Société des alcools du Québec et Syndicat des travailleuses et travailleurs de la Société des alcools du Québec, Syndicat canadien de la fonction publique, section locale 3535 (Réal Laberge)

2015 QCTA 63

 

 

TRIBUNAL D’ARBITRAGE

 

Code du travail du Québec, article 100

 

N o de dépôt : 2015-0858

 

 

 

LA SOCIÉTÉ DES ALCOOLS DU QUÉBEC

 

                                                                                                                                                           

 

 

 

-et-

 

 

 

 

 

SYNDICAT DES TRAVAILLEURS ET TRAVAILLEUSES DE LA SOCIÉTÉ DES ALCOOLS DU QUÉBEC, SYNDICAT CANADIEN DE LA FONCTION PUBLIQUE, SECTION LOCALE 3535

 

                                                                                                                                                           

 

 

 

 

 

GRIEFS :  no 4125, 4186, Réal Laberge

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Le 9 janvier 2015

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Arbitre

: Me Louis B. Courtemanche

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Pour l’Employeur

: Me Serge Benoît

 

 

 

 

Pour le Syndicat

: M. Bruno Tremblay

 

 

 

SOCIÉTÉ DES ALCOOLS DU QUÉBEC

 

-et-

 

SYNDICAT DES TRAVAILLEURS ET TRAVAILLEUSES DE LA SOCIÉTÉ DES ALCOOLS DU QUÉBEC, SYNDICAT CANADIEN DE LA FONCTION PUBLIQUE, SECTION LOCALE 3535

 

GRIEFS :  4125 (TM-10-02-033) et 4186

 

 

SENTENCE ARBITRALE

 

 

I.             Le litige

[1]        Par un premier grief du 11 février 2010, le grief 4125, le Plaignant demande que le maintien de son lien d’emploi soit reconnu à tout le moins jusqu’à la décision arbitrale décidant le grief contestant son congédiement du 22 septembre 2009. Après moult péripéties, la sentence arbitrale rejetant ce grief contestant congédiement a été rendue le 15 novembre 2013.

[2]        Par son grief du 18 avril 2011, le grief 4186, le Plaignant réclame l’augmentation rétroactive de salaire qui a été décidée le 8 juin 2010, donc après son congédiement, mais à la suite de deux demandes de réévaluation d’emploi déposée dix années auparavant. Il a adressé son grief au Syndicat, avec copie à l’Employeur :

«                                                                                        Le 18 avril 2011

« M. Daniel Dussault        
Président de la section locale 3535 SCFP

« Objet : Grief pour réclamer le paiement de la rétroactivité du salaire de l’occupation Électricien classe 9      

 

« Le 28 mars 2011, devant le commissaire, une admission a été présentée, il est reconnu que l’employeur a payé une rétroactivité de salaire de la classe 9 à tous les électriciens du département 24820 et dans cette affaire je crois avoir déposé un grief collectif pour réclamer l’évaluation des électriciens et ce depuis 1999.

« Je réclame le versement de la rétro qui a été payé aux électriciens et réclame la partie manquante étant établie que la rétro s’est appliquée rétroactivement à l’année 2005 alors que la réclamation originale date de l’année 1999.

« Et ce en vertu de tous mes droits et privilèges qui si rattachent.

« Réal Laberge        
Électricien SAQ

« C.C. : Ressource humaine »

[3]        Dès réception du grief, l’Employeur a objecté que le grief n’est pas recevable puisque le Plaignant n’était plus salarié de l’Employeur :

« Montréal, le 27 avril 2011

« M. Patrick Lessard         
Délégué en chef   
SCFP sl. 3535 STSAA   
6910, rue de Marseille    
H1N 1N1

« Objet : Grief non recevable

« Monsieur Lessard,

« Par la présente, nous vous confirmons que la demande de grief, datée du 18 avril 2011 et signé par M. Réal Laberge, n’est pas recevable. M. Laberge n’étant plus un salarié de la Société des alcools du Québec depuis le 22 septembre 2009.

« Bien à vous.

« Chantal Lemieux   
Conseillère  
Relations de travail STSAQ

« c.c. Mélissa Mercure, Chef de service Relations de travail »

II.           La preuve

[4]        Les parties ont convenu des admissions suivantes :

« 1.      Réal Laberge a été à l’emploi de la SAQ à partir de 1977.

« 2.      Réal Laberge a été congédié le 22 septembre    2009, congédiement confirmé par sentence arbitrale le 15 novembre 2013.

