Frayne c. Régie de l'assurance-maladie du Québec

2015 QCCS 131

J.D.2836

 
 COUR SUPÉRIEURE

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

MONTRÉAL

 

N° :

500-17-046296-086

 

 

 

DATE :

Le 22 janvier 2015

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SOUS LA PRÉSIDENCE DE :

L’HONORABLE

THOMAS M. DAVIS,  J.C.S.

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LYNDA FRAYNE

-et-

JOHN DI GENOVA

Demandeurs

c.

 

LA RÉGIE D’ASSURANCE-MALADIE DU QUÉBEC

           Défenderesse

 

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JUGEMENT SUR UNE REQUÊTE EN RÉVISION JUDICIAIRE

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INTRODUCTION

[1]            Lynda Frayne et John Digenova sont pharmaciens pratiquants à Montréal.

[2]            Ils sont rémunérés pour certains services rendus et médicaments livrés par la Régie de l’assurance maladie du Québec (la RAMQ) en vertu de la Loi sur l’assurance maladie ( la Loi ) [1] . Le niveau de rémunération est déterminé par l’entente entre l’Association québécoise des pharmaciens propriétaires et le ministère de la Santé et des Services sociaux (l’Entente) .

[3]            Le 6 octobre 2004, la Régie de l’assurance maladie du Québec (la RAMQ) leur écrit pour leur faire part de son intention de procéder à une vérification de la conformité de leur facturation avec la Loi sur la régie de l’assurance maladie du Québec [2] . L’enquête aboutit avec un constat que la facturation de Frayne et Di Genova n’est pas conforme à certains égards. Le 30 mars 2005 la RAMQ réclame la somme de 241 373,19 $ et se rembourse par compensation en avril 2005.

[4]            Frayne et Di Genova se prévoient de la procédure d’arbitrage de différend prévu en vertu de l’Entente et un Tribunal d’arbitrage composé de Me Gilles Corbeil à titre de président et Mes Jean Pâquet et Michel Paquette à titre d’assesseurs est formé. Il entend le litige et en dispose le 25 novembre 2008 en rejetant le différend déposé par Frayne et Di Genova.

[5]            Ceux-ci se pourvoient par requête en évocation le 1 er novembre 2008, requête qui, bien que signifiée en temps opportun, n’est entendue qu’en décembre 2014 pour différentes raisons que le Tribunal n’a pas besoin de traiter dans le cadre du présent jugement.

LE DIFFEREND

[6]            À la suite de la décision de la RMAQ de retenir la somme de 241 373,19 $, le 13 septembre 2005, Frayne et Di Genova déposent un différend. Celui-ci comporte plusieurs éléments de contestations regroupées sous les rubriques suivantes :

[7]            Il s’agit d’éléments dont la RAMQ s’est servie pour réclamer les sommes indiquées à Frayne et à Di Genova.

[8]            Pour sa part, le tribunal d'arbitrage résume le litige en quatre questions et procède à les analyser une après l'autre. Les questions sont décrites en ces termes :

Quel est le tarif applicable à la préparation de la Tobramycine pour inhalation ?

Est-ce que les demandeurs on le droit d’être rémunérés pour les services que la Régie prétend avoir été rendus sans ordonnance ?

Est-ce que les demandeurs ont le droit d’être rémunérés pour les services que la Régie prétend avoir été rendus alors que l’ordonnance était échue et non renouvelée ?

Le cas échéant, la Régie a-t-elle le droit de réclamer des frais de recouvrement ?

[9]            Il en arrive à la conclusion que la RAMQ avait raison de réclamer les sommes qu'elle a retenues de la rémunération de Frayne et de Di Genova et rejette le différend.

LA NORME DE CONTRÔLE

[10]         Frayne et Di Genova soutiennent que la sentence arbitrale est assujettie tant à la norme de la décision correcte à certains égards, qu’à la norme de la décision raisonnable pour d’autres éléments.

