Syndicat des travailleuses et travailleurs de Grantech inc. (CSN) et Grantech inc. (Pierre Drouin) |
2015 QCTA 40 |
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TRIBUNAL D’ARBITRAGE |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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N o de dépôt : |
2015-1456 |
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Date : |
29 JANVIER 2015 |
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DEVANT L’ARBITRE : |
Me CAROL JOBIN |
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SYNDICAT DES TRAVAILLEUSES ET TRAVAILLEURS DE GRANTECH INC. (CSN) |
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- Partie syndicale |
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Et |
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GRANTECH INC. |
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- Partie patronale |
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Plaignant : |
M. Pierre Drouin |
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Grief : |
No 2013-11 |
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Sujet : |
Mise à pied |
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SENTENCE ARBITRALE |
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(Code du travail, L.R.Q., c. C-27, a.100) |
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I. LE LITIGE
[1] La présente sentence arbitrale se prononce sur le grief numéro 2013-11 (S-2) de M. Pierre Drouin rédigé comme suit (S-2) :
«Nous contestons sa mise à pied en vertu des clauses sans s’y limiter 12.08 et 12.09.
Nous réclamons les heures rétroactivement et tous les droits prévus à la convention collective et dédommagement pour préjudices subis, incluant les dommages moraux et exemplaires, ainsi que le préjudice fiscal, le tout rétroactivement avec intérêts prévus au Code du travail et sans préjudice aux autres droits dévolus.»
[2] En entête, ce grief est daté du 16 juin 2013. Il a été déposé à l’Employeur le 10 juillet 2013 (S-2).
[3] L’Employeur soulève une objection de prescription quant au respect des délais prévus à la procédure de grief. Le Syndicat oppose à cette objection qu’il s’agit d’un grief de nature continue. Il a été convenu de prendre l’objection sous réserve et de la plaider lors des argumentations finales.
[4] Sur le fond, le Syndicat considère que M. Drouin a été l’objet d’une mise à pied déguisée et que, pour cette raison, il aurait dû pouvoir exercer ses droits d’ancienneté pour effectuer du travail dans la classe d’occupation de mécanicien industriel (intitulée « mécanicien » à la convention collective) pour laquelle il avait déjà été classifié, le tout en vertu de l’article 12.08 de la convention collective.
[5] Quant à lui, l’Employeur soutient que la position syndicale dénature le grief. Sur le fond, l’Employeur considère qu’il n’y a pas eu mise à pied mais réduction des heures de travail pour des raisons opérationnelles ressortissant aux droits de gérance.
[6] La présente sentence arbitrale se prononce sur l’objection et sur le fond. La compétence de l’arbitre est réservée quant à la détermination de toute somme due, le cas échéant.
III. RÉSUMÉ DE LA PREUVE
[7] M. Drouin (ci-après le Plaignant) est à l’emploi de Grantech, avec le statut de salarié syndiqué et dans la classe d’occupation de « mécanicien-auto » (i.e. mécanicien automobile) depuis février 2012.
[8] Avant février 2012, soit depuis le 5 juillet 2011, le Plaignant avait travaillé chez Grantech par l’entremise de l’agence Mécadeur. Durant ces 6 mois, d’après ses bordereaux de paie, le Plaignant a travaillé en général 40 heures par semaine en temps régulier et en moyenne, 9 heures par semaine en temps supplémentaire (S-3). Il déclare qu’il effectuait alors du travail de mécanicien-auto (i.e. entretien de machinerie sur roues) et de mécanicien industriel (i.e. réparation des équipements de production de l’usine).
[9] M. Stéphane Gosselin est directeur des opérations. Il déclare qu’il y avait une entente entre l’Employeur et le Syndicat pour qu’il y ait au moins une (1) personne du département d’entretien qui soit syndiquée, les autres étant des salariés d’agence. À l’origine, cette personne était M. Yan Poudrier qui était de la classe d’occupation « mécanicien industriel ». Celui-ci a quitté. Puis, M. Martin Lavallée, président du Syndicat, a demandé à M. Gosselin d’engager le Plaignant comme employé syndiqué. C’est ainsi que M. Drouin fut embauché dans la classe d’occupation de mécanicien-auto, ce dont il était satisfait puisque cela représentait une augmentation de 4 $ de l’heure.
[10] À titre de mécanicien-auto faisant partie du département de l’entretien, le Plaignant avait comme supérieur immédiat M. Benoît Gosselin, contremaître. Sa semaine normale de travail était de 40 heures (de 08 h 00 à 17 h 00 du lundi au vendredi) et il faisait régulièrement du temps supplémentaire, le plus souvent le samedi.
[11] Le Plaignant a déposé ses bordereaux de paie pour l’année 2012 (février à décembre) (S-4). On peut constater que, sauf des exceptions mineures, il a travaillé en général 40 heures / semaine en temps régulier et, en moyenne, un peu moins de 5 heures en temps supplémentaire par semaine.
[12] Le Plaignant déclare que, durant cette période, il a fait, en plus de son travail de mécanicien-auto, du travail de mécanicien industriel en temps supplémentaire le samedi et lors de l’été (mai à début août) pour 80 % de son temps.
[13] M. Benoit Gosselin, contremaître, a déclaré qu’à l’été 2012, l’entreprise a éprouvé des problèmes au Plan A et que des réparations ont été effectuées par des mécaniciens industriels sous la supervision du fabricant. M. Drouin a alors participé à ces travaux.
[14] Le 10 décembre 2012, le Plaignant fut avisé par lettre (E-1) de sa mise à pied du 14 décembre au 7 janvier 2013 en raison de la diminution des commandes et de l’arrêt de production de certains clients de l’entreprise durant la période des Fêtes. Durant cette période, il y a eu du travail de mécanique industrielle (« shut down ») et ses services ne furent pas requis à cette fin.
[15] Selon le Plaignant, c’est à compter de son retour au travail, le 7 janvier 2013, que ses heures de travail ont commencé à diminuer graduellement, de façon constante et de plus en plus importante.
[16] L’Employeur a déposé un tableau récapitulant les heures de travail du Plaignant en 2013 (E-2). Le Plaignant a fait de même à l’aide de ses bordereaux de paie (S-5). En général, ces données concordent. Durant les 8 premières semaines, les heures de travail varient entre 22.8 et 40 heures. Puis, à compter de la semaine du 3 mars 2013 jusqu’à celle du 21 avril 2013, le nombre d’heures se situe sous la barre des 20 heures par semaine. À compter de la semaine du 28 avril 2013, on est à moins de 10 heures par semaine et on compte 3 semaines avec zéro heure. Lors de la dernière semaine avant le dépôt du grief (10 juillet 2013), le Plaignant a travaillé 5.37 heures. Durant ces 26 semaines, il est arrivé à 3 reprises que le Plaignant travaille 40 heures / semaine.
[17] Selon le Plaignant, ces diminutions d’heures, aussi importantes et sans justification, constituent une mise à pied. Il apprenait à la fin de son quart (complet ou incomplet) de sa dernière journée de travail à l’intérieur de la semaine normale que ses services n’étaient plus requis pour le reste de la semaine et à quelle date il devrait se représenter au travail. Durant la période de janvier à début juillet 2013, son statut n’a pas changé; il n’a pas été mis à pied; il n’a pas reçu de relevé d’emploi pour l’assurance-emploi.
[18] Durant cette période, du travail de mécanique industrielle fut exécuté comme d’habitude par des salariés d’agence. Le Plaignant déclare qu’il a été exclu de ce travail.
[19] Le Plaignant déclare que, de plus, dans son travail de mécanicien-auto, on lui a enlevé toute la latitude dont il jouissait avant 2013. Il ne devait plus aller chercher la machinerie sur le terrain; on la lui amenait et on la ramenait. Il ne devait plus la laver. Il ne devait plus ni déneiger, ni balayer son plancher de garage, ni décharger des camions. Il était confiné au garage à exécuter les travaux de mécanicien-auto qu’on lui disait de faire.
[20] Le Plaignant a cherché à clarifier la situation. Il a demandé à voir le directeur des opérations au printemps 2013, sans succès. Il a eu recours à son président de Syndicat, M. Lavallée, qui a obtenu une rencontre avec M. Gosselin en présence du Plaignant. Le directeur lui a exposé que la nouvelle machinerie, changée au début 2013, était en location et que, dorénavant, son travail se limitait à l’entretien de la machinerie restante, propriété de Grantech.
[21] M. Lavallée a également témoigné au sujet d’échanges qu’il a eus avec M. Gosselin au sujet de la situation du Plaignant. Il rapporte qu’on lui a expliqué que la diminution d’heures était causée par la location de nouveaux équipements ayant remplacé les anciens dont Grantech s’était départi. Il confirme que lors d’une rencontre avec le Plaignant, M. Gosselin a dit à ce dernier que son travail était exclusivement celui de mécanicien-auto.
