Union des employées et employés de service, section locale  800 et Techno Fil inc. (Guy Cyr)

2014 QCTA 1069

TRIBUNAL D’ARBITRAGE

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

 

N o de dépôt :

2015-0185

 

Date :

10 décembre 2014

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DEVANT L’ARBITRE :

Me Nicolas Cliche

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UNION DES EMPLOYÉS ET EMPLOYÉES DE SERVICE (SECTION LOCALE 800)

Ci-après appelé(e) « le syndicat »

Et

TECHNO FIL INC.

Ci-après appelé(e) « l’employeur »

 

 

Plaignant :

M. Guy Cyr

 

Griefs :

 

Suspension cinq jours, suspension sans solde et congédiement

 

 

Pour le syndicat :

Monsieur Pierre Renaud

Pour l’employeur :

Me Karl Jessop

 

 

Dates d’audience :

Les 5 avril, 21 août, 27 septembre et 21 novembre 2013 ainsi que le 17 novembre 2014 à Victoriaville

 

Convention collective :

2011 - 2015

 

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SENTENCE ARBITRALE

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[1]            Les procureurs au dossier ont procédé aux admissions d’usage en regard avec la compétence de l’arbitre à disposer du litige et l’absence de moyen préliminaire.

[2]            Le plaignant Guy Cyr fut suspendu avec solde pour une durée de cinq (5) jours, le 19 novembre 2012, pièce S-2.  Il a contesté, par grief, cette suspension de cinq (5) jours, pièce S-3.  Il fut suspendu sans solde le 26 novembre 2012 et a contesté cette suspension par le grief S-4.  Finalement, le 27 novembre 2012, le plaignant était congédié.

[3]            Pour une meilleure compréhension du dossier, il y a lieu de retranscrire la lettre de congédiement imposé et produite au dossier sous S-5 :

 

Laurierville, le 27 novembre 2012

 

 

Monsieur Guy Cyr

[…] Plessisville (Québec)  […]

 

 

OBJET :          Terminaison d’emploi

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Monsieur Cyr,

 

Suite à un bris de votre ordinateur survenu le 26 octobre dernier, un technicien en informatique a détecté une utilisation douteuse des renseignements appartenant à Technofil Inc.

 

Par la suite, nous vous avons rencontré, le 30 octobre dernier, et nous vous avons posé plusieurs questions relativement à vos activités et, plus particulièrement, au fait que des documents de nature confidentielle et/ou des documents propriété de nos clients étaient expédiés à des adresses externes, entre autres un Gmail.  Lors de cette rencontre, vous avez nié les faits.

 

Nous avons complété notre enquête et nous avons fait expertiser par une firme externe votre ordinateur soit entre autres le disque dur et avons relevé les transactions exécutées.

 

Durant la période de l’enquête, nous vous avons imposé une suspension avec solde à compter du 19 novembre.

 

Finalement, le 23 novembre, nous vous avons rencontré une nouvelle fois en présence de deux (2) membres du comité syndical, soit Mme Murielle Caron et M. Gilles Bissonnette.  Lors de cette rencontre, nous vous avons de nouveau posé des questions sur l’utilisation que vous aviez faite de votre ordinateur et le transfert à l’extérieur du réseau interne de l’entreprise d’information de nature confidentielle et/ou propriété de Technofil Inc.

 

Lors de cette rencontre, vous avez admis avoir ouvert un compte Gmail au nom de « […]@gmail.com », et ce, sans en informer les représentants de l’employeur.  Vous avez de plus admis vous servir de ce compte Gmail pour faire des back up qui sont dirigés à l’extérieur du réseau interne de l’entreprise.

 

Lors de cette rencontre, nous vous avons donné l’occasion de justifier vos agissements.  Vous avez soulevé un problème de blocage qui, selon vous, justifiait vos agissements.  Toutefois, vous avez confirmé que le prétendu problème de blocage était réglé.

 

Le résultat de notre enquête nous a permis de découvrir que vous avez, à plusieurs reprises, contrairement à vos prétentions et aux politiques et règlements de l’entreprise, transférer à l’extérieur du réseau interne de l’entreprise, sans justification, des informations de nature confidentielle.

 

Dans ces circonstances, compte tenu de vos agissements et de votre attitude, nous considérons que le lien de confiance nécessaire à votre maintien en poste est irrémédiablement rompu et nous désirons vous informer que nous mettons fin à votre emploi en date de ce jour.

