Directeur des poursuites criminelles et pénales c. Construction et Pavage Dujour ltée

2014 QCCQ 11416

  JD 1184

 
COUR DU QUÉBEC

« Chambre pénale »

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

SAINT-FRANÇOIS

LOCALITÉ DE SHERBROOKE

 

 

N o  :

450-61-056803-140

 

DATE:

6 novembre 2014

 

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SOUS LA PRÉSIDENCE DE

MADAME LA JUGE

SYLVIE DESMEULES, J.P.M.

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DIRECTEUR DES POURSUITES CRIMINELLES ET PÉNALES

Poursuivant

c.

 

CONSTRUCTION ET PAVAGE DUJOUR LTÉE

Défenderesse

 

 

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JUGEMENT

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[1]            La défenderesse est accusée d'avoir affecté un salarié à des travaux de construction, sans que celui-ci soit titulaire d'un certificat de compétence de manœuvre.

[2]            Le 29 août 2012, deux inspecteurs de la Commission de la construction du Québec (CCQ) se rendent sur un chantier de construction sur le site de l'Université Bishop à Lennoxville (Sherbrooke).  Des gradins destinés aux spectateurs ont été érigés en périphérie du nouveau terrain de football. 

[3]            Les faits ne sont pas contestés. Le salarié Bruno Samson travaille avec un râteau et une pelle et fait du remplissage avec de la pierre 0-¾ autour des bordures de ciment du contour des gradins.  Pendant ce temps, d'autres travailleurs s'affairent à installer des barres de sécurité dans les gradins.

 

LES PRÉTENTIONS DE LA DÉFENDERESSE

[4]            La défenderesse plaide qu'il ne s'agit pas de «travaux de construction» au sens de la Loi sur les relations du travail, la formation professionnelle et la gestion de la main-d'œuvre dans l'industrie de la construction [1] (R-20), puisqu'un gradin n'est pas un bâtiment ni un ouvrage de génie civil.  Ils ne sont pas fixés à demeure et peuvent être déplacés.  Les gradins n'ont pas un but d'utilité générale, ils servent à l'université et à ses étudiants.

[5]            Subsidiairement, si le Tribunal vient à la conclusion qu'il s'agit d'un bâtiment ou d'un ouvrage de génie civil, les travaux effectués par le salarié constituent de l'aménagement paysager et ne sont pas couverts par la loi R-20.

LES PRÉTENTIONS DU POURSUIVANT

[6]            Les gradins peuvent être assimilés à un bâtiment puisqu'il s'agit d'une construction d'importance.  Ils sont fixes et ne peuvent être qualifiés de meubles.  Ils peuvent aussi être considérés comme des ouvrages de génie civil puisqu'ils sont érigés en vue d'accueillir des personnes, de l'université ou d'ailleurs.

[7]            Les travaux effectués constituent des travaux de construction et requièrent une carte de manœuvre.

QUESTIONS EN LITIGE

[8]            Les gradins érigés autour d'un terrain de football d'une université constituent-ils un ouvrage de génie civil? Le nivellement du sol autour de ces gradins est-il soumis à la loi R-20?

L'ANALYSE

[9]            L'article 1.f) de la loi R-20 définit le mot «construction»:

« 1.  Dans la présente loi, à moins que le contexte n'indique un sens différent, les expressions et mots suivants signifient:

[…]


 

f) «construction»: les travaux de fondation, d'érection, d'entretien, de rénovation, de réparation, de modification et de démolition de bâtiments et d'ouvrages de génie civil exécutés sur les lieux mêmes du chantier et à pied d'oeuvre, y compris les travaux préalables d'aménagement du sol;

[…]»

[10]         À première vue, le Tribunal serait tenté de croire que les gradins constituent un ouvrage de génie civil.  Cette structure est appelée à recevoir des spectateurs et doit être conçue de façon à résister au poids et aux vibrations.  Il en va de la sécurité des personnes qui les utilisent.

[11]         L'expression «ouvrage de génie civil» n'est pas définie dans la loi R-20. 

[12]         Dans l'affaire Transport & Excavations N.R. et als c. Commission de la construction du Québec [2] , le commissaire-adjoint Mario Lajoie avait à décider si les travaux d'aménagement du sol sous une ligne à haute tension étaient des travaux de construction.

[13]         À l'instar de ses collègues commissaires, il a fait appel à un ouvrage français, le Dictionnaire encyclopédique universel , pour définir l'expression:

«[179] L’expression « ouvrages de génie civil » n’est pas définie dans la Loi R-20.  Aussi, pour surmonter cette difficulté d’interprétation, les commissaires de la construction, à l’initiative du commissaire Bernier, ont eu recours, la plupart du temps, à la définition donnée par le Dictionnaire encyclopédique universel (édition 1966) de l’expression « travaux publics (génie civil) ».  Elle se lit comme suit :

« 1- Définition - généralités  :

 

a) On englobe sous le nom de travaux publics ou de travaux de génie civil, l’infinie variété de travaux afférents à des biens immeubles exécutés pour le compte d’une personne morale publique dans le but d’utilité générale .  Par « personne publique », l’expression étant prise dans un sens très large, il faut comprendre diverses collectivités telles que l’État (représenté par ses ministères : Travaux publics et Transports, M.C., P. et T., Défense nationale, etc.), les Communes, les sociétés nationalisées (telles que la S.N.C.F., l’E.D.F., le gaz de France, la compagnie du Rhône), les associations syndicales de propriétaires (pour la reconstruction), etc.  Il est évident que les travaux analogues exécutés pour de grosses sociétés industrielles privées sans être des travaux publics au sens juridique du mot, ont, du point de vue technique , les mêmes caractéristiques ; ils sont exécutés par les mêmes entreprises et sont considérés ici comme travaux publics. » (p. 5825)

