Syndicat des débardeurs, section locale 375, SCFP et Association des employeurs maritimes (grief patronal) |
2015 QCTA 24 |
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TRIBUNAL D’ARBITRAGE |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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N o de dépôt : |
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Date : |
Le 22 janvier 2015 |
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DEVANT L’ARBITRE : |
DENIS PROVENÇAL , avocat |
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SYNDICAT DES DÉBARDEURS, SCFP, SECTION LOCALE 375 |
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ASSOCIATION DES EMPLOYEURS MARITIMES |
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GRIEF |
Grief patronal article 1.07 de la convention collective. |
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Procureurs du Syndicat |
M e Yves Morin & M e Isabelle Leblanc |
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(Lamoureux Morin Lamoureux) |
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Procureurs de l'Employeur |
M e Nicolas Di Iorio & M e Mélanie Sauriol |
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(Langlois Kronström Desjardins)
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SENTENCE ARBITRALE |
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(Ordonnance provisoire article 60 (1) (a.2) du Code canadien du travail) |
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[1] L’employeur, requérant en l’instance, est l’Association des employeurs maritimes (AEM), laquelle est une association d’employeurs reconnue par une ordonnance du Conseil canadien des relations industrielles (CCRI) comme représentant l’ensemble des employeurs qui ont à leur emploi des employés membres du Syndicat des débardeurs, section locale 375 du SCFP. L’activité principale de ces employeurs est de charger et décharger les navires dans le territoire du Port de Montréal.
[2] Le Syndicat a été accrédité par le CCRI le 27 juillet 1990 afin de représenter tous les employés de tous les employeurs œuvrant dans le chargement et déchargement des navires au Port de Montréal. L’unité de négociation du Syndicat compte environ 850 employés. Une convention collective est en vigueur jusqu’au 31 décembre 2018.
[3] Le litige entre les parties est principalement axé sur l’application de l’article 1.07 de la convention collective et, plus particulièrement, en ce qui a trait à l’ordre dans lequel les employés doivent être assignés au travail et du droit de l’AEM de recourir à la salle d’embauche, tel que prévu au paragraphe d) dudit article.
[4] Le 2 octobre 2014, l’AEM déposait le grief suivant :
« Le 19 septembre 2014, le Syndicat des débardeurs, SCFP section locale 375, par l’entremise de ses représentants incluant, sans limiter la généralité de ce qui précède, le président, M. Christian Beaudin, le conseiller du SCFP, M. André Racette, ainsi que d’autres membres de l’exécutif du dit syndicat, se sont présentés au terminal de la compagnie Logistec et ont empêché un employé ayant le statut de « carte blanche » d’effectuer sa prestation de travail. L’employeur, aux termes de l’article 1.07 d) de la convention collective, pouvait assigner cet employé au travail.
Dans le but d’assurer l’intégrité physique du dit employé, l’AEM a dû retirer l’employé du travail tout en le rémunérant pour cette journée du 19 septembre.
Les gestes posés par les représentants du Syndicat constituent, de manière non limitative, une violation de la convention collective dont les articles 1.03 a), 1.07 d), 2.02, 3 et 5.08.
Réclamation et remède
En raison des faits et gestes des représentants syndicaux, l’AEM demande ce qui suit :
Remboursement des montants payés à l’employé et des coûts encourus pour cette journée du 19 septembre ;
Une déclaration à l’effet que le syndicat a violé la convention collective ;
Une déclaration à l’effet que l’employeur était en droit d’assigner l’employé susmentionné.
Le tout sous réserve de toute autre démarche qui pourrait en découler. »
[5] Le 10 décembre 2014, l’AEM déposait une requête pour que le présent tribunal d’arbitrage émette l’ordonnance suivante :
déclarer , de façon provisoire, qu’en vertu de la convention collective R-3, l’AEM a le droit de recruter unilatéralement et de former des personnes ayant le statut de « carte blanche » et de les assigner au travail conformément à l’article 1.07d), pour valoir jusqu’à ce que le tribunal d’arbitrage rende une décision sur le grief patronal 2014-0002;
ORDONNER, de façon provisoire, au Syndicat, à ses représentants et à ses membres de ne pas entraver l’assignation au travail et l’exécution du travail des « cartes blanches », pour valoir jusqu’à ce que le tribunal d’arbitrage rende une décision sur le grief patronal 2014-0002.
[6] Pour les fins de la compréhension du litige, je crois utile de reproduire les principaux allégués de la requête, supportés par une déclaration assermentée de M. Jean-Pierre Langlois, conseiller principal en relations de travail de l’AEM :
« (…)
9. L’article 1.07 de cette convention collective R-3 prévoit l’ordre dans lequel l’assignation au travail doit être faite au quotidien. L’article se lit comme suit :
« 1.07 a) Lorsque tous les employés disponibles couverts par la sécurité d’emploi et dont les noms apparaissent à l’Annexe « A » ont été assignés, les employés disponibles de la première réserve de soutien suivis des employés disponibles de la deuxième réserve de soutien dont les noms apparaissent à l’Annexe « B » peuvent alors être assignés.
b) Si tous les employés disponibles précités ont été assignés, l’employeur peut alors assigner au travail par l’entremise de la salle d’embauche les personnes faisant partie de la liste des apprentis fournie par le Syndicat.
