Fraternité des policières et policiers de Gatineau et Gatineau (Ville de) (Natasha Labonté)

2014 QCTA 1120

TRIBUNAL D'ARBITRAGE

 

Fraternité des policiers et policières de Gatineau

Ci-après « le Syndicat »

et

Ville de Gatineau

Ci-après « l’Employeur »

 

Grief : 2012-04

Natasha Labonté -

Rachat de la période de congé sans solde

DÉCISION ARBITRALE

1-     Le soussigné fut mandaté par les parties pour agir à titre d’arbitre dans le présent dossier.

2-      L’audition du présent dossier fut répartie sur deux jours d’audience, soit le 5 septembre 2013 et le 19 novembre 2013.

3-     Lors de la première audience, le procureur syndical déposant la convention collective, (S-1), et le grief (2), daté du 27 juillet 2012, lequel se lit comme suit :

PLAIGNANTE: Natasha Labonté

NATURE DU GRIEF : Rachat de la période de congé sans solde

DESCRIPTION DU GRIEF :

La plaignante conteste le fait que l'employeur refuse de lui permettre de racheter la période de son congé sans solde aux fins du calcul de sa rente créditée par le régime de retraite, invoquant l'article 8.1 du règlement qui stipule que « [...] le participant qui désire se faire reconnaître cette période pour les fins du calcul de sa rente créditée doit en informer le comité de retraite avant le début de son congé [ . ..] ».

La plaignante soumet ce qui suit, sans limitation aucune :

1. La possibilité de se faire reconnaître la période de congé sans solde avant le début du congé n'exclut pas la possibilité de procéder à un rachat au retour de l'employé.

La Ville prête à l'article 8.1 une portée restrictive, abusive et déraisonnable qui va à l'encontre de l'intérêt des participants, d'autant plus que la Ville n'en subit aucun préjudice, puisque le coût du rachat est assumé entièrement par la salariée.

Le préavis se veut une simple formalité, puisque le même texte prévoit que : « La somme requise doit être payée, au moyen d'un ou plusieurs versements, à la caisse de retraite du régime pendant ou après la période de congé (la période de versements ne peut toutefois être supérieure à la durée de la période de congé) »

Ainsi donc, « en informer le comité » avant ou après le congé ne fait aucune différence dans les faits et quant aux effets pour celui qui choisit de payer les sommes requises à son retour. La formalité compte pour celui qui choisit de payer pendant le congé, mais pas pour celui qui veut payer après.

De toute évidence, le préavis vise à couvrir la situation de celui qui veut payer les sommes requises pendant son congé et il n'a aucune utilité pour celui qui veut payer à son retour.

En ce qui concerne la situation de la plaignante, la Ville fait de la formalité du préavis une exigence excessive, capricieuse, excessive et déraisonnable.

Refuser ce bénéfice à la plaignante pour la seule raison qu'elle n'a pas « informé le comité » avant de partir en congé constitue de l'abus de droit, à l'encontre des objectifs de justice et d'équité prônés par la convention collective.

2. Les préposés de la Ville n'ont jamais expliqué à la plaignante qu'elle pouvait payer à son retour de congé et même échelonner ses paiements sur une période aussi longue que son congé, lui laissant plutôt entendre qu'elle devait payer sa cotisation et celle de la Ville au fur et à mesure, ce qui fait une grande différence dans la décision qu'elle devait prendre, puisqu'elle ne retire pas de salaire durant son congé, alors qu'elle reçoit du salaire à son retour et qu'elle a alors les moyens de payer, surtout qu'elle peut échelonner ses paiements. La plaignante n'a pu prendre une décision en pleine connaissance de cause et elle en tient la Ville responsable.

RÈGLEMENT DEMANDÉ :

Que la plaignante soit autorisée à procéder, à ses frais, au rachat de sa période de congé sans solde aux fins du calcul de sa rente créditée par le régime de retraite et ce, au moyen de paiements s'échelonnant sur une période aussi longue que son congé sans solde.

