65]         Comme relaté, le demandeur soutient qu’il a perdu une superficie importante de son terrain.

[66]         Il a d’ailleurs mandaté l’arpenteur Robitaille pour préparer un plan démontrant l’évolution de la cime du cap vers le pied de la falaise (pièce P-16, onglet 16).

[67]         Ce plan reproduit l’évolution du déplacement de la cime de la falaise dans le talus.

[68]         Ainsi, l’arpenteur Robitaille énonce que M. Cortina a perdu près 70 mètres carrés de terrain par recul [1] .

[69]         L’arpenteur Robitaille a également été mandaté pour procéder au bornage des terrains des parties. La pièce P-11 qui est un plan de bornage a aussi été produite dûment signée par le demandeur et le défendeur.

[70]         On y voit que la cime du terrain du demandeur se retrouve maintenant dans la falaise et les parties ont convenu en signant le plan P-11 que les bornes sont exactement celles qui existaient en 1984 et que la superficie du terrain du demandeur est demeurée la même malgré le déplacement de la cime.

[71]         L’arpenteur dit ne pas avoir posé les bornes en raison de la pente abrupte dans laquelle se retrouvait maintenant la cime du terrain du demandeur.

[72]         Ainsi, la limite cadastrale du terrain du demandeur est demeurée la même depuis son acquisition.

[73]         Par ce plan P-11, il est toutefois reconnu que la ligne est entièrement sur le terrain de M. Cortina.

[74]         D’ailleurs, au cours de son interrogatoire, l’arpenteur géomètre a reconnu que le terrain est toujours borné par la cime, mais que cette dernière se trouve maintenant déplacée par l’effet de l’érosion dans la falaise. Il reconnaît que le terrain de M. Thouret ne s’est pas pour autant agrandi.

[75]         En réalité la limite du terrain du demandeur s’est déplacée par l’effet de l’érosion et la superficie du terrain du demandeur est la même que celle qui existait en 1984.

[76]         Si la méthode de correction proposée par le demandeur n’est pas acceptée par les autorités, il n’existe pas d’autres moyens pour régler le problème du demandeur, selon la preuve.

ANALYSE

[77]         Le demandeur reconnaît que le défendeur n’a pas commis de faute.

[78]         Il reprend en cela l’opinion de son expert M. Juneau qui a témoigné que si la falaise s’érodait, cela était dû à des travaux qui ont nécessairement dû être faits au pied de la falaise pour en changer l’apparence.

[79]         Monsieur Juneau reconnaît également qu’il n’a pas de reproche à faire au défendeur lui-même et que si de tels travaux ont été exécutés, ils l’auraient été à une époque par une personne inconnue bien avant que le défendeur ne devienne propriétaire.

[80]         D’ailleurs, l’expert Juneau a tenté par l’analyse des photographies topographiques aériennes de découvrir à quelle époque les travaux de modification du talus auraient été exécutés sans succès.

[81]         Mais qu’à cela ne tienne.

[82]         Le demandeur s’appuie sur la décision de la Cour suprême dans l’affaire Ciment du Saint-Laurent inc. c. Barrette [2] . Il interprète cette décision en retenant que la Cour suprême a reconnu dans le cadre de trouble de voisinage une responsabilité sans faute.

[83]         Il importe donc à la présente affaire le principe énoncé.

[84]         Par contre, notre dossier diffère de celui de Ciment du Saint-Laurent.

[85]         Dans cet arrêt, Ciment du Saint-Laurent plaidait exploiter son usine en respectant les normes environnementales auxquelles elle était soumise. Ce faisant, elle n’avait pas commis de faute justifiant ses voisins de la poursuivre en dommages pour le désagrément que ceux-ci subissaient suite aux rejets qu’elle faisait dans l’atmosphère.

[86]         Dans l’affaire de Ciment du Saint-Laurent, les faits générateurs de la responsabilité de cette dernière résultaient de l’émission dans l’atmosphère de particules qui se sont avérées nocives pour le voisinage. Le certificat d’autorisation qu’elle possédait ne pouvait justifier les rejets de particules nocives dans l’atmosphère, source des dommages et inconvénients.

