Dufresne c. Desgagnés |
2014 QCCQ 12668 |
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COUR DU QUÉBEC |
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« Division des petites créances » |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DISTRICT DE |
SAINT-HYACINTHE |
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LOCALITÉ DE |
SAINT-HYACINTHE |
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« Chambre civile » |
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N° : |
750-32-011026-138 |
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DATE : |
18 NOVEMBRE 2014 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE |
L’HONORABLE |
GILLES CHARPENTIER, J.C.Q. |
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JOANELLE DUFRESNE |
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Demanderesse |
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c. |
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MARIE-CHRISTINE DESGAGNÉS |
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et |
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HÔPITAL HONORÉ-MERCIER |
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Défenderesses |
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JUGEMENT |
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[1] La demanderesse réclame aux défenderesses, conjointement et solidairement, le paiement d'une somme de 5 350 $ représentant le coût de réparation d'une dent cassée, le coût de médicaments pris ainsi qu'un dédommagement pour les inconvénients subis suite au bris de cette dent lors d'une anesthésie générale, situation dont elle tient les défenderesses responsables.
LES FAITS
[2] Le 16 octobre 2012, la demanderesse subit à l'Hôpital Honoré-Mercier de Saint - Hyacinthe une chirurgie pour un kyste au dos (sinus pilonidal).
[3] La défenderesse Marie-Christine Desgagnés est l'anesthésiste responsable de cette chirurgie.
[4] Le type d'intervention chirurgicale à pratiquer exige une anesthésie générale.
[5] Après la chirurgie alors qu'elle se trouve dans la salle de réveil, l'infirmière responsable réalise qu'une des dents supérieures avant de la demanderesse (palette) est brisée et qu'une partie de cette dent se trouve sur sa lèvre.
[6] Avant l'anesthésie, cette dent était en parfait état.
[7] Elle reproche à l'anesthésiste et au personnel de la défenderesse Hôpital Honoré-Mercier d'avoir créé une situation qui a amené le bris de cette dent et de ne pas l'avoir informée, avant la chirurgie, du risque potentiel d'un tel bris. Au surplus, cette dent n'avait jamais eu aucun traitement par un dentiste.
[8] Elle reproche également à la défenderesse Marie-Christine Desgagnés de ne pas être venue la voir une fois informée du bris de la dent.
[9] Conséquence de ce bris, elle a pris des médicaments antidouleur pendant deux semaines après avoir rencontré un dentiste. Aucune prescription ni aucune facture de l'achat de ces médicaments n'est déposée au dossier de la cour.
[10] Conséquence de l'aspect esthétique du manquement de cette dent, elle a limité tous ses déplacements extérieurs de sa résidence pendant trois mois. À ce moment, elle était en congé de maternité.
[11] Conséquence de la chirurgie du kyste au dos, elle a eu une fois par semaine pendant six mois la visite d'un employé du CLSC des Maskoutains pour des changements de pansements. À chacune des visites, elle ressentait de la gêne due à la dent manquante.
[12] Elle réclame aux défenderesses, conjointement et solidairement, le paiement d'une somme de 5 350 $ qui se détaille comme suit :
a) coût du dentiste pour réparation de la dent (P-2) 3 800 $
b) médicaments après intervention sur la dent cassée 50 $
c) douleur, stress, inconvénients au niveau esthétique 1 500 $
[13] Le 7 décembre 2012, la demanderesse fait parvenir aux défenderesses une mise en demeure (P-3) réclamant les mêmes sommes.
[14] En défense, Marie-Christine Desgagnés explique les faits suivants.
[15] Le type de chirurgie que devait subir la demanderesse nécessite une anesthésie générale.
[16] Pour ce faire, la patiente est anesthésiée alors qu'elle est couchée sur le dos et par la suite, son corps est retourné à plein ventre pour permettre au chirurgien d'effectuer son travail.
[17] Avant la chirurgie, elle a rencontré la demanderesse et lui a expliqué le processus d'anesthésie ainsi que le risque de traumatisme dentaire relié à la manœuvre et à l'intubation nécessaire. Cette rencontre apparaît au dossier médical de la demanderesse.
[18] Bien que ce risque soit minime et qu'un tel événement soit peu fréquent, elle mentionne toujours spécifiquement ce risque au patient qu'elle va anesthésier depuis qu'elle est informée qu'un confrère de travail a été blâmé pour manque d'information pour une manœuvre identique.
[19] Lors de la manœuvre de retournement, elle place à la patiente un casque pour protéger son visage ainsi que les voies respiratoires. La patiente n'a donc pas le visage écrasé sur la table d'opération.
[20] La chirurgie s'est déroulée normalement et la demanderesse a été envoyée à la salle de réveil. Avant de ce faire, elle a procédé à l'enlèvement de l'intubation de celle-ci, et ce, sans problème.
[21] Elle a, par la suite, placé une guedelle, pièce de plastique placée dans la bouche pour éviter qu'un patient en mode de réveil se morde la langue ou serre les dents dans une manœuvre incontrôlée.
[22] Lorsque le processus de réveil est bien enclenché, mais que le patient est encore un peu somnolent, le personnel infirmier retire la quedelle. Le niveau de conscience (ou inconscience) d'un patient fait en sorte que celui-ci n'a jamais ou très rarement connaissance de la pose de la guedelle et de l'enlèvement de celle-ci.
[23] Marie-Eve Lanteigne était l'infirmière responsable de la salle de réveil le 16 octobre 2012. Lorsque la demanderesse a été amenée dans cette salle, tout fonctionnait normalement et la demanderesse avait en bouche la guedelle.