c) Si tous les employés disponibles précités ont été assignés, l’employeur peut alors assigner au travail par l’entremise de la salle d’embauche les personnes de la liste de disponibilité possédant le privilège de solliciter du travail d’appoint fournie par le Syndicat.
d) Si tous les employés disponibles précités ont été assignés, l’employeur peut alors assigner au travail par l’entremise de la salle d’embauche la main d’œuvre requise en donnant un avis immédiat au Syndicat. »
10. Le paragraphe a) de l’article 1.07 de la convention collective prévoit que l’AEM doit tout d’abord assigner les débardeurs réguliers, ceux de la première réserve et ceux de la deuxième réserve;
11. Le paragraphe b) de l’article 1.07 de la convention collective fait référence aux « apprentis », mais cette disposition n’a jamais été appliquée;
12. En effet, la catégorie des « apprentis » a été ajoutée dans la convention collective expirant en 2008 parce que le Syndicat projetait de fonder une « École de débardeurs »;
13. L’ajout de la catégorie des « apprentis » a été fait afin que les personnes ayant complété la formation à cette école puissent obtenir une certaine priorité;
14. Or, le Syndicat n’ayant jamais fondé d’ « École de débardeurs » et puisqu’aucun apprenti n’a été formé, aucun apprenti n’a jamais été assigné au travail par l’AEM;
15. Le paragraphe c) de l’article 1.07 de la convention collective fait référence aux « privilégiés »;
16. Les parties ont ajouté cette catégorie dans la convention collective qui a expirée en 2003;
17. À ce jour, trois (3) employés détiennent un statut de « privilégié »;
18. Les trois (3) « privilégiés » sont, en fait, des « cartes blanches » avec un statut particulier;
19. Les personnes assignées à travailler en vertu de l’article 1.07 d) sont des travailleurs occasionnels et ont été désignées historiquement par les parties comme étant des « cartes blanches »;
20. De tout temps, lorsque tous les débardeurs réguliers, ceux de la première réserve ainsi que ceux de la deuxième réserve ont été assignés, l’AEM, conformément à l’article 1.07 d) assigne des personnes détenant le statut de « carte blanche »;
21. L’assignation de personnes détenant le statut de « carte blanche » ne retire aucun travail aux débardeurs membres du Syndicat puisque ces personnes sont assignées lorsque tous les débardeurs réguliers, ceux de la première réserve ainsi que ceux de la deuxième réserve, ont été assignés, ne peuvent pas ou ne veulent pas l’être et ne souhaitent pas travailler en temps supplémentaire;
22. Comme l’AEM fait face à des demandes variables, elle doit avoir accès à cette main d’œuvre occasionnelle puisqu’elle lui permet de répondre aux besoins opérationnels les journées où les besoins sont plus importants et que tous les débardeurs réguliers, ceux de la première réserve ainsi que ceux de la deuxième réserve ont été assignés, ne peuvent pas ou ne veulent pas l’être, et ne souhaitent pas travailler en temps supplémentaire;
23. Les personnes détenant un statut de « carte blanche » sont assignées de façon sporadique, et n’ont aucune garantie d’heures de travail, contrairement aux débardeurs réguliers et à ceux de la première réserve;
Le recrutement de « cartes blanches »
24. Au début de septembre 2014, seulement dix-neuf personnes détenaient activement un statut de « carte blanche » alors que dans les dernières années, plus de cent personnes détenaient ce statut;
25. À la fin du siècle dernier, de nouvelles normes en matière de santé et sécurité du travail ont fait en sorte qu’une personne ne pouvait pas travailler au Port de Montréal sans avoir préalablement suivi une formation en santé et sécurité du travail;
26. Au cours des dernières années, le Port de Montréal faisait face à une diminution de ses activités de sorte qu’il y a eu une lente érosion de la liste de personnes détenant un statut de « carte blanche » puisque ces personnes étaient rarement assignées au travail;
27. Or, plus récemment, suite à une reprise des activités, il devenait important pour l’AEM d’obtenir un bassin de personnes ayant reçu une formation en santé et sécurité du travail afin d’être en mesure de les assigner, au besoin, conformément à l’article 1.07d) de la convention collective R-3;
28. Par le passé, l’AEM a eu recours à plusieurs moyens afin de recruter des « cartes blanches », que ce soit, par exemple, par le biais d’affichages à Emploi Québec, de recherches improvisées de personnes disponibles près du Port de Montréal ou de la création d’une liste de noms de personnes qui se présentaient à l’AEM pour indiquer leur intérêt à y travailler;
29. L’AEM a donc publié, en août 2014, un appel de candidatures sur son site internet et sur le site internet d’Emploi Québec, tel qu’il appert de la pièce R-4;
30. Les candidats ainsi retenus reçurent une formation d’une journée en santé et sécurité du travail et une formation d’une journée sur les métiers manuels de base;
31. L’assignation de ces employés par l’AEM ne peut survenir que si elle a besoin de faire des assignations conformément à l’article 1.07d) de la convention collective R-3;
32. Or, le 19 septembre 2014, lorsque l’AEM a fait appel à une personne ainsi recrutée et formée, le président du Syndicat, monsieur Christian Beaudin, le conseiller du SCFP, monsieur André Racette ainsi que des membres de l’exécutif du Syndicat se sont présentés sur les lieux où cette personne détenant un statut de « carte blanche » se trouvait sur les quais, l’ont intimidé et l’ont empêché de travailler;
33. L’AEM a agi, ce jour-là, comme elle faisait de tout temps lorsqu’elle faisait face à des besoins ponctuels plus importants qu’à l’habitude et que tous les débardeurs réguliers, ceux de la première réserve ainsi que ceux de la deuxième réserve avaient été assignés, ne pouvaient pas ou ne voulaient pas l’être et ne souhaitaient pas travailler en temps supplémentaire;
34. Non seulement l’AEM a un droit strict de ce faire mais il s’agit pour elle d’une nécessité afin d’assurer que les opérations puissent être menées dans les cas où il n’y a plus de débardeurs réguliers, de première réserve ou de deuxième réserve, disponibles pour effectuer le travail;
35. Le Syndicat n’a jamais été impliqué dans la désignation des personnes pouvant être assignées au travail en vertu du paragraphe d) de l’article 1.07 de la convention collective R-3;
(…) »
[7] Le 4 septembre 2014, soit presqu’un mois avant le dépôt du grief de l’AEM, le Syndicat déposait auprès du CCRI une plainte de pratique déloyale en vertu des articles 94 (1) a), 94 (3) a) et b), 96 et 97 du Code canadien du travail.
