Allard c. Trudel-Bélanger (Ferme Hermance Bélanger)

2014 QCCQ 12215

COUR DU QUÉBEC

« Division des petites créances »

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

JOLIETTE

LOCALITÉ DE

JOLIETTE

« Chambre civile »

N° :

705-32-013414-146

 

 705-32-013416-141

 

DATE :

Le 16 décembre 2014

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SOUS LA PRÉSIDENCE DE

L’HONORABLE

BENOIT SABOURIN, J.C.Q.

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DOSSIER : 705-32-013414-146

 

Jean-Louis ALLARD

Demandeur

c.

Hermance TRUDEL-BÉLANGER (f.a.s.n. de Ferme Hermance Bélanger )

Défenderesse

 

DOSSIER : 705-32-013416-141

 

LES SERVICES J.L.R. INC.

           Demanderesse

c.

Hermance TRUDEL-BÉLANGER (f.a.s.n. de Ferme Hermance Bélanger )

           Défenderesse

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JUGEMENT

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[1]            En début d’audience, les dossiers 705-32-013414-146 et 705-32-013416-141 ont été réunis et ont fait l’objet d’une preuve commune, et ce, conformément aux articles 998 et 271 du Code de procédure civile .

[2]            Dans le dossier 705-32-013414-146 (ci-après nommé le dossier « 13414 »), Jean-Louis Allard réclame 3 140,30 $ à Hermance Trudel-Bélanger pour des services rendus et des marchandises livrées.

[3]            Hermance Trudel-Bélanger (ci-après nommée « la défenderesse ») conteste cette demande et invoque l’exception d’inexécution prévue à l’article 1591 du Code civil du Québec pour refuser de payer la somme réclamée par Jean-Louis Allard.

[4]            Dans le dossier 705-32-013416-141 (ci-après nommé le dossier « 13416 »),), Les Services J.L.R. inc. (ci-après nommée « JLR »), société par actions dont Jean-Louis Allard est président et actionnaire, réclame 6 690,01 $ à la défenderesse pour des services de gestion de projet qu’elle a rendus à la défenderesse.

[5]            La défenderesse conteste aussi cette demande et invoque les mêmes motifs que dans le dossier 13414.

[6]            De plus, tant dans le dossier 13414 que dans le dossier 13416, elle se porte demanderesse reconventionnelle pour la somme de 6 953,09 $. Elle réclame cette somme au demandeur Jean-Louis Allard et à la demanderesse JLR, et ce, solidairement. Cette somme correspond aux frais de correction des déficiences du silo à grain et aux frais de réparations de l’équipement vendu et livré (753,09 $). Elle réclame aussi des dommages-intérêts compensatoires de 6 200 $ pour des pertes subies en raison du mauvais fonctionnement de l’appareil responsable de la distribution de la moulée aux poulets qu’elle élève dans le cadre de l’opération de son poulailler.

QUESTIONS EN LITIGE

A)     Dans le dossier 13414, Jean-Louis Allard a-t-il droit, en tout ou en partie, à la somme de 3 140,30 $ qu’il réclame à la défenderesse?

B)    Dans le dossier 13416, JLR a-t-elle droit à la somme de 6 690,01 $ qu’elle réclame à la défenderesse?

C)    Dans les deux dossiers 13414 et 13416, la défenderesse a-t-elle droit, en tout ou en partie, à la somme de 6 953,09 $ qu’elle réclame solidairement au demandeur Jean-Louis Allard et à la demanderesse JLR?

CONTEXTE

[7]            Les faits pertinents tant pour le dossier 13414 que pour le dossier 13416 sont les suivants.

[8]            Le demandeur Jean-Louis Allard œuvre dans le domaine de la fourniture et de l’installation d’équipements agricoles. La société par actions dont il est le président et l’actionnaire, JLR, œuvre dans le domaine de la consultation et de la gestion de projets dans le domaine de l’agriculture.

[9]            De son côté, la défenderesse exploite une ferme destinée à l’élevage de poulets.

[10]         Le 6 mai 2011, l’un des poulaillers dont la défenderesse est propriétaire est ravagé par un incendie. La défenderesse est assurée contre le feu et bénéficie d’une indemnité d’assurance lui permettant de reconstruire le bâtiment.