[22] Au sujet de la diminution des heures de travail, le contremaître Gosselin a affirmé qu’elle fut exclusivement causée par la location d’équipements neufs dont l’entretien et la réparation étaient pris en charge par le locateur-concessionnaire tel que prévu au contrat de location.
[23] Le témoignage du directeur des opérations fut plus élaboré. Il a précisé que le contrat de location comprenait obligatoirement l’entretien jusqu’au terme du bail, du fait qu’à ce moment, le locateur reprenait possession de l’équipement. Les deux chargeuses et les deux « Bob Cat » furent ainsi remplacés, ce qui représentait une partie importante du travail du Plaignant puisque la vieille machinerie, à cause de son usure, nécessitait beaucoup d’heures d’entretien. Il ajoute que les travaux d’entretien de la machinerie dont Grantech est encore propriétaire sont toujours requis et qu’ils sont confiés exclusivement au Plaignant. C’est pourquoi on ne l’a pas mis à pied.
[24] M. Gosselin déclare que l’Employeur n’a aucune obligation de fournir du travail à temps complet au Plaignant en vertu de la convention collective.
[25] Quant à lui donner du travail de mécanicien industriel, il déclare que le Plaignant n’est pas classifié dans cette classe d’occupation. Pour qu’il le soit, il faudrait qu’il ait travaillé 45 jours dans cette occupation à l’occasion de l’ouverture d’un tel poste. Or, il n’y a jamais eu d’ouverture de poste de mécanicien industriel dans l’unité. Le Plaignant n’était donc pas classifié.
[26] Il ajoute qu’en mars 2013, il a fourni ces explications au Plaignant et au Syndicat.
[27] Répondant à une question du soussigné, M. Gosselin a précisé que, pour qu’il y ait mise à pied, il faudrait que la machinerie automobile propriété de Grantech cesse d’opérer. Si on maintient l’emploi du Plaignant, même s’il n’est pas cédulé durant une semaine complète, c’est qu’il est le seul auquel on puisse avoir recours pour la machinerie de Grantech et on doit le faire avant de pouvoir faire affaire avec une entreprise externe. M. Gosselin ajoute qu’il n’a pas eu de demande du Plaignant pour être mis à pied. Si cela avait été le cas, il l’aurait considéré même si la situation actuelle (i.e. salarié toujours disponible) est plus commode. La mise à pied implique le rappel au travail en cas de besoin, ce qui est un procédé plus complexe en vertu de la convention collective.
[28] Interrogé sur les travaux effectués par le Plaignant en mécanique industrielle, M. Gosselin déclare que celui-ci n’a jamais eu la responsabilité de prendre en charge un travail de mécanique industrielle et de le mener à terme en arrivant à un résultat. Le Plaignant aidait le mécanicien responsable et suivait les directives de ce dernier. Prendre une pièce sur une tablette et la nettoyer, tel que le Plaignant l’a évoqué, n’est pas de la mécanique industrielle. On ne lui a pas demandé d’effectuer des tâches telles qu’installer un « bearing » ou un « gear box ».
[29] En contre-interrogatoire, au sujet du travail de mécanique industrielle, le Plaignant a reconnu qu’il n’avait ni formation, ni carte de compétence dans ce domaine. Chez Grantech, il confirme qu’il n’y a jamais eu affichage d’un tel poste. Il n’a jamais fait de demande pour obtenir un tel poste. Au sujet des travaux qu’il a mentionnés (« bearing », « gear box »), il reconnaît qu’il n’en était pas responsable. Il était là pour assister. Il n’a jamais nettoyé d’équipement de machinerie industrielle.
[30] En ré-interrogatoire, le Plaignant précise que le travail qu’il a effectué en mécanique industrielle concernait des opérations qui devaient se faire à deux. Il ajoute qu’on est alors tous deux responsables du travail. Il n’est ni étudiant, ni spectateur. Il a une certaine expérience.
Les circonstances entourant la soumission du grief
[31] Tel qu’il appert du libellé du grief S-2, celui-ci est daté du 16 juin 2013 et il fut déposé à l’Employeur le 10 juillet 2013.
[32] M. Martin Lavallée, président du Syndicat, a déclaré que, lorsqu’un salarié vient le voir pour se plaindre d’une situation, il inscrit la date de cette rencontre sur le grief dans l’espace réservé à la date du grief. Ce fut le cas le 16 juin 2013, date où M. Drouin est venu le voir. Puis, il fait enquête, il vérifie les faits avec l’Employeur et tente de régler le litige. Il a, selon lui, 20 jours pour ce faire. S’il n’y a pas entente, il dépose alors le grief. C’est ce qu’il a fait le 10 juillet 2013.
[33] M. Lavallée a rédigé le grief dans lequel il est allégué qu’il y a eu mise à pied.
[34] M. Drouin pour sa part a déclaré qu’au moment de son grief (16 juin 2013), il n’était pas en mise à pied. C’est à cause de la diminution importante de ses heures de travail qu’il prétend avoir été mis à pied. Par ailleurs, il a été mis à pied formellement durant 3 semaines fin décembre 2012 jusqu’au 7 janvier 2013 (E-1). Ce genre de mise à pied se produit souvent à cette époque de l’année pour les activités de production mais pas pour l’entretien. Du travail d’entretien est effectué (« shut down ») durant cette période. Il aurait pu faire ce travail, comme il l’avait fait l’année précédente lorsqu’il travaillait par l’entremise de l’agence Mécadeur. Lors de son second témoignage, le Plaignant a confirmé que, selon lui, sa mise à pied a débuté le 7 janvier 2013 lorsque ses heures de travail ont commencé à diminuer.
III. LA CONVENTION COLLECTIVE
[35] Je reproduis ci-après les dispositions de la convention collective évoquées lors des argumentations (S-1) :
« ARTICLE 2 - RECONNAISSANCE ET JURIDICTION
(…)
2.02 Les employés non syndiqués de l’Employeur ne peuvent effectuer le travail normalement exécuté par des salariés membres de l’unité de négociation sauf :
(…)
d) le contremaître à l’entretien, lorsqu’il aide les salariés de l’entretien;
(…)
2.03 Le Syndicat reconnaît le droit de l’Employeur à l’exercice de ses fonctions de direction, d’administration et de gestion, le tout de façon compatible avec les dispositions de la convention collective de travail et des lois.
(…)
9.05 a) Lorsque l’emploi d’un salarié prend fin, soit à la suite d’un congédiement ou d’une démission, celui-ci reçoit le montant des vacances qui lui est dû en lieu de vacances payées, jusqu’au jour où son emploi prend fin, et ce, conformément aux dispositions de l’article 9.01.
b) Lors d’une mise à pied, un salarié peut recevoir le montant mentionné à l’alinéa a) s’il en fait la demande à l’Employeur avant la date effective de sa mise à pied.
(…)
ARTICLE 11 - PROCÉDURE DE GRIEFS
11.01 Dans l’éventualité où une mésentente relative à l’application ou à l’interprétation de la présente convention collective survient entre un salarié et l’Employeur ou les parties à la présente, les parties doivent se rencontrer afin de tenter de régler la situation.
Si aucune entente satisfaisante n’est intervenue entre les parties, il est entendu que l’Employeur, le Syndicat ou tout salarié peut soulever un grief relativement à ladite mésentente, le tout selon la procédure établie aux articles 11.02 et suivants.
11.02 Première étape
Le salarié accompagné d’un représentant syndical ou le Syndicat doit soumettre son grief dans les vingt (20) jours de l’événement donnant lieu au grief ou de sa connaissance et indiquer l’(les) article(s) de la convention collective à titre indicatif et le règlement recherché. L’Employeur doit donner sa réponse dans les vingt (20) jours du dépôt du grief. Sa réponse doit comprendre les motifs de sa décision, si celle-ci est en tout ou en partie négative.
(…)
11.04 POUVOIRS DE L’ARBITRE
Les pouvoirs de l’arbitre sont limités à décider du bien-fondé du grief conformément à la convention collective. Il n’a aucune juridiction pour ajouter, soustraire, modifier ou amender la convention collective de quelque façon que ce soit.
(…)
11.05 Toute limite de temps fixée ci-dessus pourra être extensionnée par une entente mutuelle. À défaut de telle entente, si les parties n’observent pas les limites de temps fixées ci-dessus, le grief sera considéré comme abandonné ou accueilli, selon le cas.
ARTICLE 12 - ANCIENNETÉ ET MOUVEMENT DE MAIN-D’ŒUVRE
(…)
12.02 BUTS
Les droits d’ancienneté s’appliquent par département, soit production et entretien, dans tous les cas de promotion, transfert, démotion, mise à pied, rappel au travail et vacances.
12.03 APPLICATION
L’ancienneté s’applique selon les modalités prévues dans la présente convention.