 

Votre relevé d’emploi sera transmis directement via le service web d’assurance-emploi.  Par ailleurs, vos biens personnels vous seront envoyé par la poste dans les prochains jours.  Dans le cas où nous aurions oublié d’autres biens vous appartenant, nous vous demandons de bien vouloir nous en faire part par téléphone ou par courriel.

 

Bien à vous,

 

(S) Alain Bergeron

Alain Bergeron, président

Technofil Inc.

 

 

[4]            Pour une meilleure compréhension du dossier, il y a lieu de résumer brièvement la preuve administrée en cours d’audition.

PREUVE PATRONALE

Témoignage de Guy Cyr

[5]            Guy Cyr était tailleur patronniste, depuis vingt-deux (22) ans, à la compagnie Technofil lors de son congédiement.

[6]            Il explique son travail de patronniste et il indique qu’à compter de 1998, il travaillait à partir de l’informatique.  Son supérieur était Jocelyn Bergeron, le frère d’Alain Bergeron, le propriétaire .

[7]            Il explique ses heures de travail et il soutient que lors des pauses, un peu tout le monde, dans l’entreprise, pouvait avoir accès à son ordinateur.

[8]            La compagnie Technofil fabrique des pantalons pour des clients corporatifs assez importants comme la Défense Nationale, Postes Canada, Air Canada, pour ne nommer que ceux-là.

[9]            Les patrons sont transmis par les clients et il faut procéder en fonction des ordres reçus, exécuter la commande.

[10]         Il était président du syndicat depuis octobre 2010 et il dit connaître le document E-1 qui est le manuel de l’employé, daté d’octobre 2012.  Ce manuel lui fut remis environ un (1) mois avant son congédiement.  Il n’y a pas eu de rencontre avec l’employeur pour discuter du manuel, pour l’analyser et le comprendre.  Un (1) mois après la remise du manuel E-1, il était congédié.

[11]         Contre-interrogé, il ne sait pas si Isabelle Brisson, de la compagnie, a rencontré les syndiqués pour discuter du manuel E-1. Tout compte fait, le manuel E-1 n’était pas prioritaire pour lui.

[12]         Il voulait signer une convention collective et retourner au travail car il y a eu une grève qui a duré deux jours et demis (2½) et qui s’est terminée par une entente devant mener à la signature de la convention collective.

[13]         Il considère qui fut piégé.  On voulait se débarrasser de lui parce qu’il était président du syndicat.  Avant la syndicalisation, ses relations étaient bonnes avec Alain Bergeron.  Il allait même à son chalet, on faisait du bateau ensemble et quelques fois, ils se rendaient au bar prendre un verre pour bavarder entre amis.

[14]         Lorsqu’il est devenu président du syndicat, en octobre 2010, Nathalie Chandonnet a cessé de lui parler, sauf strictement par affaires.

[15]         Après la syndicalisation, il n’y eut aucune relation d’amitié, le climat avait changé.

[16]         Il reconnaît que comme passe-temps, il opère un petit commerce chez lui où il répare des ordinateurs pour des amis, des parents ou des contacts.

[17]         Il est interrogé sur la rencontre du 30 octobre avec Alain Bergeron et Nathalie Chandonnet.  Lors de cette rencontre, il n’a pas été discuté du fait qu’il envoyait à l’extérieur, journalièrement, des données appartenant à la compagnie.

[18]         Il fut suspendu le 19 novembre car on voulait trouver des traces, des preuves sur son ordinateur qu’il sortait des informations, qu’il transférait, sur son site, des informations propriétés de la compagnie.

[19]         Il a eu un problème avec l’ordinateur jusqu’en mars 2010, mais après cette période tout est entré dans l’ordre.

[20]         Le 26 octobre 2012, son ordinateur a « sauté ».  Il est allé voir monsieur Bergeron car il avait demandé, à plusieurs reprises, qu’on change la batterie de son ordinateur.

[21]         Le 26 octobre 2012, il a déclaré qu’il avait ouvert un compte Gmail pour avoir accès aux clients.

[22]         Il est convaincu que le 30 octobre, monsieur Bergeron ne lui a pas demandé s’il envoyait des documents à l’externe et on ne lui a jamais défendu de le faire.  Il prétend que tout cela, la question de l’envoi des documents à l’externe, sur son site Gmail, c’était pour avoir sa peau.

[23]         Il soutient qu’une fois à tous les trois (3) jours, il effaçait les fichiers temporaires.  Il n’avait rien d’établi à ce sujet mais il les effaçait.

[24]         Il reconnaît qu’il a transféré, chez lui, des données appartenant à la compagnie.  C’était transféré sur son compte personnel Gmail ou sur son site « […]@hotmail.com ».