« 3.      Une demande de réévaluation de l’emploi d’électricien atelier mobile a été demandée le 13 janvier 1999.

« 4.      Une demande de réévaluation de l’emploi d’électricien a été demandée le 2 février 1999

« 5.      L’emploi d’électricien d’atelier mobile en 1999 est évalué à la classe 5. Le 1 er avril 2002, une nouvelle structure salariale est implantée faisant passer celle-ci de 6 classes à 9 classes.

« 6.      Ainsi, l’emploi d’électricien atelier mobile passe à la classe 8 (lettre du 11 avril 2002).

« 7.      Le regroupement de emplois convenu entre les parties fait en sorte que l’emploi d’électricien atelier mobile et électricien ont toujours été regroupés dans la même classe.

« 8.      Suite à la demande de réévaluation du poste d’électricien atelier mobile, ce dernier a été réévalué à la classe 8 le 14 février 2008.

« 9       Compte tenu du regroupement avec l’emploi d’électricien déjà évalué à la classe 8, cette réévaluation n’apportait aucune rétroactivité pour l’emploi d’électricien atelier mobile.

« 10.    L’emploi d’électricien a été réévalué à la classe 9 le 8 juin 2010.

« 11.    Cette réévaluation a fait en sorte que l’emploi d’électricien atelier mobile et électricien soit rémunéré à la classe 9 de par le regroupement d’emplois.

« 12.    Les titulaires et retraités de l’emploi d’électricien ont eu droit à la pleine rétroactivité salariale entre la demande de 1999 et le 8 juin 2010 ou leur départ à la retraite selon le premier événement. Ces versements ont été effectués en décembre 2010, janvier 2011 et janvier 2012.

« 13.    Depuis le congédiement de Réal Laberge, le poste a été occupé en affectation temporaire par Jacques Tremblay et Serge Bélanger et a été rémunéré classe 9.

« 14.    Le poste a été octroyé de façon permanente en 2014. Gérard Lalonde a obtenu le poste et est rémunéré classe 9 conformément à la convention collective. »

[5]        Le Plaignant était à l’époque le seul titulaire du poste d’électricien atelier mobile. C’est lui qui a déposé les demandes de réévaluation mentionnées aux articles 3 et 4 ci-dessus. Puis, à la suite de la nouvelle structure salariale ( article 5 des admissions ), la lettre du 11 avril 2002 ( article 6 des admissions ) l’informait effectivement qu’en vertu de la nouvelle classification son emploi passait de la classe 5 à la classe 8. Mais il s’agissait seulement d’une modification de la classification des emplois, non d’une réévaluation de son emploi, laquelle ne viendra que le 8 juin 2010 (article 10 des admissions ). On a vu qu’entretemps, le 22 septembre 2009, le Plaignant avait été congédié.

[6]        Au cœur du litige, les dispositions sur l’évaluation des postes. La procédure de cette évaluation commence par la demande de l’une ou l’autre partie et se divise ensuite en deux étages successives : premièrement, la description des postes et, deuxièmement, l’évaluation de ces postes. À l’issue de chacune des étapes, à défaut d’entente, un arbitre est appelé à trancher et il est précisé, au terme de la deuxième étape, que la décision arbitrale sera rétroactive au jour de la soumission de la demande.

« ARTICLE 8:05:00 - ÉVALUATION DES TÂCHES

« 8:05:01          L’employeur et le syndicat constituent un comité conjoint chargé de procéder à l’évaluation des tâches et à la classification des postes couverts par la convention. Sur demande de l’une ou l’autre des parties, il interviendra dans les cas d’évolution ou de modifications dans les tâches des postes couverts par l’unité d’accréditation. Il sera composé de deux (2) représentants désignés par la partie syndicale et de deux (2) représentants désignés par l’employeur.

« 8:05:08          Les parties devront s’entendre sur chacune des descriptions de poste. À défaut d’entente, Monsieur Pierre N. Dufresne se verra soumettre les descriptions sur lesquelles les parties ne se sont pas entendues et il devra, après avoir vérifié les tâches, rendre décision.

« Les descriptions de poste sur lesquelles les parties se sont entendues font partie de la convention collective.

« 8:05:09          La description des tâches ainsi complétée et acceptée par les parties, le comité procédera à l’évaluation des postes selon le plan d’évaluation en douze (12) facteurs proposés par le syndicat lors de la négociation de 1991.

« À défaut d’entente, les cas en litige seront soumis à Monsieur Pierre N. Dufresne qui devra décider de l’évaluation à donner à partir du système accepté par les parties.

