Dollarama, s.e.c. # 163 et Commission de la santé et de la sécurité du travail

2014 QCCLP 6684

 

 

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

Longueuil

4 décembre 2014

 

Région :

Laurentides

 

Dossier s :

493821-64-1301      503577-64-1302

 

Dossier CSST :

4170958

 

Commissaire :

Carmen Racine, juge administrative

 

Membres :

Mario Lévesque, associations d’employeurs

 

Sylvain Campeau, associations syndicales

 

 

______________________________________________________________________

 

 

 

Dollarama SEC # 163

 

Partie requérante

 

 

 

et

 

 

 

Commission de la santé et de la sécurité du travail

 

Partie intéressée

 

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION

______________________________________________________________________

 

 

Introduction

[1]            L’employeur, Dollarama SEC, est une entreprise qui se spécialise dans la vente de marchandises de toutes sortes dont les prix varient entre 1,00 $ et 3,00 $. Il opère plus de 200 magasins au Québec dans diverses régions administratives.

[2]            Les présents dossiers font partie d’un regroupement de litiges ordonné par la présidente de la Commission des lésions professionnelles, M e Marie Lamarre, et impliquant diverses succursales exploitées par l’employeur.

[3]            Ces litiges font suite à des visites effectuées par les inspecteurs de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (CSST) dans différents établissements de l’employeur et à l’émission de nombreux avis de dérogation ciblant divers problèmes relatifs à la santé et à la sécurité des travailleurs (encombrement des panneaux électriques, des sorties de secours, piles de boîtes instables, entreposage dans la cuisine et dans les toilettes, salubrité des toilettes et de la salle à manger, amoncellement de matériel sous les luminaires ou sous les gicleurs, capacité des palettiers et des étagères, utilisation des escabeaux, port de chaussures de protection, etc.).

[4]            À l’origine, plusieurs avis de dérogation sont remis en cause par l’employeur. Toutefois, au fil des audiences, certains sujets sont abandonnés et, au final, seules demeurent les questions de l’utilisation des escabeaux et du port des chaussures de protection.

[5]            Les présents litiges portent spécifiquement sur le port des chaussures de protection.

Dossier 493821

[6]            Ainsi, le 23 janvier 2013, l’employeur dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision rendue par la CSST le 17 janvier 2013 à la suite d’une révision administrative (la révision administrative).

[7]            Par celle-ci, la CSST maintient une décision qu’elle a initialement rendue le 21 novembre 2012 et, en conséquence, elle détermine, entre autres, que la dérogation no. 5 reprochant à l’employeur de ne pas fournir de chaussures de protection conformes au Règlement sur la santé et la sécurité au travail [1] au travailleur travaillant dans l’entrepôt, l’exposant ainsi à des risques de blessures aux pieds par la chute d’objets lourds, est bien fondée.

Dossier 503577

[8]            Le 12 février 2013, l’employeur dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision rendue par la CSST le 6 février 2013 à la suite d’une révision administrative.

[9]            Par celle-ci, la CSST statue sur une décision qu’elle a initialement rendue le 20 décembre 2012 et, en conséquence, elle détermine que la dérogation no. 5 est corrigée puisque l’employeur a fourni des chaussures de protection au commis à l’entrepôt, qu’il n’est donc pas lésé par cette décision et que sa contestation est irrecevable.

[10]         À la suite de conférences préparatoires tenues les 1 er février 2013 et 22 octobre 2013, les audiences dans l’ensemble des dossiers regroupés ont lieu à Longueuil, les 11 mars, 13 mars, 14 mars, 15 mars, 19 avril, 10 septembre, 11 octobre, 21 octobre et 8 novembre 2013 et les 20 août, 29 août, 8 septembre, 10 septembre et 12 septembre 2014. Y assistent madame Marie-Ève Madore, présente au nom de l’employeur, M e Patrick Essiminy et M e Frédéric Henry, représentants de ce dernier, M e Rébecca Branchaud, représentante de la CSST et, lors des audiences de 2014, M e Martine Saint-Jacques, représentant également la CSST.

[11]         Une preuve commune est présentée relativement à tous les sujets en litige. Cependant, afin d’en faciliter la compréhension et d’en favoriser l’exécution, la Commission des lésions professionnelles croit opportun de rendre des décisions particularisées pour chacun des établissements impliqués.