4-     Ce grief fait suite à une réponse de la ville quant à la demande de rachat soumise au nom de la plaignante. Cette réponse, sous la forme de courriel daté du 6 juillet 2012, fut produite sous la cote S-4, dont les extraits pertinents ci-après :

« Cas Natasha Labonté et Nelson Fortin

(…)

 Tel que convenu, j'ai discuté des dossiers de Natasha Labonté et de Nelson Fortin avec Marc et, après discussions et validation avec Alain, voici nos réponses pour chacun des dossiers.

Natasha Labonté

Nous maintenons notre position à l'effet que Mme Labonté ne peut pas racheter la période de congé sans solde. En effet, lors d'une conversation téléphonique avec Mme Lisette Oliveira en 2007 et selon les notes au dossier, Mme Labonté avait mentionné à Mme Oliveira qu'elle ne désirait pas maintenir sa participation au régime puisqu'elle devait payer les deux parts (employé/employeur).

À cet effet, je te réfère également à l'article 8.1du règlement du régime de retraite.

8.1 ANNÉES DE PARTICIPATION PENDANT ABSENCE OU CONGÉ

« [...] Le participant qui désire se faire reconnaître cette période pour les fins du calcul de sa rente créditée doit en informer le comité de retraite avant le début de son congé. [...] »

5-     Fut enfin déposé sous la cote S-3 un extrait du Régime de retraite des policiers de la Ville de Gatineau, au soutien de ce grief, et en particulier l’article 8.1 du Règlement 437-2007 concernant les Absences temporaires et congés autorisés :

Section 8

Absences temporaire et congés autorisés

..

8.1       ANNÉES DE PARTICIPATION PENDANT ABSENCE OU CONGÉ

Les périodes d'absence temporaire et de congés autorisés par l'employeur, incluant les congés de maternité et parental, ne mettent pas fin à la participation au régime.

Si un salaire est payé durant les périodes d'absence temporaire ou de congés autorisés, les cotisations continuent et les périodes en cause comptent pour le calcul de la prestation de retraite. Si aucun salaire n'est payé durant ces périodes, les cotisations cessent et les périodes en cause ne comptent pas pour le calcul de la prestation de retraite.

Nonobstant ce qui précède,

a)un congé de maternité et un congé parental ainsi que toutes périodes additionnelles de congé prévues aux conventions collectives ou aux conditions de travail des employés comptent pour le calcul de la prestation de retraite en autant que le participant verse la cotisation exigible, s'il en est, pour la période en cause. Pour ce faire, le participant doit en faire la demande avant le début du congé. Le participant, dont la convention collective prévoit qu'il en est exonéré, ne verse aucune cotisation durant cette période. Tout autre participant doit verser la cotisation régulière d'un participant actif et basée sur son salaire au moment du début de son congé. Dans les deux cas, les prestations créditées sont établies sur le salaire du participant au moment du début de son congé;

et        

b)pendant une période de congé sans solde, autre qu'un congé prévu en a) ci-dessus ou en vertu de toute loi pertinente, un participant peut se faire reconnaître cette période pour les fins du calcul de sa rente créditée à la condition qu'il verse à la caisse la somme requise afférente à cette période.

La somme requise à verser à l'égard de cette période est exclusivement à la charge du participant. Cette somme est égale au produit :

1)             du nombre d'années et fraction d'année ainsi reconnues,

et

2)        de la somme de :

-la cotisation du participant, calculée au taux en vigueur à la date à laquelle est effectué l'achat de service et sur le taux annuel de salaire du participant à cette même date;

-la cotisation d'exercice de la Ville, incluant la provision pour indexation dans le cas d'un participant qui rachète une période de service antérieure à 2005 alors qu'il était à l'emploi de l'ex-ville de Gatineau ou qu'il participait au régime de l'ex-ville de Gatineau, telle qu'établie selon le plus récent rapport d'évaluation actuarielle et tenant compte de tout rapport d'évaluation actuarielle et certificat de coût déposés à la Régie des rentes du Québec pendant le congé, calculée selon le pourcentage des salaires apparaissant dans ce rapport mais au taux annuel du salaire du participant au moment de l'achat de service.

Aux fins du calcul ci-dessus le taux annuel de salaire doit être limité à celui qui produit la rente maximale.

