[1] Le requérant, Syndicat de l'enseignement des Vieilles-Forges (CSQ) (le « Syndicat »), me demande l'autorisation de faire appel du jugement de la Cour supérieure (l'honorable Bernard Godbout) [1] qui rejette sa demande de révision judiciaire d'une sentence arbitrale qui elle-même rejetait ses deux griefs syndicaux [2] .
[2] Les griefs déposés par le Syndicat sont ainsi rédigés :
[…] La Commission scolaire du Chemin-du-Roy (ci-après appelée « la Commission » contrevient à la Loi et aux dispositions de la convention collective en vigueur du fait qu'elle ne respecte pas la détermination par les enseignants des moments pour l'accomplissement de leur travail de nature personnelle ainsi que la détermination par les enseignants du travail qu'ils effectuent au cours des heures prévues pour l'accomplissement du travail de nature personnelle. […] [3]
[3] L'arbitre mise en cause, après une longue et rigoureuse présentation de la preuve, conclut que les faits à l'origine des griefs étaient connus du requérant depuis l’année 2007. Elle écrit :
[262] En conclusion, je retiens de la preuve que, depuis la mise en place du TNP en 2003-2004, l'Employeur a toujours voulu le même encadrement pour la durée minimum de celui-ci en privilégiant des périodes d'au moins 10 à 15 minutes. Je constate que ce fut discuté régulièrement lors des CRT. Toutefois, comme je le soulignais ci-dessus, la position ou la consigne de l'Employeur ne peut pas être plus claire que lorsqu'il envoie un courriel au Syndicat le 14 octobre 2007 pour expliquer la position qu'il prend (pièce S-11). [4]
[4] Du coup, elle rejette l'argument selon lequel il s'agit d'un grief continu :
[266] Dans le dossier sous étude, il ne s'agit pas du paiement de salaire ou de la mise en place d'un horaire qui se répète de semaine en semaine, alors que nous serions probablement en présence de grief continu. Nous sommes ici en présence d'une consigne de l'Employeur qui, d'année en année, a toujours été la même et qui, selon moi, s'est concrétisée plus officiellement lorsque Jean Huard a répondu par courriel à Sylvie Théberge le 24 octobre 2007 (pièce S-11). Si le Syndicat avait des doutes avant, il n'en a plus depuis cette date. [5]
[…]
[270] En conclusion, le Tribunal considère que les griefs sont prescrits, qu’ils ne sont pas de nature continue et que, par conséquent, il n’a pas compétence pour intervenir dans cette affaire. [6]
[5] Comme le laisse supposer ce dernier extrait de la sentence arbitrale, l’analyse de l’arbitre aurait bien pu se terminer par cette déclaration d’incompétence. Cependant, elle a choisi de franchir un pas de plus et de répondre aux prétentions du Syndicat portant sur le fond des griefs.
[6] Elle détermine que tant la convention collective que l'entente locale liant les enseignants à la Commission scolaire du Chemin-du-Roy (« l'Employeur ») ne prévoient une période minimum pour la durée de leur travail personnel (« TNP »). Elle enchaîne avec la détermination suivante : « Je [l’arbitre] ne peux donc conclure que l'Employeur a agi en contravention d'une disposition spécifique. » [7] .
[7] Le juge de la Cour supérieure, après avoir appliqué la norme de la décision raisonnable, reprend les éléments factuels sur lesquels l'arbitre s'est appuyée pour conclure à la prescription. Il estime que cette conclusion fait partie des issues possibles [8] d’autant qu’elle repose sur l’appréciation de la preuve retenue devant le Tribunal d’arbitrage [9] .
[8] Sur le fond, le juge rejette les prétentions du requérant en ces termes :
[54] En concluant que l’employeur avait le pouvoir d’instaurer des balises quant au temps de nature personnelle et qu’il n’a pas exercé son droit de gérance de façon abusive, l’arbitre a statué de façon raisonnable. [10]
[9] Le Syndicat soutient que le courriel du directeur des ressources humaines concernant le TNP des enseignants est à ce point informel qu'il ne peut à lui seul constituer l'expression d'une opinion ferme et arrêtée de l'Employeur sur ce sujet.
[10] À son avis, cette absence de formalisme n'autorisait pas l'arbitre à conclure que l’Employeur avait annoncé au Syndicat sa position officielle sur le TNP. Si cette façon de faire devait constituer une pratique acceptable et advenant que pour l’avenir les avis de l’Employeur ainsi communiqués soient l’objet d’un désaccord de la part du Syndicat, il y a un risque que cette méthode provoque une avalanche de griefs préventifs en vue d'éviter que la prescription accomplisse son œuvre.
[11] Le scénario envisagé par le Syndicat me paraît bien pessimiste.
[12] La conclusion de l'arbitre selon laquelle les griefs sont prescrits repose sur une preuve factuelle. Sa mission consistait à apprécier la valeur probante de cette preuve et à décider de son caractère prépondérant. Je rappelle que les griefs ont été tranchés par un décideur professionnel signataire d’une sentence arbitrale non appelable et liante à l’égard de toutes les parties [11] .
