Section des affaires sociales
En matière d'indemnisation
Référence neutre : 2014 QCTAQ 11138
Dossier : SAS-M-152956-0812
SYLVIE GAGNON
SOLANGE TARDY
c.
SOCIÉTÉ DE L'ASSURANCE AUTOMOBILE DU QUÉBEC
et
COMMISSION DE LA SANTÉ ET DE LA SÉCURITÉ DU TRAVAIL
[1] La Société de l’assurance automobile du Québec (ci-après « la Société ») recherche la révision pour cause d’une décision, rendue le 13 mai 2013, dans laquelle le Tribunal administratif du Québec (ci-après « TAQ 1 ») infirme une décision en révision qu’elle a rendue conjointement, le 8 octobre 2008, avec la Commission de la santé et la sécurité du travail (ci-après « la Commission »). Cette décision concerne plus précisément l’emploi de commis de matériaux de construction (de la catégorie « commerce ») que la Société a déterminé au requérant le 27 mai 2008, soit au 181 e jour suivant son accident d’automobile survenu le 29 novembre 2007.
La décision de TAQ 1
[2] TAQ 1 conclut que l’emploi de plâtrier aurait dû être l’emploi déterminé au requé-rant et ordonne en conséquence à la Société de l’indemniser en vertu de ce dernier, et ce, à compter du 27 mai 2008 sous réserve de la fin du versement de sa pleine indemnité par la Commission à la suite d’un accident de travail en date du 21 décembre 2005.
[3] TAQ 1 fonde sa décision en référant d’abord aux articles de la Loi sur l’assurance automobile [1] sur la base desquels la Société a déterminé au requérant l’emploi de commis de matériaux de construction :
21 . À compter du cent quatre-vingt-unième jour qui suit l'accident, la Société détermine à la victime un emploi conformément à l'article 45.
La victime a droit à une indemnité de remplacement du revenu si, en raison de cet accident, elle est incapable d'exercer l'emploi que la Société lui détermine.
Cette indemnité est calculée à partir du revenu brut que la victime aurait pu tirer de l'emploi que la Société lui a déterminé. Cette dernière fixe ce revenu brut de la manière prévue par règlement en tenant compte:
1° du fait que la victime aurait pu exercer cet emploi à temps plein ou à temps partiel;
2° de l'expérience de travail de la victime durant les cinq années qui ont précédé la date de l'accident et, notamment, des périodes pendant lesquelles elle était apte à exercer un emploi ou a été sans emploi ou n'a exercé qu'un emploi temporaire ou un emploi à temps partiel;
3° du revenu brut que la victime a tiré d'un emploi qu'elle a exercé avant l'accident.
26 . À compter du cent quatre-vingt-unième jour qui suit l'accident, la Société détermine à la victime un emploi conformément à l'article 45.
La victime a droit à une indemnité de remplacement du revenu si, en raison de cet accident, elle est incapable d'exercer l'emploi que la Société lui détermine.
Cette indemnité est calculée conformément au troisième alinéa de l'article 21.
45 . Lorsque la Société est tenue de déterminer un emploi à une victime à compter du cent quatre-vingt-unième jour qui suit l'accident, elle doit tenir compte, outre les normes et modalités prévues par règlement, de la formation, de l'expérience de travail et des capacités physiques et intellectuelles de la victime à la date de l'accident.
Il doit s'agir d'un emploi que la victime aurait pu exercer habituellement, à temps plein ou, à défaut, à temps partiel, lors de l'accident.
[4] TAQ 1 énonce ensuite que suivant l’article 45, les facteurs à considérer pour déterminer un emploi à compter du 181 e jour suivant l’accident sont la formation, l’expérience de travail et les capacités physiques et intellectuelles du requérant à la date de l‘accident [2] . Procédant à l’examen de la preuve, TAQ 1 considère que le requérant avait à la fois la formation, les qualifications professionnelles et une expérience pertinente lui permettant de travailler comme plâtrier, métier qu’il avait cependant cessé d’exercer en décembre 2005, à la suite de son accident de travail.
[5] TAQ 1 indique qu’au moment de son accident d’automobile en novembre 2007, le requérant reçoit de la Commission une indemnité de remplacement du revenu. Il ajoute que le 5 octobre précédent, cette dernière avait déclaré le requérant apte à reprendre, le même mois, son emploi pré-lésionnel de plâtrier qui respectait ses limitations fonctionnelles, soit d’éviter, avec le membre supérieur gauche, de poser des gestes répétitifs d’élévation et d’abduction de plus de 80 0 et de soulever un poids de plus de 10 kg de façon répétée.