[11]         Le 9 juin 2011, la défenderesse reçoit une offre de service de JLR qui lui propose de voir à la gestion du projet de reconstruction du poulailler ainsi qu’à la fourniture et l’implantation de tout l’équipement nécessaire.

[12]         L’offre de service prévoit que les honoraires de JLR seront de 5 % des coûts totaux encourus pour la réalisation du projet de reconstruction du poulailler.

[13]         À l’audience, la défenderesse admet qu’elle a conclu cette entente de service avec JLR. Elle admet aussi l’exactitude du solde dû (6 690,01 $), solde qu’elle refuse de payer.

[14]         En parallèle, un contrat intervient entre Jean-Louis Allard et la défenderesse pour la fourniture et l’installation d’équipements spécialisés liés à l’opération du poulailler.

[15]         Les travaux sont exécutés entre le mois de juin 2011 et la fin septembre 2011.

[16]         Au cours des travaux, tant Jean-Louis Allard que JLR facturent régulièrement pour les services rendus. À l’exception des factures faisant l’objet des présents litiges, toutes les factures produites par Jean-Louis Allard et JLR ont été payées par la défenderesse qui a reçu une indemnité de son assureur suite à l’incendie du poulailler.

[17]         La défenderesse reproche à JLR d’avoir fait des erreurs lors du calcul des matériaux nécessaires pour l’exécution des travaux de construction. JLR n’a pas surveillé adéquatement les travaux de construction et ne s’est pas assurée qu’ils sont conformes aux règles de l’art.

[18]         Elle soutient que JLR n’a pas prévu l’installation d’un drain autour des fondations du poulailler. De plus, JLR n’a pas surveillé adéquatement le coulage de la dalle de béton du poulailler. En effet, il avait été convenu que la dalle serait coulée avec du béton renforcé de fibres. Or, plusieurs voyages de béton acceptés par JLR n’avaient pas de fibres ajoutées.

[19]         Elle ajoute que le silo à grain n’est pas étanche et que le soigneur responsable de la distribution de la nourriture aux poulets est inadéquat. Jean-Louis Allard n’a pas donné la formation et les explications requises pour faire fonctionner adéquatement cet appareil.

[20]         Elle estime que ses frais de nourriture ont explosé en raison du mauvais ajustement de cet appareil et elle soumet au Tribunal un calcul selon lequel elle aurait perdu 6 200 $, et ce, lors de quatre élevages consécutifs durant lesquels le soigneur n’aurait pas fonctionné adéquatement.

[21]         Tous ces reproches sont niés par Jean-Louis Allard et JLR. Ils soutiennent que la défenderesse les a formulés en réaction à leurs réclamations. De plus, ils n’ont pas reçu de dénonciation écrite ou de mise en demeure de la part de la défenderesse.

[22]         Dans le dossier 13414, Jean-Louis Allard réclame le paiement de deux factures. La première facture de 1 213,09 $, portant le numéro 1305, est datée du 12 février 2013. Cette facture vise des services rendus et la fourniture du matériel nécessaire à la réparation du soigneur. Cette facture comprend 8 heures de travail à 50 $ de l’heure, les frais de remplacement du moteur du soigneur de 517,39 $ et des frais de déplacement de 137,70 $ correspondant à 0,45 $ du kilomètre pour 306 kilomètres. Jean-Louis Allard explique que ces services étaient facturables et ne relèvent pas de la garantie.

[23]         L’autre facture de 1 927,21 $, portant le numéro 13169, est datée du 29 juillet 2013. Cette facture comprend 10 heures de travail à 50 $ de l’heure plus des pièces de remplacement dont la valeur totalise 885,50 $ et des frais de déplacement de 290,70 $, soit 306 kilomètres au taux de 0,95 $ du kilomètre. Elle vise, encore une fois, des services rendus en lien avec la réparation du soigneur.

[24]         La défenderesse conteste ces factures et refuse de les payer. Les travaux exécutés par Jean-Louis Allard n’ont pas fait l’objet d’une entente préalable entre les parties. Elle croyait que ces travaux étaient liés à la garantie sur les équipements à laquelle est tenu Jean-Louis Allard en sa qualité de vendeur desdits équipements.

[25]         Dans le dossier 13416, JLR réclame ses honoraires forfaitaires correspondant à 5 % du coût total des travaux (293 000 $). JLR a facturé 14 650 $ plus taxes à la défenderesse, soit 16 690,01 $. JLR reconnaît avoir reçu 10 000 $ en paiement partiel de cette facture, ce qui laisse un solde dû de 6 690,01 $ qu’elle a facturé à la défenderesse le 25 septembre 2011.