(Soulignements ajoutés)»


 

[14]         Le commissaire Lajoie fixe les trois conditions pour qu'un ouvrage soit considéré comme un ouvrage de génie civil:

«[180] Selon cette définition, les conditions suivantes doivent être réunies pour conclure être en présence d’un ouvrage de génie civil, à savoir :

·          des travaux qui se rapportent à des biens immeubles;

·          des travaux qui sont exécutés pour le compte d’une personne morale publique ou, le cas échéant, pour une société industrielle privée de grande envergure, dans la mesure cependant où les travaux exécutés pour cette société ont, sur le plan technique, les mêmes caractéristiques que ceux réalisés pour l’État ou pour une corporation publique de même nature; et [dernière condition]

·          des travaux exécutés dans un but d’utilité générale.

[181] Si une seule de ces conditions n’est pas satisfaite, il ne s’agit pas d’un ouvrage de génie civil.  Dès lors, les travaux exécutés ne sont pas, en conséquence, des travaux de construction au sens de la Loi R-20 [3]

[15]         Le commissaire conclut par la négative.  La construction de la ligne de transport était un ouvrage de génie civil, mais l'aménagement du sol dans l'emprise de la ligne n'était pas nécessaire pour compléter la construction de la ligne et l'usage de ces terrains était privé.

«[209] Les travaux en cause n’ont rien à voir avec les travaux de construction de la ligne.  Ils ont essentiellement pour but de mettre en valeur certains lots privés de l’emprise en vue d’une activité agricole ou sylvicole.

[210] Il s’agit de travaux exécutés pour des fins strictement privées et au seul bénéfice de chacun des propriétaires des lots en question.  Ce ne sont pas des travaux qui participent à l’érection d’un ouvrage de génie civil qu’est effectivement une ligne de transport d’énergie électrique, ni non plus des travaux — surtout pas d’ailleurs — qui constituent, en soi, un tel ouvrage.»

[16]         Les gradins érigés sur un terrain de football d'un campus universitaire correspondent-ils à la définition d'ouvrage de génie civil?

[17]         Les travaux sont réalisés pour le compte d'une personne morale publique, en l'occurrence une université. 

[18]         La construction des gradins est réalisée dans un but d'utilité générale.  Le Tribunal ne retient pas la prétention de la défenderesse qu'il s'agit d'un but d'utilité privé.  Les gradins sont destinés à des spectateurs, qu'ils soient des étudiants ou des personnes extérieures au campus.

[19]         Mais les gradins sont-ils un immeuble? 

[20]         Dans sa décision le commissaire Lajoie ne définit pas le mot immeuble. 

[21]         Il est défini ainsi dans le Dictionnaire de droit québécois et canadien [4] :

« Immeuble :

1. (adj.) Qui ne peut être déplacé ou auquel la loi confère un caractère immobilier.

2. (n.) Bien qui ne peut être déplacé ou auquel la loi confère un caractère immobilier.

Immeuble par nature

Bien qui, par sa nature, ne peut se déplacer ou être transporté (le fonds de terre) ou qui devient immeuble par son incorporation au sol (les constructions et ouvrages à caractère permanent qui s'y trouvent et tout ce qui en fait partie intégrante).»

[22]         Dans la présente affaire, la preuve du poursuivant est muette sur le sujet.  Cette structure est-elle fixée au sol?  Le Tribunal l'ignore et ne peut présumer que les gradins sont un immeuble.

[23]         Dans son rapport, l'inspecteur parle de «bordures de ciment du contour des gradins».  L'inspecteur n'a pas témoigné et les procureurs n'ont pas pu lui faire préciser de quelle façon les gradins étaient installés.

[24]         Le Tribunal ne peut conclure que les gradins sont un ouvrage de génie civil.

[25]         Cependant, même si le Tribunal avait eu la preuve nécessaire pour conclure que les gradins sont un ouvrage de génie civil, les travaux réalisés par l'employé de la défenderesse ne correspondent pas à la définition de «construction». 

[26]         Ces travaux ne participent pas à la fondation, à l'érection ou à l'aménagement préalable du sol.  Ils ont été réalisés après que les gradins aient été érigés.  Ils s'apparentent davantage à des travaux d'aménagement paysager, travaux non soumis à la loi R-20 selon les tribunaux de droit commun [5] .

 

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

 

ACQUITTE la défenderesse de l'infraction reprochée.

 

 

 

 

 

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SYLVIE DESMEULES

Juge de paix magistrat

 

 

Date d’audience :

24 septembre 2014

 



[1] Loi sur les relations du travail, la formation professionnelle et la gestion de la main-d'œuvre dans l'industrie de la construction , RLRQ, c. R-20.

[2] Transport & Excavations N.R. et als c. Commission de la construction du Québec , AZ-50172915

[3] Sur cet aspect, voir par exemple : C.C.Q. c. Le Groupe C. Lagannière inc. et al ., décision 924 , 14 juillet 1995, Me Gilles Gaul, commissaire, p. 10.

[4] Hubert REID, Dictionnaire de droit québécois et canadien , 3 e éd., Montréal, Wilson & Lafleur, 2004, p. 289-290.

[5] Procureur général du Québec c. 2973-9448 Québec inc. (Les paysages Genest) et als. , AZ-50322809 .