« La décision de l’arbitre devra rétroagir à la date de la soumission de la demande de l’une ou l’autre des parties tel que prévu à la clause 8.05.01. »

[7]        À l’audience, il a aussi été admis que les parties en sont toujours venues à s’entendre tant sur les descriptions des postes que sur leurs évaluations et donc qu’aucune décision arbitrale n’est encore intervenue dans ce processus. De plus, jamais, à la SAQ, ceux qui ont quitté leur emploi ou qui ont été congédié n’ont touché quelque rétroactivité.

III.          Les positions des parties

[8]        Le Syndicat fait d’abord valoir que le grief a été présenté dans le délai prescrit puisque le Plaignant n’a appris que le 28 mars 2011 le versement des montants de salaire rétroactif. Le 18 avril, il se trouvait donc dans le délai de vingt-cinq jours ouvrables de sa connaissance du fait à l’origine du grief tel que prévu pour la présentation du grief.

[9]        Concernant le maintien du lien d’emploi, le Syndicat rappelle qu’au chapitre des assurances, la convention collective maintien le lien d’emploi même après congédiement :

« 10:03:04       Un employé qui bénéficie d’un congé sans solde ou mis à pied, de même qu’un employé congédié, jusqu’à ce que la décision arbitrale soit rendue, peut continuer de bénéficier des régimes d’assurance selon les dispositions prévues au contrat d’assurance, à la condition qu’il acquitte la totalité de la prime (employé-employeur) à compter du début de la période comptable qui coïncide avec ou qui suit la date du congédiement, de la mise à pied ou la date du début du congé sans solde.

[10]     Pour le Syndicat, cette persistance du lien d’emploi vaut aussi pour d’autres circonstances, d’autant plus lorsqu’il s’agit du salaire de la personne. Or ici, on voit que non seulement les titulaires de postes, mais aussi les retraités ont touché la rétroactivité. Si ce dossier-là s’était conclu plus rapidement, avant le congédiement du Plaignant, celui-ci aurait eu droit à cette rétroactivité, à ce salaire. Au tout début du processus, c’est lui qui était là, lui qui a fait la demande de réévaluation des postes.

[11]     Le but de la convention collective tel qu’énoncé en son article premier ( 1 :01 :00 ) est de

«  consigner par écrit les résultats de la négociation collective, de promouvoir des rapports harmonieux et d’établir des relations ordonnées entre l’employeur, le syndicat et les employés, relativement aux conditions de travail et les parties doivent s’y conformer. »

[12]     Or, est-il rappelé, la rémunération est une condition de travail très importante. Aussi doit-on considérer que le dernier alinéa du paragraphe 8:05:09 fait rétroagir la décision de l’arbitre à la date de la soumission de la demande et telle rétroactivité doit s’appliquer à tous les titulaires de l’emploi, notamment au Plaignant.

[13]     De plus, de soutenir le Syndicat, ne pas faire droit au grief, c’est entériné une double sanction. Non seulement le Plaignant perd-il son emploi, il perd aussi le salaire associé à son travail, ce qui contrevient au principe du «  temps fait, temps payé ». À l’appui :

LE SYNDICAT DES COLS BLANCS DE TERREBONNE SCFP, Section locale 2326 -et- LA VILLE DE TERREBONNE, 2013 CanLII 18858 (QC SAT), l’arbitre Maureen Flynn.

[14]     De son côté, l’Employeur rappelle d’abord, relativement au lien d’emploi, que la sentence rejetant le grief de congédiement avait eu pour effet de reconnaître la validité du congédiement et ce, à la date même du congédiement, ce que confirment les dispositions sur l’ancienneté :

« ARTICLE 3:03:00 MAINTIEN ET ACCUMULATION D’ANCIENNETE

« 3:03:05         Dans les cas d’absences non autorisées, l’ancienneté s’accumule sauf s’il y a congédiement valide au sens de cette convention

« 3:04:02          L’employé perdra son ancienneté s’il quitte volontairement son emploi ou s’il est l’objet d’un congédiement valide au sens de cette convention. »

[15]     Quant à la disposition sur le maintien des régimes d’assurances, ce sont des dispositions fort spécifiques, des dispositions expresses qui excluent de ce fait tout autre situation.

[16]     De fait, aucune disposition ne prévoit le maintien du lien d’emploi en cas de congédiement. Ainsi le Code du travail édicte que la convention collective ne s’applique qu’aux salariés :

« 67. La convention collective lie tous les salariés actuels ou futurs visés par l'accréditation.