[8] Le Syndicat allègue que l’AEM a publié sur son site Internet une annonce visant à recruter des candidats pour être débardeurs sans lui avoir acheminé au préalable une demande de main-d’œuvre.
[9] Tel qu’allégué à la plainte, le Syndicat a adressé des correspondances à l’AEM les 28 août et 2 septembre 2014 lui soumettant une liste de 40 candidats apprentis et l’informant qu’une liste de 80 ‘’cartes blanches’’ attitrées aux bateaux passagers suivraient dans quelques jours.
[10] Le 3 septembre, M. Morency, vice-président aux relations de travail, transmettait la lettre suivante au Syndicat, telle que reproduite au paragraphe 21 de la plainte :
« [...]
La présente fait suite à vos correspondances datées du 28 août et du 2 septembre 2014. En effet, dans la vôtre du 2 septembre, adressée à Jean Bédard, vous nous mentionnez que vous êtes en attente d'une réponse de notre part. Pourtant la lettre du 28 août mentionne clairement que le soussigné vous a signifié que l'Association avait l'intention de requérir à une liste de disponibilités en vertu de l'article 1.07 d) de la convention collective. Nous considérons donc qu'une réponse vous a été donnée.
De toute évidence, les parties ne s'entendent pas sur l'application dudit article. D'ailleurs dans votre correspondance du 20 août 2014 adressée à Stéphane Morency, vous avez déposé un grief (# 14-08-237); ce dernier suivra la procédure telle qu'établie dans la convention collective à l'article 5.
Dans votre correspondance du 2 septembre, vous nous soumettez une liste d'apprentis. Nous ne vous avons jamais demandé quelque liste que ce soit, nous la rejetons. Soyez par contre assuré, tel que mentionné dans la correspondance datée du 20 août 2014, par le soussigné, que « l'AEM appliquera les dispositions de l'article 13 de la convention collective, lorsque nous le jugerons opportun tel que prévu à l'article 13.06.
[...] »
[11] Le Syndicat soutient dans sa plainte que les dispositions de la convention collective, et plus particulièrement l’article 1.07, sont claires à l’effet qu’il est le seul dispensateur de la main-d’œuvre pour les besoins de l’AEM.
[12]
Le Syndicat a également soutenu que les agissements
de l’AEM, et plus particulièrement le refus de la liste des candidats qu’il
avait soumise le 2 septembre et le fait de recruter directement la main-d’œuvre
pour combler ses besoins, constituaient une ingérence dans les affaires
syndicales contrairement à l’article
[13] Le 3 octobre 2014, sans entendre les parties en audience, le CCRI rendait une ordonnance provisoire selon les termes suivants :
« (…)
« ATTENDU QUE le Conseil canadien des relations
industrielles (le Conseil) a reçu du Syndicat des débardeurs, section locale
375 du Syndicat canadien de la fonction publique, (le syndicat) une demande
d’ordonnance provisoire en vertu de l’article
ET ATTENDU QUE le syndicat a également présenté une
plainte de pratique déloyale de travail (dossier du Conseil n
o
30623-C), dans laquelle il allègue que l’employeur intimé a enfreint les
alinéas 94 (1) a) et b) et l’article
ET ATTENDU QUE l’article
ET ATTENDU QUE le Conseil ne s’est pas encore prononcé sur le fond de la plainte de pratiques déloyales de travail du syndicat et n’a pas encore déterminé si l’enjeu de ladite plainte relève de l’interprétation de la convention collective.