[26]         La défenderesse admet qu’elle a conclu une entente avec JLR pour la fourniture de service de gestion du projet de construction du poulailler et que les honoraires de JLR sont établis sur la base de 5 % du coût total du projet.

[27]         Elle reconnaît que les honoraires facturables par JLR sont de 16 690,01 $ et que, vu le paiement partiel de 10 000 $, une somme de 6 690,01 $ est toujours impayée. La somme déjà versée à JLR (10 000 $) est suffisante, et ce, considérant que cette dernière n’a pas respecté ses engagements découlant du contrat de service pour la gestion du projet de construction du nouveau poulailler.

[28]         La défenderesse se porte demanderesse reconventionnelle et réclame le remboursement de trois factures liées à la réparation des équipements fournis tant par JLR que par Jean-Louis Allard.

[29]         La première facture payée à Équipements de fermes Lanaudière inc. est datée du 22 avril 2013 et est d’un montant de 206,96 $. Cette facture vise la réparation du silo et du soigneur. La deuxième facture payée au même entrepreneur est datée du 26 juin 2013 d’un montant de 241,45 $. Elle vise encore une fois la réparation du soigneur. Quant à la troisième facture, elle est datée du 12 octobre 2013 et a été payée au même entrepreneur pour un montant de 304,68 $. Elle vise, pour une troisième fois, la réparation du soigneur.

[30]         Elle réclame aussi la somme de 6 200 $ correspondant à la perte de nourriture qu’elle a subie en raison du mauvais fonctionnement du soigneur.

ANALYSE ET DÉCISION

A)        Dans le dossier 13414, Jean-Louis Allard a-t-il droit, en tout ou en partie, à la somme de 3 140,30 $ qu’il réclame à la défenderesse?

[31]         Le Tribunal estime que Jean-Louis Allard n’a pas établi son droit au paiement de la somme qu’il réclame en vertu des factures 1305 et 1369.

[32]         Le Tribunal constate tout d’abord que les services rendus et les marchandises livrées en vertu de ces factures n’ont fait l’objet d’aucune entente préalable entre les parties. De plus, les services rendus et les pièces livrées sont en lien direct avec le mauvais fonctionnement des équipements vendus et installés par Jean-Louis Allard.

[33]         Jean-Louis Allard avait le fardeau de démontrer qu’il a conclu un contrat avec la défenderesse. La preuve prépondérante ne permet pas de conclure en ce sens. En conséquence, sa demande dans le dossier 13414 est rejetée. Quant aux frais, la défenderesse a droit au remboursement de ses frais de contestation de 175 $.

B)        Dans le dossier 13416, JLR a-t-elle droit à la somme de 6 690,01 $ qu’elle réclame à la défenderesse?

[34]         La preuve prépondérante démontre la conclusion d’un contrat entre les parties en vertu duquel JLR s’est engagée à fournir des services de gestion du projet de construction moyennant le paiement d’honoraires forfaitaires correspondant à 5 % du coût total des travaux.

[35]         Le Tribunal estime que JLR a fait la preuve prépondérante qu’une somme de 6 690,01 $ lui est due.

[36]         La défenderesse est-elle en mesure de justifier le non-paiement de cette facture en vertu de sa défense fondée sur l’exception d’inexécution?

[37]         L’exception d’inexécution est basée sur l’article 1591 du Code civil du Québec , lequel se lit comme suit :

« 1591 . Lorsque les obligations résultant d'un contrat synallagmatique sont exigibles et que l'une des parties n'exécute pas substantiellement la sienne ou n'offre pas de l'exécuter, l'autre partie peut, dans une mesure correspondante, refuser d'exécuter son obligation corrélative, à moins qu'il ne résulte de la loi, de la volonté des parties ou des usages qu'elle soit tenue d'exécuter la première.