« L'association accréditée et l'employeur ne doivent conclure qu'une seule convention collective à l'égard du groupe de salariés visé par l'accréditation.

[17]     De même, pour l’application du but de la convention énoncé à l’article premier ( 1:01:01 ) sur lequel s’appuie le Syndicat. La disposition s’applique aux employés, lesquels sont définis en 1:03:00 comme des salariés. Or, ce statut de salarié constitue une condition fondamentale à la présentation d’un grief :

« 7:01:02          Tout grief au sens du Code du travail entre l’employé ou le syndicat et l’employeur sera soumis à la procédure suivante : … »

[18]     Nulle disposition ne donne droit à un ex-salarié de faire grief. Or le congédiement a dépouillé le Plaignant de son statut de salarié.

[19]     Quant à la rétroactivité qui peut être applicable en conclusion du processus de l’évaluation des tâches, elle est attribuée exclusivement de la décision de l’arbitre ainsi qu’indiqué au paragraphe 8:05:09 reproduit plus haut. Autrement, ce sont les parties qui décident à qui s’applique la rétro et les parties ont décidé dans ce cas-ci que la rétro s’appliquerait aux salariés toujours à l’emploi qui ont occupé les postes en cause et à ceux qui ont occupé ces postes et ont depuis pris leur retraite.

[20]     D’ailleurs, dans les cas de négociation de convention collective, en principe, la rétro ne s’applique qu’aux salariés présents à moins que les parties n’en aient décidé autrement.

[21]     À l’appui :

   LARRY O’RULLY et al c. COMMUNAUTÉ URBAINE DE MONTRÉAL, [1980] C.S. 708 ,

   PIERRE MORIN c. COMMUNAUTÉ URBAINE DE MONTRÉAL et LA FRATERNITÉ DES POLICIERS DE LA COMMUNAUTÉ URBAINE DE MONTRÉAL, SOQUIJ AZ-87018253 (C.A.).

IV.         DISCUSSION ET DÉCISION

[22]     Le débat soulève deux questions, celle du droit au grief pour un ex-salarié et celle du champ d’application de la rétroactivité de l’augmentation de rémunération qu’emporte la réévaluation de l’emploi.

[23]     Le Syndicat a avancé une défense sur la prescription et l’Employeur, à raison, n’a pas relevé ce point.

[24]     Quant au premier grief demandant la reconnaissance du lien d’emploi, il visait principalement à donner assise à une réclamation à la CARRA, ce qui ne fait pas partie du présent litige. Néanmoins, il faut aborder ce point dans l’optique du droit du Syndicat à faire valoir par grief une réclamation en faveur d’un ex-salarié

[25]     En principe, l’ex-salarié n’a pas droit au grief parce qu’il ne bénéficie plus des droits que lui conférait la convention collective. En cas de congédiement, le grief contestant telle décision a pour effet de suspendre ce statut de salarié et maintient un lien du moins jusqu’à la décision de l’arbitre. Dans la présente convention collective, les dispositions sur la possibilité pour le congédié de maintenir les régimes d’assurances (paragraphe 10:03:04), pourvu qu’il en assume les primes, confirment cette persistance du lien d’emploi, si ténu soit-il. Toutefois, ce n’est ni le grief contestant congédiement, ni le maintien des régimes d’assurances qui sont propres à ouvrir au Plaignant sa réclamation par voie de grief. Il y a lieu de délaisser la définition du lien d’emploi pour discuter immédiatement du grief de réclamation et de l’objection à la validité de telle réclamation par l’ex-salarié.

[26]     Le Syndicat réclame ici pour le Plaignant l’application de la convention collective pour un salaire qui lui aurait été dû alors qu’il était salarié. Son congédiement n’a pas l’effet d’une renonciation aux droits acquis antérieurement. De plus, par l’effet de la convention collective, sa qualité de salarié se prolonge au-delà de la rupture de son contrat pour les fins de ses droits acquis en tant que salarié et, de même, le pouvoir de représentation du syndicat subsiste pour faire valoir les droits du salarié devenus exigibles au moment où il avait encore qualité de salarié [1] . La Cour suprême a évoqué cette obligation pour le Syndicat de représenter le salarié même après son départ. Ainsi, le juge LeBel écrit dans Tremblay c. Syndicat des employées et employés professionnels-les et de bureau, section locale 57 [2]  :