Le participant qui désire se faire reconnaître cette période pour les fins du calcul de sa rente créditée doit en informer le comité de retraite avant le début de son congé. La somme requise doit être payé et au moyen d'un ou plusieurs versements à la caisse de retraite du régime pendant ou après la période de congé (la période de versements ne peut toutefois être supérieure à la durée de la période de congé).

Aux fins du calcul de la rente créditée, l'ensemble des périodes d'absence temporaire sans rémunération (y compris les congés de maternité, les congés parentaux et les périodes additionnelles de congé prévues aux conventions collectives ou aux contrats de travail individuels) est limité à cinq années. Toutefois, si les absences sans rémunération incluent des périodes d'obligations familiales, cette limite de cinq années est augmentée à huit années, seules pouvant compter en excédent de cinq années les périodes d'obligations familiales.

Les interruptions d'emploi, jusqu'à concurrence d'une durée de 24 mois, ne mettent pas fin à la participation au régime. Cependant, en transmettant au comité de retraite un avis écrit spécifiant qu'il ne reviendra pas à l'emploi de l'employeur, un participant dont l'emploi a été interrompu depuis moins de 24 mois peut mettre fin à sa participation active.

6-     Dès alors le procureur patronal soulève une objection de la nature d’une exception déclinatoire quant à la compétence de l’arbitre de grief de du grief de se saisir du litige car, selon lui, ce dernier n'a pas compétence pour entendre cette demande, le Comité de retraite étant le seul habilité à trancher ce genre de question;

7-     Lors de l'audience 5 septembre 2013, à la suggestion du soussigné, la Fraternité a décidé de transmettre à la première occasion la demande de la Plaignante au Comité de retraite, mais au préalable, afin de permettre au soussigné de connaître le contexte du litige et, sous réserve de l’objection soumise par l’Employeur, elle produisit deux témoins, soit Mme Natasha Labonté, la plaignante, et M. Éric Beauchamp.

8-      Le tribunal ne retient que les éléments de preuve suivants comme pertinents pour décider de l’objection, soit:

-        Mme Natasha Labonté travaille à titre de policière pour la Ville et est membre de la Fraternité.

-        Elle a été en congé sans solde du 1er janvier 2007 au 28 juillet 2012;

9-     Par la suite, l’audition fut ajournée au 19 novembre 2013;

10- Le 19 septembre 2013, le Comité de retraite, par un vote majoritaire de ses membres, refusait la proposition de résolution à l'égard du rachat des années de service de la Plaignante en ces termes (extraits) :

4.         VARIA

a)            Demande de rachat de service de Madame Natacha Labonté

Il est proposé par monsieur Éric Beauchamp, appuyé par monsieur Jean Bourdeau, que malgré la difficulté à déterminer les faits réels, ce Comité de retraite accepte que madame Natacha Labonté puisse maintenir sa participation au Régime de retraite des policiers de la Ville de Gatineau durant une période de congé sans solde dont elle a bénéficié antérieurement et qu'on lui permette de verser les cotisations « employé   employeur » requises afin de se faire créditer le service correspondant à la période totale de congé sans solde ; soit du 1er janvier 2007 au 28 juillet 2012 (5.6154 années).

(…)

La proposition de résolution est rejetée puisqu'elle n'obtient pas l'appui de la majorité des membres du Comité de retraite.

11-  Le 19 novembre 2013, la Fraternité demande la remise de l'audience en regard des faits nouveaux portés à sa connaissance. La Fraternité a alors convenu de transmettre sa position dans les jours à venir et il fut convenu que les parties soumettraient une argumentation écrite sur le moyen préliminaire soulevé par la Ville, le cas échéant;

12- Par la suite, les parties ont confirmé que l'argumentation de part et d'autre serait transmise par écrit, et de fait, le soussigné reçut les plaidoiries respectives le 16 décembre 2013;

13-  Le soussigné croit bon de reproduire les représentations des parties :

 

 

Plaidoirie patronale

14- «  LA QUESTION EN LITIGE

L'arbitre de grief a-t-il compétence dans le présent dossier? Avec égards, la Ville répond par la négative à cette question.