  L’OBJET DE LA CONTESTATION

[12]         Après la présentation de la preuve et au terme de diverses discussions, l’employeur et la CSST s’entendent pour produire des admissions et pour rechercher des conclusions identiques sur la question des chaussures de protection.

[13]         Ces admissions se lisent ainsi :

Faisant suite aux témoignages de Dr. Om Malik, témoin expert de Dollarama S.E.C. (ci-après, l’ « Employeur ») et de Mme Meriem Menai, inspectrice à la Commission de la santé et de la sécurité du travail (ci-après, la « CSST »), et faisant suite à la production de preuve documentaire de part et d’autre, incluant, notamment, les rapports d’expert du Dr. Malik et du Dr. Cheikh Faye, les parties, par l’entremise de leurs procureurs respectifs, admettent ce qui suit :

 

1. Le débat portant sur le port obligatoire de chaussures de protection dans les présents dossiers visent [ sic ] les établissements suivants de l’employeur :

 

Numéro de magasin

Dollarama

Ville

 

Numéro d’établissement

CSST

84

Val D’Or

ETA607152393

111

Longueuil

ETA607153132

120

Maniwaki

ETA608535415

145

Sept-îles

ETA607152936

149

Baie-Comeau

ETA607152972

163

Saint-Jérôme

ETA607153098

172

Saint-Jérôme

ETA607152721

176

Greenfield Park

ETA607152632

196

Saint-Hubert

ETA607153052

244

LaSalle

ETA607153793

316

Saint-Bruno

ETA607153409

394

Longueuil

ETA607686496

418

Sherbrooke

ETA607624847

445

Sainte-Julie

ETA607686557

574

Delson

ETA608629074

 

(ci-après collectivement, les « Magasins »).

 

2. Le port de chaussures de protection (excluant des couvre-chaussures) conformes à l’article 344 du Règlement sur la santé et la sécurité du travail (ci-après, le « RSST ») est requis dans les cas suivants :

 

a.         pour les salariés effectuant le travail de manutention d’objets lourds ou tout autre travail dangereux dans l’entrepôt des Magasins;

 

b.         pour les salariés effectuant le travail de manutention d’objets lourds dans l’aire de vente des Magasins.

 

3. Le port de chaussures de protection n’est pas requis pour les salariés travaillant dans l’aire de vente des Magasins et effectuant le placement unitaire d’objets autres que des objets lourds.

 

4. En tenant compte de ce qui précède, l’Employeur et la CSST reconnaissent que les requêtes en contestations de l’Employeur doivent être accueillies en partie afin de modifier les décisions rendues par la direction administrative de la CSST de façon à remplacer le libellé des dérogations portant sur le port de chaussures de protection dans les rapports d’intervention en cause dans le présent litige par ce qui suit :

 

«  Le port de chaussures de protection (excluant des couvre-chaussures) conformes à l’article 344 du Règlement sur la santé et la sécurité du travail est requis dans les cas suivants :

 

a.            pour les salariés effectuant le travail de manutention d’objets lourds ou tout autre travail dangereux dans l’entrepôt du magasin;

 

b.           pour les salariés effectuant le travail de manutention d’objets lourds dans l’aire de vente du magasin.

 

Le port de chaussures de protection n’est pas requis pour les salariés travaillant dans l’aire de vente du magasins et effectuant le placement unitaire d’objets autres que des objets lourds  ».

 

5. En conséquence, l’Employeur et la CSST demandent respectueusement à la Commission des lésions professionnelles d’accueillir les requêtes en contestation de l’Employeur et de modifier les dérogations suivantes conformément au paragraphe 4 :

 

Dossier CLP

Rapport d’intervention

Dérogation

471988

472509

RAP0742045 du 30 mars 2012

RAP0742048 du 19 avril 2012

n° 11

 

