COMMISSION DES RELATIONS DU TRAVAIL

(Division des relations du travail)

 

Dossier :

AM-2000-3329

Cas :

CM- 2014-3930

 

Référence :

2015 QCCRT 0034

 

Montréal, le

21 janvier 2015

______________________________________________________________________

 

DEVANT LA COMMISSAIRE :

Esther Plante, juge administrative

______________________________________________________________________

 

 

Émile Drouin

 

Plaignant

c.

 

Syndicat des travailleuses et travailleurs du CRDI Montérégie Est-CSN

 

Intimé

et

 

Centre de réadaptation en déficience intellectuelle et en troubles envahissants du développement de la Montérégie-Est

Mis en cause

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION

______________________________________________________________________

 

 

[1]           Le 13 juin 2014, Émile Drouin (le plaignant ) dépose une plainte en vertu de l’article  47.3 du Code du travail , RLRQ, C-27 (le Code ) contre le Syndicat des travailleuses et travailleurs du CRDI Montérégie Est-CSN (le syndicat ).

[2]           Le plaignant soutient que le Centre de réadaptation en déficience intellectuelle et en troubles envahissants du développement de la Montérégie-Est (l’ employeur ) lui doit des intérêts à la suite d’une décision arbitrale, rendue le 10 février 2014, constatant la conclusion d’une transaction concernant les six griefs compris dans le mandat d’arbitrage. Il allègue que le syndicat a fait preuve de négligence grave en refusant de réclamer le paiement de ceux-ci.  

[3]           Le syndicat soutient qu’il a bien représenté les intérêts du plaignant dans le cheminement de ses griefs en ajoutant que le délai encouru dans l’exécution de la décision arbitrale lui serait imputable.

[4]           L’employeur souligne que l’arbitre ordonne aux parties de se conformer à la transaction survenue le 13 août 2012 et que cette dernière ne prévoit pas d’intérêts sur les sommes dues.

[5]            Le plaignant n’est pas représenté par avocat. Au début de l’audience, la Commission lui explique la nature du recours dont elle est saisie et les règles de preuve applicables. Il convient de procéder sans autre formalité.

[6]           Deux témoins sont entendus : le plaignant et le conseiller syndical de la Fédération de la santé et des services sociaux - CSN qui est intervenu comme support - conseil auprès du syndicat relativement à la réclamation du plaignant.

les faits

[7]            Le 1 er mars 2012, le plaignant subit un renvoi que le syndicat conteste par grief.

[8]            Au cours de l’été suivant, des pourparlers de règlement se tiennent. Mis à part
le grief de congédiement, cinq autres griefs sont pendants. Une entente de principe
est conclue, mais les parties ne s’entendent pas sur les effets de cette dernière de
sorte qu’une audience sur la question de savoir si une transaction est intervenue le 13 août 2012 sera tenue.

[9]            Le 10 février 2014, l’arbitre constate qu’une transaction est effectivement intervenue le 13 août 2012 et rejette les griefs du plaignant. Au paragraphe 105 de la décision, il réserve sa compétence pour trancher toute question que les parties désireraient faire préciser à la suite de sa décision. Il convient de reproduire ce paragraphe :

[105]    Cependant, si le syndicat peut exercer les recours du salarié, selon l’article 69 du Code du travail , on peut se demander s’il peut s’engager à sa place pour des obligations personnelles du plaignant envers l’employeur. Comme les parties n’ont pas abordé cette question, je réserve ma compétence sur celle-ci, et sur toute autre question que les parties désireraient faire préciser, notamment la question des intérêts sur les sommes dues que l’employeur a accepté de verser au plaignant .

(caractères gras ajoutés)

[10]         L’arbitre utilise la formulation suivante dans ses conclusions : «  RÉSERVE sa compétence sur toute question que les parties jugeraient à propos de lui soumettre quant à l’application de la présente sentence arbitrale.  »

[11]         Dans le cadre de l’exécution de la décision, le plaignant et les représentants syndicaux ont par la suite des échanges au sujet de la possibilité de prendre un recours en révision judiciaire, la nécessité pour le premier d’apposer sa signature sur la transaction aux fins de la soumettre aux autorités de l’assurance-emploi et l’opportunité de réclamer des intérêts sur les sommes qui lui sont par ailleurs dues.

