Centre de location Aztek (1990) inc. c. Libertella |
2014 QCCQ 12491 |
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JG2338
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DISTRICT DE |
BEAUHARNOIS |
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LOCALITÉ DE SALABERRY-DE-VALLEYFIELD « Chambre civile » |
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N° : |
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DATE : |
24 novembre 2014 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE : |
L’HONORABLE |
CÉLINE GERVAIS, J.C.Q |
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CENTRE DE LOCATION AZTEK (1990) INC. |
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c. |
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TONY LIBERTELLA ET PRISCILLA DUKE ET 6642641 CANADA INC. (SEABROOK INC.) |
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JUGEMENT |
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[1] Le présent jugement est relatif à la responsabilité personnelle du défendeur, Tony Libertella, quant aux sommes dues par son entreprise, 6642641 Canada inc. (ci-après Seabrook) à Centre de location Aztec (1990) inc. (ci-après Lou-Tec), selon les termes d'un document d'ouverture de compte qu'il a signé le 21 juin 2012.
[2] Le 22 mai 2014, la soussignée a rendu un jugement condamnant Seabrook à rembourser à Lou-Tec une somme de 50 183,38 $, en plus des intérêts et des frais.
[3] L'audition avait été scindée quant aux défendeurs Tony Libertella et Priscilla Duke, signataires de la demande d'ouverture de compte, vu l'état de santé de Mme Duke qui n'était pas en mesure de témoigner lors de l'audition initiale du 29 janvier 2014.
[4] Une fois l'audition complétée quant à la responsabilité de Seabrook dans le cadre de l'action sur comptes, le dossier a été continué pour l'audition relative aux obligations des défendeurs personnellement, soit en tant que cautions, soit en tant que débiteurs solidaires.
[5] Une fois la preuve des parties closes, le procureur de Lou-Tec a offert un désistement sans frais quant à Mme Duke, lequel a été accepté par celle-ci et son procureur.
[6] Les faits relatifs à l'obligation principale de Seabrook ont été relatés dans le jugement du 22 mai 2014; seuls les faits mis en preuve quant à l'obligation personnelle de M. Libertella sont donc ici mentionnés.
[7] Dans le cadre d'un nouveau chantier de construction dont Seabrook a la charge, un formulaire de demande d'ouverture de compte [1] est transmis par télécopieur à Seabrook le 21 juin 2012 à 9 h 18. Il est reçu et complété par Mme Duke, qui occupe des fonctions de secrétaire réceptionniste chez Seabrook. Elle demande ensuite à M. Libertella de le signer. Comme deux signatures sont requises sur le document, elle le signe également, se désignant comme "secrétaire" , alors que M. Libertella est désigné comme "propriétaire" .
[8] Madame Duke indique que M. Libertella a signé le document rapidement, en cinq secondes. Monsieur Libertella, pour sa part, dit avoir vérifié les renseignements ajoutés par Mme Duke sur le formulaire, notamment les informations bancaires et les références, et avoir lu le document "grosso modo" pendant dix à vingt secondes, avant d'y apposer sa signature.
[9] Il mentionne dans son témoignage ne jamais s'être porté caution par le passé, ajoutant qu'il n'était pas de son intention de le faire à cette occasion.
[10] Le document signé a été retourné par télécopieur à Lou-Tec à 10 h 11.
[11] Le document d'ouverture de compte est constitué d'une feuille format 8 ½" x 11", recto verso. Le formulaire qui apparaît au recto comprend quatre sections qui doivent être complétées par l'entreprise qui demande l'ouverture d'un compte. Elles sont intitulées : "informations générales" - "courriels pour le président, l'acheteur, la location, la facturation" - "institution financière" - "fournisseurs".
[12] Le verso de ce document comprend onze paragraphes et de l'espace pour les signatures.