[87]         Or, dans notre dossier, aucun tel fait générateur de responsabilités ne peut soutenir la condamnation recherchée contre le défendeur qui, faut-il le rappeler, n’a commis aucune faute.

[88]         Pour autant, le demandeur persiste dans son recours en s’appuyant sur l’article 1467 du Code civil du Québec [3]  :

1467     Le propriétaire, sans préjudice de sa responsabilité à titre de gardien, est   tenu de réparer le préjudice causé par la ruine, même partielle, de son immeuble, qu’elle résulte d’un défaut d’entretien ou d’un vice de construction.

[89]         En définitive, le demandeur associe l’érosion de son terrain sur une période d’environ 30 ans à la ruine de l’immeuble du défendeur.

[90]         Ce raisonnement ne tient pas la route.

[91]         Il faut se rappeler que par le rapport de l’arpenteur géomètre et la pièce P-11, les parties ont reconnu que le terrain du demandeur est exactement de la même dimension que celle qu’elle était à l’origine sauf que la cime de la falaise s’est déplacée dans la pente forte, comme en a témoigné l’arpenteur lui-même.

[92]         On parle ici de l’érosion du terrain du demandeur, donc de la propriété de ce dernier.

[93]         On ne peut certes attribuer au défendeur la garde et la propriété du bien qui se retrouve maintenant dans la forte pente.

[94]         Ce n’est certes pas le défendeur qui avait la garde et la propriété de cette parcelle de terrain [4] .

[95]         Par le plan P-11 le demandeur a reconnu être le propriétaire d’une partie du talus lorsqu’il a consenti à situer la délimitation cadastrale entre son fond de terre et celui du défendeur à la limite de la cime de la falaise de 1984 dûment tracée au plan.

 

 

[96]         Comme la Cour d’appel l’a décidé dans l’arrêt Pomerleau-Fortin c. Chrétien [5] les relations juridiques des parties quant au bornage de leur terrain ont été établies de concert et constituent le titre réciproque des parties entre elles et font preuve du contenu et des limites de leurs propriétés respectives. Voilà pourquoi le Tribunal ne confirmera pas que le terrain du défendeur correspond au plan (P-27) de l’arpenteur.

[97]         La Cour d’appel a qualifié ce genre de documents de titre définitif.

[98]         Rien dans la preuve ne démontre que l’érosion du terrain du demandeur a été causée par la ruine du bâtiment du défendeur.

[99]         Les éboulements et les affaissements survenus au fil des années proviennent de la cime qui s’est déplacée.

[100]      Vraisemblablement et selon la preuve les causes du recul de la cime du talus sont multiples et impliquent la topographie naturelle et la composition rocheuse. Elles  impliquent également du drainage naturel et celui non approprié fait par le demandeur lui même, par le cycle de gel et dégel et par les périodes de sécheresse et de mouillage dont parle l’expert.

[101]      Ces causes ne constituent certes pas un vice de construction ou un défaut d’entretien qu’on peut imputer au défendeur, selon les termes de l’article 1467 C.c.Q.

[102]      Dans son traité de responsabilité civile, l’auteur Baudouin, à l’article 1.1010 de la page 918, écrit qu’il n’est pas suffisant que la victime démontre le lien entre la ruine et le dommage. Elle doit également prouver que l’origine matérielle de la ruine se trouve dans un vice de construction ou un défaut d’entretien. Les dispositions de l’article 1467 ne peuvent s’appliquer dans l’hypothèse où la ruine provient d’une autre cause.

[103]      Subsidiairement le devoir d’entretien n’est pas absolu. Il doit s’analyser en regard de la destination de l’immeuble, les obligations qu’impose le Code civil du Québec au propriétaire d’un immeuble lui-même et des inconvénients prévisibles et donc acceptables découlant d’une construction à proximité d’un talus [6] .

[104]      Comme le relate notre collègue la juge Geneviève Marcotte dans l’affaire Girouard c. Ville de Mont-St-Hilaire [7]  les tribunaux ont eu l’occasion de se pencher sur la notion d’inconvénients anormaux à de nombreuses reprises notamment en présence de phénomènes naturels.

[105]      Citant l’affaire D’Avignon c. Grondin [8] , la Cour supérieure a conclu que le phénomène naturel de détachement des pierres d’une falaise imputable au seul passage du temps et des saisons ne pouvait être qualifié de trouble de voisinage.