478846

RAP0753792 du 4 juin 2012

n° 8

484681

486765

RAP0753813 du 30 juillet 2012

RAP0753827 du 27 septembre 2012

 

n° 11

478855

RAP0715706 du 14 juin 2012

n° 3

479160

RAP0715709 du 18 juin 2012

n° 11

492464

RAP0715782 du 19 novembre 2012

n° 8

513873

RAP0770247 du 23 avril 2013

n° 8

492446

502668

RAP0718785 du 26 novembre 2012

RAP0715803 du 14 janvier 2013

n° 11

476834

479157

RAP0715702 du 8 mai 2012

RAP0715708 du 15 juin 2012

n° 2

485951

RAP0715737 du 27 juillet 2012

n° 3

486051

RAP0794829 du 31 juillet 2012

n° 7

437164

RAP0687226 du 21 décembre 2010

n° 3

413631

411119

408300

RAP0589834 du 26 janvier 2010

RAP0589839 du 3 février 2010

RAP0589861 du 18 mars 2010

 

n° 23

493821

503577

RAP0706753 du 21 novembre 2012

RAP0717741 du 20 décembre 2012

n° 1

493820

503259

RAP0710285 du 28 novembre 2012

RAP0717742 du 20 décembre 2012

n° 1

533944

RAP0898776 du 23 décembre 2013

RAP0898794 du 11 février 2014

n° 4

 

 

 

 

[14]         Les parties demandent donc conjointement à la Commission des lésions professionnelles d’accueillir, en partie, les requêtes déposées par l’employeur, de modifier, en partie, les décisions rendues par la révision administrative et de déclarer que le port de chaussures de protection (excluant les couvre-chaussures) conformes à l’article 344 du Règlement sur la santé et la sécurité du travail est requis pour les travailleurs [2] effectuant le travail de manutention d’objets lourds ou tout autre travail dangereux dans l’entrepôt des magasins et pour les travailleurs effectuant le travail de manutention d’objets lourds dans l’aire de vente de ces mêmes magasins, mais que le port de ces chaussures de protection n’est toutefois pas requis pour les travailleurs travaillant dans l’aire de vente des magasins et effectuant le placement unitaire d’objets autres que des objets lourds.

L’AVIS DES MEMBRES

[15]         Conformément à ce qui est prévu à l’article 429.50 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles [3] (la loi), la soussignée recueille l’avis des membres issus des associations syndicales et des associations d’employeurs sur la question soulevée par les présents litiges.

[16]         Les membres issus des associations syndicales et des associations d’employeurs sont d’avis qu’il y a lieu d’accueillir en partie les requêtes déposées par l’employeur, de modifier, en partie, les décisions rendues par la révision administrative et de déclarer que le port de chaussures de protection (excluant les couvre-chaussures) conformes à l’article 344 du Règlement sur la santé et la sécurité du travail est requis pour les travailleurs effectuant le travail de manutention d’objets lourds ou tout autre travail dangereux dans l’entrepôt des magasins et pour les travailleurs effectuant le travail de manutention d’objets lourds dans l’aire de vente de ces mêmes magasins, mais que le port de ces chaussures de protection n’est toutefois pas requis pour les travailleurs travaillant dans l’aire de vente des magasins et effectuant le placement unitaire d’objets autres que des objets lourds.

[17]         En effet, les membres issus des associations syndicales et des associations d’employeurs estiment que la preuve présentée par les parties permet d’en arriver à de telles conclusions et que celles-ci respectent les prescriptions du Règlement sur la santé et la sécurité au travail .

LES FAITS ET LES MOTIFS

[18]         La Commission des lésions professionnelles doit déterminer si le port de chaussures de protection est requis chez l’employeur et, dans l’éventualité où de telles chaussures sont nécessaires et doivent être fournies, la Commission des lésions professionnelles doit statuer sur le type de chaussures assurant une telle protection.

[19]         En effet, la Commission des lésions professionnelles reconnaît que les admissions présentées par les parties constituent un moyen de preuve mis à leur disposition, mais elle précise qu’elle n’est pas liée par celles-ci et qu’elle doit s’assurer que ces admissions sont supportées par la preuve pertinente. Un très bref résumé de cette preuve s’impose donc dans un tel contexte.

[20]         L’article 2 de la Loi sur la santé et la sécurité du travail (la L.S.S.T.) [4] énonce que cette loi a pour objet l’élimination à la source même des dangers pour la santé, la sécurité et l’intégrité physique des travailleurs et l’article 223 de la L.S.S.T. permet à la CSST de faire des règlements pour faciliter l’atteinte de cet objectif.

[21]         Ainsi, le Règlement sur la santé et la sécurité au travail traite de divers sujets dont les équipements de protection individuels tels que les chaussures de protection.