ET ATTENDU QUE, après un examen attentif des observations écrites des parties, le Conseil estime une urgence à rendre une ordonnance provisoire dans la présente affaire;
ET ATTENDU QUE la crédibilité du syndicat pourrait être compromise et que ce dernier subirait un préjudice irréparable qui ne saurait être seulement pécuniaire si l’employeur continue de faire du recrutement unilatéralement;
ET ATTENDU QUE la prépondérance des inconvénients dans les circonstances est en faveur du syndicat et qu’il est nécessaire, afin de rétablir le rapport de force entre les parties et de maintenir de saines relations du travail, de rendre une ordonnance provisoire;
EN CONSÉQUENCE, le Conseil, en vertu des pouvoirs
que lui confère l’article
DONNÉE à Ottawa, ce 3 e jour d’octobre 2014, par le Conseil canadien des relations industrielles.
/s/ Louise Fecteau
________________
Louise Fecteau
Vice-Présidente »
[14] Dans une correspondance adressée aux parties le 28 novembre 2014, le CCRI leur proposait des dates d’audience afin de procéder au mérite de la plainte. Le CCRI a proposé quatre jours au mois d’avril et cinq journées au mois de juin 2015.
[15]
Aux fins de la présente demande d’ordonnance provisoire présentée en
vertu de l’article
[16] C’est l’article 13.06 de la convention collective qui établit la manière dont un employé devient débardeur, soit par référence par le Syndicat. L’employé accède à la 2 ième réserve, ensuite à la 1 ière réserve et, par la suite, il devient un employé régulier. C’est l’article 1.07 de la convention qui va déterminer l’ordre dans lequel l’employé va travailler selon le statut qu’il détient. Il est évident, selon le procureur, qu’il doit exister un équilibre sur le nombre d’employés que l’AEM peut compter pour charger et décharger les navires.
[17] L’article 1.07 de la convention établit un ordre dans lequel l’AEM assigne les employés au travail. L’AEM ne peut recourir aux employés disponibles de la 1 ère et 2 ième réserve que lorsque tous les employés disponibles couverts par la sécurité d’emploi, dont les noms figurent à l’Annexe A de la convention collective, ont été assignés. Le procureur souligne que le paragraphe b) n’a aucune application puisqu’il n’existe aucune liste d’apprentis. Quant au paragraphe c), il s’agit d’employés ‘’cartes blanches’’ qui ont un statut privilégié et, au jour du dépôt de la requête, il y avait trois employés qui pouvaient prétendre à ce statut. Lorsque L’AEM a épuisé la liste des employés prévus aux paragraphes a), b) et c), elle peut alors utiliser les employés qui se présentent à la salle d’embauche. Ces employés ont le statut d’occasionnel et sont également des ‘’cartes blanches’’. Historiquement, les ‘’cartes blanches’’ existent depuis 1970 et sont utilisées rarement et surtout dans les situations où une affluence inattendue de navires se produit. Présentement, il y a 19 employés qui ont le statut de ‘’cartes blanches’’, selon le paragraphe d) de l’article 1.07. Il y a quelques années, plus d’une centaine avaient le statut de ‘’carte blanche’’. L’AEM se doit d’utiliser les ‘’cartes blanches’’ pour combler ses besoins sinon ceux-ci iront chercher du travail ailleurs. De plus, le Port de Montréal connaît, depuis quelque temps, une augmentation importante du volume de navires à charger et décharger et, en conséquence, il faut augmenter l’embauche de ‘’cartes blanches’’. Parce que l’AEM ne pouvait combler ses besoins de main-d’œuvre avec les seules dispositions de l’article 1.07, elle a publié une annonce pour recruter des ‘’cartes blanches’’ qui sont, en réalité, des employés occasionnels sur appel.
[18] Le procureur souligne que le Syndicat confond les règles d’embauche avec celles d’assignation prévues aux articles 1.07 et 13.06 de la convention collective. Lorsque l’AEM demande au Syndicat une liste d’employés pour travailler, il peut inscrire sur cette liste des ‘’cartes blanches’’. Le procureur insiste sur le fait que le Syndicat ne subirait aucun inconvénient si l’arbitre faisait droit à l’ordonnance demandée par l’AEM. L’article 5.08 de la convention édicte la règle ‘ ’obey now and grieve later ’’ et précise qu’en attendant qu’un litige soit réglé selon la procédure de grief, les employés travaillent selon les directives de l’AEM.
[19] Avant même que le CCRI émette son ordonnance du 3 octobre 2014, l’AEM avait cessé l’embauche de ‘’cartes blanches’’ considérant la violence qui existait au Port de Montréal. Ce n’est qu’au mois de mai ou au mois de juin 2015 que le CCRI entendra les parties sur le fond de la requête déposée par le Syndicat. En conséquence, il est impérieux que le présent tribunal d’arbitrage rende une ordonnance provisoire permettant à l’AEM d’utiliser les ‘’cartes blanches’’ conformément à l’article 1.07 de la convention. C’est au tribunal d’arbitrage qu’il revient d’interpréter la convention collective et non au CCRI. D’ailleurs, l’interprétation que donnera le tribunal d’arbitrage sur les dispositions de l’article 1.07 sera utile au CCRI lorsqu’il entendra les parties au mérite de la plainte du Syndicat. L’AEM a une question sérieuse à débattre devant l’arbitre et une ordonnance provisoire doit être émise afin de protéger la paix industrielle.