(…)
12.08 a) Dans les cas de mise à pied, l’Employeur donnera préférence au salarié justifiant du plus d’ancienneté dans le département concerné (production ou entretien) en autant que le salarié demeurant au travail ait déjà été classifié dans la classe d’occupation concernée et puisse satisfaire sans entraînement les exigences normales de la tâche.
b) Pour être considéré comme ayant déjà été classifié dans une classe d’occupation, un salarié doit y avoir travaillé pendant quarante-cinq (45) jours.
c) La mise à pied doit prendre effet la dernière journée de la semaine régulière de travail du salarié concerné.
12.09 a) Dans la situation de rappel au travail, l’Employeur donnera préférence au salarié justifiant le plus d’ancienneté dans le département concerné (production ou entretien) pourvu qu’il ait déjà été classifié dans la classe d’occupation concernée et pourvu qu’il puisse satisfaire sans entraînement les exigences normales de la tâche.
(…)
12.10 a) Lorsque l’Employeur décide de créer un nouveau poste permanent ou temporaire d’une durée de plus de quarante-cinq (45) jours ou de combler un poste permanent vacant dans une classe d’occupation, ce poste sera affiché pendant cinq (5) jours ouvrables et comblé par le candidat ayant le plus d’ancienneté dans le département (production ou entretien) à condition qu’il possède les qualifications nécessaires et rencontre les exigences requises pour accomplir le poste.
b) Un salarié peut offrir par écrit sa disponibilité pour un affichage éventuel pendant ses vacances avant son départ.
c) L’Employeur affiche le nom du candidat retenu à la fin du processus d’affichage et remet une copie de cet avis à un membre de l’exécutif syndical.
12.11 a) Le salarié retenu pour combler le poste n’est classifié en permanence dans cette classe d’occupation qu’après avoir complété quarante-cinq (45) jours consécutifs de travail dans ce poste. Durant cette période, le salarié peut choisir de retourner à son ancien poste ou bien il peut être réaffecté à son ancien poste par l’Employeur, s’il ne peut satisfaire aux exigences normales de la tâche. Le salarié qui retourne à son ancien poste par choix ou par décision de l’Employeur, ne peut plus poser sa candidature pour un poste de la même classe d’occupation pendant une durée de dix-huit (18) mois.
b) Le Syndicat est avisé par écrit lorsqu’un salarié est classifié en permanence dans une classe d’occupation en vertu de cet article.
(…)
ARTICLE 13 - HEURES DE TRAVAIL
13.01 Il est convenu qu’aucune disposition de la convention collective ne peut être interprétée de manière à garantir un nombre d’heures de travail par semaine.
Cependant, l’Employeur reconnaît le besoin pour les salariés ayant le plus d’ancienneté d’avoir des semaines de travail régulières et équilibrées. C’est pourquoi, lors de réduction de production, l’Employeur offrira aux salariés au travail, par ordre d’ancienneté, le travail disponible, en autant qu’ils soient qualifiés pour effectuer ledit travail, et maintiendra leur taux de salaire pour le reste du quart de travail.
13.02 Les salariés couverts par cette convention sont assignés au travail selon l’un ou l’autre des horaires qui suivent :
a) HORAIRES DE 8 HEURES
La semaine régulière de travail d’un salarié affecté à un horaire de 8 heures est de quarante (40) heures par semaine, réparties en cinq (5) jours consécutifs de travail, compris entre le dimanche et le samedi, pouvant débuter entre le dimanche 00 h 00 et le mardi 00 h 00. Les jours de travail sont d’une durée de huit (8) heures, selon l’un ou l’autre des horaires qui suivent :
00 h 00 à 08 h 00
08 h 00 à 16 h 00
16 h 00 à 24 h 00
(…)
c) Sauf en cas de force majeure, l’Employeur doit donner un préavis de sept (7) jours avant de modifier l’horaire de travail d’un salarié.
(…)
ARTICLE 14 - TEMPS SUPPLÉMENTAIRE
14.01 Les salariés assignés à un horaire de huit (8) heures qui sont appelés à travailler au-delà de huit (8) heures au cours d’une journée donnée ou plus de quarante (40) heures pour une semaine donnée, seront rémunérés au taux de temps supplémentaire applicable pour ce travail.
(…)
ARTICLE 17 - SOUS-TRAITANCE ET AGENCES DE PERSONNEL
17.01 L’Employeur ne donnera pas de sous-contrat pour le travail d’entretien et de réparation de ses équipements à être accompli sur les lieux de la compagnie, exception faite des cas où :
a) le travail à accomplir nécessite des qualifications spéciales;
b) des équipements spéciaux sont requis;
c) le manque d’un nombre suffisant de salariés qualifiés rendant impossible l’achèvement des travaux dans les délais requis;
d) une situation de force majeure le justifie.
17.04 Sauf disposition expresse au contraire, les dispositions de la convention collective ne s’appliquent pas aux employés à l’emploi d’une agence de personnel; leur salaire et autres conditions de travail sont déterminés par l’agence qui les emploie.
Nonobstant le paragraphe précédent, l’horaire de travail au cours d’une journée donnée des employés à l’emploi d’une agence de personnel sera conforme à un des horaires de travail prévus à la convention collective.
Avant de demander à un employé à l’emploi d’une agence de personnel de travailler en temps supplémentaire immédiatement après son horaire de travail, l’Employeur offrira d’abord ce travail aux salariés du département où l’employé de l’agence travaille qui sont sur les lieux et qui peuvent satisfaire sans entraînement les exigences normales du travail à effectuer.
(…)
17.06 Lorsque l’Employeur a recours à des employés à l’emploi d’une agence de personnel pour effectuer du travail normalement effectué par les salariés du département de l’entretien, l’Employeur paiera un montant équivalent à la cotisation syndicale selon l’article 4.02 sur la base du salaire régulier payé par l’agence de personnel à son employé. Ce montant sera remis au Syndicat au même moment que les cotisations syndicales des salariés de l’unité de négociation tel que stipulé à l’article 4.03. L’Employeur indique sur le rapport prévu à l’article 4.03 les informations applicables relatives à cet employé qui lui auront été transmises par l’agence de personnel.»
IV. ARGUMENTATIONS
A) Sur l’objection de prescription
Partie patronale
[36] Le Plaignant déclare lui-même que sa mise à pied remonte au 7 janvier 2013, alors qu’il revenait au travail et qu’il a effectué 32 heures de travail dans cette semaine. Par ailleurs, son grief est daté du 16 juin 2013 et fut déposé le 10 juillet 2013. Le Plaignant maintient (son second témoignage) que la seule mise à pied qu’il conteste est survenue le 7 janvier 2013. S’il prétend qu’il s’agit de la seule date de sa mise à pied, comment soutenir qu’il y a répétition et donc, grief continu ?
[37] De plus, à chaque occasion, le Plaignant était avisé à la dernière journée travaillée de sa semaine régulière de travail de la date où il reviendrait au travail. Comment alors parler de mise à pied ?
[38] Que l’on se place le 7 janvier ou le 16 juin 2013, le grief déposé le 10 juillet 2013 ne respecte pas le délai de 20 jours de l’événement ou de la connaissance de l’événement prévu à l’article 11.02 de la procédure de grief. L’article 11.05 stipule que le non respect de ce délai à défaut d’entente pour le prolonger (ce qui ne fut pas le cas) fait en sorte que le grief est considéré comme abandonné. Le grief doit donc être rejeté (à l’appui, JE-1 à JE-6).
[39] Le grief n’est pas de nature continue. L’événement contesté, de l’aveu du Plaignant est une mise à pied survenue le 7 janvier 2013. Il n’y a aucune preuve d’une répétition épisodique d’une violation de la convention collective (à l’appui JE-7 à JE-14). La théorie de la diminution des heures dénature le grief et en contredit le libellé qui ne mentionne qu’une mise à pied. Si mise à pied il y a eu, ce qu’on ne reconnaît pas, elle survient suite à une (1) décision unique de l’Employeur de remplacer des équipements en recourant à des locations, ce dont le Syndicat et le Plaignant ont été avisés.
Partie syndicale
[40] L’objection de prescription n’est pas fondée. Nous sommes en situation de grief continu. Le relevé des heures de travail du Plaignant en 2013 (S-5) fait voir une situation répétitive à partir de janvier 2013, soit une diminution d’heures de travail assez régulière. Au moment où le Plaignant dépose son grief, il vise une pratique actuelle de l’Employeur, une décision récurrente et périodique (à l’appui JS-1 à JS-3).
[41] Le fait que le grief fut déposé le 10 juillet 2013 n’a pas d’influence sur sa validité. Il aurait pu être déposé à chaque semaine de 2013. Le fait de l’avoir déposé le 10 juillet 2013 n’a d’effet que sur la rétroactivité des sommes réclamées.
[42] Retenir l’objection équivaudrait à reconnaître que l’Employeur pourrait réduire les heures de travail à un (1) moment donné pour une durée minime (ex : 1 heure) et que, vu l’absence de grief à ce moment, le salarié serait ensuite forclos de contester des diminutions subséquentes substantielles pouvant amener à l’anéantissement du lien d’emploi.
