Caron c. Menuiserie Roger Corriveau CS |
2014 QCCQ 12442 |
COUR DU QUÉBEC |
|
« Division des petites créances » |
|
CANADA |
|
PROVINCE DE QUÉBEC |
|
DISTRICT DE QUÉBEC |
|
« Chambre civile » |
|
N° : |
200-32-058872-135 |
|
|
DATE : |
23 décembre 2014 |
|
|
|
|
SOUS LA PRÉSIDENCE DE L'HONORABLE DOMINIQUE LANGIS, J.C.Q. (JL 4155) |
|
|
|
|
|
MÉLISSA CARON […], Ste-Catherine-de-la-Jacques-Cartier (Québec) […] et. LOUIS-PIERRE PICHETTE […], Ste-Catherine-de-la-Jacques-Cartier (Québec) […]
|
|
Partie demanderesse |
|
c.
|
|
MENUISERIE ROGER CORRIVEAU C.S. 2100, rue St-Vincent-Ferrier, Québec (Québec) G1P 2P6 et. CLAUDE CORRIVEAU […], Pont-Rouge (Québec) […] et. STEEVE CORRIVEAU […], Québec (Québec) […]
|
|
Partie défenderesse
|
|
|
|
|
|
JUGEMENT |
|
|
|
|
[1] Mélissa Caron et Louis-Pierre Pichette réclament 6 831,79$ à Menuiserie Roger Corriveau C.S., Steeve Corriveau et Claude Corriveau, à qui ils reprochent de les avoir mal renseignés sur l’état d’un immeuble résidentiel lors d’une inspection préachat.
[2] Claude et Steeve Corriveau sont des frères et font affaire en société sous le nom de Menuiserie Roger Corriveau C.S. (Menuiserie C.S.). Ils contestent la réclamation et allèguent que Claude Corriveau a visité la maison d’une façon informelle afin de vérifier si, de prime abord, les demandeurs pouvaient l’acheter. Il n’a pas fait une inspection préachat.
LES QUESTIONS EN LITIGE
[3] Claude Corriveau a-t-il fait une inspection préachat ?
[4] Dans l’affirmative, a-t-il manqué aux obligations qui lui incombent dans les circonstances ?
[5] Si oui, quel est le montant de l’indemnité ?
[6] Menuiserie C.S. et Steeve Corriveau, l’associé de Claude Corriveau, sont-ils solidairement responsables ?
LA PREUVE
[7] Le 23 juillet 2008, les demandeurs acquièrent un immeuble résidentiel. La maison a été construite en 2006.
[8] Avant de procéder à l’achat, les demandeurs visitent les lieux à deux reprises au printemps 2008. Ils souhaitent aussi faire une inspection préachat car ils ignorent tout de la construction et il s’agit de leur première maison.
[9] Claude et Steeve Corriveau exploitent une entreprise qui œuvre dans le domaine de la construction et de la rénovation domiciliaire. Ils ont effectué, à quelques reprises, des travaux, dont certains d’importances, à la résidence du père de M. Pichette.
[10] M. Pichette contacte donc Menuiserie C.S. et demande une inspection préachat, précisant que c’est bien ainsi qu’il s’est exprimé.
[11] Steeve Corriveau, qui aurait reçu l’appel de M. Pichette, déclare l’avoir informé que l’entreprise ne faisait pas d’inspection préachat et lui avoir suggéré que son frère Claude puisse visiter la maison avec lui.
[12] C’est ainsi que le 4 mai 2008, Claude Corriveau se retrouve en présence des acheteurs et des vendeurs pour visiter la maison. Il en fait le tour et vérifie notamment les combles.
[13] La visite est d’environ 30 minutes, aux termes de laquelle Claude Corriveau confirme n’avoir décelé aucun problème si ce n’est qu’il faudra boucher un regard de drain extérieur pour éviter des problèmes de vermine. Il demande 50,00$ à M. Pichette pour le travail, ce que ce dernier lui verse par chèque, la journée même. Le chèque porte la mention « inspection maison ».
[14] M. Pichette témoigne qu’il s’attendait à payer davantage. Il est étonné du montant réclamé mais croit à ce moment qu’il s’agit d’un prix de faveur, en raison des relations que Menuiserie C.S. entretient avec sa famille et plus particulièrement, son père.
[15] M. Pichette demande à Claude Corriveau de lui transmettre un rapport écrit. Il ne le recevra jamais. Ce dernier invoque différents motifs tels un manque de temps, le bris de son ordinateur ou le manque de disponibilité d’une personne qui connaît l’informatique mieux que lui.
[16] Dans sa contestation écrite et à l’audience, Claude Corriveau reconnaît que M. Pichette lui a demandé à deux reprises un rapport qu’il n’a pu produire. Il ajoute qu’il n’en a pas entendu parler par la suite.
[17] Eu égard au rapport verbal de Claude Corriveau auquel ils se fient, comme la date pour signer le contrat est fixée et puisqu’ils doivent retourner dans le Grand Nord, ils finalisent la transaction, sans attendre le rapport écrit de celui-ci.