[25]         Depuis 2005, il faisait des transferts de données sur le serveur de l’employeur et il a commencé à faire des transferts sur son Gmail en 2010.  Lorsqu’il fut congédié, cela faisait donc presque deux (2) ans, qu’il envoyait des données sur son compte personnel sans que son employeur ne soit au courant, sans qu’il ait demandé la permission.

[26]         Lors de la rencontre du 23 novembre, il fut question de Gmail et là, il a avoué qu’il envoyait des données de la compagnie sur son compte personnel.  Il n’avait pas été question de ces affaires-là à la réunion du 30 octobre.

[27]         Il a copié des patrons sur des clés USB.  Il prétend qu’en envoyant des données sur son site personnel, c’était une double sécurité pour la compagnie.  Les documents étaient conservés à la compagnie et chez lui.  Le risque de perte était nul.

[28]         En regard avec la rencontre du 23 novembre, il y avait madame Brisson, monsieur Bissonnette, Murielle Caron et Alain Bergeron.  On lui a dit qu’il avait nié faire des transferts le 30 octobre, lors de la première réunion, mais il a déclaré qu’il ne fut pas question de ces transferts lors de cette réunion.

[29]         On lui a indiqué qu’on avait trouvé aucune trace sur son ordinateur, que c’était inhabituel, douteux.  Il a alors déclaré qu’il effaçait tous les jours ce qu’il envoyait sur son ordinateur personnel.

[30]         Il a tout effacé à partir du 1 er novembre.  Il a également effacé les 5 et 6 novembre.

[31]         95% de son travail de bureau était effectué à partir de son poste informatique et ce, depuis cinq (5) ou six (6) ans.

[32]         Il se dit technicien en informatique, capable de réparer les ordinateurs, changer les pièces, les composantes.  Il peut rendre des services aux gens.

Témoignage de Martin Laliberté

[33]         Martin Laliberté est propriétaire de Rhesus, une compagnie qui existe depuis 2001 et qui donne du support aux entreprises en regard avec les réseaux informatiques.

[34]         Dix-huit (18) employés travaillent pour lui et sont sur la route et son entreprise compte cinquante (50) employés au Québec et aux États-Unis.  Par exemple, aux États-Unis, il installe, dans l’ordinateur du client, un système qui fait en sorte qu’il y a confidentialité du site.

[35]         Il fut consulté par Technofil au début octobre 2012 car la compagnie voulait savoir si des informations confidentielles sortaient des équipements de la compagnie.  On lui avait dit qu’il fallait faire une vérification car on pensait que les données n’étaient pas sûres, qu’il pouvait y avoir un virus, un petit logiciel malicieux qui fait en sorte qu’on peut accéder aux activités, aux revenus, aux pertes, aux soumissions de la compagnie.

[36]         Il fut décidé de changer le mot de passe dans un premier temps.  Les historiques en relation avec le travail avaient tous été effacés.  Il s’agissait de savoir qu’est-ce qui se passait sur le logiciel.  Le comportement revenait toujours et il est venu à la conclusion qui se perdait du temps.

[37]         Le système « Safe Browsing Bloom Filter 2 » était en force et toutes les données furent effacées.

[38]         Technofil ne voulait pas qu’il y ait des données à l’extérieur de l’entreprise.  C’était trop dangereux.  C’était défendu de sortir des données sur des serveurs externes. 

[39]         Les fichiers continuaient et l’employé avait été averti.  Il en vient à la conclusion qu’il y avait, à partir d’un ordinateur personnel, des activités dédiées à autre chose que du travail pour la compagnie.  L’employé en question pouvait écouter la radio, prendre les nouvelles, transiger pour lui.

[40]         La compagnie se plaignait qu’elle n’avait pas le contrôle des échanges des e-mails personnels.  Pourquoi effacer régulièrement si tout était fait correctement.  Il n’est pas normal d’effacer toute trace et un nouveau logiciel fut installé pour effacer toutes les traces.  C’était un comportement pour le moins douteux.

[41]         Entre le 3 octobre et le 6 novembre, un nouveau logiciel pour effacer les traces fut installé.

[42]         Il s’occupe du contrat de Technofil depuis le 3 octobre 2012.  Il ne sait pas qui était là avant lui sauf que celui, qui était là avant lui, savait se rendre plus loin avec les ordinateurs que la moyenne des gens sauf que celui, qui était là avant lui, n’avait pas à laver l’ordinateur, c'est-à-dire effacer toutes les traces du travail fait.