            LE CADRE NORMATIF

La convention collective

15.   La convention collective 5-1 liant la Ville et la Fraternité prévoit ce qui suit à

l'égard du régime de retraite :

« 40. 1 La Ville s'engage à maintenir en vigueur les dispositions du régime de retraite convenues dans le cadre de l'harmonisation des régimes.

40.2 Tout changement au régime de retraite subséquent à la date de signature de la convention collective devra faire l'objet d'un accord mutuel entre la Ville et la FPPG. »

  Le Règlement numéro 437-2007

16.   Tel que mentionné précédemment, la Fraternité invoque seulement l'article 8.1 du règlement numéro 437-2007 concernant le régime de retraite des policiers de la Ville de Gatineau (S-3) à l'appui de son grief. Celui-ci se libelle ainsi:

« 8. 1 [. ..] si aucun salaire n'est payé durant ces périodes, les cotisations cessent et les périodes en cause ne comptent pas pour le calcul de la prestation de retraite.

Nonobstant ce qui précède,

[. ..]

b) Pendant une période de congé sans solde, autre qu'un congé prévu en a) ci-dessus ou en vertu de toute loi pertinente, un participant peut se faire reconnaître cette période pour les fins du calcul de sa rente créditée à la condition qu'il verse à la caisse la somme requise afférente à cette période.

La somme requise à verser à l'égard de cette période est exclusivement à la charge du participant. Cette somme est égale au produit :

[. ..]

Le participant qui désire se faire reconnaître cette période pour les fins du calcul de sa rente créditée doit en informer le comité de retraite avant le début de son congé. La somme requise doit être payée, au moyen d'un ou plusieurs versements, à la caisse de retraite du régime pendant ou après la période de congé (la période de versements ne peut toutefois être supérieure à la durée de la période de congé). »

                         La Loi sur les régimes complémentaires de retraite

17.   La Loi sur les régimes complémentaires de retrait (L.R.Q., c. R- 15.1) quant à elle, précise :

« 147. Tout régime de retraite doit, à compter de son enregistrement, être administré par un comité de retraite composé au moins d'un membre qui, désigné dans les conditions et délais prévus au régime, n'est ni partie au régime ni un tiers à qui l'article 176 interdit de consentir un prêt, et des membres suivants:

1 ° un membre désigné par les participants actifs lors de l'assemblée tenue en application de l'article 166 ou, à défaut de telle désignation, un participant désigné dans les conditions et délais prévus au régime;

un membre désigné par les participants non actifs et les bénéficiaires lors de cette assemblée ou, à défaut de telle désignation, un participant ou un bénéficiaire désigné dans les conditions et délais susmentionnés.

1989, c. 38, a. 147; 2000, c. 41, a. 85.

150. Sauf dans le cas d'un régime de retraite garanti, le comité de retraite agit à titre de fiduciaire.

  1989, c. 38, a. 150 .

150.1        Le comité de retraite peut, en tout temps, présenter à celui qui a le pouvoir de modifier le régime de retraite ses recommandations quant aux modifications qui pourraient être apportées au régime.

  2000, c . 41 , a . 87.

151.           Le comité de retraite doit agir avec prudence, diligence et compétence, comme l e ferait en pareilles circonstances une personne raisonnable; il doit aussi agir avec honnêteté et loyauté dans le meilleur intérêt des participants ou bénéficiaires.

 

Les membres du comité de retraite qui ont ou devraient avoir, compte tenu de leur profession ou de leur entreprise, des connaissances ou aptitudes utiles en l'occurrenc e , sont tenus de les mettre en œuvre dans l'administration du régime de retraite.

  1989, c. 38, a. 151 »

            L'ARGUMENTATION

18. La Ville soutient que l'arbitre de grief n'a pas compétence en l'instance pour les raisons suivantes :

Le grief n'allègue aucune contravention à la convention collective.

L'arbitre de grief ne détient pas de compétence matérielle pour rendre l'ordonnance demandée.

Le Comité de retraite a déjà tranché la question posée.