[20] Le procureur souligne que même si l’arbitre prenait pour avérés tous les allégués de la requête de l’AEM, celle-ci est irrecevable à sa face même. D’ailleurs, il est faux que sévit un climat de violence au Port de Montréal. L’AEM n’invoque qu’un seul incident survenu le 19 septembre 2014 concernant l’embauche d’un employé ‘’carte blanche’’. D’ailleurs, par sa requête pour une ordonnance provisoire, l’AEM recherche plutôt une décision sur le fond de son grief.
[21] L’arbitre doit prendre en compte le but de l’ordonnance du CCRI du 3 octobre 2014, soit empêcher l’AEM de s’ingérer dans les affaires du Syndicat. De plus, tel qu’il apparaît d’une correspondance du CCRI en date du 24 octobre 2014, l’AEM a présenté une demande de révision de l’ordonnance du 3 octobre. L’AEM ne s’est pas pourvue en révision judiciaire de l’ordonnance du CCRI et, en conséquence, a renoncé à son droit d’attaquer cette décision et son recours est de toute évidence prescrit. Le présent tribunal d’arbitrage ne peut faire droit à la requête de l’AEM car une ordonnance provisoire contredirait celle émise par le CCRI et, plus particulièrement, le but recherché par son ordonnance. De plus, le CCRI a considéré qu’il devait intervenir d’urgence. De fait, émettre une ordonnance, telle que recherchée par l’AEM, discréditerait l’administration de la justice. La présente requête de l’AEM n’est ni plus ni moins qu’une contestation indirecte de l’ordonnance du CCRI émise le 3 octobre.
[22] Le procureur plaide que le Syndicat veut également obtenir une interprétation des dispositions de la convention collective en regard du recrutement par l’AEM des ‘’cartes blanches’’. Toutefois, cette interprétation que donnera l’arbitre ne peut être faite de façon provisoire. Accueillir la requête de l’AEM ferait en sorte de disposer provisoirement du fond du litige, ce qui est un non-sens. Le Syndicat considère également que la question soumise au présent tribunal d’arbitrage est sérieuse. Toutefois, le Syndicat a le droit de soumettre une preuve complète au soutien de son interprétation des articles de la convention collective en litige. L’AEM ne peut soutenir sérieusement que le tribunal d’arbitrage doit intervenir d’urgence et lui accorder le droit d’embaucher provisoirement des ‘’cartes blanches’’ jusqu’à la décision finale.
[23] De plus, il n’y a aucun lien logique entre les conclusions du grief patronal de l’AEM et les conclusions qu’elle recherche par sa demande d’ordonnance provisoire.
[24]
L’article
« Pouvoirs des arbitres
60. (1) L’arbitre ou le conseil d’arbitrage a les pouvoirs suivants :
a ) ceux qui sont conférés au Conseil par les alinéas 16 a ), b ), c ) et f.1 );
a.1 ) celui d’interpréter et d’appliquer les lois relatives à l’emploi et de rendre les ordonnances qu’elles prévoient, même dans les cas où elles entrent en conflit avec la convention collective;
a.2 ) celui de rendre les ordonnances provisoires qu’il juge indiquées;
a.3 ) celui de tenir compte des observations présentées sous une forme qu’il juge indiquée ou que les parties acceptent;
a.4 ) celui de rendre les ordonnances ou de donner les directives qu’il juge indiquées pour accélérer les procédures ou prévenir le recours abusif à l’arbitrage;
b ) celui de décider si l’affaire qui lui est soumise est susceptible d’arbitrage.
(…) »
[25] Le procureur de l’AEM plaide que pour émettre une ordonnance provisoire, il n’y a que deux critères à rencontrer : il doit s’agir d’une question sérieuse à débattre et il faut évaluer la balance des inconvénients pour l’AEM si l’ordonnance provisoire n’est pas accordée.
[26]
J’ai étudié avec attention la jurisprudence soumise par le procureur de
l’AEM et je considère que la décision de l’arbitre Kenneth J. Glasner rendue
dans l’affaire
Telecommunications Workers Union v. Telus inc.
[1]
résume l’état de la jurisprudence sur les critères à appliquer lorsqu’un
arbitre est saisi d’une requête pour une ordonnance provisoire en vertu de
l’article
« The Law
13 Counsel have provided me with the appropriate case law in Re Aliant Telecom Inc. and Atlantic Communication and Technical Workers Union 103 L.A.C. (4 th ) 304 Arbitrator Christie in considering granting Interim relief set out at page 306 the questions to be asked by an arbitrator:
I think there is a two-step decision making process, involving the questions:
1. Is there a fair question to be arbitrated? What constitutes a fair question must be related to the second question. (In other words, the more serious the damage or harm which seems likely to result from either denying or granting interim relief, the more fully satisfied the arbitrator should be that the other party has a serious claim).
2. Where does the balance of foreseeable damage or harm lie? Not so much can be made of this that it leads, effectively, to a decision on the merits, and therefore requires that the case to be fully argued on the facts and law .
14 Arbitrator Christie also deals with the issue of a Union posting bond (as is usually required in a civil matter in seeking an injunction, an undertaking as to damages). Arbitrator Christie states at page 308:
I agree with counsel for the Union that, on the face of the Canada Labour Code , I have no power to require the Union to post a bond, or to entitle the Employer to grieve if I were to grant interim relied and the Union were then to fail in the ultimate hearing of its grievance. However, my lack of power to do those things means that the Employer is more likely to be faced with irremediable harm if I grant the Union interim relied and the Employer ultimately wins. If I deny the Union interim relied and the Union ultimately wins there may be irremediable harm, but the Union’s remedy in the grievance itself can take account of any harm flowing from the denial of interim relied and thus lessen the likelihood that it will be irremediable, or as serious as it would otherwise be.