[12]         Le plaignant est d’opinion qu’il perd le droit de réclamer des intérêts s’il signe la transaction comme lui demande le syndicat et n’accepte pas de la signer. Son refus se fonde sur le paragraphe 9 de celle-ci. Il convient d’en reproduire le texte :

9.     Le Syndicat et le Salarié renoncent à tout droit, action, recours, demande ou réclamation de quelque nature que ce soit à l’encontre de l’ Employeur ainsi qu’à ses dirigeants, mandataires, employés ou représentants respectifs, quelle que soit la période où ils ont occupé ces fonctions, et ce, devant quelque tribunal (judiciaire ou quasi-judiciaire) ou entité gouvernementale ou statutaire que ce soit, découlant, directement ou indirectement, de l’emploi du Salarié , de la cessation de son emploi ou des Griefs ;

(reproduit tel quel à l’exception du soulignement qui a été ajouté)

[13]         La Commission note, par ailleurs, que le paragraphe 7 de la transaction prévoit simplement que l’employeur s’engage à verser la somme convenue à titre de renonciation à la réintégration dans l’emploi et le remboursement du trop-perçu de prestations d’emploi le cas échéant «  dans les quinze (15) jours suivant la réception de la décision de l’assurance emploi quant au trop-perçu, le cas échéant  ».

[14]         L’employeur, après avoir reçu confirmation du conseiller que le syndicat avait pris la décision de ne pas déposer de grief pour réclamer des intérêts sur les sommes convenues dans la transaction, a lui-même transmis celle-ci aux autorités de l’assurance-emploi pour qu’une décision soit prise concernant l’impact de la transaction sur le montant des prestations reçu par le plaignant à la suite de son congédiement.

[15]         Le 7 juillet 2014, le montant dû est versé au plaignant.

la plainte

[16]         Le plaignant formule un seul reproche au syndicat en regard du traitement de son dossier, soit celui de ne pas avoir fait trancher sa réclamation d’intérêts par l’arbitre compte tenu du libellé de sa décision.

[17]         Le plaignant s’appuie sur le paragraphe 105 de la décision, où l’arbitre réserve sa compétence pour trancher la question des intérêts. Il estime subir un préjudice financier alors que les représentants syndicaux ainsi que le conseiller syndical sont incapables de lui indiquer le motif pour lequel l’arbitre fait état de cette question s’il n’a pas droit à des intérêts.

la position du syndicat

[18]         Le conseiller syndical explique les démarches qu’il effectue avant de recommander au syndicat de ne pas «  reconvoquer  » l’arbitre dans le dossier du plaignant.

[19]         D’abord, et après analyse de la décision avec les représentants syndicaux, il communique avec le procureur de l’employeur pour vérifier sa compréhension du paragraphe 105 de la décision arbitrale. Celui-ci l’informe alors que l’employeur n’a pas l’intention de verser des intérêts, car la situation est imputable à la durée du litige concernant l’existence de la transaction.

[20]         Le conseiller précise que ses démarches ne s’arrêtent pas là même s’il partage le même point de vue. Il sollicite l’opinion d’un conseiller syndical senior, du contentieux de la Confédération des syndicats nationaux (CSN) et d’autres conseillers syndicaux. Les personnes consultées partagent le même avis : les intérêts sont liquidés dans la transaction.

[21]         Le conseiller ajoute que le refus du plaignant de signer la transaction, à la suite de la décision arbitrale, a allongé les délais : la décision des autorités de l’assurance-emploi, dont l’obtention est une condition préalable au versement des sommes dues, n’a pu être rendue aussi rapidement qu’elle aurait pu l’être. Ainsi, et compte tenu de l’ensemble des éléments au dossier, l’employeur n’était pas, selon lui, nécessairement responsable du délai d’exécution de la transaction intervenue le 13 août 2012.