[13] Les parties les plus pertinentes du verso de la demande d'ouverture de compte sont les paragraphes 1 et 2, ainsi qu'une introduction, qu'il convient de reproduire intégralement:
" PAR CONSÉQUENT, LE CLIENT ET SIGNATAIRE (S) (ci-après nommé « client ») tant en sa Qualité personnelle qu'en sa qualité mandataire, demande par les présentes, l'ouverture d'un compte crédit auprès de Centre de location Aztec (1990) Inc. pour le bénéfice du client ci-avant mentionné, et il reconnaît et accepte d'être lié par les conditions et les modalités ci-après mentionnées qui régissent l'utilisation de son compte de crédit;
1. Le client et signataires(s) de la présente demande d'ouverture de compte de crédit, déclare ce qui suit;
1.1 Je suis la personne dûment autorisée et j'ai l'autorité requise pour engager le bénéficiaire de ce compte relativement aux obligations contenues aux présentes. Au surplus, à titre de signataire, je comprends que je me rends personnellement et solidairement responsable des obligations du client envers Centre de location Aztec (1990) lnc. faisant de tout mon affaire personnel ; (sic)
1.2 Toutes les informations ci-avant mentionnées sont vrais et exacts; (sic)
1.3 Je consens et autorise Centre de location Aztec (1990) lnc. à procéder à une enquête de crédit et à obtenir tout document ou renseignements relatif au crédit du client et signataire(s) de ce compte incluant mon crédit;
2. Dans le cas où le bénéficiaire de ce compte est une compagnie, une entreprise individuelle, une société de personne ou s'iI y a plus d'un signataire aux présentes, les signataires s'engagent personnellement et solidairement avec le client et signataire(s) du compte soit le client et les autres signataires, y compris leurs représentants légaux, cautions, successeurs, ayants droit, dirigeants et administrateurs, pour toute obligation contractée envers Centre de location Aztec (1990) Inc. et ils renoncent tous à l'avance au bénéfice de division et de discussion; "
[14] Le Tribunal a reproduit cet extrait du document P-6 avec les mêmes caractères gras ou lettres majuscules.
[15] Il importe également de reproduire les lignes prévues pour les signatures, au bas de la page (les inscriptions en caractères gras sont les ajouts manuscrits de Seabrook):
" Signé à, ___ Montréal ____________le ___ 21-06 ________20 12
SEABROOK CONSTRUCTION
____________________________ ___________________________________
Client et signataire Par: TONY LIBERTELLA Fonction : Propriétaire |
Signataire Par: Fonction :
(s) Priscilla Duke |
(s) Tony Libertella ________________________ Signataire Par: Fonction :
|
__________________________________ Autorisé par signataire Par: Priscilla Fonction : secrétaire Personne dûment autorisée de Centre de location Aztec (1990) Inc. |
**Minimum 2 signatures exigées** "
[16] Un exemplaire vierge de la demande d'ouverture de compte a été déposé comme pièce P-6 a), puisqu'il était plus lisible que la copie qui avait été déposée au dossier de la Cour, laquelle avait été transmise par télécopieur à deux reprises, et vraisemblablement photocopiée par la suite.
[17] L'état de la copie véritablement reçue par M. Libertella et signée par lui n'a pas été mis en preuve, celui-ci disant l'avoir perdue.
[18] Lou-Tec soutient que les termes du document d'ouverture de compte sont clairs et démontrent à toute personne raisonnable qui le signe que celle-ci s'engage, non seulement à titre de représentant de la compagnie, mais également à titre personnel. Le représentant de Lou-Tec, Denis Vaillancourt, a indiqué dans son témoignage à plusieurs reprises, qu'il était très important pour Lou-Tec d'avoir deux signatures sur le document, que la présence de ces deux signatures lui faisait présumer que les signataires avaient lu toutes les clauses du document, et que cela représentait pour Lou-Tec une garantie de paiement.
[19] Il a par ailleurs indiqué que dans le cas où le document ne contenait pas deux signatures, il devait discuter de la situation avec le président de Lou-Tec pour décider si l'ouverture de compte était néanmoins acceptée.
[20] Dans le présent dossier, il a été mis en preuve que M. Libertella n'a posé aucune question à Lou-Tec, et qu'il n'y a eu aucune discussion entre celui-ci et un représentant de Lou-Tec avant ou après l'envoi du formulaire d'ouverture de compte.
[21] Lou-Tec prétend qu'on peut retenir la responsabilité personnelle de M. Libertella à deux titres, soit en tant que caution, soit en vertu de l'engagement solidaire selon les termes de la clause 1.1.