[11]         Plus précisément, ils font valoir qu’une décision d’un tribunal d'arbitrage sur le droit de la RAMQ de refuser le paiement des ordonnances préparées par un pharmacien lorsque les médicaments ont été effectivement administrés aux bénéficiaires concernés en est un qui va à la compétence du tribunal d'arbitrage [3] . Pour eux, la décision de la RAMQ d’opérer compensation, alors que les médicaments avaient été livrés par les pharmaciens, mène à une situation d'enrichissement sans cause.

[12]         Il ajoute que la règle 1 de l’annexe II de l’Entente n'est pas conforme à la Loi. Plus précisément, Frayne et Di Genova soutiennent que le paiement par la RAMQ du coût des services assurés ne peut être refusé ou suspendu que lorsque l 'Ordre professionnel des pharmaciens du Québec recommande la suspension dans le contexte d’un processus disciplinaire, et ce, à la lumière de l’article 25 de la Loi. Ainsi, disent-ils, la règle 1 de l’annexe II de l’Entente n'est pas conforme  à la Loi et celle-ci doit avoir préséance.

[13]         Aucune plainte déontologique n’étant entamée contre Frayne et Di Genova, ils estiment que le tribunal d'arbitrage a excédé sa compétence en refusant de reconnaître cette non-conformité de la règle 1 de l’annexe II.  On reproche au tribunal d’arbitrage ses paroles aux paragraphes 114 et 115 de sa sentence, car il s’appuie sur la notion de la protection du public, sans qu’il y ait de plainte à l’Ordre sur la pratique de Frayne et de Di Genova.

[14]         Dans un même ordre d'idées, Frayne et Di Genova soutiennent qu'une sentence d'un tribunal d'arbitrage qui a trait à une décision de la RAMQ de refuser paiement sur la base de failles dans la tenue de livre par le pharmacien en est une qui  relève de sa compétence et qui est ainsi assujettie à la norme de la décision correcte.

[15]         Il en est de même quant au traitement par le tribunal d'arbitrage du coût des médicaments livrés par le pharmacien, car pour Frayne et Di Genova l’article 22.2 de la Loi ne traite que les services, de sorte que la compétence du tribunal d'arbitrage ne s’étend pas aux questions qui touchent le coût des médicaments.

[16]         Frayne et Di Genova concèdent que les autres éléments de la sentence sont assujettis à la norme de la décision raisonnable.

[17]         La RAMQ a une autre vision de la situation. Pour elle, toute la sentence du tribunal d'arbitrage est assujettie à la norme de la décision raisonnable.

ANALYSE DE LA NORME DE CONTRÔLE

[18]         Le Tribunal estime que toute la sentence arbitrale est assujettie à la norme de la décision raisonnable.

[19]         Pour bien cerner la compétence du tribunal d'arbitrage, il faut en premier lieu regarder la Loi de même que les dispositions en vertu desquelles le tribunal d'arbitrage retrouve sa compétence. Celui-ci tire son mandat de la section 54 de la Loi , qui stipule qu'un différend qui résulte de l’application ou de l’interprétation de l’Entente est soumis au tribunal d'arbitrage. La juridiction des tribunaux civils est exclue.

[20]         Dans le cas présent, le tribunal d'arbitrage devait principalement regarder la règle 1 de l’Annexe II de l’Entente de même que l’article 22.2 de la Loi .

[21]         La partie de l’article 22.2 qui nous préoccupe est rédigée en ces termes :

22.2.  Lorsque la Régie est d'avis que des services dont le paiement est réclamé par un professionnel de la santé ou pour lesquels il a obtenu paiement au cours des 36 mois précédents, étaient des services fournis non conformément à l'entente, elle peut refuser le paiement de ces services ou procéder à leur remboursement par compensation ou autrement, selon le cas. Les différends résultant du présent alinéa sont tranchés par le conseil d'arbitrage institué par l'article 54.