[22]         L’article 338 de ce règlement prévoit que l’employeur doit fournir gratuitement au travailleur les moyens et les équipements de protection individuels ou collectifs décrits et qu’il doit s’assurer que le travailleur utilise ces moyens et équipements dans le cadre de son travail.

[23]         L’article 344 de ce règlement concerne les chaussures de protection. Il édicte que l e port de telles chaussures conformes à la norme « Chaussures de protection, CAN/CSA-Z195-02 » est obligatoire pour tout travailleur exposé à se blesser les pieds dans les cas suivants:

  1°      par perforation;

 

  2°      par un choc électrique;

 

  3°      par l'accumulation de charges électrostatiques;

 

  4°      à la suite de la chute d'objets lourds, brûlants ou tranchants;

 

  5°      par contact avec du métal en fusion;

 

6°      par contact avec des matières dangereuses qui sont sous forme liquide et à des températures intenses;

 

  7°      par contact avec des matières dangereuses qui sont corrosives;

 

  8°      lors d'autres travaux dangereux.

 

 

[24]         La norme CAN/CSA Z195-02 dont il est question décrit les exigences relatives à la conception et aux critères de performance des chaussures de protection.

[25]         Elle précise qu’une chaussure de protection est une botte ou un soulier qui assure un certain niveau de protection contre les blessures et qu’un embout protecteur est un élément qui, ajouté à la chaussure ou à la botte, protège les orteils contre les chocs.

[26]         Elle mentionne que toutes les chaussures de protection visées par cette norme doivent être munies d’un embout protecteur et elle indique que cet embout doit être incorporé à la chaussure au moment de la fabrication et faire partie intégrante de celle-ci.

[27]         Enfin, diverses spécifications techniques sont illustrées par des croquis et il en ressort que la chaussure dont il est question à cette norme est une botte ou un soulier au sens ordinaire de ces termes, à savoir, selon le Petit Larousse illustré [5] , une «  chaussure à tige montante qui enferme le pied et la jambe, généralement jusqu’au dessous du genou  » ou une «  chaussure résistante à tige basse  », et non un couvre- chaussures, même muni d’un embout protecteur.

[28]         La Commission des lésions professionnelles doit donc vérifier si les activités exercées par les travailleurs de l’employeur les exposent à se blesser les pieds dans les situations prévues au Règlement sur la santé et la sécurité au travail .

[29]         Or, il ressort des documents au dossier et de la preuve présentée que les établissements de l’employeur sont généralement divisés en deux parties, soit l’aire de vente (le magasin) et l’entrepôt.

[30]         Les items vendus dans le magasin arrivent dans des boîtes empilées sur des palettes. Ces boîtes de différentes dimensions sont entourées de plusieurs couches de pellicule plastique. Cette pellicule plastique doit être coupée graduellement afin de libérer, un à un, chacun des étages de matériel et les boîtes doivent être placées sur un transpalette manuel afin d’être éventuellement rangées dans les palettiers garnissant l’entrepôt ou déposées sur des chariots afin d’être immédiatement acheminées dans l’aire de vente.

[31]         Les palettiers situés dans l’entrepôt sont des structures métalliques de huit à quinze pieds de hauteur comportant de quatre à cinq tablettes dont la plus basse est à dix pouces du sol.

[32]         Les étagères sises dans le magasin s’élèvent à sept pieds de hauteur et elles peuvent être équipées de plus ou moins de tablettes selon la dimension des items qui y sont rangés. Il y a aussi des murs avec des crochets sur lesquels diverses marchandises sont accrochées.

[33]         Selon monsieur Om Malik, ingénieur mandaté par l’employeur, les manœuvres afin de diriger le transpalette vers les palettiers appropriés sont effectuées dans un endroit exigu et, dès lors, il n’est pas exclu que les roues du transpalette écrasent les pieds de l’opérateur et qu’il en résulte une blessure à ce site.

[34]         De plus, il peut arriver que des boîtes tombent lors du retrait de la pellicule plastique, qu’elles soient échappées lors de la manutention ou qu’elles s’effondrent en raison de piles instables. Il observe ou se fait relater de telles situations lors de ses visites.