[22] Elle ajoute que ce formulaire d'ouverture de compte ne constitue pas un contrat d'adhésion, et que même si tel était le cas, les clauses ne sont pas illisibles ou incompréhensibles. Elle souligne également que M. Libertella de n'a pas lu le document avant de le signer.
[23] Pour sa part, M. Libertella soutient que le fardeau d'établir l'existence d'un cautionnement revient à Lou-Tec.
[24] Il soulève la possibilité que le document n'ait pas été reçu de façon complète vu la transmission par télécopieur, et que la première ligne ait été tronquée. Il allègue principalement qu'il s'agit d'un cautionnement "piège" , et reproche le fait qu'il n'y ait pas de lignes distinctes pour une signature en tant que représentant de la compagnie, et une autre en tant que caution. Il soutient n'avoir agi qu'au seul titre de signataire pour la compagnie.
[25] Chacun des procureurs a soumis à la Cour un cahier de jurisprudence complet, tant sur les principes généraux, que sur des cas d'engagements personnels relativement à des clauses semblables à celles du présent dossier.
[26] Le Tribunal a pris connaissance de l'abondante jurisprudence soumise par les parties et qui met en lumière certains principes fondamentaux en matière de droit des contrats. D'une part, la jurisprudence soumise par les procureurs de M. Libertella souligne la nécessité d'éviter les pièges dans les contrats et insiste sur la question d'une rencontre des volontés entre les cocontractants, impliquant que le signataire sache qu'il s'engage à titre de caution, d'où la nécessité d'enlever tout effet aux clauses illisibles ou incompréhensibles dans les contrats d'adhésion.
[27]
La jurisprudence soumise par les procureurs de Lou-Tec met plutôt
l'accent sur l'obligation pour le signataire de lire les documents qu'il signe,
et soulève l'article
[28] Qu'en est-il en la présente instance?
[29] Il est vrai que le texte contenu à l'endos de la demande d'ouverture de crédit ne contient pas de paragraphe avec un titre séparé qui aurait pu s'intituler "Cautionnement" ou "Responsabilité solidaire" , non plus que de ligne de signature séparée pour souligner un engagement à titre de caution. À cet égard, le Tribunal préfère l'approche préconisée par le juge Désy dans l'affaire Dionne Ferme de Toit , qui conclut que la présence d'un seul espace pour une signature n'exclut pas la possibilité de considérer un engagement solidaire ou à titre de caution en présence d'un texte clair. [2]
[30] Il est certain que plus un texte est rédigé clairement, notamment par l'ajout de sous-titres, de soulignements, de caractères gras, et d'espaces dédiés pour les différentes signatures, moins il est susceptible de faire l'objet d'une contestation. Il s'agit donc d'un principe de rédaction auquel il est souhaitable d'adhérer, mais dont le non-respect ne fait pas en sorte qu'un texte devient automatiquement illisible ou incompréhensible.
[31] Dans le présent cas, le texte apparaissant au verso de la demande d'ouverture de compte, plus particulièrement celui au paragraphe 1.1 et 2 ne prête pas à interprétation pour toute personne qui prend la peine de le lire.
[32] Il faut différencier ces clauses de celles que l'on retrouve, par exemple, dans la décision Emballages Ralik , où la clause de cautionnement est contenue dans une seule phrase d'un paragraphe coiffé du titre "Confirmation de l'exactitude de l'information et autorisation de la vérifier ". [3]
[33] La question de la rencontre des volontés peut également faire l'objet de plus de discussion lorsqu'il y a rencontre physique entre les deux parties et que des représentations particulières sont faites, comme dans le cas de la décision Carquest où le représentant de l'entreprise avait mentionné au président signataire de la demande d'ouverture de comptes qu'il s'agissait d'une simple formalité pour débuter la relation d'affaires. [4] En la présente instance, il n'y a eu ni rencontre en personne ni même conversation téléphonique entre M. Libertella et les représentants de Lou-Tec, l'échange des documents s'étant simplement fait par télécopieur.
[34]
L'article
1400. L'erreur vicie le consentement des parties ou de l'une d'elles lorsqu'elle porte sur la nature du contrat, sur l'objet de la prestation ou, encore, sur tout élément essentiel qui a déterminé le consentement.
L'erreur inexcusable ne constitue pas un vice de consentement.
