COMMISSION DES RELATIONS DU TRAVAIL

(Division de la construction et de la qualification professionnelle)

 

Dossier :

102194

Cas :

CM-2014-5624

 

Référence :

2014 QCCRT 0683

 

Montréal, le

1 er décembre 2014

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DEVANT LE COMMISSAIRE :

Alain Turcotte, juge administratif

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Rehan Constructions inc.

 

Requérante

c.

 

Régie du bâtiment du Québec

Intimée

 

 

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MOTIFS DE LA DÉCISION INTERLOCUTOIRE RENDUE LE 7 NOVEMBRE 2014

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[1]            Le 24 septembre 2014, l’entreprise Rehan Constructions inc. ( Rehan ) dépose un recours à la Commission en vertu de l’article 164.1 de la Loi sur le bâtiment , RLRQ, c. B-1.1 (la Loi ). Elle conteste la décision du 31 juillet précédent de la Régie du bâtiment du Québec (la Régie ) qui annule sa licence d’entrepreneur en construction.

[2]            Le 29 octobre 2014, Rehan présente une requête afin de surseoir à l’exécution de la décision. Cette requête est accueillie le 7 novembre, pour des motifs à être fournis ultérieurement.

[3]            Il y a lieu de souligner qu’à l’audience tenue le 5 novembre 2014, la Régie soulève que le recours de Rehan devant la Commission est lui-même irrecevable, puisque déposé après le délai de 30 jours prévu à l’article 164.2 de la Loi. Toutefois, cette requête prend par surprise l’entreprise. En raison de ce qui suit, la Commission décide d’accorder quand même le sursis et de trancher le litige ultérieurement.

les faits

[4]            René Pilon est actionnaire et président de Rehan. Il témoigne à l’audience tenue le 5 novembre.

[5]            Il explique que le siège social de Rehan est situé à son domicile et qu’il n’a pas d’employé de bureau. Étant lui-même menuisier compagnon, il s’absente à partir de la mi-juin jusqu’aux environs du 18 août 2014 en raison d’un contrat qu’il obtient dans le Nord du Québec.

[6]            Sa propre fille habite au sous-sol de sa maison. Ils partagent une boîte postale commune. Celle-ci prend son courrier, mais ne s’occupe pas de celui de son père. Ils se parlent environ une fois par mois.

l’avis d’intention et l’audience de la régie

[7]            René Pilon a été dirigeant de l’entreprise Rénovations Gabriel Pilon & Fils inc., entreprise qui a fait faillite le 4 mars 2014. Il en était le seul répondant depuis l’octroi d’une licence d’entrepreneur en construction à l’entreprise en 1996 et, après une annulation en 2012, lors d’un nouvel octroi de licence.

L’avis d’intention

[8]            Le 6 juin 2014, la Régie lui envoie un avis par courrier certifié :

La Loi sur le bâtiment (RLRQ, c. B-1.1; ci-après la « Loi ») prévoit que la Régie du bâtiment du Québec (ci après « la Régie ») peut suspendre ou annuler la licence d’entrepreneur en construction d’une personne morale lorsque celle-ci ne répond pas aux conditions requises.

L’une des conditions requises par la Loi pour obtenir une licence est de ne pas avoir été dirigeant d’une société ou personne morale dans les 12 mois précédant la faillite de celle-ci survenue depuis au moins trois ans.

Par conséquent, la Régie a l’intention d’analyser votre dossier , afin de décider si elle suspendra, annulera ou maintiendra la licence d’entrepreneur en construction de Rehan Constructions inc ., pour le motif suivant :

Monsieur René Pilon a été dirigeant de l’entreprise Rénovations Gabriel Pilon & Fils inc., dans les douze mois qui ont précédé la faillite de cette entreprise, soit le 4 mars 2014. Monsieur René Pilon est actuellement actionnaire et administrateur de Rehan constructions inc.

Dispositions de la Loi : art.70 al. 1 par. 2°, art. 61 al.1 par 1° et art.45.