[22]         L’article 25, soulevé par Frayne et Di Genova, dit ceci :

25 . Le paiement du coût des services assurés doit être refusé ou suspendu chaque fois que le conseil de discipline de l'Ordre professionnel des médecins du Québec, de l'Ordre professionnel des dentistes du Québec, de l'Ordre professionnel des pharmaciens du Québec ou de l'Ordre professionnel des optométristes du Québec ou que le Tribunal des professions recommande de le faire à l'égard d'un professionnel de la santé soumit à son autorité. 

[23]         Finalement, la règle 1 de l’Annexe II de l’Entente est rédigée en ces termes :

RÈGLE 1

Pour fins de rémunération le coût des services des médicaments et des fournitures que fournit le pharmacien n’est payable que si les médicaments, les services et les fournitures ont été fournis en conformité avec les dispositions de la Loi sur l’assurance maladie et la Loi sur l’assurance médicament, de leurs règlements et des dispositions de l’entente, le tout en exécution ou relativement à l’exécution d’une ordonnance valide au sens de la Loi sur la pharmacie, de ses règlements et de toute réglementation régissant la délivrance de médicaments couverts par la Loi des aliments et drogues et par la Loi réglementant certaines drogues et autres substances.

[24]         L’article 6 de l’Entente est aussi pertinent, car il traite du mode de paiement par la RAMQ aux pharmaciens. Il reconnaît en somme, le droit de la RAMQ d’opérer compensation lorsqu'elle estime qu’un paiement a été effectué sans droit à un pharmacien.

[25]         Par leur différend Frayne et Di Genova remettent justement en question la décision de la RAMQ  de  leur réclamer certaines sommes et de les retenir.

[26]         De l’avis du Tribunal, la détermination du bien-fondé ou non de cette démarche de la RAMQ touche au cœur de la compétence du tribunal d'arbitrage constitué en vertu de L’Entente. Rappelons que le tribunal en question a comme devoir unique l’interprétation de l’Entente et son application. Pour accomplir cette tâche, il  doit nécessairement traiter de la Loi , car les pouvoirs octroyés à la RAMQ  de réclamer des sommes payées en vertu de l’Entente s’y trouvent.

[27]         Ainsi, comme le dit la Cour suprême du Canada dans Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick , le tribunal d’arbitrage «  interprète sa propre loi constitutive ou une loi étroitement liée à son mandat et dont il a une connaissance approfondie [et] la déférence est […] de mise.  » [4]  

[28]         Plus récemment, sous la plume du juge Rothstein dans l’arrêt Alberta (Information and Privacy Commissioner) c. Alberta Teachers' Association , la Cour suprême rappelle de nouveau que : « [l] es véritables questions de compétence ont une portée étroite et se présentent rarement. » et qu’il «  convient de présumer que la norme de contrôle à laquelle est assujettie la décision d’un tribunal administratif qui interprète sa loi constitutive ou qui l’applique est celle de la décision raisonnable » [5] .  

[29]         Mais, qu'en est-il de la position de Frayne et de Di Genova que le tribunal d'arbitrage a excédé sa compétence en ne reconnaissant pas que la règle 1 de l’Annexe II de l’Entente va à l’encontre de l’article 25 de la Loi ?

[30]         D'entrée de jeu, le Tribunal déclare qu'il ne partage pas la position de Frayne et de Di Genova sur l’incidence de l’article 25 sur le débat. Toutefois, même si le Tribunal se ralliait à cette position, il serait quand même d'avis que la sentence arbitrale est assujettie à la norme de contrôle de la décision raisonnable. Cela revenait au tribunal d'arbitrage, le cas échéant, de faire le constat que l’Entente fait accroc à l’article 25, car il a justement le mandat d'interpréter l’Entente et sa loi constitutive. Bref, l’interrelation entre l’Entente et l’article 25 n'est pas une vraie question de compétence.

[31]         Le Tribunal est aussi d’avis que la question de l’enrichissement sans cause soulevée par les demandeurs n’est pas une question qui fait appel à la norme de la décision correcte. Tout comme la précédente, elle n’en est pas une qui «  qui revêt une importance capitale pour le système juridique dans son ensemble et qui [est] étrangère au domaine d’expertise du décideur.  » [6] Tant la Loi que l’Entente permettent à la RAMQ de se rembourser les sommes payées en trop à même des paiements subséquents au pharmacien. Il s’agit d’une question qu’un tribunal d’arbitrage constitué en vertu de l’Entente est appelé à trancher régulièrement.