[35] Les auteurs Lluelles et Moore définissent l'erreur inexcusable comme étant une erreur qui, bien qu'intrinsèquement importante et déterminante du consentement, ne donne pas ouverture à l'annulation du contrat dans la mesure où la victime aurait pu aisément l'éviter en prenant un minimum de précautions qu'elle n'a pas prise s [5] .
[36] Dans son témoignage, M. Libertella indique avoir regardé le document entre dix et vingt secondes, et le Tribunal en comprend qu'il a pendant ce temps surtout vérifié l'exactitude des informations apparaissant au recto du document rempli par Mme Duke.
[37] Cette façon de procéder est d'ailleurs en ligne directe avec la façon dont la suite du dossier a été gérée par M. Libertella; aucune des factures transmises par Lou-Tec à Seabrook n'a été payée, aucun des états de compte transmis par Lou-Tec n'a été vérifié, celui-ci prétendant ne pas avoir autorisé les achats en l'absence de bons de commande.
[38] Monsieur Libertella est un homme d'affaires qui œuvre depuis une dizaine d'années dans le domaine de la construction avec Seabrook. Il n'est pas inhabituel qu'un engagement à titre solidaire ou de caution se retrouve dans un document d'ouverture de comptes, comme en fait foi l'abondante jurisprudence à ce sujet.
[39] Il n'y a eu aucune fausse représentation de la part de Lou-Tec quant à la portée de l'engagement de M. Libertella, et si celui-ci s'était donné la peine de lire avec un minimum d'attention le verso du document qu'il signait, il aurait pu en comprendre la portée.
[40] Comme le mentionnait le juge Grenier dans l'affaire Acier Picard , un motif de défense basé sur l'erreur - ce qui permet d'une certaine façon à la caution de plaider sa propre turpitude pour éluder ses obligations - est trop commode." [6]
[41] Le juge De Michele indiquait dans l'affaire Construction C. Cusson inc., qu 'il n'est pas suffisant pour dégager sa responsabilité qu'une personne dise tout simplement "je ne l'ai pas lu avant de le signer". [7]
[42]
Bref, le fait pour M. Libertella de n'avoir lu le document que d'une
façon très superficielle ne peut constituer un cas d'erreur ayant vicié son
consentement, et sa responsabilité doit être retenue, solidairement avec celle
de Seabrook.
PAR CES MOTIFS, LA COUR :
ACCUEILLE en partie l’action de la partie demanderesse;
PREND ACTE du désistement sans frais contre la défenderesse Priscilla DUKE;
CONDAMNE la partie défenderesse, Tony LIBERTELLA, à payer à la partie demanderesse, CENTRE DE LOCATION AZTEC (1990) INC., la somme de 46 816,87 $, en plus des intérêts au taux de 24 % l'an sur la somme de 36 937,91 $ à compter du 30 décembre 2013;
CONDAMNE
la partie défenderesse, Tony LIBERTELLA, à payer à la partie
demanderesse, CENTRE DE LOCATION AZTEC (1990) INC., la somme de 3366,51 $,
en plus des intérêts au taux légal et de l'indemnité additionnelle prévue à
l'article
LE TOUT avec dépens.
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__________________________________ CÉLINE GERVAIS, J.C.Q. |
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Me Dany Montpetit |
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PERRAS COUILLARD |
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Me Olindo Marandola |
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MERCADANTE DIPACE |
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Me Marc-André Groleau |
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BUREAU D'AIDE JURIDIQUE CRÉMAZIE |
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Procureurs de la partie défenderesse Priscilla Duke |
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[1] Pièce P-6.
[2]
Dionne Ferme de Toit
c.
9155-7009 Québec inc.
,
[3]
Emballages Ralik inc
. c.
4037294 Canada inc.,
[4]
Carquest Canada ltée
c.
Boulianne
,
[5] Didier LLUELLES et Benoît MOORE, Droit des obligations , Les Éditions Thémis, 2006, no. 540, p. 250.
[6]
Acier Picard
c.
Doré
,
[7]
Location d'outils Simplex
c.
Construction C. Cusson inc
., EYB
2010-182818 (C.Q.). Voir également
Béthonel ltée
c.
Piscines
Val-Morin inc
.,