[106]      Elle a également reconnu que celui qui a volontairement placé sa résidence à un endroit où il y a un risque d’éboulement doit prendre les mesures nécessaires pour se protéger.

[107]      Il ne fait aucun doute que l’érosion du talus a emporté une perte de surface utilisable du terrain du demandeur.

[108]      Aux yeux du Tribunal, cette perte ne peut être imputée au défendeur.

[109]      D’ailleurs, l’article 950 du Code civil du Québec impose au propriétaire d’assumer le risque de perte du bien qu’il possède.

[110]      De plus, en vertu de l’article 990, le propriétaire du fonds doit faire tout ce que nécessaire pour bien l’entretenir.

[111]      De surcroit, le demandeur ne peut obtenir que la Cour ordonne au défendeur d’assumer à ses frais l’érection d’une structure estimée à plus de 100 000 $.

[112]      La raison en est que du propre aveu de l’expert du demandeur, la stabilité du talus ne saurait être mise en cause d’autant plus que la Sécurité publique qui est allée sur les lieux à au moins deux reprises n’a pas jugé opportun d’ordonner que les travaux soient exécutés. Elle a choisi de forcer le demandeur à cesser de drainer l’eau de sa résidence dans les talus et à couper des arbres qui menaçaient de s’effondrer tout en recommandant au demandeur de cesser d’utiliser le terrain en bordure de la pente.

[113]      Le recours en injonction est de plus voué à l’échec puisque le Tribunal ne peut ordonner la construction d’un mur de soutènement en raison du fait qu’aucun des entrepreneurs qui se déclarent disposés à exécuter les travaux ne pourrait obtenir de la part des autorités compétentes les permis de construction, car ces travaux sont proprement interdits [9] [10] [11] [12] .

[114]      Le Tribunal prend acte de l’offre du défendeur de permettre au demandeur d’avoir accès à sa propriété en vue d’effectuer les travaux qui pourraient s’avérer nécessaires et d’ériger sur sa propriété toute structure selon un plan convenu, mais à charge par le demandeur d’en assumer entièrement les coûts.

RECOURS EN GARANTIE

[115]      La défenderesse en garantie reconnaît que le recours intenté par le demandeur contre son assuré vise à être indemnisé par le défendeur pour le coût des travaux rendus nécessaires pour corriger et mettre fin à l’affaissement de son terrain.

[116]      Il est bien établi que le recours du demandeur se fonde sur l’article 996 et sur le reproche que le demandeur fait au défendeur de ne pas avoir pris soin adéquatement de sa propriété, la pente forte.

[117]      Le demandeur recherche en effet dans ses procédures une condamnation de 154 162,48 $ pour corriger la situation dommageable qu’il impute à l’assuré de la défenderesse en garantie.

[118]      Cette dernière a refusé de défendre son assuré «puisqu’aucune conclusion ne vise des dommages-intérêts couverts par le contrat d’assurance PG1.»

[119]      Vu la conclusion à laquelle en arrive le Tribunal, on ne parle pas ici de l’obligation d’indemniser de l’assureur, mais de son obligation de défendre qui, elle, s’apprécie à partir des faits allégués [13] .

[120]      Comme l’écrit la Cour suprême :

« Il faut accorder la portée la plus large possible aux allégations contenues dans le cadre de procédures pour déterminer si elles constituent une réclamation qui relève de la police (page 812). »

[121]      Dans Boréal Assurances inc. c. Réno-Dépôt inc. [14] la Cour d’appel écrit ce qui suit :

«Il n’y a pas obligation de défendre s’il ressort clairement des procédures que la réclamation ne tombe pas sur la protection de la police en raison d’une clause d’exclusion.»

[122]      Or, l’assureur invoque l’exclusion suivante de sa police inscrite sous la Garantie E - Responsabilité civile :

Nous ne couvrons pas :

(…)

 

 

 

Les dommages occasionnés :

a)     Aux biens dont vous êtes propriétaires…

b)     Aux biens dont vous avez la garde ou sur lesquels vous avez un pouvoir de direction ou de gestion.