« 21       Cette obligation résulte d’un mandat légal de représentation qui vaut pour l’ensemble d’une unité de négociation, dont la composition varie nécessairement dans le temps. La nature continue de cette obligation à l’égard de l’ensemble d’unités susceptibles de se modifier continuellement ne permet pas de conclure que le départ d’un salarié fait disparaître toute conséquence de l’exécution de l’obligation de représentation à son endroit. Une situation juridique peut s’être constituée de telle façon que le syndicat devra continuer à agir et à représenter le salarié pour en régler les conséquences. La reconnaissance d’une telle obligation découlant à l’origine de l’exécution du devoir de représentation s’imposerait d’autant plus que le syndicat continue alors à détenir le pouvoir exclusif de négociation à l’égard de l’employeur et, le plus souvent, à contrôler l’accès à la procédure de grief ainsi que son déroulement. La persistance, sous une telle forme, d’une obligation résiduelle de représentation à l’égard des employés qui cessent de travailler dans l’entreprise, au sujet de problèmes découlant de leur période d’emploi, correspond à l’économie générale de ce système de représentation exclusive et collective. »

[27]     Et puis, antérieurement, dans l’arrêt Dayco [3] , la Cour suprême avait maintenu la compétence de l’arbitre de griefs pour entendre le recours présenté par des salariés retraités, donc des ex-salariés. Le juge Laforest y émet ce commentaire intéressant  :

« À supposer qu’une action en justice soit possible, je ne vois aucune raison d’exclure l’arbitrage comme solution de rechange pour les retraités, ni aucun précédent qui justifie de le faire. »

[28]     Cet arrêt Dayco avait marqué un tournant et accentué la tendance de la Cour suprême à favoriser la compétence des organismes administratifs, un moyen puissant pour désengorger les tribunaux de droit commun. On constate cette évolution dans les décisions de la Cour d’appel, celle de Désormeaux [4] puis celle du Centre hospitalier Pierre Boucher [5]

[29]     Depuis cet arrêt ci-dessus, on relève dans la jurisprudence arbitrale quelques cas où le salarié, même congédié, a pu bénéficier, par son syndicat, de la procédure de grief [6] . Nous reviendrons plus loin sur ces décisions. La Cour du Québec s’est aussi prononcée très nettement sur ce droit de l’ex-salarié en renvoyant le salarié démissionnaire devant l’arbitre de grief [7] .

[30]     Par ailleurs, à tout événement, il peut exister des situations où les compétences respectives de l’arbitre et de la Cour supérieure pourraient être concurrentes. Cette possibilité est évoquée par la Cour d’appel dans Banque Laurentienne c. Werve [8] . Le juge Baudouin rappelle la position de la Cour suprême dans l’arrêt Bisaillon c. Université Concordia [9] favorisant une compétence exclusive étendue de l’arbitre sur les questions relatives aux conditions de travail, pour autant que celles-ci puissent se rattacher expressément ou implicitement à la convention collective. Le juge ajoute :

« [20]     Même si cette règle générale est désormais bien acquise, il n’en reste pas moins qu’il peut exister encore certaines zones grises où les tribunaux judiciaires gardent compétence et certains cas où il est même possible de concevoir qu’il puisse y avoir dualité ou concurrence de recours. »

[31]     Ainsi, tel que le démontre la jurisprudence déposée par l’employeur, alors que le recours au grief pour l’ex-salarié a été autrefois plutôt interdit, la jurisprudence a donc évolué pour admettre à tout le moins que le Syndicat puisse plaider l’application de la convention collective en faveur d’un ex-salarié.

[32]     Dans le cas présent, bien que la réclamation émane d’abord du Plaignant, le grief est bien présenté par le Syndicat à qui le Plaignant a adressé sa réclamation. C’est d’ailleurs au Syndicat que l’Employeur, à juste titre, a adressé sa réponse. Alors, indépendamment de la possibilité pour le Plaignant, en tant qu’ex-salarié, de faire valoir sa réclamation en intentant une action devant le tribunal de droit commun, ce que je n’ai pas à décider ici, le grief se trouve valablement soumis par le Syndicat à l’arbitre de grief.

[33]     Reste alors à décider du fond, c'est-à-dire le droit du Plaignant à la rétroactivité de l’augmentation de salaire attachée à la réévaluation du poste qu’il a occupé. Il y a encore ici deux volets. Premièrement, le comité d’évaluation peut-il délimiter le champ d’application de la rétroactivité tant pour définir la période de rétroactivité que pour déterminer les bénéficiaires. Deuxièmement, la clause 8:05:09 n’emporte-t-elle rétroactivité que pour les salariés à l’emploi au moment de la réévaluation ou s’applique-t-elle pour tous les salariés ayant occupé le poste réévalué, c'est-à-dire même aux ex-salariés, qu’ils aient quitté pour retraite, par démission ou congédiement ?