[43]         En regard avec le document E-6, monsieur Laliberté constate des situations questionnables relativement au poste de travail de monsieur Cyr.  Monsieur Cyr s’était envoyé, chez lui, des données qui appartenaient à la compagnie.  Il envoyait, dans son hotmail personnel, des informations confidentielles de la compagnie.

[44]         Il n’a pas trouvé de logiciel chez Guy Cyr qui lui permettait d’accéder aux ordinateurs de Technofil.

[45]         Normalement, une compagnie est mandatée pour s’occuper du réseau et de le nettoyer.

[46]         Monsieur Cyr, avec son logiciel Microsoft, pouvait sortir des patrons.  Si les patrons sortent de la compagnie, ils sortent par Gmail ou hotmail.  Il est convaincu que les patrons sont sortis et à partir du moment où ils sont sortis, on peut les expédier partout, la compagnie n’a plus le contrôle de ses données.

[47]         Le document E-13 est un « audit général ».  Il est rentré à distance dans les sites de la compagnie.  Il y avait des trous de sécurité sur le poste de monsieur Cyr.  Le poste de monsieur Cyr était un poste d’ouverture pour faire du travail à distance.

Témoignage de Nathalie Chandonnet

[48]         Nathalie Chandonnet est adjointe au propriétaire Bergeron.  Elle a travaillé pour la compagnie à partir de mai 2007, étant de retour pour cette compagnie alors qu’elle y a travaillé de 1991 à 2003.

[49]         C’est elle qui s’occupait des transferts de données de tous les ordinateurs de la compagnie.  Le soir, elle s’envoyait chez elle une copie du disque dur, trois (3) disques durs fonctionnaient en même temps et c’était envoyé chez elle.  Il y avait donc sécurité car les informations étaient gardées à la compagnie et chez elle.

[50]         Elle ne se souvient pas d’avoir parlé des problèmes de transferts de données avec monsieur Cyr mais ce qu’elle dit, c’était elle la responsable des « back up » et cela a toujours bien fonctionné.  Cela allait chez elle et il y avait sécurité.

[51]         Elle se souvient de la vérification qui fut faite par monsieur Laliberté de Rhesus en octobre 2012.

[52]         La conclusion de son enquête était à l’effet que des personnes avaient accès aux données de la compagnie sans en avoir le droit.  On pouvait rentrer à distance sur le réseau de Technofil, sortir les données et ce faisant, on pouvait échanger des données avec l’extérieur.

[53]         Les mots de passe furent changés.

[54]         On a constaté que toutes les transactions furent effacées dès octobre 2012, ce qui n’était pas normal.

[55]         Elle a communiqué avec Rhesus pendant la grève car la compagnie avait l’impression que le comité syndical savait des choses qu’il ne devait pas savoir.  Lors de la négociation, la compagnie était sur l’impression que le syndicat avait accès aux chiffres de la compagnie, aux salaires, aux volumes d’affaires, etc…

[56]         Elle s’apercevait que monsieur Cyr allait dans d’autres postes.

[57]         C’était elle qui s’occupait des « back up » et quelqu’un d’autre avait un dossier où le soir, il sauvegardait lui-même les données de la compagnie.

[58]         Il y avait, à la compagnie, sept (7) ordinateurs et deux (2) serveurs :  un serveur production et un serveur principal.

[59]         Dans l’usine, l’ordinateur de monsieur Cyr n’avait pas de mot de passe et monsieur Cyr lui a parlé d’un problème avec l’ordinateur en 2010.  On a alors appelé les techniciens et le problème fut réglé.

Témoignage d’Alain Bergeron

[60]         Alain Bergeron est président directeur général de Technofil.

[61]         Son entreprise confectionne des pantalons et on répond à des soumissions.  Ses principaux clients sont :  Hydro-Québec, SQ, la Défense Nationale, Postes Canada, Parcs Canada.

[62]         Les patrons sont la propriété des clients et la compagnie possède environ 5% des patrons.

[63]         En regard avec le dossier de Guy Cyr, on a négocié la convention collective.  On avait des soupçons que le syndicat avait accès à des informations privilégiées de la compagnie.  C’est alors qui fut décidé d’engager Rhesus, une compagnie spécialisée et monsieur Laliberté a fait des études.

[64]         Il a rencontré Guy Cyr le 29 ou le 30 octobre car des choses se passaient sur son poste.  Beaucoup de données étaient effacées au fur et à mesure qu’elles entraient, des patrons étaient transférés à l’externe.  Il y avait nettoyage sur nettoyage.  Monsieur Cyr lui a dit, le 30 octobre, qu’il n’envoyait rien à l’extérieur, que les « back up » n’étaient pas envoyés dans un compte personnel.