            Dispositions du Règlement sur la qualification professionnelle des entrepreneurs et des constructeurs-propriétaires : art.2

[…]

Afin de prendre connaissance des documents et témoignages pertinents à l’analyse de votre dossier, la Régie vous convoque à une audience , qui se tiendra à l’endroit et au moment prévus dans l’avis de convocation ci-joint.

[…]

Un régisseur présidera l’audience, examinera les documents produits et entendra les témoins convoqués. À partir de cette preuve, le régisseur rendra par écrit une décision motivée, qui vous sera transmise . Cette décision pourra être de :

·          Maintenir la licence d’entrepreneur en construction de Rehan constructions inc.;

ou

·          Suspendre la licence d’entrepreneur en construction de Rehan Constructions inc. pour une certaine période;

ou

·          Annuler la licence d’entrepreneur en construction de Rehan Constructions inc.

( reproduit tel quel, à l’exception du soulignement qui a été ajouté )

[9]            Le 19 juin 2014, toujours par courrier certifié, Rehan est convoquée à une audience qui se tiendra le 16 juillet suivant au Bureau des régisseurs de la Régie.

[10]         Le suivi des envois de la Société canadienne des postes démontre qu’une carte a été laissée à l’adresse du siège social de Rehan, qui est aussi l’adresse du domicile de René Pilon, le 23 juin. Une carte d’avis final est laissée le 30 juin. Le 11 juillet 2014, le courrier est retourné à la Régie.

La décision de la Régie

[11]         Le 16 juillet 2014, comme le lui permet l’article 15 du Règlement sur les règles de pratique de la Régie du bâtiment du Québec , RLRQ, c. B-1.1, r.10, la Régie dispose de l’affaire en l’absence d’un représentant de Rehan.

[12]         Le 30 juillet 2014, elle rend une décision par laquelle elle annule la licence d’entrepreneur en construction de Rehan. Cette décision est envoyée le lendemain, par courrier certifié à la même adresse. Une première carte est laissée le 1 er août, une carte d’avis final est laissée le 6 août. Le 18 août, le courrier est retourné à la Régie.

le recours à la Commission

[13]         À l’audience, René Pilon concède que pendant son absence de l’été 2014, il n’a pas fait suivre son courrier, ni fait de changement d’adresse ou mandaté une personne pour s’occuper de cela. À son retour, il a pris connaissance de son courrier, mais n’avait rien de la Régie. Tout ce qu’il avait pour le sujet qui nous préoccupe était les cartes périmées de courrier certifié.

[14]         En fait, dit-il, il n’a appris l’existence de la décision de la Régie annulant la licence de Rehan que verbalement, vers le 9 septembre 2014. C’est son frère qui, en faisant des vérifications pour une de ses entreprises sur le site de la Régie, a constaté l’annulation et qui l’a prévenu. René Pilon n’a pris connaissance de la décision que le 12 septembre et il a mandaté son procureur pour la contester parce qu’il a une défense à offrir.

Le préjudice subi par Rehan

[15]         L’entreprise n’a actuellement qu’un seul contrat, mais d’importance, de l’ordre de 6,5 millions de dollars. Pour ce projet, l’entreprise emploie des sous-traitants et 10 salariés dont les revenus dépendent de l’exécution de celui-ci. À l’approche de l’hiver, des travaux doivent être exécutés sinon le contrat sera en péril et, par conséquent, la survie financière de Rehan elle-même.

[16]         En d’autres termes, la défense que l’entreprise veut présenter risque d’être inutile si elle n’obtient pas le sursis.

L’argumentation de la Régie

[17]         Le recours intenté devant la Commission le 24 septembre 2014 l’a été hors du délai de 30 jours fixé par la Loi. Il s’agit d’un délai strict dont l’inobservation entraîne la déchéance du droit. La décision du 31 juillet 2014 a été transmise le 1 er août par courrier recommandé comme l’atteste la carte laissée par la Société canadienne des postes. La Commission ne peut prolonger le délai légal.