[24] Environ 45 minutes plus tard, elle a procédé elle-même à l'enlèvement de la guedelle et tout s'est fait normalement.
[25] Comme un processus de réveil après une anesthésie générale nécessite une surveillance continuelle des patients et quelques minutes après l'enlèvement de la guedelle, elle est retournée voir celle-ci. Elle a alors constaté qu'un bout de dent se trouvait sur la lèvre de la demanderesse.
[26] Elle a informé la gestionnaire de l'hôpital de cette situation et rempli un rapport d'incident (P-1).
[27] Lorsqu'elle découvre cette dent, elle informe la demanderesse de la situation qui lui mentionne que cette dent a déjà été refaite quelques années auparavant.
[28] Le docteur François Girard est anesthésiologiste au CHUM Hôpital Notre-Dame de Montréal. Il est médecin depuis 1987 et anesthésiologiste depuis 1992. Depuis 2002, il est directeur du programme de résidence en anesthésiologie du CHUM.
[29] Son curriculum vitae en fait un expert dans le domaine (DF001-2).
[30] À ce titre, il a rédigé un rapport d'expertise sur les événements concernant la réclamation de la demanderesse (DF001).
[31] À l'audience, il explique qu'un traumatisme dentaire associé à l'anesthésie peut survenir à différents moments dans le déroulement de l'anesthésie. Il peut être en relation avec la manipulation des voies aériennes par l'anesthésiste ou une autre personne impliquée dans les soins du patient ou être en relation avec un geste involontaire du patient (par exemple : la fermeture de la mâchoire sur un objet dur).
[32] Il expose que la littérature scientifique nous apprend que les traumatismes dentaires associés à l'anesthésie sont des événements rares dans la pratique anesthésique : entre 1 cas sur 2 073 et 1 cas sur 2 805 anesthésies avec intubation endotrachéale.
[33] Il précise que les facteurs de risque de traumatisme dentaire identifiés dans les études sont les suivants : intubation difficile, mauvaise dentition ou dent ayant été fragilisée par du travail de dentisterie.
[34] Il a analysé le travail de la défenderesse Marie-Christine Desgagnés et vient aux conclusions suivantes :
a) il n'y a pas eu de difficultés à l'intubation;
b) le fait que le traumatisme dentaire a été noté en salle de réveil après le retrait de la canule oropharyngée.
[35] De plus, l'analyse du dossier de la patiente confirme que la défenderesse Marie-Christine Desgagnés a avisé la demanderesse du risque de traumatisme dentaire tel que documenté dans l'évaluation préanesthésique.
[36] Il confirme également l'impossibilité de procéder par un autre type d'anesthésie à cause du type de chirurgie que devait subir la demanderesse.
[37] Il conclut que la défenderesse Marie-Christine Desgagnés n'a commis aucune faute professionnelle, a agi selon les règles de l'art et n'est pas responsable de la réalisation du risque connu et accepté par la demanderesse.
[38] Nathalie Pierre-Antoine est gestionnaire de l'Hôpital Honoré-Mercier.
[39] Elle expose que le travail infirmier n'est pas en cause et aucune preuve ne relit la blessure de la demanderesse à un manquement du personnel infirmier.
[40] Elle rappelle que les médecins ne sont pas des employés de l'Hôpital Honoré-Mercier tel que décidé par l'ensemble de la jurisprudence.
[41] Elle déplore ce qui est arrivé à la demanderesse, mais plaide que l'Hôpital Honoré-Mercier de Saint-Hyacinthe n'en est nullement responsable.
ANALYSE ET DÉCISION
[42] La demanderesse a le fardeau de prouver par prépondérance de preuve la faute du docteur Marie-Christine Desgagnés ainsi que la faute de l'Hôpital Honoré-Mercier.
[43] Pour ce faire, elle doit démontrer non seulement le bris de la dent, mais qu'il y a eu manquement dans la méthode de travail (les règles de l'art) autant lors de l'anesthésie que lors du processus de réveil.
[44] Dans le cas présent, cette preuve est inexistante.
[45] Comme il s'agit d'un domaine hautement technique, le Tribunal doit s'appuyer sur les experts pouvant démonter les manquements ou les façons de procéder à cette anesthésie et la seule preuve entendue à cet effet est celle faite en défense.
[46] En effet, aucune preuve en demande n'a été faite pour contrer le témoignage de la défenderesse Marie-Christine Desgagnés ou l'expertise du docteur François Girard sur le type d'anesthésie nécessaire, la façon d'effectuer celle-ci et le processus de réveil.
[47] De plus, une preuve prépondérante a été faite que la demanderesse a été informée du risque de traumatisme dentaire par le type d'anesthésie et qu'elle y a consenti.
[48] Il y a donc absence totale de preuve d'un manquement professionnel de la part de la défenderesse Marie-Christine Desgagnés.
[49] Quant aux reproches formulés à l'Hôpital Honoré-Mercier de Saint-Hyacinthe, il y a également une absence totale de preuve de la part de la demanderesse quant à un manquement à la façon d'effectuer le travail suite à la chirurgie.
[50] De plus, à de multiples occasions, les tribunaux ont tranché que les médecins ne sont pas des employés des hôpitaux. Ils sont des prestataires de services qui sont rémunérés par la Régie de l'assurance maladie du Québec .
[51] En conséquence, la demanderesse a failli dans son fardeau de faire une preuve prépondérante d'erreur professionnelle.
PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
REJETTE la requête introductive d'instance intentée contre les deux défenderesses, sans frais.
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__________________________________ GILLES CHARPENTIER, J.C.Q. |
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Date d’audience : |
Le 27 octobre 2014 |
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