[34]     Rappelons qu’à la deuxième étape de la procédure de réévaluation, c'est-à-dire à l’étape de l’évaluation proprement dite, à défaut d’entente entre les parties, la décision arbitrale à intervenir doit rétroagir à la date de la demande.

[35]     Il est clair ici que l’intention des parties à la convention collective est que toute décision sur l’évaluation qui emporterait un reclassement à un salaire plus élevé sera rétroactive à la date de la demande. Rien ne confère au comité le pouvoir de modifier cette règle. Si le comité avait ce pouvoir, il pourrait aussi dicter à l’arbitre la période de rétroactivité. Or, le texte de la convention collective, clause 8:05:09 in fine , est formel : «  La décision de l’arbitre devra rétroagir à la date de la demande…  ».

[36]     Il en est de même de la désignation des personnes ou catégories de personnes devant bénéficier du reclassement avec le salaire afférant. Le comité n’a aucunement pouvoir de modifier ce champ d’application, de décider de le restreindre comme de l’élargir. Selon le cas, l’Employeur ou le Syndicat pourraient s’objecter à la décision du comité d’élargir ou de restreindre le champ d’application de ses décisions d’évaluation des postes. Le pouvoir du comité se limite à l’évaluation des postes.

[37]     Toutefois, cette conclusion sur le pouvoir restreint du comité d’évaluation ne répond pas de soi à la question de savoir si cette rétroactivité s’applique aux ex-salariés. Sur ce point, le Syndicat soumet la sentence Ville de Terrebonne [10] qui a décidé de la rétroactivité de la clause d’une nouvelle convention collective à un ex-salarié congédié. Or cette décision n’est pas applicable ici puisque la clause y prévoyait expressément que «  La rétroactivité s’applique également aux personnes salariées ayant quitté pour la retraite ou tout autre motif depuis le 1 er janvier 2008  ». Nous n’avons pas ici telle disposition expresse.

[38]     Incidemment, le Syndicat trouve aussi appui dans cette sentence pour son argument de la double sanction, l’omission par l’Employeur de verser la rétroactivité s’ajoutant au congédiement. Mais, cette omission de l’Employeur ne constituerait une sanction qu’en autant que la rétroactivité serait normalement due. D’ailleurs, dans la sentence, avant de se référer à la notion de double sanction, l’arbitre conclut que «  le non-paiement est donc assimilable à une coupure ou à une réduction de salaire  ». Si le salaire n’est pas dû, il n’y a pas coupure et donc pas de sanction qui viendrait doubler le congédiement. Alors, ce n’est pas la notion de double sanction qui détermine si la rétroactivité s’applique à l’ex-salarié. Ce n’est que si la rétroactivité s’étend aux ex-salariés que son défaut de versement pourrait doubler la sanction à celui qui a déjà subi la sanction du congédiement.

[39]     Sur ce point de la rétroactivité, l’Employeur rappelle qu’il a été décidé, dans les sentences qu’il a déposées, que lors des négociations des conventions collectives, la rétroactivité ne s’applique en principe qu’aux salariés présents à moins que les parties n’en aient décidé autrement. À ces décisions peut s’ajouter la décision déjà citée de Tremblay c. Syndicat des employées et employés professionnels-les et de bureau, section locale 57 [11] . Mais dans cette affaire, la clause de rétroactivité prévoyait expressément ne devoir s’appliquer qu’à ceux qui étaient «  à l’emploi de la Ville à la date de la signature de la convention collective  ». Le jugement déclare que les parties à la négociation de la convention collective ont pouvoir de restreindre la portée de toute clause de rétroactivité, que telle restriction ne va pas à l’encontre de la Charte des droits et libertés de la personne . Le juge LeBel qui rend le jugement unanime de la Cour écrit :

« [22]     Dans le cadre d’une négociation où les parties tentaient de définir une clause de rétroactivité la situation des personnes qui avaient exécuté un travail régi par l’accréditation, mais laissé leur emploi pouvait faire partie des intérêts affectés par l’issue des pourparlers. L’exécution d’un travail visé par l’accréditation ne créait cependant pas en faveur de ces salariés des droits primant ceux des membres présents de l’unité de négociation en poste à la conclusion de la convention. Le cadre juridique applicable à la négociation collective ne leur reconnaissait aucun droit acquis à l’égard de la rétroactivité. »

[40]     On a vu qu’il s’agissait dans ce cas d’une clause restreignant explicitement la portée de la clause de rétroactivité. Cela nous laisse avec le débat sur l’application des clauses de rétroactivité qui ne contiennent aucune restriction relative aux bénéficiaires.