[65]         Monsieur Laliberté a approfondi ses recherches et finalement, une réunion s’est tenue le 19 novembre.  Étaient présents Guy Cyr, Gilles Bissonnette, Murielle Caron, Isabelle Brisson et lui-même.  C’est alors que monsieur Cyr a avoué qu’il sortait des informations sur Gmail.  Le plaignant fut alors suspendu avec solde.

[66]         Le rapport de Rhesus conclut qu’il y avait des pertes de temps énormes au poste de monsieur Cyr.  Les fichiers de ses clients sortaient à l’extérieur.

[67]         Il était vraiment embêté par la situation.  Il devait protéger son entreprise, protéger ses clients.  Il ne savait pas ce que monsieur Cyr faisait avec les informations lorsque les informations étaient rendues chez lui mais le plaignant pouvait utiliser les données de la compagnie à des fins personnelles.

[68]         Monsieur Cyr occupait un poste important.  Il a perdu confiance en celui-ci qui envoyait les données à l’extérieur.  Pourquoi faire?  Pour possiblement vendre des patrons à des compétiteurs ou pour faire des affaires personnelles.

[69]         Il déclare que monsieur Cyr savait très bien qu’on ne doit pas sortir de la compagnie des données personnelles et privées.

[70]         Il y avait des rumeurs de fuite.  Il se disait que quelqu’un avait accès aux données stratégiques de l’entreprise.  Il y avait soupçon sur l’étanchéité de son réseau, c’est pour cette raison qu’il a demandé l’intervention de Rhesus.

PREUVE SYNDICALE

Témoignage de Guy Cyr

[71]         Guy Cyr fut entendu à nouveau en preuve syndicale.  Il explique qu’il a rencontré des problèmes avec les « back up » en 2010 mais qu’après cette date, il n’y en avait plus.

[72]         Il faisait graver sur un CD toutes les données de la compagnie, CD qu’il amenait chez lui, le soir.  Il avait les « back up » chez lui entre 2000 et 2005 et à ce moment-là, il avait l’autorisation de monsieur Frappier.

[73]         Monsieur Bergeron prend en charge les opérations en 2005 et à ce moment-là, monsieur Bergeron ne lui fait aucune mise en garde au sujet des informations. 

[74]         Il a commencé à faire des « back up » sur Gmail, Google, probablement en 2012.  C’était pour lui, une double protection.  Il protégeait vingt (20) ans d’ouvrage.  Les données étaient sur le serveur de l’entreprise et sur son Gmail personnel.

[75]         Il n’a pas informé monsieur Bergeron de cette situation.

[76]         Les dossiers sortaient à l’externe et il était président du syndicat.

[77]         La réunion du 30 octobre 2012 fut demandée car on rencontrait des problèmes avec les paies.  Madame Chandonnet lui a dit qu’il y avait des traces bizarres, douteuses.  Il a déclaré, lors de cette réunion, qu’il ne transférait pas de données à l’extérieur.

[78]         Il n’a jamais vu le document E-16.  Il a reçu le livre de règlement E-1.

[79]         Interrogé par Me Jessop, il déclare qu’entre 2000 et 2005, il avait deux (2) CD et il alternait pour amener les données chez lui.  À l’autre usine, on a arrêté les « back up » sur le serveur principal de l’employeur.

[80]         Il a décidé, de son propre chef, de se faire un site Gmail et transférer toutes les données sur son propre site.

[81]         Il s’est toujours débrouillé avec les problèmes informatiques et il avait de bons résultats.

[82]         C’était son travail à lui de s’occuper des « back up » virtuels sur les données de la compagnie.  Il n’a eu aucune restriction, aucune directive sur le fait de ne pas sortir, en « back up », des informations de la compagnie.

[83]         Il reconnaît qu’il a envoyé des informations de la compagnie sur des comptes personnels.

[84]         Le 30 octobre, lors de la réunion, madame Chandonnet a quitté à un moment donné et jamais il ne fut question, lors de cette rencontre, de la question des ordinateurs et de l’information qui sortait.  Le 30 octobre, son ordinateur n’avait pas été expertisé.

[85]         Il a effacé des choses les 1 er et 2 novembre et après la rencontre du 2 novembre.

[86]         Il n’a pas retiré les programmes de son ordinateur.

[87]         Il n’a jamais eu d’idée de vendre des patrons.  La seule raison pour laquelle il sortait l’information le soir, c’était pour protéger la compagnie.  Il n’avait aucune intention malveillante.  Il sait très bien que les patrons appartenaient à Technofil ou aux clients, à personne d’autre.

