Syndicat des professionnelles en soins de Saint-Jérôme (FIQ) c. Legault |
2014 QCCS 6356 |
|||||||
JL3280
|
||||||||
|
||||||||
CANADA |
||||||||
PROVINCE DE QUÉBEC |
||||||||
DISTRICT DE |
TERREBONNE |
|||||||
|
||||||||
N° : |
700-17-010247-137 |
|||||||
|
|
|||||||
|
||||||||
DATE : |
30 SEPTEMBRE 2014 |
|||||||
______________________________________________________________________ |
||||||||
|
||||||||
SOUS LA PRÉSIDENCE DE : |
L’HONORABLE |
JEAN-YVES LALONDE, J.C.S. |
||||||
______________________________________________________________________ |
||||||||
|
||||||||
SYNDICAT DES PROFESSIONNELLES EN SOINS DE SAINT-JÉRÔME (FIQ) |
||||||||
Demandeur |
||||||||
c. |
||||||||
DR LOUIS LEGAULT |
||||||||
Défendeur |
||||||||
et |
||||||||
CENTRE DE SANTÉ ET DE SERVICES SOCIAUX DE SAINT-JÉRÔME |
||||||||
Mis en cause |
||||||||
et |
||||||||
SANDRINE MATHIAS |
||||||||
Mise en cause |
||||||||
______________________________________________________________________ |
||||||||
|
||||||||
TRANSCRIPTION DES MOTIFS RENDUS SÉANCE TENANTE LE 24 SEPTEMBRE 2014 [1] |
||||||||
______________________________________________________________________ |
||||||||
|
||||||||
[1] Le Syndicat des professionnelles en soins de Saint-Jérôme (le « syndicat ») sollicite l’exercice du pouvoir de contrôle et surveillance de la Cour supérieure avec l’objectif d’obtenir la révision judiciaire d’une décision du Dr Louis Legault (« Dr Legault » ou « médecin-arbitre »), en sa qualité d’arbitre médical.
[2] Le syndicat soulève une question d’équité procédurale. Il reproche au médecin-arbitre d’avoir omis de rencontrer madame Sandrine Mathias (la « salariée »), infirmière à l’emploi du Centre de santé et de services sociaux de Saint-Jérôme (l’« employeur »), avant de rendre sa décision déclarant la salariée apte à retourner au travail rétroactivement au 3 juin 2013.
[3] Les faits sont relativement simples. Le 3 juin 2013, le Dr Paradis, médecin retenu par l’employeur, se prononce et déclare la salariée apte au travail.
[4] Le 4 juillet 2013, la Dre Morin, médecin traitant de la salariée, autorise celle-ci à se rendre en France pour visiter sa famille.
[5] Le 9 juillet 2013, la salariée obtient ses billets d’avion. Le même jour, l’employeur avise la salariée qu’elle doit reprendre le travail le 11 juillet 2013. Cet avis aurait été reçu par la salariée le 10 juillet 2013.
[6] Le 10 juillet 2013, la Dre Morin exprime son désaccord avec les conclusions du Dr Paradis, médecin de l’employeur.
[7] Le 17 juillet 2013, l’employeur, sachant la salariée en France, convoque cette dernière à un arbitrage médical devant se tenir devant le médecin-arbitre désigné soit le Dr Legault.
[8] Le 22 juillet 2013, le syndicat demande la remise de la rencontre devant se tenir le 12 août 2013 entre la salariée et le médecin-arbitre, le Dr Legault.
[9] Le syndicat demande que la rencontre soit remise au 28 août 2013, date où la salariée serait de retour.
[10] Le 24 juillet 2013, la Dre Morin réitère qu’elle a autorisé la salariée à se rendre en France.
[11] Le 12 août 2013, le médecin-arbitre rend une décision arbitrale qui déclare que la salariée n’était pas inapte au travail le 3 juin 2013.
[12] Le 22 août 2013, l’employeur a mis fin à l’emploi de la salariée.
LES QUESTIONS EN LITIGE
[13] La question soulevée par le syndicat consiste à déterminer si le médecin-arbitre a commis un accroc à l’équité procédurale en refusant la demande de remise et en omettant de rencontrer la salariée comme le prévoit le paragraphe 23.27 de la convention collective.
[14] Avant de répondre à la question, il est de mise de s’interroger sur la norme de contrôle applicable.
[15] D’abord, il ne fait aucun doute que la Cour supérieure ait compétence pour se saisir de la demande de révision judiciaire. Ici, le médecin-arbitre doit être assimilé à un organisme quasi-judiciaire dont la décision est assujettie au pouvoir de contrôle et de surveillance de la Cour supérieure.
[16] La décision du médecin-arbitre, sans équivoque, est susceptible d’affecter les droits de la salariée. Qu’il suffise de comprendre que c’est en conséquence de la décision du Dr Legault que la salariée fut congédiée le 22 août 2013.