[41]     Par suite de l’arrêt ci-dessus de la Cour suprême, au moins deux sentences arbitrales sont venues appliquer aux ex-salariés la clause de rétroactivité. La première qui concerne à Fraternité des policiers de Terrebonne [12] est particulièrement intéressante en ce que l’arbitre révise plusieurs décisions déposées par les parties et y ajoute les commentaires des auteurs de Droit du travail [13] et de Droit de l’arbitrage de grief [14] . En conclusion l’arbitre rejette la proposition de l’Employeur qui est similaire à celle que soutient l’Employeur dans le cas présent :

« [21]     Dans la présente affaire, les représentations de l’employeur s’appuient sur la notion de salarié pour  justifier que des personnes devenues des « ex-salariés » au moment de la signature de la convention collective ne peuvent prétendre à bénéficier de celle-ci puisqu’elle ne s’applique qu’à des salariés.

« [22]     Quoiqu’en apparence séduisant sur le plan du raisonnement juridique, cet argument suppose que les parties ne pourraient contracter en s’appuyant sur d’autres bases que la relation contractuelle en vigueur. Or, rien n’empêche les parties d’aller au-delà du moment présent. Ainsi en est-il, par exemple, de l’application du fonds de pension qui fait partie intégrante de la convention collective et qui peut faire l’objet d’un grief (clause 25.03). »

[42]     L’arbitre poursuit sur la portée de la clause de rétroactivité :

« [23]     Revenons à la clause litigieuse.

« [24]     La clause 42.02 de la convention collective débute en des termes qui ne prêtent pas à équivoque : « Les dispositions relatives au salaire sont rétroactives au 1 er janvier 2003 ». C’est donc la règle que se sont données les parties.

« [25]     Or, pour soutenir une exception à la règle, on devrait rechercher une exception expresse, ce que le reste de l’article 42 de la convention collective ne permet pas. Nulle part, en effet, l’article 42 ni aucune autre disposition de la convention collective ne restreignent la portée de la règle énoncée au paragraphe introductif de la clause 42.02 de la convention collective.

« [26]     Dès lors, le Tribunal d’arbitrage ajouterait aux droits et obligations que se sont librement consentis les parties en concluant que des personnes qui n’étaient plus des salariés au moment de la signature de la convention collective le 11 décembre 203 perdaient de ce fait les bénéfices salariaux rattachés rétroactivement à la convention collective. Il appartenait aux parties de le faire et, en l’absence d’une telle restriction, la portée du paragraphe introductif de la clause 42.02 doit trouver tout son sens, et produire tous les effets qui en découlent normalement. »

[43]     La seconde sentence est un peu singulière en ce que l’arbitre de différend y a été appelé à interpréter les termes qu’il avait lui-même rédigé. Nous nous transportons cette fois à Val-des-Monts [15] . L’arbitre y reprend un passage très éloquent d’une décision de Cour fédérale d’appel [16]  :

« Si le point de vue adopté par le Conseil du Trésor est juste, il en résulterait que deux employés travaillant côte à côte au même endroit, effectuant des tâches identiques et touchant la même rémunération avant le 31 décembre 1980, recevraient des salaires différents pour des tâches identiques accomplies en 191 et en 1982 parce que l’un de ces employés a cessé d’être employé avant le 28 mai 1982. Selon moi, un tel résultat est absurde, injuste et source d’iniquité. Je suis donc de l’avis du juge en chef Jackett qu’en l’absence de dispositions très clairement exprimées, il est impossible qu’on ait voulu atteindre un résultat aussi incongru. »

[44]     Dans le cas présent, la clause de rétroactivité n’a pas été négociée pour application à l’orée d’une nouvelle convention collective. Pour autant, les motifs donnés à l’interprétation de telles clauses de rétroactivité s’appliquent naturellement à une clause de rétroactivité relative à la réévaluation des postes en cours de convention. Dans un cas comme dans l’autre, il s’agit de délimiter le champ personnel de la rétroactivité.

[45]     Reste néanmoins une entrave puisqu’il y a eu accord pour que cette rétroactivité n’atteigne parmi les ex-salariés que ceux qui sont retraités. Or, ainsi qu’exposé plus haut, la Cour suprême a avalisé dans la décision Tremblay de 2002, les clauses de rétroactivité restreignant les personnes bénéficiaires.