B) Sur le fond
Partie syndicale
[43] La situation créée par la réduction des heures de travail du Plaignant s’apparente à une mise à pied.
[44] La jurisprudence reconnaît qu’un Employeur peut réduire les heures de travail dans le contexte d’une diminution temporaire de la production. Ce n’est pas le cas ici où la preuve démontre qu’à part durant quelques semaines lors de l’été 2013, la production n’a subi aucun ralentissement tandis que les heures de travail du Plaignant ont été réduites de façon progressive et récurrente allant jusqu’à des semaines complètes d’inactivité.
[45] Distinguer ici la réduction d’heures de la mise à pied constitue un faux débat. On ne peut prendre prétexte d’une réduction des heures pour ne pas appliquer la convention collective dans une situation qui s’apparente à une mise à pied.
[46] Les articles 12.08 (mise à pied), 12.09 (rappel) et 17.01 (sous-traitance) instituent un droit de préférence en faveur du Plaignant (salarié de l’unité justifiant d’une ancienneté) par rapport aux salariés qui sont extérieurs à l’unité de négociation et qui ne détiennent aucune ancienneté. Le Plaignant a le droit de supplanter et de travailler de préférence aux mécaniciens industriels hors unité.
[47] Bien que la convention collective stipule que le salarié ne bénéficie d’aucune garantie d’un nombre d’heures de travail par semaine, l’article 13.01 alinéa 2 prévoit que l’on doit offrir aux salariés, par ancienneté, le travail disponible afin de leur permettre d’avoir des semaines régulières et équilibrées. Ce droit est opposable aux salariés hors unité qui n’ont aucune ancienneté.
[48] L’Employeur doit établir les horaires de travail en tenant compte de la semaine et de la journée régulière de travail prévue à l’article 13.02 a). Cette semaine et ces journées ne peuvent être unilatéralement modifiées par l’Employeur. Lorsqu’il fait face à une réduction du volume de travail, il doit non pas réduire les heures mais effectuer des mises à pied (à l’appui JS-8).
[49] Le Plaignant était qualifié pour effectuer du travail de mécanicien industriel. Il a déjà effectué régulièrement ce travail. Ce fut le cas (1) en 2011 (S-3) notamment durant les 3 semaines de « shut down », (2) en 2012 (S-4) pour la majorité des heures effectuées en temps supplémentaire et (3) lors de l’été 2012 pour 80 % de ses heures de travail en compagnie du contremaître Gosselin. Il a été vu par des collègues de travail effectuant un tel travail.
[50] L’article 12.08 b) établit qu’il faut avoir travaillé 45 jours dans une classe d’occupation pour être considéré comme ayant déjà été classifié dans cette occupation. C’était le cas du Plaignant et cela lui accordait un droit de préférence sur les salariés hors unité qui, selon le témoignage du contremaître Gosselin, étaient toujours au nombre minimum de deux, à temps complet, effectuant du travail de mécanique industrielle.
[51] De plus, l’article 17.01 est clair lorsqu’il édicte que « l’Employeur ne donnera pas à sous-contrat pour le travail d’entretien et de réparation de ses équipements à être accompli sur les lieux de la compagnie » sauf les quatre exceptions prévues dont aucune ne s’applique ici.
[52] Le fait que l’Employeur ait conclu des contrats de location comprenant l’entretien de ses équipements roulants ne le dispense pas d’appliquer les articles 12.08 et 12.09 et de permettre au Plaignant de travailler.
[53] L’Employeur a modifié substantiellement les conditions de travail du Plaignant, créant aussi une situation correspondant à une mise à pied déguisée (à l’appui JS-5, JS-6).
[54] Enfin, l’Employeur aurait dû, après 7 jours d’arrêt de rémunération, établir un relevé d’emploi pour les fins d’application du Règlement sur l’assurance-emploi (art. 14 et 19, JS-7). Ce n’est pas parce que l’Employeur a fait défaut de ce faire qu’il n’y a pas eu mise à pied.
Partie patronale
[55] La partie patronale estime que le grief est dénaturé lorsque, partant d’une contestation d’une mise à pied, on en vient à réclamer la reconnaissance de la compétence du Plaignant dans une autre classe d’occupation et à invoquer des dispositions en matière de sous-traitance. Il n’y a aucune trace de ces éléments dans la rédaction du grief qui, au demeurant, n’a pas été amendé.
[56] L’article 12.08 a) prévoit qu’en cas de mise à pied, préférence sera donnée au salarié ayant le plus d’ancienneté dans le département concerné. Ici, dans le département de l’entretien, le Plaignant est le seul salarié syndiqué. Aucun mécanicien industriel n’est salarié de l’unité. Aucun poste syndiqué de mécanicien industriel n’existait à l’époque pertinente au grief. En demandant de déplacer dans cette classe d’occupation, il faudrait qu’un tel poste existe. Si le Syndicat soutient qu’un tel poste aurait dû être affiché, il aurait fallu soumettre un grief à ce sujet.
[57] Toujours selon l’article 12.08, pour prétendre à la préférence reconnue, il faut que le salarié ait déjà été classifié dans la classe d’occupation. Il n’y a aucune preuve que le Plaignant ait déjà été classifié dans la classe de mécanicien industriel. L’article 12.11 a) prévoit en effet qu’il faut avoir complété 45 jours consécutifs de travail dans le poste.
[58] L’article 12.08 exige de plus que le salarié puisse satisfaire sans entraînement les exigences normales de la tâche. Le Plaignant a lui-même reconnu qu’il n’a jamais assumé la responsabilité du travail de mécanicien industriel, qu’il n’a ni formation ni carte de compétence et que son travail consistait essentiellement à assister un mécanicien industriel avec une responsabilité limitée. En somme, le Plaignant n’a pas travaillé 45 jours dans la classe d’occupation de mécanicien industriel.
[59] Par ailleurs, l’article 13.01 prévoit clairement qu’il n’y a aucune garantie d’un nombre d’heures de travail. La partie syndicale tente de contourner cette disposition en invoquant le second alinéa de la clause 13.01 traitant du besoin d’avoir des semaines de travail régulières et équilibrées. Mais le Plaignant est le seul salarié de sa classe d’occupation de mécanicien-auto. Si le travail manque dans cette classe, l’Employeur ne peut en créer. De plus, le même article 13.01 exige que le salarié soit qualifié pour exécuter le travail, ce qui, tel qu’exprimé plus haut, n’est pas le cas du Plaignant en mécanique industrielle.
[60] Le Plaignant n’a pas été mis à pied. On doit donner à cette notion son sens usuel (à l’appui JE-18), à savoir une rupture du lien d’emploi (JE-19). Telle était l’intention des parties à la présente convention collective comme en témoigne l’article 9.05 b). Or, en l’espèce, à chaque période où le Plaignant fut « inactif » (E-2), il connaissait sa date de retour au travail.
[61] La jurisprudence arbitrale distingue la mise à pied de la réduction d’heures de travail. Lorsqu’il y a mise à pied, donc baisse d’effectifs, le salarié perd ses droits sauf un droit au rappel. Son statut est modifié (JE-19). Il n’y a aucune preuve que le statut du Plaignant ait été modifié. L’Employeur ne pouvait abolir son poste dans la mesure où il y avait du travail à effectuer dans sa classe d’emploi.
[62] Depuis l’arrêt Air-Care , il est reconnu qu’il est du ressort des droits de gérance de choisir et de décider, au meilleur de ses intérêts, soit de réduire les heures de travail, soit de recourir à des mises à pied (JE-19 et JE-21). Les articles 12.08 et 12.09 décrivent le mécanisme de mise à pied et de rappel. Ils ne créent pas cependant l’obligation d’effectuer une mise à pied.
[63] Pour pouvoir invoquer une « mise à pied déguisée », il faudrait démontrer un abus ou de la mauvaise foi de la part de l’Employeur. Or la preuve démontre que la seule cause de la réduction d’heures est le changement de machineries désuètes pour des équipements neufs qui, en vertu du contrat de location, devaient obligatoirement être entretenus par le locateur-propriétaire. Les témoins de l’Employeur ont été constants dans cette affirmation. Le Syndicat a été prévenu de ces effets dès le début 2013 et aucun grief n’a été soumis à ce sujet. Ces contrats de location avec entretien inclus ne constituent pas de la sous-traitance (à l’appui, JE-25, JE-26).
[64] La jurisprudence invoquée au soutien de l’argument de mise à pied déguisée (JS-5, JS-6) ne s’applique pas en l’espèce en raison de différences factuelles importantes.
[65] Enfin, le Règlement sur l’assurance-emploi , à sa face même, ne supporte pas l’argument syndical. L’article 14 pose comme condition non seulement que le salarié ne travaille pas durant 7 jours mais aussi qu’il ait été licencié ou qu’il ait cessé d’être au service de l’Employeur, ce qui n’est pas le cas ici.