Thus it is important for the Union applicant for interim relief to show that it has suffered real harm, which may be “ labour relations harm” , but if that harm would appear to be able to be effectively remedied by the ultimate order its weight will be lessened.
15 Arbitrator Knopf in United Parcel Service v. Teamsters, Local Union 938 109 LAC (4 th ) 312 engages in lengthy guidelines at paragraphs 42 and 43 of that decision.
16 Arbitrator Knopf sets out the two-fold test at paragraph 42:
1. That the case on the merits is arguable and not frivolous or vexatious, and
2. Whether a balance of harm to both parties would favour the granting of the interim order (see pages 89 and 92).
17 At paragraph 43 the Arbitrator sets out certain cautionary notes in assessing applying the two-fold test:
1. Interim orders may only be appropriate to “ maintain” or “ reinstate the status quo” . See Canada Post Corporation and Morrison Meat Packers, supra.
2. An interim order may not be appropriate if it would essentially result in or become effectively a final determination of the issues involved in the dispute. See Canada Post Corporation, supra.
3. Interim orders mat not be appropriate if the harm can be “ effectively remedied” by compensation granted after a consideration of the merits of the case. See Alliant Telecom Inc. and Vulcan Electric, supra.
4. Financial harm alone may be insufficient to make it appropriate to grant interim relief. See Alliant Telecom Inc., Vulcan Electrical Ltd and Globe and Mail, Dupont Canada Inc. and Toronto Transit Commission, supra.
5. If financial harm escalates to the extent that it becomes irreparable harm, this may be a factor to consider in the balancing of employer and employee interests. See Morrison Meat Packers, Veratec (Canada) Inc. and Toronto Transit Commission, supra.
18 In Luscar Ltd v. International Union of Operating Engineers, Local 115, 95 L.A.C. (4 th ) 284 Arbitrator Kinzie applies a similar test at paragraph 9:
1. An adequate remedy would not be available to the applicant upon conclusion of the hearing into the merits of the case without an interim order.
2. The claim must not be frivolous or vexatious and must usually be based on a prima facie case.
3. An interim order must not penalize the respondent in a manner which will prevent redress if the application fails on the merits.
4. An interim order must be consistent with the purposes and objects of the Code .
19 The issue of providing security was addressed in Money’s Mushroom Ltd (Re) and Retail Wholesale Union Local 580 [2005] B.C.L.R.B.D. No 67 at paragraph 10:
10. Assuming without deciding that I have the jurisdiction to order a party to post security, I would decline to do so in this case. However, without providing security for the liability, I find that an interim order will penalize the Employer in a manner which will prevent redress in the application fails on the merits. »
[27]
Aux fins de la présente requête, je prends aussi en compte les arrêts de
la Cour suprême du Canada dans lesquels cette cour a décidé que c’est l’arbitre
de grief qui a compétence pour disposer d’un litige issu de la convention
collective
[2]
.
Il est aussi exact d’affirmer, comme l’a fait le procureur de l’AEM, qu’en
vertu de l’article
[28] Je crois utile de reproduire les dispositions pertinentes de la convention collective aux fins du présent litige :
« (…)
1.05
Sous réserve de l'article 1.07, aucune autre personne, sauf celles incluses dans l'unité de négociation, n'a droit d'accomplir les travaux qui relèvent de ladite unité de négociation. Néanmoins, une pièce de machinerie en démonstration peut être opérée par un employé de la compagnie qui fabrique ou qui vend cet équipement à un employeur sur le port.
1.06
Les parties reconnaissent que les débardeurs, membres du Syndicat, sont assignés au travail couvert par cette convention collective, exclusivement aux entreprises qui sont membres de l'Association des employeurs maritimes.
1.07
a) Lorsque tous les employés disponibles couverts par la sécurité d'emploi et dont les noms apparaissent à l'Annexe « A » ont été assignés, les employés disponibles de la première réserve de soutien suivis des employés disponibles de la deuxième réserve de soutien dont les noms apparaissent à l'Annexe « B » peuvent alors être assignés.
b) Si tous les employés disponibles précités ont été assignés, l'employeur peut alors assigner au travail par l'entremise de la salle d'embauche les personnes faisant partie de la liste des apprentis fournie par le Syndicat.
c) Si tous les employés disponibles précités ont été assignés, l'employeur peut alors assigner au travail par l'entremise de la salle d'embauche les personnes de la liste de disponibilité possédant le privilège de solliciter du travail d’appoint fournie par le Syndicat.
d) Si tous les employés disponibles précités ont été assignés, l'employeur peut alors assigner au travail par l'entremise de la salle d'embauche la main-d'œuvre requise en donnant un avis immédiat au Syndicat.
…
5.08 CONDITIONS DE TRAVAIL PENDANT LA PROCÉDURE
En attendant que le litige soit réglé, conformément à la procédure d’arbitrage, les employés travaillent selon les instructions des compagnies, sous réserve des dispositions contenues aux présentes quant à la santé et la sécurité et aux différentes lois qui s’appliquent.