[13] Même en acceptant l'idée que l’interprétation de l’arbitre sur la question de la prescription comporte certaines faiblesses, ce sur quoi je ne me prononce pas, le requérant ne fait pas voir que cet aspect de la sentence est pour autant irrationnel.
[14] Il revenait à l’arbitre d'opter pour l'une ou l'autre des différentes solutions rationnelles acceptables proposées par les parties lors de l’enquête [12] . Un simple regard sur son analyse portant sur la question de la prescription fait bien voir que la sentence arbitrale répond aux exigences de transparence, d'intelligibilité et de justification.
[15] Le requérant n'a pas convaincu le juge de la Cour supérieure que la preuve retenue par l'arbitre établissant le point de départ de la prescription relevait d’un exercice d’appréciation à ce point viciée qu’il faille déclarer déraisonnable le rejet des griefs.
[16] Avec égards, le requérant ne me convainc pas davantage que le jugement de la Cour supérieure sur cette question est lui-même susceptible de révision par notre Cour. Le juge de première instance a appliqué la bonne norme de contrôle, a fait montre de déférence pour l'appréciation de la preuve retenue par le décideur initial et a respecté son autonomie décisionnelle sur cette question :
[ 20 ] La jurisprudence antérieure à l'arrêt Dunsmuir demeure à propos afin de déterminer la norme de contrôle appropriée. Cette même jurisprudence reconnaît que les décisions prises en matière de prescription de griefs relèvent de la compétence spécialisée de l'arbitre et font ainsi l'objet d'un haut degré de déférence de la part des tribunaux de révision [13] .
[17] J'ajoute que le requérant à tort de soutenir que le facteur considéré par l’arbitre comme étant l’élément déclencheur de la prescription [14] est susceptible pour l’avenir d'avoir « un impact majeur sur les relations de travail en milieu syndiqué au Québec ».
[18] Cette prétention ignore les considérations factuelles propres à chaque cas d'espèce en matière de prescription. Elle ignore aussi la discrétion conférée à l’arbitre en matière d’appréciation de la preuve ainsi que sa compétence unique pour interpréter la convention collective. Aussi, l’argument du requérant ne prend pas suffisamment en compte le principe selon lequel l'arbitre de grief n'est pas lié par la règle du stare decisis [15] .
[19] Concernant l’argument syndical portant sur la notion de grief continu , il s’infère du jugement entrepris que la sentence arbitrale n’est pas « […] une décision irrationnelle, contraire à la convention collective, absurde dans son résultat, etc. » [16] . En déterminant que l’analyse de l’arbitre sur cette question débouchait sur une solution raisonnable, le juge de la Cour supérieure ne commettait aucune erreur révisable.
[20] Cela dit, dès l’instant où l’arbitre conclut à la prescription des griefs, le reste de son analyse n’est en principe qu’un obiter dictum . Pour cette raison, il n’est pas nécessaire que je me prononce sur les motifs d’appel avancés contre la partie du jugement de la Cour supérieure qui concluent au caractère raisonnable de la partie de la sentence arbitrale décidant que l’Employeur n’a pas agi en contravention d’une disposition de la convention collective.
[21] En conclusion, le requérant ne me convainc pas que les circonstances de l’espèce, en raison de leur nature même, justifient d’accorder la permission recherchée.
Pour ces motifs, le soussigné :
[22] Rejette la requête avec dépens.
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GUY GAGNON, J.C.A. |
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Me Linda Lavoie |
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Cain, Lamarre |
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Pour le requérant |
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Me Geneviève Lapointe |
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Morency, société d'avocats |
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Pour l'intimée |
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Date d’audience : |
22 janvier 2015 |
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[1]
Syndicat de l'enseignement des Vieilles Forges c. Beaulieu
,
[2] Syndicat de l'enseignement des Vieilles Forges et Commission scolaire du Chemin-du-Roy , sentence arbitrale, 11 mars 2013, Me Francine Beaulieu, arbitre (« sentence arbitrale »).
[3] Sentence arbitrale, parage. 2.
[4] Sentence arbitrale, paragr. 262.
[5] Sentence arbitrale, paragr. 266.
[6] Sentence arbitrale, paragr. 270.
[7] Sentence arbitrale, paragr. 271.
[8] Jugement entrepris, paragr. 44.
[9] Jugement entrepris, paragr. 49.
[10] Jugement entrepris, paragr. 54.
[11] Code du travail , R.L.R.Q., c. C-27, art. 101.
[12]
Commission de la construction du Québec c. Bergeries du Fjord inc
.,
[13]
Syndicat canadien de la fonction publique, section locale 1821 c.
Tousignant
,
[14] Voir paragr. 3 des présents motifs.
[15]
Isabelle c. Association des fonctionnaires provinciaux de l'Ontario
,
[16]
Syndicat de l'enseignement de Champlain c. Commission scolaire des
Patriotes
,