V. ANALYSE
A) L’objection de prescription
[66] Le grief et le Plaignant allèguent une mise à pied. Le Plaignant déclare qu’elle remonte au 7 janvier 2013. Lors de cette semaine, il a travaillé 32 heures en temps régulier (E-2) plutôt que ses 40 heures habituelles.
[67] C’est à partir de ces seuls faits que l’Employeur plaide que, si mise à pied il y a eu à cette date (ce qui reste à déterminer et qui fait partie du mérite du grief qui sera analysé plus bas), le grief est prescrit puisque, daté du 16 juin 2013, il fut déposé le 10 juillet 2013.
[68] La procédure de griefs accorde 20 jours de l’événement dont on se plaint pour soumettre un grief (art. 11.02). Ce délai peut être prolongé par entente mutuelle (art. 11.05). Comme ce ne fut pas le cas, l’inobservance du délai ferait en sorte que le grief serait considéré comme abandonné tel que le prévoit expressément l’article 11.05.
[69] La partie syndicale oppose qu’il s’agit d’un grief continu et que l’inobservance du délai ne peut avoir d’incidence que sur la portée temporelle de la réclamation.
[70] La partie patronale réplique qu’il ne s’agit pas d’un grief continu. La situation dont on se plaint, soit la réduction d’heures de travail, origine d’une décision unique, à savoir celle de recourir à la location d’équipements roulants comprenant, par contrat, l’entretien. Les diminutions d’heures ne seraient que les conséquences de cette décision.
[71] Il fut sage de convenir de prendre sous réserve cette objection. La preuve portant sur le fond a apporté un précieux éclairage permettant de la trancher.
[72] Morin et Blouin ( Droit de l’arbitrage de grief , 6 ème éd.) définissent comme suit le grief continu (p. 177-178) :
« III.49 - En règle générale, le redressement réclamé par voie de grief concerne une situation qui s’est concrétisée à un moment relativement précis dans le temps. Il s’agit alors d’un événement passé et réalisé. Exceptionnellement, le litige peut se situer en un contexte où la prestation de travail qui sous-tend la réclamation en est une à exécution successive et dont la violation de la convention collective serait récurrente et répétitive. En somme, l’événement qui donne prise au grief se répète de façon épisodique de sorte que, lors de son dépôt, le grief vise cette pratique intermittente de l’Employeur. (…) Ce genre de grief est qualifié de grief continu et l’expression serait d’origine jurisprudentielle. Cette notion est surtout utilisée lorsqu’il s’agit de délimiter la période temporelle que peut couvrir la réclamation (V.55).»
[73] La jurisprudence arbitrale ne reconnaît pas comme un grief continu celui qui, en fait, vise une décision que l’on peut situer exactement dans le temps et qui aura des effets récurrents. Pour qu’un grief soit qualifié de continu, il doit viser une violation répétitive, épisodique et actuelle à tout le moins par rapport à la date du grief.
[74] Qu’en est-il ici ? On observe tout d’abord que la diminution d’heures de travail débute en janvier 2013 et qu’elle se répète, en s’accroissant, jusqu’à la date du grief et même postérieurement.
[75] Le grief ne conteste pas le fait que l’Employeur ait décidé de se lier par contrat pour louer de l’équipement, ni le fait qu’en vertu de ce contrat, le travail d’entretien auparavant exécuté par le Plaignant sur les équipements de l’Employeur sur les lieux de l’entreprise lui ait été retiré.
[76] Ce que conteste le grief, c’est la diminution de ses heures régulières de travail qui équivaudrait à une mise à pied (ce qui constitue le fond du litige).
[77]
Il y a donc lieu d’appliquer ici la même logique que celle adoptée par
l’arbitre Jean-Pierre Lussier dans la décision
Université de Montréal -et-
Syndicat des employés d’entretien de l’Université de Montréal
(
«La distinction est de la première importance pour les fins du présent débat. Si le grief contestait l’octroi du contrat de sous-traitance, il serait prescrit. Car l’octroi de ce contrat est survenu à un moment précis et ne s’est jamais répété. Mais le grief s’attaque à l’exécution de certains travaux présumément exclusifs aux membres de l’unité, exécution qui s’est répétée dans le temps.
(…)
(…) Au même titre que l’application d’une directive ou d’une politique peut être contestée par grief, même si l’existence ou la création de cette politique ne peut plus l’être pour cause de prescription, l’exécution de travaux dans le cadre d’un contrat de sous-traitance peut être contestée même si le contrat lui-même ne peut plus l’être.»
[78] Les faits à la base de la violation alléguée de la convention collective que sont les diminutions d’heures de travail se sont répétés dans le temps, de semaine en semaine (E-2).
[79] À ceci, il faut ajouter que, d’après la preuve, le nombre d’heures travaillées (donc le nombre d’heures réduites) était décidé de semaine en semaine par le contremaître Gosselin qui en avisait le Plaignant lors de la fin du quart de son dernier jour travaillé durant chaque semaine.
[80] À chacune de ces occasions, le Plaignant aurait pu formuler son grief à l’égard de cette ligne de conduite qui avait débuté en janvier 2013 et qui était toujours actuelle au moment du grief.
[81] Dans ces circonstances et compte tenu de l’état du droit sur la question, il s’impose de reconnaître que le grief est de nature continue et d’écarter l’objection de prescription.
[82] Par ailleurs, ma compétence étant réservée sur la détermination du quantum, le cas échéant, les droits de l’Employeur sont réservés sur la rétroactivité de la réclamation compte tenu de la date du grief.
B) Sur le fond
[83] Le grief allègue essentiellement une mise à pied et revendique une « préférence » (art. 12.08) permettant d’exercer un droit de déplacement.
[84] Il importe de garder à l’esprit - et cela a été reconnu en argumentation par la partie syndicale - que le grief ne conteste pas le droit de l’Employeur de diminuer les heures de travail du Plaignant suite à un contrat de location d’équipement comprenant son entretien, ni le fait que du travail d’entretien (mécanique industrielle) soit effectué par des personnes non couvertes par l’unité de négociation, que ce soit par sous-contrat ou par l’entremise d’une agence de personnel.
[85] La position syndicale consiste plutôt à soutenir qu’en raison d’une diminution de ses heures de travail, le Plaignant est en situation de mise à pied déguisée qui lui confère, en raison de son ancienneté, une préférence selon l’article 12.08, c’est-à-dire un droit de déplacement à l’égard des personnes hors unité, pour effectuer du travail de mécanicien industriel pour lequel il a déjà été classifié.
[86] Cette argumentation, on peut le constater, comporte plusieurs aspects. Elle repose cependant sur la prétention fondamentale voulant que le Plaignant, affecté par une diminution de ses heures de travail, est en situation de mise à pied déguisée. C’est donc cette prétention déterminante sur l’issue du litige qu’il convient d’analyser prioritairement.
La mise à pied déguisée
1) Le concept
[87] Peu traité en droit arbitral québécois, le concept de mise à pied déguisée (« constructive layoff ») a été élaboré en jurisprudence arbitrale canadienne et a fait l’objet d’une reconnaissance par la Cour suprême à l’occasion de deux jugements rendus le même jour dans les affaires Canada Safeway Ltd c. SDGMR (JS-5) et Battlefords Co-ops c. SDGMR (JS-6).
[88] La Cour suprême s’était déjà prononcée sur la problématique de la distinction à faire entre une mise à pied et une réduction des heures de travail dans le célèbre jugement Air-Care Ltd c. United Steel Workers de 1976 (JE-21) dont il faut retenir qu’il se prononçait sur une réduction temporaire et généralisée des heures régulières de travail. Il y fut reconnu qu’en vertu des dispositions applicables de la convention collective, l’Employeur, en vertu de ses droits de gérance, avait le choix de recourir, soit à la mise à pied, soit à la réduction des heures normales comme il l’a fait. Au surplus, ce jugement retient de la mise à pied une définition que l’on pourrait qualifier de classique, en ce sens qu’elle se constate lorsqu’il y a réduction des effectifs et changement de statut des salariés affectés, le tout résultant d’un manque d’ouvrage.
[89] Dans Canada Safeway et dans Battlefords , la Cour suprême, tout en cautionnant cette définition classique de la mise à pied, revient sur la question de savoir si une réduction d’heures peut équivaloir à une mise à pied « déguisée ». L’extrait suivant de l’arrêt Battlefords me semble représentatif de l’approche retenue (JS-6, p. 1124-1125) :
«Il est vrai que l’affaire aurait pu être tranchée différemment. Cependant, compte tenu des faits présentés en l’espèce, on ne peut pas dire qu’il était manifestement déraisonnable que le conseil conclue que la réduction des heures de travail équivalait à une mise à pied déguisée dans les circonstances de la présente affaire. Ici, seuls deux employés ont connu une réduction appréciable de leurs heures de travail alors que des employés ayant moins d’ancienneté les remplaçaient. Il relevait clairement de la compétence du conseil d’interpréter l’expression « mise à pied » figurant à l’article 8 de la convention collective. La convention collective ne définissait pas expressément la mise à pied. Le conseil pouvait donc donner un sens à l’expression dans le cadre de toute la convention.