[35]         Par contre, contrairement à ce qui est avancé par monsieur Malik, la manutention de boîtes n’est pas réservée exclusivement aux travailleurs présents dans l’entrepôt.

[36]         En effet, les travailleurs affectés à l’aire de vente manipulent aussi des boîtes, comme le démontrent les photographies retrouvées dans le document «  Safe Work Methods  » annexé à son rapport d’expertise et comme il ressort des témoignages des inspectrices Céline Vézina et Meriem Menai. Ces travailleurs les placent d’abord sur les chariots destinés à l’aire de vente. Ils les reprennent et les déposent sur la barre transversale en U des escabeaux afin de faciliter le rangement des objets sur les plus hautes tablettes. En outre, lorsqu’ils ont terminé le remplissage de l’étagère et qu’il reste des objets dans la boîte, ils saisissent celle-ci et ils la placent sur la dernière tablette de l’étagère, à sept pieds du sol, et les photographies déposées révèlent que, malgré la politique de l’employeur limitant à deux rangées les boîtes pouvant être ainsi empilées, plusieurs étages de boîtes, parfois en équilibre précaire, peuvent se retrouver sur cette dernière tablette.

[37]         Ces travailleurs manipulent aussi des objets individuels assez massifs (contenants d’Eau de Javel ou de vinaigre) et, selon les photographies prises dans divers établissements, ces contenants ne sont pas entreposés sur les plus basses tablettes, comme le mentionne monsieur Malik ou comme le prévoient les procédures en place chez l’employeur, mais bien sur toutes les tablettes sans égard à leur hauteur.

[38]         Des boîtes ou des objets retenus ensemble par un plastique épais ou des objets individuels massifs sont donc manipulés dans l’entrepôt et dans l’aire de vente et, selon la preuve présentée, aucun travailleur en particulier n’est assigné à ces tâches. Or, plusieurs de ces boîtes ou de ces objets sont pesés ou leur poids est évalué au fil du temps par différents intervenants.

[39]         Ainsi, dans le présent dossier, l’inspecteur note que la personne affectée à l’entrepôt manipule des boîtes lourdes, une activité qui, à son avis, est susceptible de causer des blessures aux pieds en cas de chute de celles-ci. Monsieur Van Hiep Nguyen, ingénieur retenu par l’employeur, mesure le poids de boîtes de marchandises retrouvées sur les tablettes supérieures des palettiers, soit à 8 à 15 pieds de hauteur, et il en rapporte un certain nombre avoisinant les huit kilogrammes. Madame Isabelle Gagné, ergonome mandatée par l’employeur, procède aussi à certaines pesées des boîtes apportées de l’entrepôt à l’aire de vente et les poids notés par celle-ci s’échelonnent de 2,10 kilogrammes à 11,95 kilogrammes. Monsieur Malik mentionne des boîtes pesant jusqu’à 23 kilogrammes et des objets individuels, comme un contenant de quatre litres de vinaigre, pesant quatre kilogrammes. Enfin, les inventaires de différents établissements de l’employeur, déposés par la CSST, font état de boîtes ou de marchandises dépassant fréquemment les dix kilogrammes et atteignant, parfois, plus de 25 kilogrammes (boîtes de sel).

[40]         Cependant, tant l’expert mandaté par l’employeur, monsieur Malik, que celui mandaté par la CSST, monsieur Cheikh Faye, reconnaissent que le Règlement sur la santé et la sécurité au travail ne définit pas ce qu’est un objet lourd. Ils conviennent qu’un objet peut être objectivement lourd ou le devenir en raison de la hauteur de laquelle il tombe et de la vitesse générée par sa chute.

[41]         Ils s’entendent sur le fait que ce qu’il faut considérer, c’est l’énergie ou la force d’impact qui découle tant du poids de l’objet que de la hauteur de laquelle il tombe et de l’accélération acquise au point de chute. Cette énergie d’impact est calculée en joules.

[42]         Selon monsieur Malik, une énergie d’impact de 9.5 joules peut potentiellement causer une fracture des orteils ou une contusion sévère aux pieds non protégés par une chaussure de sécurité. Monsieur Faye propose plutôt une valeur de 13,5 joules et il estime qu’une marchandise dont le poids est compris entre 2,5 et 3,5 kilogrammes peut générer cette force d’impact en tombant d’une hauteur d’un demi-mètre, soit environ un pied et huit pouces.