[6] Selon TAQ 1 :
[53] […] même s’il est vrai que la Société de l’assurance automobile du Québec n’est pas liée par les décisions de la Commission de la santé et de la sécurité du travail, il n’en demeure pas moins que cette dernière avait fait examiner et évaluer les capacités de travail du requérant avant de rendre sa décision.
[54] Ainsi, en octobre 2007, l’ergothérapeute concluait que le requérant était apte à effectuer l’emploi de plâtrier avec les outils appropriés et que cet emploi respectait intégralement les limitations fonctionnelles émises par la Commission de la santé et de la sécurité du travail.
[55] Également à la demande de la Commission de la santé et de la sécurité du travail le 11 juin 2007, le requérant était examiné par le docteur Gilbert Thiffault, orthopédiste.
[56] Ce dernier ne retenait des limitations fonctionnelles et une atteinte permanente que relativement au membre supérieur gauche. Il soulignait que le requérant était ambidextre sans se prononcer toutefois sur sa capacité de travail.
[57] Par ailleurs, durant son année de recherche d’emploi, le requérant a exprimé son désir et il a essayé de retourner travailler comme plâtrier.
[7] TAQ 1 conclut en ces termes :
[58] Ainsi, le Tribunal est d'avis que les exigences de l’emploi de plâtrier tel (sic) que détaillées dans Repères étaient en l’instance respectées.
[59] Par conséquent, le Tribunal considère que le requérant avait les qualités nécessaires et la capacité d’exercer l’emploi de plâtrier lors de son accident d’automobile du 29 novembre 2007.
[60] Le Tribunal estime donc que c’est l’emploi de plâtrier qui aurait dû être déterminé au requérant par la Société de l’assurance automobile du Québec, à compter du 181 e jour suivant l’accident d’automobile.
La requête en révision
[8] Dans sa requête, la Société soutient que TAQ 1
5. […] n’est
pas suffisamment motivé et a commis des vices de fond de nature à invalider la
décision découlant d’erreurs de droit et de faits déterminants quant à l’issue
du litige et donnant ouverture à l’application de l’article
(Transcription conforme)
[9] De manière plus précise :
10. D’aucune façon, dans la décision du Tribunal, nous ne retrouvons d’analyse quant à la définition de l’emploi de plâtrier, des tâches ainsi que des capacités physiques requises reliées à l’exercice de cet emploi;
14. Compte tenu des capacités physiques de l’INTIMÉ-Requérant au moment de l’accident, celui-ci ne pouvait être en mesure d’exécuter plusieurs des tâches requises par l’emploi de plâtrier […];
15. À cet égard, la REQUÉRANTE-intimée soumet respectueusement l’absence de motivation de la décision à l’effet que les exigences de Repère sont respectées quand de façon prima facie, elles ne le sont pas;
16. Le Tribunal commet une erreur de fond en ne tenant aucunement compte des données contenues au système Repères qui constitue un outil réglementaire devant être obligatoirement considéré lorsqu’il s’agit de déterminer un emploi;
17. Par ailleurs, en raison de l’absence de toute motivation à cet égard, le Tribunal commet là une erreur suffisamment grave puisqu’il devient ainsi impossible de savoir pour quelle raison le Tribunal considère que les exigences de Repère sont respectées;
18. Les vices
de fond, apparaissant dans la décision du 13 mai 2013, constituent des erreurs
graves manifestes et déterminantes qui justifient le Tribunal administratif du
Québec d’intervenir conformément à l’article
(Transcription conforme)
Analyse et décision
[10] L ’article 154 de la Loi établit le cadre à l’intérieur duquel le Tribunal peut réviser la décision antérieure d’une autre formation:
154. Le Tribunal peut, sur demande, réviser ou révoquer toute décision qu'il a rendue:
1° lorsqu'est découvert un fait nouveau qui, s'il avait été connu en temps utile, aurait pu justifier une décision différente;
2° lorsqu'une partie n'a pu, pour des raisons jugées suffisantes, se faire entendre;
3° lorsqu'un vice de fond ou de procédure est de nature à invalider la décision .
Dans le cas visé au paragraphe 3°, la décision ne peut être révisée ou révoquée par les membres qui l'ont rendue.
(Soulignement ajouté)
[11] Selon une jurisprudence bien établie à ce propos et récemment réitérée par la Cour d’appel [3] :
[
42
]
Tenant
compte de sa propre réalité et de l’intérêt supérieur de la justice
administrativ
e
, le TAQ doit considérer que l’article
[ 43 ] L’opinion convaincante du juge Fish mérite d’être rappelée :
[47] […] Section 154(3) of the ARAJ was not intended to empower one panel of the TAQ to revoke or revise the decision of another panel of the TAQ simply because it takes a different view of the facts, the relevant statutory provisions, or the applicable regulations.
[48] The second panel may only intervene where it can identify a fatal error in the impugned earlier decision. By the very terms of the provision, the error must, on account of its significance, be "of a nature likely to invalidate the decision", within the meaning of section 154(3).