Dans l’affaire connexe Canada Safeway Ltd ., précitée, on a pris en considération les circonstances dans lesquelles il serait possible de conclure à l’existence d’une mise à pied déguisée. On a fait remarquer qu’une réduction appréciable des heures de travail serait susceptible d’étayer une conclusion qu’il y a mise à pied déguisée. Lorsque les parties sont régies par une convention collective, il s’agit essentiellement de savoir si les faits peuvent amener à conclure à l’existence d’une mise à pied déguisée dans le cadre de la convention.
Il a été jugé dans plusieurs décisions arbitrales qu’une réduction appréciable des heures de travail, dans des circonstances où un employé en particulier est visé, peut équivaloir à une mise à pied déguisée : voir Re City of Edmonton and Energy and Chemical Workers Union, Local 829 (1984), 15 L.A.C. (3d) 137, à la p. 140; Re Cove Guest Home and C.B.R.T. & G.W. (1988), 1 L.A.C. (4th) 42, à la p. 46; Re Colonial Cookies (Division of Beatrice Foods Inc.) and U.F.C.W., Loc. 617P (1990), 13 L.A.C. (4th) 405, à la p. 411. Cette conclusion semble parfaitement raisonnable. Il s’ensuit qu’il n’était pas manifestement déraisonnable que le conseil conclue, en l’espèce, qu’il y avait eu mise à pied.»
[90] Dans ce même jugement, au sujet de l’interprétation de la convention collective, la Cour écrit (JS-6, p. 1125) :
«Des employeurs doivent pouvoir réorganiser leurs rayons et leur personnel. Pourtant, en l’absence d’une intention contraire clairement exprimée, les dispositions d’une convention collective ne devraient pas généralement être interprétées de façon à miner les droits acquis des employés en matière d’ancienneté et à modifier fondamentalement la nature des emplois.»
[91] Au plan des faits, dans Battlefords , il s’est produit que l’Employeur a transféré à un autre département (« deli ») certaines tâches d’une employée à temps partiel du département de la boulangerie. Cela eut pour conséquence que la semaine de travail moyenne de l’employée s’est trouvée à passer de 30-35 heures à 13-14 heures. Le grief réclamait que l’on reconnaisse que cette diminution d’heures constituait une mise à pied et, qu’en conséquence, l’employée puisse se prévaloir des dispositions pertinentes de la convention collective et ainsi déplacer des employés moins anciens dans des postes pour lesquels elle était qualifiée.
[92] L’arbitre, s’autorisant de la jurisprudence arbitrale, conclut qu’il n’était pas nécessaire que les heures de travail soit réduites à zéro pour constater qu’il y avait mise à pied. La mise à pied, notion non définie à la convention collective, pouvait aussi inclure une réduction d’heures appliquée inégalement. De fait, la réduction d’heures avait affecté deux employées dont on a retenu qu’elles avaient été mises à pied et, compte tenu de ce que l’ancienneté était applicable à la totalité de l’unité (« seniority was store-wide »), on a reconnu qu’elles pouvaient faire valoir leur droit d’ancienneté.
[93] La doctrine commente également la notion de mise à pied déguisée à l’occasion d’une diminution des heures de travail. Je n’entends pas reprendre ici des aspects déjà évoqués plus haut. Je crois cependant utile de rendre compte de certains commentaires concernant les notions d’employé « visé » (« singled out ») et de traitement différencié.
[94] Ainsi, Brown & Beatty ( Canadian Labour Arbitration , 4th ed., sous 6:2210 « Réduction of hours ») écrivent:
«At the same time, however, arbitrators have been vigilant in ensuring that a reduction in hours is carried out properly and in a way that respects the integrity of any layoff procedures. It is a basic, long-standing principle of arbitration law that if a reduction in hours is done selectively, it will be treated as a layoff and made to respect the seniority rights of the employees who are affected. Again, the arbitral jurisprudence has been affirmed by the Supreme Court of Canada in its ruling that, in certain circumstances, a significant reduction of hours can give rise to a constructive layoff.»
[95] Pour leur part, Mitchnick et Etherington ( Labour Arbitration in Canada , Lancaster House, 2006):
« 20.2.3 Reduction of Hours Constituting Layoff
A decision by management to reduce the hours of work of its employees tends to give rise to grievances on two separate fronts. The first is a claim that the reduction violates a provision in the collective agreement specifying the « normal » or « regular » hours of work. The extent to which the employer’s right to schedule work may be curbed by such provisions is reviewed in Chapter 21. Equally, though, a reduction in work hours may give rise to a separate allegation that the employer’s action amounts to a layoff of the affected employees. The seminal award on this issue is E.S. & A. Robinson (Canada) Ltd. and Printing Specialties & Paper Products Union, Local 466 (1976), 11 L.A.C. (2d) 408 (Swan). In that case, Arbitrator Swan held that a temporary reduction which applies uniformly to all employees in the bargaining unit generally represents a permissible exercise of management’s right to schedule work and does not constitute a layoff. However, the employer cannot avoid the seniority provisions of the collective agreement by cloaking a layoff as a mere reduction in work hours. Thus, if there is to be any differential treatment of employees in effecting the reduction, the distinction must be drawn on the basis of seniority.
Arbitrator Marcotte’s award in Crown Ridge Place Nursing Home and U.F.C.W. (Leckey) (1998), 72 L.A.C. (4th) 232 summarizes the consistent line of arbitral authority adopting the E.S. & A. Robinson approach. The arbitrator emphasized that, where an employer unequally reduces the hours of work of bargaining unit employees, it is the unequalness of the reduction that triggers a layoff, not the reduction itself.
In Battlefords and District Co-Operatives Ltd. v. R.W.D.S.U., Local 544 (1998), 160 D.L.R. (4th) 29, the Supreme Court of Canada held that, where the collective agreement does not define the term « layoff », a substantial reduction in hours (if implemented unequally) can reasonably be considered a « constructive layoff », thereby allowing affected employees to invoke their bumping rights. In the Court’s view, if a reduction in work hours arbitrarily singles out an employee without regard to seniority, it may be a legitimate interpretation of the collective agreement to characterize the reduction as a constructive layoff.»
[96] De l’ensemble de ces autorités, je retiens que, pour pouvoir conclure qu’une réduction des heures de travail constitue une mise à pied déguisée, plusieurs éléments doivent être constatés.
[97] Premièrement, la réduction d’heures doit être significative, ce qui requiert une certaine appréciation quant au nombre d’heures réduites et quant à la durée sur laquelle la réduction se produit.
[98] Deuxièmement, cette réduction doit affecter « sélectivement » et « inégalement » un ou des salariés par rapport à un groupe. Ainsi un ou quelques salariés se trouvent ciblés (« singled out ») par cette réduction par opposition à une réduction d’heures uniforme et généralisée visant l’ensemble ou un groupe homogène de salariés comme c’était le cas constaté dans l’arrêt Air-Care .
[99] Ce second élément est capital et décisif. Comme on l’a fait remarquer plus haut (Mitchnick et Etherington), ce n’est pas la réduction d’heures en soi mais l’inégalité de son application entraînant un traitement différencié qui permet de conclure à la mise à pied.
[100] Troisièmement, il faut que l’on puisse conclure à une mise à pied dans le contexte de la convention collective. Cet élément comporte plusieurs aspects.
[101] En premier lieu, les dispositions de la convention collective définissant la mise à pied doivent impérativement s’appliquer. Si la mise à pied n’est pas définie, on pourra conclure que la réduction significative des heures constitue une mise à pied compte tenu des circonstances et des autres dispositions conventionnelles applicables.
[102] En second lieu, il faut prendre en compte et donner effet à l’ancienneté telle qu’instituée par la convention collective. Si la réduction inégale des heures de travail se fait sans égard à l’ancienneté de sorte que des salariés ayant moins d’ancienneté se trouvent à remplacer le salarié ciblé par la réduction d’heures dans un travail pour lequel ce dernier est qualifié, on conclura que la réduction d’heures s’est faite arbitrairement et qu’un tel agissement mine les droits acquis du salarié en matière d’ancienneté. On doit alors lui permettre d’exercer ses droits d’ancienneté, c’est-à-dire de supplanter un salarié moins ancien.
[103] Il importe enfin de noter que l’exercice du droit de déplacement se fait dans le contexte de la convention collective. Celle-ci détermine généralement l’aire d’application du droit de déplacement et peut prévoir diverses autres conditions notamment en matière de qualifications requises.