[32]         Finalement, traitons la position de Frayne et de Di Genova que l’Entente ne couvre que le coût des services fournis par les pharmaciens et non pas le coût des médicaments, et ce, sur la base de l’article 22.2 de la Loi .

[33]         Le Tribunal n’est pas d’accord que cette question dépend de la compétence du tribunal d'arbitrage. Il interprèterait sa propre loi constitutive et la déférence de cette Cour est de mise [7] . La norme de contrôle demeure celle de la décision raisonnable.

[34]         Le Tribunal conclut donc que la sentence dans son ensemble est assujettie à la norme de la décision raisonnable.

LA SENTENCE, EST-ELLE RAISONNABLE ?

[35]         Le Tribunal analysera chacune des questions soulevées par le tribunal d'arbitrage.

question 1. le tarif applicable à la préparation de la tobramycine par inhalation

[36]         Le principal reproche de Frayne et de Di Genova est le refus du tribunal d'arbitrage de reconnaître qu’une préparation atypique par les pharmaciens les qualifie de recevoir les honoraires prévus pour une thérapie parentérale une somme de 154,23 $ par traitement versus une somme de 7,63 $.

[37]         Pour comprendre la question, il faut s'attarder brièvement sur les éléments factuels que le tribunal d'arbitrage a analysés. Ils sont bien cernés aux paragraphes 17 à 21 de la sentence arbitrale:

[17] Les personnes atteintes de fibrose kystique sont particulièrement menacées par la présence d’une bactérie du nom de pseudomonas, en raison de la débilité de leur appareil respiratoire. Pour prévenir la prolifération des pseudomonas chez ces personnes, les médecins prescrivent l’inhalation, à l’aide d’un nébulisateur, des fines gouttelettes de Tobramycine.

[18] Ce médicament est disponible en pharmacie, où il est livré par l’industrie pharmaceutique en iole à l’état stérile. Le malade (ou ses proches) doit ouvrir la fiole, en verser le contenu dans un nébulisateur et y ajouter une quantité déterminée d’une solution saline. Le nébulisateur transforme le mélange liquide ainsi obtenu en fines gouttelettes que le malade inhale à l’aide d’un masque.

[19] Les demandeurs, avec l’appui enthousiaste du médecin spécialiste Larry Lands, dont une partie importante de la pratique est consacrée au traitement de la fibrose kystique, procèdent différemment.

[20] Ils préparent sous la hotte la dose de Trobramycine à laquelle ils ajoutent la solution saline, et ils mettent ensuite le liquide dans une seringue.

[21] Le patient vide le contenu de la seringue dans le nébulisateur, ce qui lui évite de faire lui-même le mélange de la Tobramycine et de la solution saline.

[38]         Frayne et Di Genova font valoir que cette manière de procéder s’apprête à une thérapie parentérale.

[39]         Devant le Tribunal d'arbitrage, plusieurs experts ont été entendus sur la notion de la thérapie parentérale. Frayne et Di Genova ont présenté le Dr Larry Lands, médecin spécialiste qui prescrit la méthode qui donne lieu à la préparation que font Frayne et Di Genova. L’arbitre résume son témoignage au paragraphe 22 de la sentence en ces termes :

Selon le docteur Lands, cette façon de procéder comporte un double avantage :

-        Le risque de contamination du médicament est moins élevé puisque la solution saline a été ajoutée sou la hotte, et non à la maison.

-        Le malade (ou ses proches) épargne du temps, ce qui rend moins difficile l’observance de l’ordonnance (que le témoin appelle la «compliance»).