[88]         Il reconnaît que les patrons sont sortis de l’environnement interne, de l’environnement sécurisé de la compagnie.

[89]         Depuis le 15 août, il travaille pour une autre entreprise et avant de se placer ailleurs, il recevait des prestations d’assurance chômage.

Témoignage de monsieur Gilles Bissonnette

[90]         Gilles Bissonnette travaille pour Technofil depuis vingt-cinq (25) ans environ.  Il est tailleur et travaille avec l’informatique.

[91]         Guy Cyr lui a donné une petite information sur une partie du travail qu’il devait faire.  Six (6) mois avant son départ, Guy a commencé à le former sur l’ordinateur.  Maintenant, il a accès à l’ordinateur.  Il n’y avait pas de mot de passe et il avait accès directement à l’ordinateur utilisé par monsieur Cyr.

[92]         Il déclare qu’actuellement, il travaille environ deux (2) heures par jour sur l’ordinateur et que maintenant, il y a un mot de passe.

[93]         Un (1) mois après le départ de monsieur Cyr, on a décidé d’avoir un mot de passe.  Il y a trois (3) ou quatre (4) utilisateurs de l’ordinateur, chacun a son mot de passe.

[94]         Il indique qu’il n’a jamais eu de directives en regard avec la question de la confidentialité des données.  Il fut vice-président du syndicat et il a démissionné après la négociation de la convention collective.

[95]         Le 23 novembre 2012, il a rencontré monsieur Bergeron avec madame Murielle Caron, secrétaire du syndicat.  À la rencontre du 23 novembre, monsieur Cyr a confirmé qu’il avait sorti des informations sur son compte Gmail.  Monsieur Cyr fut suspendu sans solde et enfin, il fut congédié.

[96]         Il indique que 95% de son temps, monsieur Cyr était à son ordinateur.  Il faisait de la planification, du montage.

[97]         Il ne savait pas ce que c’était le « back up ».  Monsieur Cyr ne lui a jamais parlé de l’importance de ne pas perdre des patrons.  Il ne savait pas que monsieur Cyr transférait des données de la compagnie sur son site Gmail.

[98]         Lors d’une réunion, monsieur Bergeron a reproché, à monsieur Cyr, de sortir des informations de la compagnie sur son site Gmail.

CONTRE-PREUVE PATRONALE

Témoignage de Guy Cyr

[99]         Interrogé à nouveau, monsieur Cyr réaffirme, que lors de la rencontre du 30 octobre, on ne lui a pas parlé de transfert d’informations sur son site personnel.  Il en fut question lors de la réunion du 23 novembre.  C’est à ce moment-là qu’il a admis avoir fait des « back up » sur son site personnel Gmail.

[100]      Il est certain, que lors de la réunion du 30 octobre, il ne fut pas question de « back up ».

Témoignage de Martin Laliberté

[101]      Entendu à nouveau, il déclare que les comptes étaient très faciles à pirater.  On pouvait accéder au poste de monsieur Cyr sans difficulté.

[102]      Il est exceptionnel que monsieur Cyr ait procédé, le 31 octobre et le 1 er novembre, à des nettoyages de ses sites.  Tout cela donne l’impression que monsieur Cyr avait quelque chose à cacher et qu’il voulait faire disparaître les traces du travail ou des opérations qu’il faisait à partir de ses sites personnels.

[103]      Il fait référence à plusieurs pièces produites au dossier où on y voit que monsieur Cyr fait disparaître des données.

ARGUMENT PATRONAL

[104]      Le procureur patronal fait référence au manuel de l’employé produit sous E-1.  Tous les employés ont reçu le manuel E-1 et monsieur Cyr, lorsqu’il a témoigné, a hésité avant de dire qu’il faisait des « back up » depuis janvier et mars 2010.  Il a eu des problèmes avec le serveur en 2010 mais cela est terminé.

[105]      Monsieur Cyr n’a pas dit à son employeur qu’il avait un logiciel Acumack et qu’il envoyait des données de la compagnie sur ses sites personnels.

[106]      Le 30 octobre, monsieur Cyr a nié avoir fait des sorties de documents d’informations à l’externe mais il l’a avoué le 23 novembre.

[107]      Si l’on regarde les pièces E-6, E-7, E-8, E-9, E-10, E-11, E-12 et E-14, force est de constater que très souvent monsieur Cyr sortait des informations, qu’il utilisait fréquemment son site personnel pour travailler sur les données de la compagnie.