2) Application au cas en l’espèce
[104] Quant à la réduction des heures de travail, la preuve démontre (E-2, S-5 et témoignages), qu’après une mise à pied formelle et non contestée couvrant la période du 14 décembre 2012 au 7 janvier 2013 (E-1), le Plaignant, de retour au travail, a, durant 6 semaines (6 janvier au 16 février) eu des semaines de travail variant entre 24 et 40 heures. Durant les 10 semaines suivantes, (17 février au 27 avril), ses heures hebdomadaires ont varié entre 14.17 et 29.55 heures. Il a été convenu en audience de considérer les semaines travaillées jusqu’au 1 er septembre 2013. On constate donc que, pour les 18 semaines suivantes (28 avril au 1 er septembre), les heures de travail ont varié entre 0 et 8.15 heures. Durant ce dernier segment, la semaine de travail s’est de fait réduite à l’équivalent d’une (1) journée de travail. On voit également que ce segment comprend 5 semaines non consécutives où aucune (0) heure n’a été travaillée.
[105] Dans ces circonstances, il n’y a pas à élaborer pour constater que, manifestement, nous sommes en présence d’une réduction significative des heures de travail du Plaignant, ce qui constitue la première condition pour qualifier la situation de mise à pied déguisée.
[106] La seconde condition requise pour conclure à une mise à pied déguisée est que la diminution d’heures vise un salarié en particulier (« singled out ») par rapport aux autres salariés du même groupe. On sait que ce qui permet de conclure à une mise à pied déguisée, ce n’est pas tant la réduction d’heures (qui est nécessaire mais non suffisante) que le fait qu’en ne visant qu’un salarié, on constate une inégalité dans la réduction des heures et donc une différence de traitement.
[107] À cet égard, la situation en l’espèce s’écarte de celles envisagées par les autorités précitées et pose un problème de transposition. En effet, certes, le Plaignant est le seul salarié visé par une réduction d’heures mais la réduction d’heures ne vise que le travail d’entretien mécanique pour la raison que l’on sait (i.e. location d’équipement comprenant l’entretien) et le Plaignant est le seul salarié à détenir un poste de la classification de mécanicien-auto.
[108] La question de savoir s’il subit un traitement différencié par rapport à un groupe devient alors épineuse et elle nous renvoie au « contexte de la convention collective » puisque le Syndicat voit une inégalité par rapport à un groupe qui est constitué de personnes hors unité effectuant du travail de mécanique industrielle (i.e. classification « mécanicien » dans l’Annexe B de la convention collective).
[109] L’article 12.02 stipule que l’ancienneté s’applique par département soit la production d’une part et l’entretien d’autre part. Le poste du Plaignant fait partie du département d’entretien.
[110] De plus, le Plaignant est le seul salarié syndiqué de ce département. Bien qu’il existe une autre classification (« mécanicien » industriel) rattachée à ce département, il n’y a pas de poste existant et occupé par quelque salarié syndiqué que ce soit dans cette classification.
[111] Rappelons qu’il est en preuve que l’Employeur et le Syndicat ont convenu d’une entente selon laquelle il y aurait au moins une (1) personne syndiquée dans le département de l’entretien. C’était le cas du Plaignant. Cette preuve ne fut pas contredite et il n’est pas en preuve qu’elle ait été contestée. Il ne m’appartient pas de me prononcer sur sa valeur. Je la considère comme un fait non contesté.
[112] Le résultat est qu’au moment où il subit une réduction d’heures, il est difficile de dire du Plaignant qu’il subit un traitement différencié qui ne peut exister que par rapport à un groupe.
[113] L’article 12.08 a) est ici au cœur du litige. Il stipule :
«Dans les cas de mise à pied, l’Employeur donnera préférence au salarié justifiant du plus d’ancienneté dans le département concerné (production ou entretien) en autant que le salarié demeurant au travail ait déjà été classifié dans la classe d’occupation concernée et puisse satisfaire sans entraînement les exigences normales de la tâche.»
[114] Le Plaignant étant le seul salarié syndiqué du département d’entretien, il est évidemment celui qui justifie du plus d’ancienneté dans ce département.
[115] Si, à ce titre, il a droit à une préférence pour demeurer au travail dans son département, à l’égard de qui peut-il exercer cette préférence ? La partie syndicale considère que c’est à l’égard des personnes hors unité qui effectuent de la mécanique industrielle.
[116] Ceci revient à dire que le Plaignant subirait un traitement différencié par rapport non pas à d’autres salariés occupant des postes dans l’unité mais par rapport à des personnes hors unité.
[117] Avec respect, j’estime que cette prétention n’est pas conciliable avec l’aire ou le champ d’application de l’ensemble de la clause d’ancienneté et qu’elle soulève des problèmes d’application de la convention collective qui, du moins à première vue, ne sont pas compris dans le grief. Je m’explique.
[118] Sur la définition de la notion d’ancienneté, D’Aoust et Meunier ( La jurisprudence arbitrale québécoise en matière d’ancienneté , E.R.I., U. de M. Monographie 9, 1980) écrivent (p. 21-22, nos soulignements) :
«En plus de sa très forte connotation temporelle, l’ancienneté implique également une relation entre salariés . En d’autres termes, le concept d’ancienneté comporte une dimension absolue et une dimension relative .
Dans sa dimension absolue, l’ancienneté correspond à la période de temps qu’a duré le lien contractuel entre l’Employeur et le salarié. Dans cette optique, on a déjà décidé, qu’à moins de disposition contraire dans la convention collective, les périodes de travail comme les périodes de mise à pied doivent entrer dans le calcul de l’ancienneté. Toutefois, comme nous l’avons déjà souligné, les conventions collectives apportent parfois des modifications à cette notion, en la restreignant ou en l’élargissant. Ainsi, à titre d’exemple, il sera tenu compte, suivant les circonstances, du nombre total des années de service ou des années de service continu seulement.
Quant à sa dimension relative, il s’agit de la relation entre les états de service de deux ou plusieurs salariés . En d’autres termes, elle réfère au statut acquis par un employé à l’endroit où il travaille, sur la base de ses crédits de service, tel que consigné dans la liste d’ancienneté. Du rang d’ancienneté d’un salarié découlent certains droits par rapport aux autres travailleurs, dans le contexte des promotions, mutations, mises à pied, etc. »
[119] Sur le champ d’application de l’ancienneté, les mêmes auteurs écrivent (p. 26, nos soulignements) :
«L’ancienneté a des effets sur différents types de droits des salariés : tantôt elle détermine leurs droits dans l’absolu, tantôt, elle le fait en mettant en relation le droit de l’un par rapport à celui de l’autre . Discutant de cette question, Slichter, Healy et Livernash distinguent entre les « applications of competitive status seniority » et les « applications of benefit seniority ». La première catégorie comprend les mises à pied et rappels au travail , les promotions, les mutations, la distribution du temps supplémentaire, l’attribution du travail, le choix de la période des vacances annuelles, etc. Dans la seconde catégorie, on retrouve les dispositions relatives aux congés de maladie, au paiement des vacances annuelles, au régime de retraite, à la prime d’ancienneté, etc. Comme l’ont noté ces mêmes auteurs :
«… Many agreements purposely use the term « service » or « credited service » to describe the basis for benefit payments, as contrasted with « seniority », which is the criterion involved in relative ranking of employees for layoff , promotion, transfer, and recall purposes...». (Italiques ajoutées).»
[120] Dans la lettre et l’esprit de l’article 12 traitant de l’ancienneté, la préférence reconnue s’exerce entre les salariés couverts par la convention collective les uns par rapport aux autres et non pas par rapport à des personnes hors unité.
[121] En ce sens, l’argument syndical voulant que le Plaignant ait une ancienneté supérieure à celle des personnes hors unité « parce qu’elles n’en ont aucune », pour habile qu’il soit, ne cadre pas avec l’application de l’article 12 qui ne concerne que le bassin des salariés couverts par la convention collective.
[122] Ce qu’on met ici en comparaison (pour déterminer s’il y a un traitement différencié) et en compétition (pour l’exercice d’une préférence et d’un droit de supplantation) ce sont, d’une part, un salarié de l’unité et, d’autre part, des personnes hors unité dont l’Employeur a retenu les services pour effectuer du travail d’entretien.
[123] Or, ce n’est pas ce genre de situation que vise l’article 12 en général et la clause 12.08 en particulier. La question de l’utilisation des services de personnes hors unité est plutôt régie, dans le cas qui nous intéresse, par l’article 17 intitulé « Sous-traitance et agences de personnel ».
[124] La prétention syndicale équivaut à demander à l’arbitre de déclarer que le travail effectué par des sous-traitants ou des employés d’agence de personnel équivaut virtuellement à des postes dans l’unité de négociation, ce qui permettrait de dire que le Plaignant (1) subit un traitement différencié car ses heures ont été réduites par rapport à celles des sous-traitants ou de leurs employés ou par rapport à des employés d’agence et (2) qu’en conséquence, le Plaignant a un droit de préférence pour effectuer ce travail en supplantant ces employés sur ces postes virtuels.