[50] In short, section 154(3) does not provide for an appeal to the second panel against findings of law or fact by the first. On the contrary, it permits the revocation or review by the Tribunal of its own earlier decision not because it took a different though sustainable view of the facts or the law, but because its conclusions rest on an unsustainable finding in either regard.
(Soulignements dans l’original)
[
44
]
Toujours
dans l’affaire Godin, le juge Chamberland ajoute qu’une divergence d’opinions
quant à la façon d’interpréter une disposition législative ne constitue pas un
vice de fond de nature à invalider la première décision, car l’article
[12] Une erreur importante et sérieuse, substantielle ou fondamentale est donc requise, plutôt qu’une simple erreur ou une divergence d’interprétation par rapport à la législation ou à la preuve. À ce propos, l’obligation de motiver n’exige pas que la décision reprenne tous les éléments de la preuve, mais plutôt ceux ayant un caractère déterminant par rapport à la conclusion à rendre. En d’autres termes, les motifs doivent être suffisants et cohérents et pour justifier les conclusions.
[13] Dans une décision [4] où il conclut qu’une motivation insuffisante constitue une erreur assimilable à un vice de fond donnant ouverture à la révision pour cause, le Tribunal rappelle d’abord certains motifs de la Cour d’appel à ce sujet :
[34] [L]la Cour suprême indique que l’insuffisance des motifs ne permet pas à elle seule de casser une décision et que les motifs doivent être examinés en corrélation avec le résultat […]. Toutefois, la Cour précise entre autres que « les motifs répondent aux critères établis dans Dunsmuir s’ils permettent à la cour de révision de comprendre le fondement de la décision du tribunal […] ». Elle réitère en outre qu’en l’absence de motifs dans des circonstances où ils s’imposent, il y a un manquement à une obligation d’équité procédurale, ce qui constitue une erreur de droit […].
[35] Or, c’est précisément la situation dans le présent dossier. Les motifs fournis ne permettent pas de comprendre le fondement de la décision, alors que les circonstances imposaient d’expliquer pourquoi les représentations formulées par l’intimé n’étaient pas retenues. Par conséquent, sans motifs adéquats, l’on ne peut savoir si la décision ultime est, de fait, raisonnable. [5]
[14] Le Tribunal relève ensuite certaines omissions ou lacunes qui, dans la décision contestée, le conduisent à conclure à un vice de fond :
[28]
[C]ontrairement à ce que
prévoit (sic) la Loi et le Règlement,
aucune référence n’est faite par TAQ1
aux exigences du fichier Repères
en vigueur au jour où la partie intimée
détermine un emploi […], ni en quoi l’emploi déterminé dans le présent dossier
ne respecte pas les facteurs à considérer en vertu de l’article
[32] Au surplus, bien que TAQ1 mentionne que la requérante n’a pas les capacités physiques pour exercer l’emploi déterminé […], il ne procède à aucune analyse de la condition médicale et des limitations fonctionnelles de la requérante en lien avec les exigences du fichier Repères et ne propose aucune motivation à cet égard. [6]
[15] À l’audience, la procureure de la Société a soumis que TAQ 1 n’a pas expliqué en quoi les limitations fonctionnelles du requérant étaient compatibles avec la fiche Repères relative à l’emploi de plâtrier et dont la prise en compte est obligatoire. De plus, TAQ 1 a attribué l’autorité de la chose jugée à la décision de la Commission sans considérer que celle-ci a reconnu au requérant un emploi convenable de plâtrier qui, pour tenir compte de ses limitations, comportait des adaptations importantes.
[16] Le procureur du requérant a pour sa part invité le Tribunal à rejeter le recours au motif que TAQ 1 a tenu compte de tous les facteurs applicables et rendu une décision selon un raisonnement logique qui la met à l’abri de la révision pour cause.
[17] Pour les motifs qui suivent, le Tribunal conclut qu’il y a lieu d’accueillir la requête.
[18] Afin de se prononcer sur la validité de l’emploi déterminé au requérant par la Société, TAQ 1 s’est référé, comme il se doit, aux facteurs expressément mentionnés aux articles 21 et 45 de la Loi dont, notamment, sa formation, son expérience de travail et ses capacités physiques et intellectuelles à la date de l'accident.
[19] Ce faisant, TAQ 1 a cependant omis de tenir compte de l’exigence, également prévue à l’article 45, de considérer d’abord les « normes et modalités prévues par règlement ». Il s’agit ici de celles prévues à l’article 7 du Règlement sur la détermination des revenus et des emplois et sur le versement de l’indemnité visée à l’article 83.30 de la Loi [7] selon lequel :
[ …]
Aux fins des articles 45 et 48 de la Loi, les catégories d'emplois de même que les revenus bruts correspondants sont ceux prévus à l'Annexe III. Le revenu brut est celui en vigueur le jour où la Société détermine un emploi.