[108]      C’est madame Chandonnet qui devait recevoir les « back up » et ce depuis possiblement 2005.

[109]      Tout cela vient du fait que, pendant la négociation, la compagnie avait l’impression que le syndicat détenait des informations confidentielles.  On a alors fait vérifier l’ordinateur de monsieur Cyr et finalement, le pot aux roses fut découvert.  De son propre chef, sans le dire à son employeur, monsieur Cyr sortait de l’information et ce, depuis possiblement 2010.

[110]      Monsieur Cyr devait savoir que ce qu’il faisait était prohibé car trois (3) ou quatre (4) fois par jour, il effaçait.  Il envoyait des patrons sur Gmail et plus tard, il les effaçait.  Il ne lui est jamais venu à l’idée d’informer la compagnie du fait qu’il utilisait son ordinateur personnel pour y verser les informations de la compagnie.

[111]      L’expert a établi que monsieur Cyr utilisait son ordinateur personnel pour accéder aux informations confidentielles et privilégiées de la compagnie.

[112]      Monsieur Cyr a mal agi et ses griefs doivent être rejetés purement et simplement.

ARGUMENT SYNDICAL

[113]      Le syndicat ne nie pas les faits.  Monsieur Cyr s’est créé un compte Gmail et il sortait de l’information à l’extérieur du réseau.  Une chose doit être dite, il n’y eut aucune directive de l’employeur que rien ne devait sortir.  Monsieur Bergeron voulait que le travail se fasse et le travail se faisait.

[114]      Entre messieurs Cyr et Bergeron, il n’y avait aucune mésentente avant l’arrivée du syndicat.  Monsieur Cyr devient président du syndicat et il y a négociation de la convention collective en 2012.  Il y a une grève de deux jours et demis (2½) et retour au travail le 4 octobre 2012.

[115]      Un (1) mois plus tard, monsieur Cyr est suspendu avec et sans solde et il est congédié.  On a prétendu que monsieur Cyr volait du temps à son employeur pour environ 20% de son temps, qu’il allait jouer sur d’autres sites.

[116]      Monsieur Cyr n’a jamais été avisé, il n’a jamais eu d’avertissement et rien ne prouve que des informations de la compagnie aient été vendues ou remises à des compétiteurs.  Monsieur Cyr n’avait aucune intention de malveillance.

[117]      On n’a pas appliqué le principe de la gradation des sanctions.  On prétend qu’il y a perte du lien de confiance et on congédie monsieur Cyr à la première occasion.

[118]      Le seul motif pourquoi monsieur Cyr sortait de l’information, c’était pour protéger son travail, être capable d’avoir le travail prêt le matin pour pouvoir débuter sa journée et il voulait sécuriser les données de la compagnie.

[119]      La compagnie a été abusive dans le congédiement.  Il faut faire droit au grief et redonner à monsieur Cyr son emploi qu’il détenait depuis vingt-deux (22) ans.

DÉCISION

[120]      Les faits mis en preuve ne sont pas véritablement contestés.  Si l’on examine les pièces E-6 à E-12, force est de constater que d’une façon assez importante, monsieur Cyr transférait des « back up » des données de la compagnie à un site personnel.

[121]      Me Jessop a déposé un résumé du témoignage de Martin Laliberté où il analyse en détail les pièces E-6 à E-12.

[122]      Monsieur Cyr utilisait son site à d’autres fins et monsieur Laliberté a témoigné à l’effet que monsieur Cyr perdait plus ou moins 20% de son temps.  Lorsque monsieur Cyr a su qu’il y avait enquête le concernant, il a procédé systématiquement à effacer tous les fichiers en utilisant le logiciel « Safe Browsing Bloom Filter 2 ».

[123]      Une chose apparaît de la preuve, monsieur Cyr a utilisé son ordinateur personnel pour y transférer des informations confidentielles qui devaient rester au site de la compagnie.

[124]      Jurisprudence à l’appui, l’employeur prétend qu’il faut maintenir le congédiement car il y a eu appropriation de données par monsieur Cyr sans que l’employeur ne soit informé, ce qui aurait permis à monsieur Cyr de transiger directement avec l’extérieur tous les patrons de Technofil.

[125]      À première vue, il apparaît de la preuve que monsieur Cyr, pour une raison inconnue, a commencé à faire du transfert de données peut-être en 2010 et très certainement en 2012.  Il fait ce transfert de données parce qu’il dit qu’il veut protéger la compagnie et qu’il veut commencer son travail, le matin, dès qu’il arrive au travail.