[123]      Elle invoque de plus les termes de la garantie subsidiaire qui stipulent :

« Si vous êtes poursuivi pour des dommages que nous couvrons au titre de la Garantie E nous prendrons votre défense entièrement à nos frais. »

[124]      La défenderesse en garantie se trompe en pensant qu’il n’y a aucune conclusion visant une condamnation du défendeur à verser des dommages-intérêts. Les procédures sont claires à cet effet.

[125]      Quoiqu’il ressorte que le demandeur demande par injonction que le défendeur exécute certains travaux, ceux-ci visent à non seulement stabiliser la pente, mais la restauration du terrain du demandeur.

[126]      L’exclusion invoquée ne trouve pas ici application, car il ne s’agit pas de dommages occasionnés aux biens dont le défendeur est soit propriétaire ou dont il avait la garde.

[127]      Les biens à restaurer sont ceux du demandeur qui a choisi de demander au Tribunal qu’on force le défendeur à exécuter les travaux qu’il suggère et qu’à défaut le défendeur en paie le prix.

[128]      Il ne s’agit pas ici de refaire la falaise qui appartient au défendeur, mais de replacer le terrain du demandeur dans sa corporation d’origine.

[129]      Le Tribunal cite avec approbation l’affaire 123834 Canada Inc. et al. c. Le Syndicat des copropriétaires Dix sur le Main [15] et partage l’analyse faite par notre collègue Clément Samson.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[130]      REJETTE la requête ré-réamendée introductive d’instance du demandeur et chacune des conclusions recherchées;

[131]      PREND ACTE de l’offre du défendeur de permettre au demandeur d’avoir accès à sa propriété en vue d’effectuer les travaux qui pourraient s’avérer nécessaires et d’ériger sur sa propriété toute structure selon un plan convenu, mais à charge par le demandeur d’en assumer entièrement les coûts;

[132]      LE TOUT , avec dépens contre le demandeur.

SUR L’APPEL EN GARANTIE

[133]      CONDAMNE la défenderesse en garantie à rembourser au demandeur en garantie la totalité des honoraires judiciaires et extrajudiciaires engagés depuis la mise en demeure reçue dans le recours principal;

[134]      LE TOUT , avec dépens, tant pour le recours principal que pour le recours en garantie.

 

 

 

__________________________________

MICHEL RICHARD, J.C.S.

 

Me Michel C. Chabot

Gravel Bernier Vaillancourt

Procureurs du demandeur

 

Me Mihnea Bantoiu

Létourneau Gagné

Procureurs du défendeur/demandeur en garantie

 

Me Marc Choquette

Tremblay Bois Mignault Lemay

Procureurs de la défenderesse en garantie

 

 

Date d’audience :

15-16-18 septembre 2014

 



[1]   Voir page 7 de son rapport.

[2]   [2008] 3 R.C.S. 392 .

[3]   C.c.Q., art. 1467.

[4]   Voir Jean-Louis BAUDOUIN et Patrice DESLAURIERS, La responsabilité civile, 8 e édition, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2014, par. 1-958 et 1-1002.

[5]    2007, QCCA 1457, par. 46 et 47.

[6]   Jean-Louis BAUDOUIN, Patrice DESLAURIERS et Benoît MOORE, La responsabilité civile, 8 e édition, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2014, par. 1-255, page 976.

[7]    2011 QCCS 4273 , par. 129 et suivants.

[8]    2008 QCCQ 2641 , par. 18 et 19.

[9]    Association des pompiers de Montréal inc . (APM) c. Ville de Montréal , 2011 QCCA 631 , par. 35.

[10]   Corporation scientifique Claisse inc. c. Instruments Katanax inc., 2006 QCCA 1425 , par. 2, 17 à 20, 24 et 26.

[11]   Québec (Procureur général du) c. Brossard , 2002 CanLII 41092 (C.A.), par. 1, 5, 6, 9, 12 et 31.

  [12]    Girouard c. Mont-St-Hilaire (Ville de) , 2011 QCCS 4273 , par. 120, 129 à 143 et 136 à 141.

[13]   Nichols c. American home assurance co ., [1990] 1 RCS 801 .

[14]   Boréal Assurances inc. c. Réno-Dépôt inc. , REJB 1995-29181 (C.A.).

[15]   2014 QCCS 831 .