[…]
ANNEXE III
1. Les catégories d'emplois sont les titres de profession contenus au fichier « Professions » du « Répertoire informatisé des données en information scolaire et professionnelle » (Repères) de la Société de gestion du réseau informatique des commissions scolaires (GRICS).
[…]
[20] L’application complète de l’article 45 de la Loi requiert en effet de considérer d’abord le fichier Repères, auquel renvoie l’article 7 du Règlement, car c’est ce fichier qui permet d’établir si la situation d’une victime d’un accident d’automobile satisfait, en ce qui a trait aux facteurs énumérés à l’article 45, aux exigences d’un emploi. Or comme l’omission de respecter l’obligation légale de référer au fichier Repères concerne un élément essentiel de la décision que TAQ 1 devait rendre, elle constitue une erreur substantielle dont les effets entachent ici la validité de la décision rendue.
[21] Ainsi, TAQ 1 n’a pas référé, dans sa décision, au contenu de la fiche Repères relative à l’emploi de plâtrier avant de conclure que les limitations fonctionnelles du requérant étaient bel et bien compatibles avec les capacités physiques requises par cet emploi. S’il l’avait fait à la lumière de la fiche déposée à cette fin à l’audience, TAQ 1 aurait constaté que ces dernières incluent celles d’être capable « de coordonner les mouvements de ses membres supérieurs et inférieurs [et] de soulever un poids d’environs 10 à 20 kg » [8] , deux exigences incompatibles avec les limitations fonctionnelles du requérant.
[22] Or si cette absence de prise en compte des exigences mentionnées dans la fiche Repères relative à l’emploi de plâtrier explique l’absence de motif de TAQ 1 à ce sujet, elle ne permet pas de comprendre, en l’absence d’autre précision, sa conclusion selon laquelle « les exigences de l’emploi de plâtrier telles que détaillées dans Repère [s] étaient en l’instance respectées » [9] .
[23] De plus, même si TAQ 1 affirme ne pas accorder un poids décisif à la décision dans laquelle la Commission a reconnu le requérant apte à exercer l’emploi de plâtrier, il s’appuie néanmoins sur celle-ci et sur les expertises l’ayant précédée. Ce faisant, TAQ 1 omet de considérer qu’à la suite des recommandations de l’ergothérapeute ayant évalué le requérant, l’emploi de plâtrier jugé « convenable » pour lui comporte en fait une adaptation du poste de travail avec achat d’équipement [10] , et ce, précisément pour tenir compte des limitations résultant de son accident de travail. Or cette adaptation s’explique par la finalité propre au régime d’indemnisation en matière d’accidents du travail. En conséquence, elle ne s’inscrit aucunement parmi les paramètres que la Société est tenue de considérer lorsque, dans le cadre du régime d’indemnisation applicable aux victimes d’accidents d’automobiles, elle doit déterminer une indemnité de remplacement du revenu en fonction de l’emploi que la victime aurait pu exercer au moment d’un tel accident.
[24] Cette situation démontre à son tour l’obligation légale, et donc incontournable, de référer, en cette matière, au fichier Repères afin de vérifier si les autres facteurs prévus à l’article 45 de la Loi correspondaient ou non, chez le requérant, aux exigences réelles de l’emploi de plâtrier.
[25] TAQ 1 ne l’ayant pas fait, les soussignées concluent que sa décision du 13 mai 2013 est entachée d’une erreur assimilable à un vice de fond de nature à l’invalider.
PAR CES MOTIFS , le Tribunal :
· ACCUEILE la requête en révision;
· RÉVOQUE la décision rendue par le Tribunal administratif du Québec le 13 mai 2013;
· RETOURNE le dossier au Secrétariat afin qu’une nouvelle date d’audience soit fixée.
Me Sylvain Robitaille
Procureur de la partie requérante
Raiche Pineault Touchette
Me Julie Fernandez
Procureure de la partie intimée
[1] RLRQ, chapitre A-25; ci-après « la Loi ».
[2] Paragraphe 37 de la décision de TAQ 1.
[3]
Moreau
c.
Régie de l’assurance maladie du
Québec
,
[4]
L.V.
c
. Société de l’assurance
automobile du Québec
,
[5]
Comité exécutif du Collège des
médecins du Québec et al.
c
. Pilorgé
,
[6] Affaire L.V., précitée; nous soulignons.
[7] Chapitre A-25, r. 4.2; ci-après « le Règlement ».
[8] Pièce I-1, page 3.
[9] Paragraphe 58 de la décision.
[10] Page 75 du dossier du Tribunal.