[125] Ce raisonnement repose sur une fiction et déborde le cadre d’application de l’article 12.08 a). Il introduit dans le litige un autre litige concernant l’application de l’article 17 qui n’est pas compris dans le grief. Je rappelle ce que j’ai écrit plus haut en introduction à mon analyse sur le fond. Le Syndicat ne conteste pas le fait que du travail de mécanique soit effectué par des personnes non couvertes par l’unité de négociation. Il n’y a pas eu, selon la preuve, de grief à ce sujet. Il n’y a pas non plus preuve que par grief on ait réclamé la création d’un poste de mécanicien industriel. Si je suivais le raisonnement syndical, ma décision équivaudrait à créer un tel poste, ce qui m’apparaîtrait être hors de ma compétence compte tenu du grief dont je suis saisi.
[126] Dans ces circonstances et « dans le contexte de la convention collective », je ne puis donc conclure à l’existence d’un traitement différencié, condition essentielle pour pouvoir considérer qu’il y a eu mise à pied déguisée au sens où la jurisprudence l’entend et je ne puis, en conséquence, conclure à une possibilité d’exercer un droit de supplantation.
[127] L’allégation de mise à pied déguisée étant le fondement du grief, je ne puis que conclure au rejet de celui-ci.
[128] Ceci étant arrêté, il n’en reste pas moins que la situation du Plaignant, qui semble appelée à perdurer, est précaire. Par rapport à ce que la convention collective décrit comme une semaine et une journée régulières, sans garantie d’heures (voir art. 13.01), sa situation s’apparente davantage à un emploi à temps partiel, intermittent et quasiment sur appel, ce qui ne correspond pas à un statut envisagé par la convention collective. Je ne puis, faute de violation de la convention collective, remédier à cette situation. Seules les parties le peuvent. À l’article 13.01, « l’Employeur reconnaît le besoin pour les salariés ayant le plus d’ancienneté d’avoir des semaines de travail régulières et équilibrées ». On peut y voir une intention qui, avec adaptation, pourrait inspirer les parties et les inciter, dans leur intérêt mutuel, à trouver une solution pratique, viable et équitable à la situation du Plaignant. Je ne puis que le leur suggérer.
VI. DISPOSITIF
POUR CES MOTIFS, L’ARBITRE REJETTE LE GRIEF No 2013-11 DE MONSIEUR PIERRE DROUIN.
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______________________ Me Carol Jobin, arbitre |
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Pour la partie syndicale : |
Me Manon Paquette (FIM-CSN) |
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Pour la partie patronale : |
Me Marianne Plamondon (Norton Rose) |
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Nomination : |
par les parties, 11 décembre 2013 |
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Dates d’audience : |
Sorel, 9 juin 2014 et 11 novembre 2014 |
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ANNEXE : COMPOSITION DU DOSSIER
A) Pièces
S-1 Convention collective 2009-2013
S-2 Grief 2013-11, Pierre Drouin (10-07-13) et réponse au grief (12-07-13)
S-3 Pierre Drouin, Tableau des heures travaillées et Bordereaux de paie chez Mécadeur, 06-07-2011 au 01-02-2012
S-4 Pierre Drouin, Tableau des heures travaillées et Bordereaux de paie chez Grantech, 09-02-2012 au 13-12-2012 (Année 2012)
S-5 Pierre Drouin, Tableau des heures travaillées et Bordereaux de paie chez Grantech de janvier 2013 au 31 octobre 2014
E-1 Lettre de Grantech inc. à Pierre Drouin, objet : mise à pied (10-12-12)
E-2 Grantech Inc., Tableau des heures de travail, Pierre Drouin du 23 décembre 2012 au 28 décembre 2013
B) Témoins
M. Pierre Drouin, mécanicien-auto et plaignant
M. Benoit Gosselin, contremaître à la maintenance
M. Stéphane Gosselin, directeur des opérations
M. Martin Lavallée, technicien en traitement thermique et président du Syndicat
M. Sébastien Sanscartier, journalier
C) Autorités soumises
- Partie syndicale
JS-1 Morin, F., et Blouin, R., Droit de l’arbitrage de grief, 6 ème éd., extrait, para. V.55
JS-2 Société Radio-Canada -et- Syndicat des communications de Radio-Canada, grief 1089, 6 avril 2005 (F. Bastien, arb.)
JS-3 Cégep John-Abbott -et- Association du personnel administratif de soutien du Collège John-Abbott (CSQ), grief 02-00032-1310, 14 février 2012 (S. Brault, arb.)
JS-4 Dion, G., Dictionnaire canadien des relations du travail, 2 ème éd., extrait sous « équipement »
JS-5 Canada Safeway
Ltd. c. SDGMR,
JS-6 Battlefords
Co-ops c. SDGMR,
JS-7 Règlement sur l’assurance-emploi, DORS/96-332, extraits
JS-8 Station Mont-Tremblant, Société en commandite -et- Syndicat des travailleurs et travailleuses de la Station Mont-Tremblant (CSN), grief 00-03-96, 12 mars 1997 (H. Frumkin, arb.)
- Partie patronale
JE-1 Coutu M. et al.,
JE-2
Syndicat des employés du
Centre universitaire de santé McGill (CSN)
et
Centre universitaire de
santé McGill (pavillon Hôpital général de Montréal)
(12 février 2009),
D.T.E. 2009T-279,
JE-3
Portes et fenêtres
Chanteclerc inc.
c.
Union internationale des opérateurs-ingénieurs,
section locale 772
(22 juin 2010), D.T.E. 2010T-768,
JE-4
Syndicat canadien de la
fonction publique, section locale 2154
et
Technicolor Services créatifs
Canada inc.
(22 octobre 2003),
JE-5
Eaux Laurentiennes Co.
et
Union des employé-e-s de service, local 800 (F.T.Q.)
(10 avril 1990),
JE-6
Gatineau (Ville de)
et
Fraternité des policières et policiers de Gatineau inc.
(26 janvier
2011), D.T.E. 2011T-258,
JE-7 Université de Montréal c. Syndicat des chargées et chargés de cours de l’Université de Montréal (SCCCUM/FNEEQ-CSN) (2 juillet 2011), B. Bastien, arbitre
JE-8
Mirabel (Ville de)
et
Fraternité des policiers de Mirabel
(6 janvier 2004), D.T.E. 2004T-569,
JE-9
Syndicat professionnel
des ingénieurs d’Hydro-Québec (SPIQ)
c.
Hydro-Québec,
No de
dépôt : 2008-6757,
JE-10
Mascouche (Ville de)
c.
Dufresne
(11 mars 2009), D.T.E. 2009T-236,
JE-11
Banque Nationale du
Canada, succursale Sorel
et
Travailleuses et travailleurs unis de
l’alimentation et du commerce, section locale 502 (27 février 2003)
,
JE-12 Île-Perrot (Ville de) L’ c. Fraternité des policiers de L’Île-Perrot (20 juin 1994), SA 94-06049, B. Bastien, arbitre
JE-13
Syndicat des
employés(ées) du Centre hospitalier régional de Lanaudière (C.S.N)
et
Centre
hospitalier régional de Lanaudière
(15 avril 1998),
JE-14
Syndicat des employés de
Marché central
et
Marché Central
(1 septembre 2009), D.T.E.
2009T-812,
JE-15
Oberthur Jeux et
technologies inc. (Technologies Babr inc.)
-et-
Syndicat canadien des
communications, de l’énergie et du papier, sec. Loc. 145
,
JE-16
Shawinigan (Ville de)
c.
Sexton
,
JE-17
Syndicat des
travailleuses et travailleurs de l’Hôpital de l’Enfant-Jésus
c.
Guertin
,
C.A.,
JE-18
Union des agents de sécurité
du Québec, métallurgistes unis d’Amérique, section locale 8922 (F.T.Q.)
et
Sécurité
Kolossal inc.
(7 mai 2004),
JE-19
Aliments R.J.R. Ltée
c.
Syndicat des travailleurs en alimentation
(11 mai 1976),
[
1976
]
C.A. 486,
JE-20
Syndicat canadien des
communications, de l’énergie et du papier, section locale 160-Q (FTQ)
et
Duchesne
et Fils ltée
(grief syndical) (29 mars 2007), D.T.E. 2007T-418,
JE-21
Air-Care Ltd
c.
united Steel Workers of America
(1
er
octobre 1974),
E-22 Matador Convertisseurs Compagnie Ltée c. Syndicat des employés de Matador (11 décembre 2002), SA 02-12012 (T.A.), C. Poulin, avocat-arbitre
E-23
Métallos, Local 1-1000
c.
Simmons Canada Inc., Kirkland (Québec)
(20 juin 2013), SA 13-06039,
JE-24 Société de transport de la Ville de Laval c. Syndicat des employés de bureau de la Société de transport de la Ville de Laval (CSN) (30 août 1996), SA 96-08060 (T.A.), G. Ferland, arbitre
JE-25
Société canadienne des
postes
-et
Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes
,
JE-26 Syndicat national des employés de l’aluminium d’Arvida inc . -et- Société d’électrolyse et de chimie Alcan Ltée (Arvida) , SA 94-04014 (A. Truchon, prés.)