[126]      La preuve démontre que de 2000 à 2005, sous la direction de monsieur Frappier, les données étaient gravées sur des CD que monsieur Cyr gardaient chez lui pour des « back up ».

[127]      Il a cessé d’être le détenteur des « back up » en 2005 et c’est madame Chandonnet qui avait les « back up » à compter de 2005.  Elle les recevait sans difficulté, chez elle, et tout allait bien.

[128]      Ce n’est qu’en 2010, que monsieur Cyr décide de verser dans son compte Gmail les informations de la compagnie, dit-il pour mieux protéger les informations et pour mieux faire son travail le matin.

[129]      Bien sûr, monsieur Cyr n’était pas autorisé à faire ces transferts d’informations sauf que la preuve ne démontre pas que monsieur Cyr a fait une utilisation malveillante des informations qu’il aurait ainsi transférées.

[130]      Bien sûr, monsieur Cyr n’a pas demandé la permission pour transférer les données, pour les utiliser sauf qu’il n’y a aucune preuve de malversation, aucune preuve de mauvaise foi.

[131]      À partir du moment où les données de la compagnie sont rendues dans l’ordinateur personnel de monsieur Cyr, ce dernier aurait pu en bénéficier à sa guise sauf qu’il n’y a eu aucune preuve à ce sujet.

[132]      L’arbitre considère que monsieur Cyr est à l’emploi de la compagnie depuis vingt-deux (22) ans, c’est presque une vie entière.  Monsieur Cyr a fait une erreur importante en mettant sur pied un compte personnel Gmail et en versant, dans son compte personnel, des données confidentielles qui appartenaient à la compagnie.  Cette erreur est importante sauf que l’arbitre considère qu’elle ne mérite pas un congédiement surtout qu’il n’y a aucune preuve que monsieur Cyr aurait été malhonnête avec les informations de la compagnie.

[133]      Monsieur Cyr a reçu des prestations d’assurance chômage et il s’est trouvé un emploi pour une autre compagnie.

[134]      L’arbitre considère qu’on est passé directement au congédiement alors que monsieur Cyr ne fut jamais averti qu’il ne pouvait pas verser à son compte personnel des informations de la compagnie.

[135]      Jamais cette question ne fut abordée entre monsieur Bergeron et monsieur Cyr et entre 2000 et 2005, c’était monsieur Cyr qui amenait chez lui les « back up ».  Il a cessé de les garder chez lui en 2005 et en 2010-2012, monsieur Cyr a commencé à s’envoyer, sur son compte Gmail, les informations de la compagnie.

[136]      Monsieur Cyr mérite une dernière chance.  La preuve a démontré qu’il faisait bien son travail, qu’il était le grand responsable des patrons et que tout allait bien.  Il y avait même une relation d’amitié entre monsieur Bergeron et monsieur Cyr.

[137]      L’arbitre considère que monsieur Cyr doit réintégrer ses fonctions et ce, à compter du 5 janvier 2015.  Monsieur Cyr sera suspendu sans solde pour toute la période où il fut congédié mais pendant, la période où il fut congédié, il y aura accumulation de son ancienneté.

[138]      Monsieur Cyr a fait une erreur importante en transférant dans son compte personnel les données de la compagnie sauf qu’il avait accès, dans son travail, à toutes les données de la compagnie et s’il avait voulu être malhonnête, il aurait pu, probablement, frauder son employeur même sans transférer dans son compte personnel les données de la compagnie.

[139]      L’arbitre considère que le plaignant était président de son syndicat et il n’est pas contredit que la relation avec monsieur Bergeron s’est détériorée à cause de son implication dans la vie syndicale.

[140]      Le congédiement est cassé.  Monsieur Cyr sera suspendu sans solde mais sans perte d’accumulation d’ancienneté jusqu’au 5 janvier 2015, date où il retournera à son emploi, comme auparavant.  Monsieur Cyr redeviendra un employé modèle et il pourra, à nouveau, offrir de bons services à Technofil.  L’erreur qu’il a commise est grave mais elle ne mérite pas un congédiement vu que monsieur Cyr n’avait aucun dossier antérieur et vu que monsieur Cyr possédait vingt-deux (22) ans d’ancienneté.  Mettre fin à une carrière de vingt-deux (22) ans, pour une erreur importante, est trop sévère.  Le plaignant n’avait pas de dossier antérieur et on est passé directement à la peine capitale.

[141]      L’arbitre réserve sa compétence pour disposer de toute difficulté pouvant découler de l’application de la présente décision.

 

 

 

           

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Me Nicolas Cliche, Arbitre