[40]         Frayne et Di Genova font valoir donc que la thérapie parentérale comprend l’inhalation d’un médicament. Toutefois, même Dr Lands avoue que «  Dans le monde, au moment, parentéral ça indique intraveineuse.  » [8]

[41]         Ils présentent aussi le docteur Binieki. Son rapport indique qu’il n’y a pas de consensus sur ce qui comporte la thérapie parentérale [9] .

[42]         La RAMQ présente son propre expert, le Dr Cartillier. Il est professeur en pharmacie. Pour lui la thérapie parentérale se limite à des produits injectés ou infusés [10] .

[43]         Le tribunal d’arbitrage décide de suivre l’opinion de Dr Cartillier en ces termes, au paragraphe 34 de la sentence :

Sur cette question, les docteurs Lands et Binieki ont fourni chacun des opinions intéressantes. Cependant, le docteur Cartillier a réfuté ces opinions avec une autorité et une clarté remarquable. C'est pourquoi je préfère nettement retenir le contenu de son témoignage.

[44]         Néanmoins, Frayne et Di Genova font valoir que c’était déraisonnable pour le tribunal d’arbitrage même de considérer le témoignage et le rapport du Dr Cartillier, car, étant pharmacien, il n’était pas compétent pour témoigner sur les effets bénéfiques de la préparation que faisaient Frayne et Di Genova sur le plan médical.

[45]         Frayne et Di Genova font fausse route. Cela ne revenait pas au tribunal d'arbitrage d’évaluer au plan médical les aspects bénéfiques d’une préparation de substances médicamenteuses. Il devait se limiter à la question du paiement qui revenait aux pharmaciens, et ce, en considérant la règle 26 de l’Entente. C’est précisément ce que le Tribunal d'arbitrage a fait en abordant la définition de thérapie parentérale. La sentence est raisonnable à cet égard.

[46]         Mais qu’en est-il de leur argument que la sentence est déraisonnable, car elle cautionne le refus de paiement par la RAMQ basé sur un critère de qualité ? Frayne et Di Genova réfèrent le Tribunal à l’article 24 de la Loi qui proscrit à la RAMQ de refuser de payer un pharmacien pour un service au motif qu’elle met en doute la qualité du service.

[47]         Avec égard, ce n’est pas sous ce motif que la RAMQ a rendu sa décision.  Bien que la rédaction de son rapport d’inspection porte possiblement à confusion à cet égard, là où la RAMQ se questionne «  sur la nécessité de préparer sous la hotte stérile des seringues de tobramycine  » [11] , le fondement de sa décision repose sur le fait que le service n’était pas couvert par l’Entente.

[48]         Bien que Frayne et Di Genova aient présenté une preuve sur les effets bénéfiques de la préparation, le tribunal d'arbitrage ne voyait pas la pertinence de cette preuve, car pour lui la seule question était l’interprétation des mots thérapie parentérale vue sous l’œil de la profession de pharmacien et de l’Entente. La sentence du tribunal d'arbitrage à cet égard est raisonnable.

[49]         Frayne et Di Genova contestent également la décision du tribunal d'arbitrage sur cet aspect en se référant au document « Communication interactive » auquel l’Entente réfère. Au paragraphe 2.3.3.24 on décrit la thérapie parentérale en ces termes :

2.3.3.24 Thérapie parentérale

On regroupe sous l’appellation générale de « thérapie parentérale » la mise en contenant de médicament(s) sous la hotte destiné(s) à être administré(s) par une voie parentérale, notamment la voie sous-cutanée (à l’exception de l’insuline), la voie épidurale, la voie intraveineuse, etc. Les différents contenants possibles sont le sac à gravité, le sac pour pompe, le perfuseur élastomérique, la cassette (50 ml et 100 ml) et la seringue. Ils figurent sous différentes appellations dans la section - « fournitures » ou encore dans la liste des véhicules, solvants  et adjuvants de la Liste de médicaments . La mise en contenant peut nécessiter une préparation préalable (dilution) du ou des médicaments lorsque la forme  pharmaceutique du produit est une poudre injectable.