[17] En ce qui a trait à la norme de contrôle applicable, il faut bien sûr se référer aux principes de l’arrêt Dunsmuir [2] qui suggère de s’en remettre d’abord à la jurisprudence pour déterminer la règle ou la norme applicable lorsque les tribunaux supérieurs se sont déjà prononcés sur la question.
[18] Or, l’arrêt Ménard c. Gardner [3] rendu en 2012 par la Cour d’appel, indique clairement que le respect des règles de justice naturelles, et notamment de la règle audi alteram partem , appelle traditionnellement l’application de la norme de la décision correcte. De sorte, qu’aucune déférence n’est due à la décision sujette à révision.
[19] On pourrait aussi penser qu’il n’y a pas lieu de s’attarder à la recherche de la norme applicable en cas d’accroc à l’équité procédurale. Qu’il s’agirait plutôt d’en faire le constat et d’intervenir le cas échéant.
[20] Quoi qu’il en soit en l’instance, la question soulevée ne commande pas de faire preuve de déférence si le médecin-arbitre a commis un accroc à l’équité procédurale.
ANALYSE ET DISCUSSION
[21] Le médecin-arbitre tire sa compétence du libellé de la convention collective. Singulièrement, c’est le paragraphe 23.27 de la convention qui constitue la disposition habilitante du médecin-arbitre. Les alinéas 3 d) et g) sont clairs et ne souffrent d’aucune ambiguïté. Ces clauses ne nécessitent pas d’interprétation. Particulièrement, l’alinéa d) apparaît impératif. Le médecin-arbitre rencontre la salariée et on y ajoute que cette rencontre doit se tenir dans les 30 jours où le spécialiste est désigné.
[22] La volonté des parties est clairement exprimée quant à l’obligation de tenir cette rencontre. Cette volonté se voit renforcer par l’alinéa d) du paragraphe 3 qui dit que le médecin-arbitre rend sa décision à partir du dossier et de la rencontre prévue à l’alinéa d). La seule discrétion du médecin-arbitre réside dans le fait d’examiner ou pas la salariée.
[23] Bien sûr les faits qui entourent le départ de la salariée pour la France peuvent être choquants pour l’employeur, mais ils ne dispensaient pas le médecin-arbitre de s’en tenir aux conditions de la convention collective lesquelles sont claires et impératives.
[24] L’avocate de l’employeur soutient que la salariée aurait implicitement renoncé à cette rencontre. Il n’en est rien surtout si l’on tient en compte la demande de remise soumise en temps utile par le syndicat, soit le 22 juillet 2013, et le fait qu’à cette même date la salariée a déposé le grief 672171 contestant la décision de l’employeur de la convoquer à un arbitrage médical. D’autant plus, que ce grief n’a toujours pas été décidé et qu’il pourrait possiblement donner raison à la salariée.
[25] C’est sans hésitation que le Tribunal conclut que le médecin-arbitre a commis un accroc à l’équité procédurale en ne s’assurant pas de pouvoir rencontrer la salariée comme le lui commandait la convention collective. Ce faisant, il a privé la salariée d’une audition juste et équitable.
[26] Mais il y a plus. Le médecin-arbitre avait l’obligation de se prononcer sur la demande de remise et de motiver sa décision dans un sens comme dans l’autre.
[27] La décision arbitrale est muette à propos de la demande de remise et l’absence de motif sur cette question importante porte atteinte à l’équité procédurale. Qu’il suffise de s’en remettre aux principes de l’arrêt Baker [4] pour s’en convaincre.
[28] Somme toute, le Tribunal est d’avis que la salariée n’a pas bénéficié d’un processus équitable et que le médecin-arbitre a contrevenu non seulement aux conditions de la convention collective, mais aussi à son obligation de se conformer aux règles de justice naturelle.
[29] La décision du Dr Legault laisse planer un doute quant à son impartialité. Le médecin-arbitre est allé trop loin dans son souci d’accommoder l’employeur au détriment des droits fondamentaux de la salariée. C’est pourquoi une fois la décision arbitrale cassée, le dossier sera renvoyé à un autre arbitre.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[30] ACCUEILLE la requête en révision judiciaire;
[31] RÉVISE et CASSE la décision du médecin-arbitre, le Dr Louis Legault, telle que rendue le 12 août 2013;
[32] ANNULE la décision du médecin-arbitre, à toute fin que de droit;
[33] RENVOIE le dossier à un autre médecin-arbitre à convenir entre les parties, selon les termes de la Convention collective nationale (FIQ 2011-2015);
[34] AVEC DÉPENS .
________________________________ JEAN-YVES LALONDE, J.C.S. |
|
|
|
|
|
|
|
Me Yves Clermont |
|
Avocat de la demanderesse |
|
|
|
Me Isabelle Auclair |
|
Monette Barakett |
|
Avocats du mis en cause |
|
|
|
|
|
Date d’audition : |
24 septembre 2014 |