…
13.05
a) S’il devient nécessaire, de l’avis de la gérance, d’augmenter le nombre d’employés sur la sécurité d’emploi pendant la durée de la convention collective, ces derniers sont choisis parmi les employés de la première réserve de soutien de l’Annexe « B », en respectant le rang de priorité.
b) Les employés nouvellement admis à la sécurité d’emploi bénéficient de la garantie mentionnée à l’article 15.01 c) ou d). Ils font partie du groupe III ou IV de la liste prévue à l’Annexe « A ».
(B) Embauche de nouveaux employés 13.06
Pour les fins de recrutement de nouveaux employés, l’employeur ne considère que les candidats qui lui sont référés par le Syndicat, pourvu :
a) qu’en ce faisant, l’employeur puisse rencontrer toutes ses obligations légales et/ou se conformer à toutes directives gouvernementales pertinentes (i.e. Loi C- 62, Loi Canadienne sur les droits de la personne), et
b) que dans les deux (2) semaines suivant une demande écrite de l’employeur, le Syndicat puisse référer suffisamment de candidats pour satisfaire les besoins quant au nombre et diverses autres exigences énumérées par l’employeur. À défaut, l’employeur peut obtenir ses candidats de toute autre source disponible, mais pas avant d’avoir donné au Syndicat un avis écrit lui donnant un délai supplémentaire de cinq (5) jours pour se conformer aux conditions de l’alinéa (b).
Les parties reconnaissent que l’employeur est le seul responsable de l’embauche de nouveaux employés y compris la responsabilité et l’administration sous tous ses aspects de la procédure et des programmes d’embauche.
(…) »
[29] Le grief déposé par l’AEM pose strictement une question d’interprétation de la convention collective et, plus particulièrement, en regard de l’article 1.07 de celle-ci. Le paragraphe 7 de la requête pour l’émission d’une ordonnance provisoire de l’AEM précise sa démarche :
« (…)
7. Par la présente requête, l’AEM s’adresse au tribunal afin d’obtenir une ordonnance provisoire déclarant qu’elle est en droit de recruter unilatéralement et de former des personnes ayant le statut de « carte blanche » et de les assigner au travail conformément à l’article 1.07d) de la convention collective produite au soutien des présentes comme pièce R-3 et ordonnant au Syndicat, à ses représentants et à ses membres de ne pas entraver l’assignation au travail et l’exécution du travail des « cartes blanches »;
(… ) »
[30] Le Syndicat s’oppose à cette requête parce que le CCRI a rendu une ordonnance à l’égard de l’AEM de cesser de former et d’assigner les candidats recrutés unilatéralement jusqu’à ce qu’il tranche la plainte de pratiques déloyales. Le CCRI a proposé des dates aux parties pour les mois d’avril et de juin 2015.
[31]
Je rappelle que le CCRI est saisi d’une plainte de pratiques déloyales,
laquelle allègue essentiellement que l’AEM contrevient à l’article
[32]
Je souligne que l’article
« Exercice de pouvoirs et fonctions
21. Le Conseil exerce les pouvoirs et fonctions que lui confère la présente partie ou qu’implique la réalisation de ses objets, notamment en rendant des ordonnances enjoignant de se conformer à la présente partie, à ses règlements et d’exécuter les décisions qu’il rend sur les questions qui lui sont soumises. »
[33]
Il m’apparaît clair que l’ordonnance du CCRI du 3 octobre 2014 ne peut
avoir pour effet de limiter la juridiction d’un arbitre d’entendre et de
décider du grief déposé par l’AEM. À mon avis, ce n’est pas la question qui se
pose en l’instance. Le CCRI a décidé, à la lecture du dossier qui lui a été
soumis, qu’il devait intervenir d’urgence en regard de l’allégation du Syndicat
que l’AEM s’ingérait dans les affaires syndicales, contrairement à l’article
[34] Il est manifeste que l’enjeu soulevé par le grief de l’AEM est sérieux et les conséquences de la décision à intervenir au mérite de cette affaire auront un impact important sur les droits que prétendent avoir les parties sur le recrutement et l’assignation des employés. D’ailleurs, une simple lecture des procédures déposées par les parties au CCRI en regard la plainte du Syndicat démontre à quel point elles ont une compréhension diamétralement opposée des droits que leur confèrent les dispositions des articles 1.07 et 13 de la convention collective.
[35] Je suis d’avis qu’il n’y pas lieu d’émettre l’ordonnance provisoire recherchée par l’AEM. Tout d’abord, je souligne que le grief de l’AEM a été déposé le 2 octobre 2014 et la présente requête le 10 décembre suivant, soit après 10 semaines. Ce délai pris par l’AEM pour demander une ordonnance provisoire ne milite pas en faveur des inconvénients qu’elle prétend subir. Je souligne également que l’ordonnance réclamée par l’AEM équivaut non pas à maintenir un statut quo entre les parties, mais de donner une interprétation provisoire des articles de la convention collective, interprétation qu’elle recherche au mérite de son grief.