[43]         Or, un grand nombre de boîtes excède ces valeurs. De plus, ces boîtes sont susceptibles de tomber de distances bien supérieures à un demi-mètre, que ce soit dans l’entrepôt ou dans le magasin. En effet, monsieur Faye note que, en se basant sur les données fournies par monsieur Nguyen, 59 % des boîtes pesées à cette occasion peuvent générer une énergie d’impact de 100 joules lors d’une chute ce qui «  atteste d’une large présence du risque de lésion aux pieds dans les magasins et entrepôts  » de l’employeur.

[44]         La Commission des lésions professionnelles constate d’ailleurs que plusieurs accidents surviennent chez l’employeur en raison de la manutention ou de la chute de boîtes ou de matériel entraînant des fractures ou des contusions aux orteils ou aux pieds.

[45]         La Commission des lésions professionnelles est donc d’avis, à l’instar des parties, que les travailleurs de l’employeur sont exposés à se blesser les pieds à la suite de la chute d’objets lourds et par compression lors du déplacement du transpalette dans l’entrepôt.

[46]         Le port de chaussures de protection est donc obligatoire lorsque les travailleurs s’adonnent à des activités de manipulation et de manutention d’objets lourds, que ce soit dans l’entrepôt ou dans le magasin, ou lors de l’accomplissement de tout autre travail dangereux pour les pieds.

[47]         Or, au départ, l’employeur soutient que les couvre-chaussures avec embout de sécurité de marque Wilkuro assurent une telle protection.

[48]         Cependant, le 16 mars 2011 [6] , la Commission des lésions professionnelles rejette cette argumentation concluant que de tels couvre-chaussures ne peuvent être assimilés à des chaussures de protection au sens du Règlement sur la santé et la sécurité au travail . Ces couvre-chaussures ne sont certes pas homologués par l’Association canadienne de normalisation lors de cette première audience, mais cette accréditation, obtenue en juillet 2011, ne vient rien changer à la situation constatée par le tribunal à cette époque.

[49]         En effet, le certificat d’homologation précise que les couvre-chaussures Wilkuro offrent une protection de grade I, mais que ce produit ne peut être utilisé que pour une protection occasionnelle des orteils et en conjonction avec une chaussure couvrant entièrement le pied. Or, comme le mentionne la Commission des lésions professionnelles dans la décision rendue le 16 mars 2011, «  le tribunal considère que les rédacteurs du règlement ont aussi voulu s’assurer que ces chaussures soient portées par le travailleur dans l’exécution de son travail et ainsi éviter qu’il omette ou néglige de les mettre à l’occasion et faire ainsi en sorte qu’il soit exposé aux risques de blessures aux pieds que le règlement veut éviter  ». Un couvre-chaussures qui peut être porté et enlevé à la guise du travailleur ne peut donc correspondre aux prescriptions du règlement.

[50]         De plus, comme mentionné précédemment, un couvre-chaussures n’est ni une botte, ni un soulier et, dès lors, il ne peut tenir lieu de chaussure de protection puisqu’il ne respecte pas la définition retrouvée au règlement et à la norme.

[51]         En outre, la Commission des lésions professionnelles remarque que, dans la norme CAN/CSA-Z195 révisée en 2014, les couvre-chaussures sont expressément exclus de la définition des chaussures de protection. Cette précision, même si elle est inapplicable au présent litige, vient clore tout débat futur à ce sujet.

[52]         Les couvre-chaussures Wilkuro ne sont donc pas un substitut valable aux chaussures de protection et leur usage ne peut être approuvé par le tribunal.

[53]         La Commission des lésions professionnelles est donc d’avis que le port de chaussures de protection conformes au règlement est obligatoire lors des activités décrites précédemment.

[54]         La Commission des lésions professionnelles rappelle que, en vertu des articles 51 (11) de la L.S.S.T. et 338 du Règlement sur la santé et la sécurité au travail , l’employeur doit fournir gratuitement cet équipement de protection individuel. Or, la preuve révèle que, dans la plupart des établissements, tous les travailleurs sont appelés à manipuler des objets lourds ou à accomplir un travail dangereux pour les pieds. L’employeur serait donc bien avisé de fournir des chaussures de protection à tous dans un tel contexte. Cependant, l’employeur peut aussi choisir de modifier l’organisation du travail et confier ces tâches à des travailleurs bien identifiés et, à cet égard, l’expérience du magasin de Maniwaki #120 où la manutention d’objets lourds et le travail dangereux sont exécutés par des personnes ciblées, en dehors des heures d’ouverture, peut s’avérer utile.