[18]         Par ailleurs, Rehan a été dûment convoquée pour l’audience devant la Régie le 16 juillet 2014. Elle ne s’est pas présentée à l’audience par sa propre faute. La décision elle-même de la Régie est motivée et représente une issue possible au regard des faits et du droit. Il n’y a donc pas d’apparence de droit. Dès lors, il n’est pas nécessaire d’analyser les critères de l’urgence et du risque de préjudice.

analyse

le droit

[19]         L’article 164.1 de la Loi énonce ceci :

Une personne intéressée peut contester devant la Commission des relations du travail :

une décision de la Régie ou d’une corporation mandataire visée à l’article 129.3 lorsque cette décision concerne la délivrance, la modification, la suspension ou l’annulation d’une licence ;

[…]

(soulignement ajouté)

[20]         Ce recours doit être déposé dans les 30 jours «  qui suivent la réception par le requérant de la décision initiale […]  » (article 164.2 de la Loi).

[21]         Par ailleurs, l’article 164.5 de la Loi autorise la Commission à ordonner la suspension de l’exécution de la décision de la Régie :

Le recours ne suspend pas l’exécution de la décision de la Régie, de la Corporation ou de la municipalité.

La Commission des relations du travail peut toutefois, sur requête, en décider autrement en raison de l’urgence ou du risque d’un préjudice sérieux et irréparable.

[22]         Les critères de la Loi qui sont énoncés sont «  l’urgence  » et «  le risque d’un préjudice sérieux et irréparable  ». Toutefois, la jurisprudence de la Commission ajoute dans l’analyse les critères de l’apparence de droit et de la prépondérance des inconvénients (voir Daniel Kochenburger couvreur inc . c. Régie du bâtiment du Québec , 2013 QCCRT 0224 ).

application des principes

[23]         Dans son exposé sommaire, la Régie identifie correctement l’essence du recours de Rehan devant la Commission : « […] la requérante remet en question la procédure de convocation de l’audience devant le Bureau des régisseurs de la Régie . » C’est en effet le nœud du litige, tout comme la question de la prescription du recours devant la Commission dont le point de départ est «  la réception par le requérant de la décision initiale […] ».

[24]         À ce stade-ci, il est difficile d’analyser la décision de la Régie dans la mesure où Rehan soutient qu’elle avait une position à exposer à celle-ci. Il s’agit clairement d’un cas d’application de la règle bien connue de justice naturelle selon laquelle une partie a le droit de pouvoir exposer sa position avant qu’une décision ne soit rendue (la règle «  audi alteram partem  »).

[25]         Plus précisément, il s’agit de déterminer si Rehan a été correctement prévenue de l’audience du Bureau des régisseurs. Le contenu de l’avis d’intention est très clair, mais selon l’entreprise, la Régie devait s’assurer que Rehan en avait connaissance.

[26]         Il en va de même pour trancher l’objection de prescription du recours formulée par la Régie, puisque Rehan prétend ne pas avoir eu connaissance de la décision à contester avant le 12 septembre 2014.

[27]         Dans les circonstances, sans décider dans un sens ou dans l’autre, la Commission estime qu’il s’agit d’un débat qui doit se faire, ce qui suffit pour satisfaire le critère de l’apparence de droit. Dès lors, puisque Rehan n’a qu’un contrat en vigueur actuellement, elle subirait un préjudice irréparable si on l’empêchait de continuer ses travaux en attendant que la Commission tranche l’objection d’irrecevabilité du recours et, le cas échéant, sa défense concernant l’audition de juillet de la Régie. Enfin, compte tenu de la nature des travaux et de l’approche de l’hiver, il y a urgence.

[28]         Il y a donc lieu d’accorder le sursis de la décision de la Régie jusqu’à décision de la Commission sur le recours de Rehan.

EN CONSÉQUENCE, la Commission des relations du travail

ACCUEILLE              la demande d’ordonnance;

SURSEOIT               à l’exécution de la décision de la Régie du bâtiment du Québec, rendue le 30 juillet 2014 jusqu’à ce qu’une décision sur le fond soit rendue.

 

           

 

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Alain Turcotte

 

M e Benoit Côté

CÔTÉ GOSSELIN, AVOCATS

Représentant de la requérante

 

M e Alex Giroux

GAUDREAU, DIONNE (RBQ)

Représentant de l’intimée

 

Date de l’audience :

5 novembre 2014

/sc