[50]         Ils plaident que l’utilisation du mot notamment permet la conclusion que la thérapie parentérale inclut l’administration d’une drogue par inhalation, de sorte que Frayne et Di Genova auraient dû être payés pour les seringues fournies.

[51]         Le Tribunal est d’accord que cette position est munie d’une certaine logique, mais cela ne permet pas de conclure que la sentence du Tribunal d'arbitrage soit déraisonnable. Comme la Cour suprême reconnaît dans l’arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa [12] , deux interprétations différentes sont souvent possibles sans que celle que le tribunal de révision préfère soit la seule qui est raisonnable.

[52]         Cela dit, le Tribunal préfère la solution retenue par le tribunal d'arbitrage.

Est-ce que les demandeurs ont le droit d’être rémunérés pour des services que la RAMQ prétend avoir été rendus sans ordonnance?

[53]         Le tribunal d'arbitrage répond par la négative.

[54]         Devant le tribunal d'arbitrage, Frayne et Di Genova mettent de l’avant que les ordonnances en question étaient verbales, parfois suivies par un écrit du médecin afin de les confirmer. Les ordonnances étaient surtout pour des patients traités en oncologie et visaient à modifier une chimiothérapie déjà en cours. Vu l’absence d’une ordonnance écrite, la RAMQ était facturée avec le numéro d’une ordonnance échue.

[55]         Frayne et Di Genova se questionnaient sur le programme informatique de la RAMQ qui ne bloquait pas le double paiement et font valoir aussi un bogue dans leur propre système informatique.

[56]         En révision judiciaire, Frayne et Di Genova mettent beaucoup d’emphase sur le fait que les médicaments ont été livrés aux bénéficiaires, de sorte que la RAMQ ne pouvait refuser le paiement pour une simple erreur dans le registre des pharmaciens.

[57]         Pour eux la règle 1 de l’Entente ne s’encadre pas avec l’objet et l’esprit de la Loi . Les services étant rendus, le paiement doit être reçu.

[58]         Le tribunal d'arbitrage s’est basé sur cette règle de même que l’article 22 de la Loi pour confirmer la décision de la RAMQ.

[59]         L’article 22 stipule que le pharmacien doit être payé pour un service assuré qu’il a lui-même fourni… «  pourvu que ce professionnel de la santé se soit conformé aux dispositions de l'entente . » Comme on a déjà vu, la règle 1 requiert que le pharmacien livre le produit en exécution d’une ordonnance valide.

[60]         Le tribunal d'arbitrage a conclu qu’aucune ordonnance valide n’existait pour les six « ordonnances » dont le paiement a été refusé. Personne ne remet en question ce constat factuel, et il n’était surement pas déraisonnable, vu le résultat de l’enquête de la RAMQ.

[61]         Le tribunal d'arbitrage est même allé plus loin. Il a analysé l’incidence des ordonnances verbales sur le droit de Frayne et Di Genova de recevoir paiement. L’article 3.01 du Règlement sur la tenue des dossiers, livres et registres par un pharmacien dans l'exercice de sa profession à l’époque du différend était rédigé en ces termes :

3.01.       Sous réserve des articles 2.04 et 2.05, un pharmacien doit tenir à l'endroit où il exerce sa profession, un livre ou registre dans lequel apparaissent les originaux d'ordonnances et sont inscrites les ordonnances verbales . Les originaux d'ordonnances doivent être conservés pour une période d'au moins 2 ans.(Le Tribunal souligne).

[62]         Devant l’admission de M. Di Genova qu’aucune ordonnance verbale ne se trouvait dans ledit registre pour les médicaments en question, le tribunal d'arbitrage a confirmé que Frayne et Di Genova n’avaient pas droit au paiement pour les ordonnances en question. Devant le cadre législatif et contractuel qu’il avait à interpréter, et à la lumière des faits, cette décision est raisonnable.

est-ce que les demandeurs ont le droit d’être rémunérés pour des services que la ramq prétend avoir été rendus alors que l’ordonnance était échue et non renouvelée?