[38]         Dans leur ouvrage Les Obligations [1] , les auteurs Baudouin et Jobin traitent des conditions d’exercice de la défense basée sur l’exception d’inexécution. Après avoir précisé que la première condition d’exercice de l’exception d’inexécution est l’existence d’un contrat prévoyant l’exécution simultanée des obligations des parties, les auteurs précisent ce qui suit :

« 820 - Inexécution - Il faut, en second lieu, une inexécution de l’obligation réciproque par l’autre partie. Cette inexécution ne doit pas être justifiée par la force majeure, car alors il y aurait plutôt application de la théorie des risques. Il n’est pas nécessaire cependant que cette inexécution soit totale; elle peut n’être que partielle pourvu qu’elle soit substantielle (…) »

[39]         Le Tribunal est d’avis que la défenderesse n’a pas établi, par preuve prépondérante, une inexécution substantielle de ses obligations par JLR.

[40]         Le Tribunal constate d’abord que la défenderesse a réagi à la mise en demeure qu’elle a reçue de JLR, et ce, plus de deux ans après la fin des travaux. Elle n’a jamais mis JLR en demeure de respecter ses obligations envers elle et n’a transmis aucun avis écrit avant de recevoir la mise en demeure du 11 octobre 2011.

[41]         Le Tribunal conclut que la défenderesse n’a pas établi, par preuve prépondérante, une inexécution substantielle qui justifie la rétention de la somme qu’elle doit à JLR en vertu du contrat de service conclu entre les parties. En conséquence, la demande de JLR est accueillie.

[42]         La défenderesse est condamnée à rembourser les frais de la demande dans ce dossier, soit 220 $.

C)        Dans les deux dossiers 13414 et 13416, la défenderesse a-t-elle droit, en tout ou en partie, à la somme de 6 953,09 $ qu’elle réclame solidairement au demandeur Jean-Louis Allard et à la demanderesse JLR?

[43]         D’entrée de jeu, le Tribunal estime que la défenderesse n’a pas établi son droit aux dommages-intérêts de 6 200 $ qu’elle réclame. La preuve présentée pour soutenir cette réclamation est insuffisante et non prépondérante.

[44]         Par ailleurs, le Tribunal est d’avis que la défenderesse a établi son droit au remboursement des déboursés (753,09 $) qu’elle a encourus pour réparer le silo, qui a été fourni par JLR et le soigneur, qui a été fourni par Jean-Louis Allard.

[45]         À la lecture des factures produites par la défenderesse, le Tribunal n’est pas en mesure de distinguer ce qui est lié au silo de ce qui est lié au soigneur. Usant du pouvoir discrétionnaire dont il dispose, le Tribunal conclut que JLR doit rembourser 50 % de la somme de 753,09 $, soit 376,54 $. De son côté, Jean-Louis Allard doit rembourser la somme de 376,55 $.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

Dans le dossier : 705-32-013414-146

REJETTE la demande.

CONDAMNE le demandeur, Jean-Louis Allard, à payer à la défenderesse ses frais de contestation au montant de 175 $.

ACCUEILLE la demande reconventionnelle en partie.

CONDAMNE le demandeur, Jean-Louis Allard, à payer à la défenderesse la somme de 376,55 $ avec les intérêts au taux de 5% l'an ainsi que l'indemnité additionnelle prévue à l'article 1619 du Code civil du Québec à compter du 19 décembre 2014, plus ses frais de 94,50 $.

Dans le dossier : 705-32-013416-141

ACCUEILLE la demande.

CONDAMNE la défenderesse, Hermance Trudel-Bélanger (f.a.s.n. de Ferme Hermance Bélanger ), à payer à la demanderesse, Les Services J.L.R. inc., la somme de 6 690,01 $ avec les intérêts au taux de 5 % l'an ainsi que l'indemnité additionnelle prévue à l'article 1619 du Code civil du Québec à compter du 17 octobre 2013, date de la mise en demeure, plus les frais de la demande au montant de 220 $.

 

ACCUEILLE la demande reconventionnelle en partie.

CONDAMNE la demanderesse, Les Services J.L.R. inc., à payer à la défenderesse la somme de 376,54 $ avec les intérêts au taux de 5% l'an ainsi que l'indemnité additionnelle prévue à l'article 1619 du Code civil du Québec à compter du 19 février 2014, plus ses frais de 94,50 $.

AUTORISE la défenderesse à opérer compensation entre les deux dettes découlant des conclusions liées au jugement rendu dans le dossier 705-32-013416-141.

 

 

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BENOIT SABOURIN, j.c.q.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Date d’audience :

29 août 2014

 



[1]      Jean-Louis BAUDOUIN et Pierre-Gabriel JOBIN, Les Obligations, 7 e édition, Éditions Yvon Blais