[36] Je souligne que les conclusions du grief réclament le remboursement des montants payés à l’employé ‘’carte blanche’’ que l’AEM a embauché et, par la suite, assigné le 19 septembre ainsi qu’une déclaration à l’effet que le Syndicat a violé la convention collective et que l’employeur était en droit de l’assigner. L’ordonnance recherchée ne se limite pas à l’employé ‘’carte blanche’’ assigné le 19 septembre, mais vise à obtenir une déclaration provisoire que la convention collective permet à l’AEM de recruter unilatéralement et de former des personnes ayant le statut de ‘’carte blanche’’ et de les assigner au travail parce que l’article 1.07 d) lui accorde ce droit. L’ordonnance recherchée demande aussi que le Syndicat ne pose aucun acte visant à entraver l’assignation des employés ‘’cartes blanches’’ qu’elle embauchera et ce, jusqu’à ce qu’une décision finale du tribunal d’arbitrage soit rendue. Même si une décision au mérite du grief en faveur de la position soutenue par l’AEM en regard de l’incident survenu le 19 septembre aura ultimement pour effet de statuer sur ses droits sur le recrutement et l’assignation des employés ‘’cartes blanches’’, il est évident que les conclusions recherchées par l’ordonnance provisoire ratissent plus large que celles contenues au grief de l’AEM.
[37] Comme je l’ai déjà mentionné, il n’y a aucun doute que le grief de l’AEM soulève des questions sérieuses à débattre et, ultimement, à trancher. À la lecture du dossier soumis au CCRI, il est évident que le présent tribunal d’arbitrage devra entendre une preuve qui portera sur tout le mécanisme de recrutement et d’assignation prévu à la convention collective et tel qu’il a été appliqué par les parties. J’ai par ailleurs avisé les parties que j’estimais à cinq jours d’audience pour entendre la preuve et leurs représentations.
[38] L’AEM allègue la possibilité d’un manque de main-d’œuvre pour remplir ses obligations envers les utilisateurs du Port de Montréal. Je souligne que, selon le dossier présenté au CCRI et déposé par les parties dans la présente affaire, il apparaît que le problème porte plutôt sur le droit de l’AEM de recruter unilatéralement des employés ‘’cartes blanches’’ en vertu de l’article 1.07 d) et de les assigner sans qu’elle ait à demander au Syndicat qu’il lui transmette une liste d’employés lorsque, selon ses prétentions, elle a respecté les étapes préalables prévues au dit article. Le Syndicat allègue à sa plainte de pratiques déloyales qu’il a soumise le 2 septembre une liste de 40 candidats et ceux-ci n’ont pas été considérés par l’AEM pour les raisons mentionnées à la lettre de M. Morency du 3 septembre et reproduite ci-haut. Le problème n’est pas tant la disponibilité de la main-d’œuvre pour effectuer le travail au Port de Montréal mais, plutôt, par qui, du Syndicat ou de l’AEM, elle doit être recrutée.
[39] Accorder une ordonnance de nature provisoire dans les circonstances du présent dossier équivaudrait également à intervenir dans la mission du CCRI de faire respecter le Code canadien du travail lorsqu’il considère que les faits qui lui sont soumis exigent une intervention urgente de sa part. Le CCRI a considéré que la crédibilité du Syndicat pourrait être compromise et qu’il subirait un préjudice irréparable s’il n’intervenait pas de façon urgente et a ordonné à l’AEM de cesser de former et d’assigner des candidats recrutés unilatéralement jusqu’à ce qu’il tranche la plainte du Syndicat. Ce sont des dispositions d’ordre public contenues au Code canadien du travail que le CCRI a le devoir d’appliquer et il doit également prendre les décisions et rendre les ordonnances qui s’imposent pour en assurer leur respect.
[40] En plus des motifs que j’ai décrits plus haut pour ne pas faire droit à la requête pour une ordonnance provisoire, je suis également d’avis qu’il n’est pas opportun d’émettre une telle ordonnance dans les circonstances du présent litige et que cela ne ferait que créer une confusion juridique qui ne servirait aucunement les parties. Les conclusions de l’ordonnance provisoire recherchées par l’AEM à sa requête vont expressément à l’encontre de l’ordonnance du CCRI émise le 3 octobre 2014. De fait, il existerait alors deux ordonnances qui se contrediraient l’une et l’autre en regard du droit des parties.
[41] Ce n’est que par une décision au mérite du grief de l’AEM et après avoir entendu toute la preuve que le droit des parties en regard des objets en litige sera déterminé. Comme l’alléguait l’AEM au paragraphe 33 de sa réponse au CCRI à la demande d’ordonnance provisoire du Syndicat, ‘’ … un arbitre de grief pourra décider de l’interprétation à donner à la convention collective après avoir eu le bénéfice d’entendre les témoins et de prendre en considération la situation dans son ensemble ’’.
[42] Je précise que le fait que les parties soient devant le CCRI pour débattre la plainte de pratiques déloyales ne constitue aucun obstacle à ce que j’exerce ma juridiction d’entendre et de décider du grief de l’AEM.
Pour les raisons qui précèdent, après avoir étudié la preuve, la jurisprudence et les autorités soumises par les parties, soupesé les arguments des procureurs et sur le tout délibéré, le tribunal :
REJETTE la requête pour ordonnance provisoire de l’AEM.
SA/265-24-15 |
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________________________________ __ Me Denis Provençal, arbitre
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