[18] Les demandeurs sont tous deux enseignants dans une communauté autochtone du Nord-du-Québec. Ils y passent pratiquement toute l’année, du mois d’août jusqu’au mois de juin. Ils occupent la propriété achetée de façon ponctuelle et sporadique.
[19] En 2009, lors de la période des Fêtes, ils constatent un problème de chauffage important. À la suggestion d’Hydro-Québec, ils retiennent les services d’Amerispec, spécialisée en évaluation énergétique, qui constate de nombreux points de perte importante de chaleur.
[20] Ils contactent Menuiserie C.S. pour inspecter les combles et les murs où ces points de perte de chaleur sont identifiés. En mars 2010, Steeve Corriveau constate notamment une isolation déficiente dans les combles et les murs.
[21] Ce n’est qu’en 2012 qu’ils obtiennent l’heure juste sur l’étendue des problèmes qui affectent leur résidence. Ils obtiennent un rapport de Mario Grondines, technologue professionnel.
[22] À l’audience, M. Grondines explique que son mandat a consisté à procéder à une inspection partielle de la maison comme s’il s’agissait d’une inspection de type préachat, en faisant abstraction des travaux réalisés par les demandeurs. Il explique que M. Pichette veut avoir ses commentaires comme s’il était venu faire une inspection préachat en 2008 sur certains points.
[23] Essentiellement, il relate avoir noté des fissures à la fondation, l’absence de garde-corps aux escaliers extérieurs, les gouttières manquantes à la toiture et une laine isolante dans les combles qui est comprimée et déplacée de façon très importante par de petits rongeurs.
[24] Claude Corriveau explique qu’il n’y avait pas de fissure aux fondations au moment de sa visite en 2008 et qu’il a signalé à M. Pichette la laine isolante comprimée, ce qui, selon lui, n’est pas un vice en soi.
L’ANALYSE ET LA DÉCISION
[25] Une preuve prépondérante démontre qu’un contrat est bel et bien intervenu entre les parties. Il est pour le moins étonnant que Steeve Corriveau puisse informer M. Pichette, comme il le prétend, que son entreprise ne fait pas d’inspection, tout en lui proposant que son frère puisse lui rendre ce service.
[26]
Claude Corriveau
ne détient peut-être pas le titre d’inspecteur en bâtiment mais il connaît le
domaine de la construction. L’inspection préachat est une inspection générale
et non une expertise et son expérience lui permet de conseiller adéquatement un
acheteur. Dans le présent dossier, il se fait payer pour ses conseils avec un
chèque portant la mention
« inspection maison ».
Il ne s’oppose
pas à la demande de M. Pichette de produire un rapport écrit. Celui-ci est
même certain d’en recevoir un. Ces éléments amènent le Tribunal à conclure que
Claude Corriveau a procédé à une inspection et que le contrat intervenu entre
les parties est un contrat de service défini à l’article
2098. Le contrat d'entreprise ou de service est celui par lequel une personne, selon le cas l'entrepreneur ou le prestataire de services, s'engage envers une autre personne, le client, à réaliser un ouvrage matériel ou intellectuel ou à fournir un service moyennant un prix que le client s'oblige à lui payer.
[27]
Dans la présente
affaire, Claude Corriveau devait agir au mieux des intérêts des demandeurs,
c’est-à-dire avec prudence et diligence, tel que le stipule l’article
2100 . L'entrepreneur et le prestataire de services sont tenus d'agir au mieux des intérêts de leur client, avec prudence et diligence. Ils sont aussi tenus, suivant la nature de l'ouvrage à réaliser ou du service à fournir, d'agir conformément aux usages et règles de leur art, et de s'assurer, le cas échéant, que l'ouvrage réalisé ou le service fourni est conforme au contrat.
Lorsqu'ils sont tenus du résultat, ils ne peuvent se dégager de leur responsabilité qu'en prouvant la force majeure.
[28]
L’inspection a pour
but d’aider l’acheteur à relever des vices apparents tels que décrits à
l’article
[29] Il s’agit d’une obligation de moyens [1] . Claude Corriveau devait employer les meilleurs moyens possibles pour déceler les vices de l’immeuble. Cette obligation se distingue de l’obligation de résultat qui l’obligerait à déceler les vices. Il doit obéir aux règles de l’art et aux usages en cours dans le domaine de l’inspection résidentielle.
[30] Dans le jugement rendu dans l’affaire Seller c. Blain [2] , notre Cour effectue une revue des principes en matière de responsabilité lors d’une inspection préachat :
[ 76 ] Dans Warnock Hersey Professionnal Services Ltd. c. Gaspan S.A. , la Cour d'appel a précisé que l'obligation de l'inspecteur était une « obligation de moyens » c'est-à-dire qu'il est tenu à employer les meilleurs moyens possibles pour déceler les vices de l'immeuble. L'obligation de moyens se distingue de l'obligation de résultat qui oblige celui qui y est tenu à déceler ces vices.