[46]     Dans le présent cas, la discussion pourrait se poursuivre selon que la restriction sur les bénéficiaires émane du comité d’évaluation ou d’un accord formel des parties. Cependant, la preuve démontre que depuis l’instauration du système d’évaluation, soit depuis 1991, donc depuis plusieurs conventions collectives, l’application de la rétroactivité a toujours exclu les ex-salariés qui avaient quitté ou avaient été congédié. Il faut en déduire qu’en renouvelant leurs conventions collectives successives, l’Employeur et le Syndicat ont considéré que le comité d’évaluation des tâches fonctionnait bien ainsi et ont en conséquence entériné cette interprétation et application restrictive de la clause de rétroactivité insérée à l’article 8:05:00 sur l’évaluation des tâches. Ce qui signifie ou bien que cette règle est insérée dans la convention collective, ce que l’arbitre n’a pas pouvoir de modifier, ou bien que le Syndicat plaidant maintenant à l’encontre des accords réalisés avec l’Employeur se heurte à tout le moins à une fin de non-recevoir.

[47]     Pour ces motifs, nonobstant le libellé de la clause de rétroactivité de l’évaluation des postes, il ne peut être fait droit au grief.

Le 9 janvier 2015                                                        L’arbitre

 

 

                                                                                      Louis B. Courtemanche

 

Pour le Syndicat                                                         : M. Bruno Tremblay

Pour l’Employeur                                                        : M e Serge Benoît

 

 



[1]    Je me permets de reprendre ici les termes d’une décision que j’ai moi-même : Association professionnelle des vendeurs-distributeurs de la compagnie L.P. Thibault Inc. -et- L.P. Thibault Inc. , [1980] SAG 1054

[2]    Tremblay c. Syndicat des employées et employés professionnels-les et de bureau, section locale 57, [2002] 2 RCS 627 , 2002 CSC 44 (Can LII).

[3]    Dayco (Canada) Ltd c. T.C.A.-Canada , [1993] 2 R.C.S. 230 , [1993] CanLII 144 (CSC).

[4]    Désormeaux  c. Centre de réadaptation des jeunes de l'Outaouais , J.E. 91-849 (C.A.). 

[5]    Centre hospitalier Pierre-Boucher c. Union des employés de service, local 298 (F.T.Q.) , 1998 CanLII 13031 (QC CA).

[6]    Fraternité des policiers de Terrebonne - et- Terrebonne (Ville de) , AZ-50353075 , D.T.E. 2006T-184 , l’arbitre Jean-Pierre Tremblay.

Le Syndicat des cols blancs de Terrebonne SCFP, Section Locale 2326 -et- La Ville de Terrebonne , 2013 CanLII 18858 (QC SAT), l’arbitre Maureen Flynn.

[7]    Vacher c. Kruger, Scierie Manic Inc ., 2005 CanLII 9607 (QC CQ)

[8]    Banque Laurentienne c. Werve [2008] QCCA 702 (CanLII).

[9]    Bisaillon c. Université Concordia [2006] CSC 19 (CanLII), [2006] 1 R.C.S. 666 .

[10]   Le Syndicat des cols blancs de Terrebonne SCFP, Section Locale 2326 -et- La Ville de Terrebonne , 2013 CanLII 18858 (QC SAT), l’arbitre Maureen Flynn.

[11]   Cf, note 2

[12]   Fraternité des policiers de Terrebonne -et- Ville de Terrebonne,   AZ-50353075 , D.T.E. 2006T-184 , l’arbitre Jean-Pierre Tremblay.

[13]   Robert P. Gagnon, Louis LeBel et Pierre Verge, Droit du travail , 2 e édition , Éd. P.U.L. Québec, 1991, 1065 p.

[14]   Rodrigue Blouin et Fernand Morin, Droit de l’arbitrage de grief , 5 e édition , Éd. Yvon Blais Inc., Cowansville, 2000, 766 p.

[15]   Association des pompiers et pompières de Va;-des-Monts -et- Val-des-Monts (Municipalité), 2014 CanLII 2711 (QC SAT), l’arbitre Richard Guay.

  [16] Association canadienne du contrôle du trafic aérien c. La Reine , [1985] C.F. 84 (C.A.)

 

Association des pompiers et pompières de Val- des-Monts -et- Municipalité de Val-des-Monts, 2014 Can LII 27111 (QC SAT).