19.   Afin d'étayer cet argumentaire, voyons chronologiquement la jurisprudence pertinente et ensuite, son application au présent dossier :

La jurisprudence

Société Abestos Limitée c. Charles Lacroix et Régie des rentes du Québec et Compagnie d'assurance Standard Lite, 2004T-954 (C.A)

20.   Dans cette affaire, le demandeur, au nom de tous les bénéficiaires d'un régime de retraite, a intenté un recours collectif contre son employeur, administrateur du régime. En bref, le demandeur reprochait à son employeur d'avoir transféré des sommes accumulées dans la caisse de retraite à un fonds du marché monétaire. Selon lui, cette décision entraînait des pertes pour les bénéficiaires;

21.   L'employeur prétendait que la Cour supérieure n'avait pas compétence, car il s'agissait d'un recours découlant de la convention collective;

22.   Dans son analyse, la Cour d'appel rappelle le modèle de la compétence exclusive du tribunal d'arbitrage utilisé par le juge de première instance :

« [28] La Cour supérieure n'est pas compétente si l'essence du litige découle expressément ou implicitement de la convention collective. L'appelante plaide que les parties à la convention collective ont convenu que le régime est administré par l'employeur. Elles en ont fait une obligation contractuelle, donc le litige relèverait de la convention collective. En outre, elle estime que le juge d'instance a erré lorsqu'il a écarté l'article 27.8 de la convention collective [24], et ce, contrairement à la jurisprudence qui reconnaît la validité d'une telle stipulation.

[29] À mon avis, le litige, «considéré dans son essence [25]», ne résulte pas de la convention collective, ni expressément ni i mplicitement. Le juge de première instance a correctement exposé les faits quant au litige et son cheminement analytique est sans faille. Il écrit :

[17] Bref, l'on doit comprendre que selon la Cour suprême, le modèle de la compétence exclusive du tribunal d'arbitrage n'écarte aucunement «la compétence de droit commun de la Cour supérieure» et sa «compétence résiduelle fondée sur ses pouvoirs particuliers». Le modèle de la compétence exclusive du tribunal d'arbitrage prévaudra seulement s'il s'inscrit dans le contexte et la démarche que propose par ailleurs la Cour suprême. Cette démarche peut se résumer ainsi:

-    La seule existence d'une relation d'emploi n'accorde pas à l'arbitre la compétence d'entendre et de juger un litige [26];

-    Le fondement des questions juridiques que soulève le litige ou la façon dont elles sont formulées n'a pas à être pris en considération [27];

-    Seul un litige dont l'essence résulte expressément ou implicitement de la convention collective échappe aux tribunaux [28];

-    Pour déterminer si un litige résulte expressément ou implicitement de la convention collective, deux aspects sont considérés:

> L'examen des faits du litige qui oppose les parties visant ainsi à en déterminer l'essence:

> L'examen du champ d'application de la convention collective, plus particulièrement l'examen de ses dispositions, «afin de déterminer si elle prévoit des situations factuelles de ce genre», sans qu'il soit nécessaire que l'objet du litige y soit prévu explicitement. »

23.   De plus, la Cour d'appel rappelle que l'inclusion d'un tiers à la convention constitue une exception :

« [41] [. ..] Deuxièmement, le tribunal conclut que la compétence de l'arbitre doit s'étendre exceptionnellement aux participants non visés par la convention collective en raison des droits que ceux-ci ont en vertu de la convention collective. Ainsi, l'assujettissement des tiers doit être considéré comme l'exception et non la règle. »

Société Radio - Canada et Association des réalisateurs. 2005T-268 (T.A. - Serge Brault)

24.   Dans cette affaire, le syndicat réclamait le rachat d'années de service aux fins du régime de retraite pour des employés contractuels devenus employés réguliers à l'entrée en vigueur de la nouvelle convention collective;

25.   L'employeur a soumis une objection quant à la compétence de l'arbitre;

26.   Afin de déterminer s'il a compétence, l'arbitre rappelle d'abord son rôle devant une telle objection soit : « identifier, définir, la nature du litige dans son essence et ensuite, voir si quelque lien le rattache au champ de la convention collective. (Par. 51);

27.   Il détermine que l'essence du litige est le rachat de service passé (Par. 63);

28.   Ensuite, il conclut que l'essence du litige ne concerne pas expressément ou implicitement la convention collective (Par. 67) . Il précise :

« [71] Cela dit, quel que soit le profil d'une entreprise, juridiquement, le problème revient toujours à déterminer si ponctuellement l'arbitre de grief a compétence pour trancher une question lorsque, par exemple, un bénéfice d'assurance, ou de retraite, est nié et que le bien-fondé du geste dépend de l'interprétation ou de l'application, par exemple, d'une police d'assurance. Dans ce cas, le fait que la convention collective prévoie des bénéfices d'assurances, ou de retraite, n’est jamais suffisant pour conférer juridiction à l'arbitre.