[55]         La Commission des lésions professionnelles ajoute que, selon les Lignes directrices relatives à la sélection, à l’entretien et à l’utilisation des chaussures de protection [7] , le choix de la chaussure doit être effectué conjointement avec l’utilisateur afin de s’assurer que cette chaussure lui convient.

[56]         La Commission des lésions professionnelles note que, selon monsieur Malik, plusieurs travailleurs de l’employeur se plaignent de l’inconfort des chaussures fournies, une situation qui, de l’avis du tribunal, peut facilement être réglée si le choix et l’acquisition des chaussures sont faits avec la collaboration des travailleurs concernés.

[57]         La Commission des lésions professionnelles accueille donc, en partie, les requêtes de l’employeur et elle modifie, en partie, les décisions rendues par la révision administrative dans le sens demandé par l’employeur et la CSST.

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

Dossier 493821

ACCUEILLE , en partie, la requête déposée par l’employeur, Dollarama SEC #163;

MODIFIE , en partie, la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail le 17 janvier 2013 à la suite d’une révision administrative;

DÉCLARE que le port de chaussures de protection (excluant les couvre-chaussures) conformes à l’article 344 du Règlement sur la santé et la sécurité au travail est requis chez l’employeur pour tous les travailleurs effectuant un travail de manutention d’objets lourds ou tout autre travail dangereux dans l’entrepôt et dans l’aire de vente du magasin;

DÉCLARE que le port de chaussures de protection n’est pas requis pour les travailleurs travaillant dans l’aire de vente du magasin et effectuant le placement unitaire d’objets qui ne sont ni lourds, ni dangereux;

DÉCLARE que ces chaussures de protection doivent être fournies et défrayées par l’employeur;

CONFIRME , pour le reste, la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail à la suite d’une révision administrative.

Dossier 503577

ACCUEILLE , en partie, la requête déposée par l’employeur, Dollarama SEC #163;

MODIFIE , en partie, la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail le 6 février 2013 à la suite d’une révision administrative;

DÉCLARE que le port de chaussures de protection (excluant les couvre-chaussures) conformes à l’article 344 du Règlement sur la santé et la sécurité au travail est requis chez l’employeur pour tous les travailleurs effectuant un travail de manutention d’objets lourds ou tout autre travail dangereux dans l’entrepôt et dans l’aire de vente du magasin;

DÉCLARE que le port de chaussures de protection n’est pas requis pour les travailleurs travaillant dans l’aire de vente du magasin et effectuant le placement unitaire d’objets qui ne sont ni lourds, ni dangereux;

DÉCLARE que ces chaussures de protection doivent être fournies et défrayées par l’employeur;

CONFIRME , pour le reste, la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail à la suite d’une révision administrative.

 

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Carmen Racine

 

 

 

 

M e Patrick Essiminy

STIKEMAN ELLIOTT

Représentant de la partie requérante

 

 

M e Rébecca Branchaud

VIGNEAULT THIBODEAU BERGERON

Représentante de la partie intéressée

 

 



[1]           RLRQ, c. S-2.1, r.13.

[2]           La Commission des lésions professionnelles préfère utiliser le terme « travailleur » employé par le législateur dans la L.S.S.T. et le Règlement sur la santé et la sécurité du travail , plutôt que le terme « salarié » employé par les parties et qui ne trouve pas écho dans la législation pertinente aux présents litiges.

[3]           RLRQ, c. A-3.001.

[4]           RLRQ, c. S-2.1.

[5]           2014, Éditions Larousse, Paris, pp. 172 et 998.

[6]           Dollarama, s.e.c. et Commission de la santé et de la sécurité du travail 2011 QCCLP 1946 ; requête en révision rejetée, 2013 QCCLP 2311 ; requête en révision judiciaire 500-17-077182-130 ayant fait l’objet d’un désistement le 4 mars 2014.

[7]           CAN/CSA Z195.1-02.