[ 77 ] L'inspecteur a une obligation « de diligence raisonnable », soit le comportement de quelqu'un « normalement prudent et compétent placé dans les mêmes circonstances » .
[…]
[ 79 ] Me Mélanie Hébert est l'auteure d'une conférence intitulée « L'inspecteur pré-achat: sa responsabilité professionnelle a-t-elle des limites ? », qui a été publiée dans les Développements récents en droit immobilier .
[ 80 ] Après avoir passé en revue les principales décisions rendues sur le sujet au cours des 15 dernières années, Me Hébert conclut ainsi (à la page 30) :
« Essentiellement, l'inspection pré-achat est une inspection des composantes visibles d'un immeuble visant à identifier les défauts apparents majeurs qui affectent l'immeuble et qui en diminuent l'usage ou la valeur . Lorsque l'inspecteur note des vices apparents qui peuvent ne pas sembler sérieux, mais qui pourraient indiquer la présence possible d'un vice caché plus sérieux, l'inspecteur se doit d'attirer l'attention de son client sur cette possibilité et de référer son client à un expert en la matière. Rappelons que l'inspection pré-achat est une inspection générale et non une expertise . Ainsi, si des connaissances particulières ou des enquêtes plus approfondies sont nécessaires pour identifier un vice, celui-ci est un vice caché. L'inspecteur est responsable des vices apparents tandis que le vendeur garantit les vices cachés… Il est cependant possible que la Cour partage la responsabilité entre le vendeur et l'inspecteur lorsque les vendeurs ont fait de fausses représentations quant à l'existence de vices et que l'inspecteur en bâtiments, qui aurait pu identifier ce vice par la présence d'indices visibles lors de l'inspection, a fait défaut de le faire. »
[ … ]
[ 85 ] En mars 2004, dans Préseault c. Inspectech inc. , la Cour d'appel du Québec retient la responsabilité de l'inspecteur en bâtiment du fait que l'immeuble en cause comportait des vices importants (fissures apparentes dans la fondation et poêle à bois non conforme) que celui-ci n'avait pas constatés.
(soulignement ajouté, références omises)
[31] Les demandeurs ont fait entendre l’expert Mario Grondines, technologue professionnel. À son avis, plusieurs éléments constituaient des vices apparents et auraient dû être relevés par Claude Corriveau. Le Tribunal en conclut que ce dernier a manqué à ses obligations qui lui incombent en faisant des vérifications incomplètes, notamment quant à l’isolation des combles.
[32] L’isolation défectueuse des combles était simple et facile à identifier puisque Steeve Corriveau l’a immédiatement constaté en mars 2010, tout comme l’absence de gouttière ou de garde-corps aux escaliers extérieurs.
[33] Quant à la présence des fissures, Claude Corriveau affirme qu’il n’y en avait pas au moment de sa visite, ce que les demandeurs auraient aussi pu constater en 2008. Il est vraisemblable que cet élément soit apparu entre la visite de M. Corriveau en mai 2008 et celle de M. Grondines en 2012.
[34] Dans les circonstances, le Tribunal attribue aux demandeurs la somme de :
· 950,00 $ pour l’installation de gouttières;
· 1 121,00 $ pour l’isolation des combles;
· 160,00 $ pour les escaliers extérieurs.
[35] Le tribunal accorde la moitié des frais chargé par Amerispect, soit 147,50$, puisque son examen comporte d’autres éléments que ceux en litige, plus particulièrement la perte de chaleur par les murs.
[36] Quant aux frais d’expertise pour le travail de M. Grondines et sa présence à la Cour, le Tribunal accorde la moitié de la somme réclamée, soit 1 365,33$, puisque son rapport vise d’autres éléments que ceux en litige. Le Tribunal tient compte aussi du montant de la réclamation et de celui accordé.
[37] Enfin, le Tribunal accorde aux demandeurs une somme de 300,00$ pour troubles et inconvénients.
[38]
Puisque les
demandeurs faisaient affaire avec Menuiserie C.S., la condamnation doit être
solidaire. L’article
2221. À l'égard des tiers, les associés sont tenus conjointement des obligations de la société; mais ils en sont tenus solidairement si les obligations ont été contractées pour le service ou l'exploitation d'une entreprise de la société .
Les créanciers ne peuvent poursuivre le paiement contre un associé qu'après avoir, au préalable, discuté les biens de la société; même alors, les biens de l'associé ne sont affectés au paiement des créanciers de la société qu'après paiement de ses propres créanciers.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
ACCUEILLE partiellement la demande des demandeurs.
CONDAMNE
les défendeurs, solidairement, à payer aux demandeurs la somme de
4 043,83 $, avec en plus l'intérêt au taux légal et l'indemnité
additionnelle prévue à l'article
|
||
|
DOMINIQUE LANGIS, J.C.Q . |
|
|
||
|
||
Date d’audience : |
27 juin 2014 |
|