[72] En effet, pour poursuivre sur l'exemple d'un bénéfice d'assurance, en présence d'un employé qui se prétend victime d'une application erronée ou capricieuse du régime d'assurance collective qui est le sien, on voudra que le jugement à intervenir tranche le litige d'une manière qui soit juridiquement valide et donc exécutoire. Toutefois, pour qu'une sentence arbitrale atteigne un tel résultat, et donc que l'instance arbitrale soit compétente, il faut qu'il v ait rattachement juridique entre le régime juridique extrinsèque qui définit et encadre le bénéfice en litige et la convention collective. Seul un tel rattachement permet en effet à l'arbitre de se saisir et de décider d'une question d'interprétation ou d'inexécution d'une disposition contractuelle qui n'est pas dans la convention collective.

[. . .]

[81] La solution à ce litige passe obligatoirement par l'interprétation et l'application du Régime dont le grief demande, d'une part, au Tribunal d'interpréter une disposition avant, d'autre part, de déclarer qu'elle s'applique au rachat demandé.

[. ..]

[92] Vu ce qui précède, nous en venons à la conclusion qu'il n'y a dans la convention collective pertinente, ni implicitement ni expressément, aucune disposition dont l'interprétation, l'application, l'administration ou /'exécution permettrait de résoudre ce que nous avons identifié comme étant l'essence du litige, à savoir le rachat réclamé. La question se situe essentiellement dans le texte du Régime. »

Bisaillon c. Université Concordia [20061 1 R.C.S. 666

29.   Un salarié syndiqué a déposé une demande d'autorisation d'exercer un recours collectif contre son employeur contestant des décisions concernant l'administration et l'utilisation de la caisse de retraite;

30.    Le syndicat a soulevé le défaut de compétence de la Cour supérieure en la matière. La Cour suprême retient que c'est l'arbitre de grief qui a compétence en l'espèce;

 

31.   . La Cour suprême mentionne que l'arbitre de grief n'a pas compétence à l'égard des tiers à la convention collective sauf exceptionnellement:

« [40] Lorsque l'arbitre de griefs se trouve dans l'impossibilité de régler le litige ou une partie du litige qui lui est soumis, du fait qu'il n'a pas compétence sur les parties, les tribunaux de droit commun conservent alors compétence sur le litige (Gagnon, p. 547). Une telle situation est susceptible de se présenter lorsque l 'arbitre de griefs ne peut prétendre avoir autorité sur des personnes considérées comme des tiers par rapport à la convention collective et qu’il ne saurait prononcer des conclusions à l'encontre de ces derniers. Cependant, rien n'empêche des tiers de se soumettre volontairement et expressément à la compétence d'un arbitre de griefs et de lui donner ainsi compétence : Syndicat canadien de la fonction publique c. Société Radio-Canada, 1992 CanLI/ 108 (CSC) , [1992] 2 R. C.S. 7. »

32.   De plus, les juges majoritaires soulignent que dans le cas qui leur est soumis, l'arbitre de grief possède la compétence matérielle pour trancher le litige :

« [50] Par ailleurs, en ce qui concerne l'aspect matériel du litige, la compétence de l'arbitre de chacune des conventions collectives de Concordia est établie en l'espèce. Les faits allégués dans la requête de l'intimé Bisai/Ion, c'est-à-dire les modifications unilatérales apportées au Régime de retraite par l'employeur et le problème de leur validité, se rattachent à tout le moins implicitement peut-être même expressément. à ces conventions collectives et à leur application. »

Syndicat des professeures et professeurs de l'Université de Sherbrooke et Université de Sherbrooke, 2007T-442 (T.A. - Jean-Pierre Lussier)

33.   Dans cette décision, le syndicat a déposé un grief contestant des modifications faites au régime de retraite sans consultation des participants. Le grief recherchait des conclusions à l'égard de l'employeur et du comité de retraite;

34.   Le comité de retraite soutient que l'arbitre n'a pas compétence pour rendre une ordonnance à son endroit;

35.   L'arbitre soulève les dispositions législatives relatives aux comités de retraite et précise les éléments à retenir dans l'application de celles-ci :

« [16] En ce sens, il est exact de dire que le comité de retraite est un organisme auquel réfère la convention collective. Mais ce n'est pourtant pas un organisme créé par les parties.