[63]         En réponse à cette question, Frayne et Di Genova reprochent au tribunal d'arbitrage de n’avoir pas tenu compte des problèmes informatiques qu’ils connaissaient à l’époque. Ceux-ci sont assimilés à un cas fortuit qui fait en sorte que s’il y a faute, elle ne leur est pas imputable.

[64]         Le Tribunal note qu’au paragraphe 64 de la sentence, le tribunal d'arbitrage réfère au témoignage de Mme Frayne qui rapporte un bogue au niveau informatique, bien qu’il ne le traite pas comme un cas fortuit qui empêchait les pharmaciens de contrôler la livraison des médicaments alors que l’ordonnance était échue.

[65]         Le Tribunal n’a pas à revoir cette question. Dans la mesure où il y avait un bogue informatique chez Frayne et Di Genova, cela revenait au tribunal d’arbitrage de décider à la lumière de la preuve si celui-ci équivalait à un cas fortuit. Cela serait très exceptionnel pour un tribunal de révision de remettre en question une décision d’un tribunal inférieur à cet égard.

[66]         Le Tribunal est conscient que le tribunal d'arbitrage ne traite pas de la question du cas fortuit spécifiquement. Toutefois, il n’avait pas à le faire s’il estimait que l’argument n’avait pas d’incidence sur la sentence qu’il avait à rendre.

[67]         Le tribunal d'arbitrage considérait plutôt le respect ou non de la règle 4  de l’annexe II de l’Entente. La lecture de cette règle ne met pas en évidence comment un bogue informatique peut dispenser un pharmacien d’obtenir le renouvellement nécessaire afin de continuer à livrer le médicament. Au contraire, cette règle fait appel à une grande prudence de la part d’un pharmacien, car après qu’une ordonnance soit périmée elle peut être renouvelée une seule fois, et ce, si le pharmacien au dernier renouvellement a aussi averti le bénéficiaire que le traitement est le dernier qui peut être livré avec l’ordonnance qu’il possède.

[68]         Bref, Frayne et Di Genova n’ont pas fait la démonstration que la décision du tribunal d’arbitrage de maintenir le refus de paiement de la RAMQ fondée sur son constat que les ordonnances étaient périmées, est déraisonnable.

LES FRAIS DE RECOUVREMENT

[69]         Vu les conclusions du Tribunal sur les autres questions en litige cela va de soi que la décision de la RAMQ de permettre le recouvrement de la somme de 10 000 $ est raisonnable. L’article 22.4 de la Loi permet à la RAMQ de réclamer cette somme.


[70]         POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[71]         REJETTE la requête en révision judiciaire des demandeurs;

[72]         AVEC DÉPENS.

 

 

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THOMAS M. DAVIS, J.C.S.

 

Me Sarto Landry

Me Sarto Landry Avocat

Avocat des demandeurs

 

Me Marc Lefrançois

Régie de l'assurance maladie du Québec, Direction des services juridiques

Avocat de la défenderesse

 

Date d’audience :

Le 4 décembre 2014

 



[1] .   R.L.R.Q., c. A-29.

[2] .   R.L.R.Q., c. R-5.

[3] .   Page 2 du mémoire des demandeurs.

[4] .   [2008] 1 RCS 190 , 2008 CSC 9 (CanLII), paragr. 54.

[5] .   [2011] 3 RCS 654 , 2011 CSC 61 (CanLII), paragr. 39.

[6] .   Ibid. paragr. 30.

[7] .   Commission scolaire des Îles c. Syndicat des travailleurs de l'éducation et de l'Est du Québec (CSQ) , 2014 QCCA 2105 (CanLII); voir aussi Alberta (Information and Privacy Commissioner) c. Alberta Teachers' Association, supra note 5.

[8] .   Page 66 des notes sténographiques du 4 mai 2007.

[9] .   Rapport du 30 juillet 2007.

[10] .  Rapport du 23 avril 2007.

[11] .  Page 13 de la sentence arbitrale.

[12] [2009] 1 RCS 339 , 2009 CSC 12 (CanLII).