[22]         Le syndicat a suivi sa recommandation.

analyse et motifs

les règles applicables

[23]         L’article 47.2 du Code énonce les obligations qui incombent au syndicat en regard de son devoir de représentation :

47.2.     Une association accréditée ne doit pas agir de mauvaise foi ou de manière arbitraire ou discriminatoire, ni faire preuve de négligence grave à l’endroit des salariés compris dans une unité de négociation qu’elle représente, peu importe qu’ils soient ses membres ou non.

[24]         Le plaignant doit prouver que le syndicat a violé son obligation de juste représentation syndicale.

[25]         Il s’agit d’un fardeau exigeant :  « Il faut bien admettre que les vocables : mauvaise foi, arbitraire, discrimination et négligence grave, sont exorbitants eu égard à notre régime général de responsabilité civile extracontractuelle. » (Jean-Yves BRIÈRE, « L’obligation d’une juste et loyale représentation : analyse, perspective et prospective » dans Service de la formation permanente, Barreau du Québec, vol. 224, Développement récents en droit du travail (2005) , Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2005, p. 153 à 164).

[26]         Le syndicat possède en effet une discrétion appréciable dans l’exercice de ses fonctions de représentation et le salarié n’a pas un droit absolu à ce qu’un arbitre décide du bien-fondé d’une réclamation dans la mesure où le syndicat respecte son devoir de représentation.

[27]         Dans le cadre de l’examen d’une plainte pour manquement au devoir de représentation, le rôle de la Commission est ni de décider du bien-fondé de la réclamation du salarié ni de substituer son opinion à celle du syndicat en regard de la décision à prendre dans son dossier, mais bien d’examiner le comportement syndical à l’aune de son obligation de juste représentation, dans le but de déterminer si le manquement reproché au syndicat résulte d’un acte arbitraire, de mauvaise foi, de discrimination ou de négligence grave ( Syndicat national des employées et employés du Centre de soins prolongés Grace Dart (CSN) c. Holligin-Richards , 2006 QCCA 158 , paragr. 31).

l’application des règles aux faits

[28]         En l’espèce, le syndicat a fait les consultations nécessaires avant de prendre la décision de ne pas réclamer des intérêts sur les sommes dues au plaignant à la suite de la décision arbitrale du 10 février 2014. La décision syndicale s’appuie sur des éléments reliés au cheminement des griefs du plaignant dans le cadre du litige concernant la survenance d’une transaction réglant l’ensemble des griefs du plaignant en août 2012.

[29]         Il n’est pas inhabituel pour un décideur de réserver sa compétence pour examiner et résoudre les difficultés qui pourraient surgir de l’application d’une décision. Dans le présent cas, l’arbitre s’est réservé compétence «  sur toute autre question que les parties désireraient faire préciser, notamment la question des intérêts sur les sommes que l’employeur a accepté de verser au plaignant  ». Cela veut dire qu’il conserve compétence pour résoudre la question des intérêts s’il y a lieu. Il appartenait cependant au syndicat de prendre la décision d’en saisir l’arbitre pour en débattre avec l’employeur. La Commission n’a pas le pouvoir d’en décider à la place de celui-ci dans le cadre de la présente plainte.

[30]         Certes, le plaignant aurait lui choisi de faire trancher sa réclamation par l’arbitre puisqu’il estime subir un préjudice financier dans les circonstances. La Commission ne peut cependant intervenir pour cette raison, en l’absence de preuve de mauvaise foi, de conduite arbitraire, discriminatoire ou de négligence grave.

EN CONSÉQUENCE, la Commission des relations du travail

REJETTE                       la plainte.

 

 

 

__________________________________

Esther Plante

 

M e Paul Gauthier

FÉDÉRATION DE LA SANTÉ ET DES SERVICES SOCIAUX - CSN

Représentant de l’Intimé

 

M e Rhéaume Perreault

FASKEN MARTINEAU DUMOULIN S.E.N.C.R.L., S.R.L.

Représentant du mis en cause

 

Date de l’audience :

10 novembre 2014

 

/dc