[17] Il s'agit plutôt d'un organisme créé par la L oi. À son article 147, la Loi exige qu'un régime de retraite soit administré par un comité de retraite. La composition minimale de ce comité est également prévue par cette disposition législative. On y retrouve au moins un membre désigné par les participants actifs, un membre désigné par les participants non actifs et un membre qui n'est pas partie au régime.

[18] L'article 149 prévoit a contrario qu'après l'enregistrement du régime de retraite, l'Employeur ne peut plus administrer le régime.

[19] L'article 150 prévoit que le comité de retraite agit comme fiduciaire et l'article 150.1 qu'il peut, en tout temps, présenter à celui qui a le pouvoir de modifier le régime de retraite, ses recommandations quant aux modifications qui pourraient être apportées » (nos soulignés)

36.   Il soutient ensuite que le comité de retraite est un tiers à la convention collective :

« [22] Je suis tout à fait d'accord avec Me Sylvestre sur la qualité de tiers du comité de retraite . Ce n'est pas parce que certains de ses membres sont nommés par l'Université qu'ils doivent allégeance à l ’Université. La Loi assure l'indépendance du comité de retraite. Pas plus qu'un juge de la Cour supérieure nommé par le gouvernement fédéral représente ce dernier, pas plus qu'un arbitre de griefs désigné par le ministre du Travail ne représente celui-ci, le membre du comité de retraite ne représente pas celui qui le nomme. Il agit en toute indépendance et dans le meilleur intérêt des participants et bénéficiaires du r égime.

[23] Et ce n'est pas parce que le régime de retraite constitue une condition de travail prévue à la convention collective et que le comité y est nommément mentionné que celui-ci n'est plus un tiers ou encore perd son indépendance à l'égard de quelque partie liée par la convention collective.

[. ..]

[29] Mais, comme je l'ai déjà souligné, le comité de retraite n'est pas un mandataire ni de l'Université, ni du Syndicat. Il détient son autorité et sa propre compétence de la Loi seule. Ses membres, indépendamment de qui est à la source de leur nomination, n'ont aucun devoir d'allégeance envers l'Université ou le S syndicat. Ils sont des fiduciaires, non des mandataires. »

37.   Par ailleurs, soulignant que, citant la décision BisailIon c. Université Concordia, l'arbitre précise que les juges majoritaires de la Cour suprême ont déterminé que ce n'était qu'exceptionnellement que l'arbitre avait compétence à l'égard des tiers, soit s'ils s'y soumettent volontairement et expressément (Par 26 et 27) ;    

Syndicat des chauffeurs d'autobus du Réseau de transport de Longueuil et Réseau de transport de Longueuil. 2011T-583 (T.A. - Pierre Laplante)

38.   Cette décision porte sur l'arbitrabilité d'un grief concernant l'interprétation et l'application d'un régime de retraite;

39.   L'employeur alléguait que la décision contestée visait le comité de retraite, lequel est étranger à la convention collective;

40.   Dans cette affaire, la convention collective ne traitait pas des aspects du grief et l'arbitre a considéré que la question soumise relevait du comité de retraite :

« [22] Les décisions quant à l'application de ce régime supplémentaire de retraite ne relèvent pas des parties et la convention collective n'en traite nullement. En fait, ces décisions relèvent exclusivement du comité de retraite.

[23] Le comité de retraite agit comme fiduciaire. De ce fait, le comité de retraite a le devoir d'agir avec prudence, diligence et compétence. L'article 151 de la Loi sur les régimes complémentaires de retraite nous dit également que le comité de retraite doit agir avec honnêteté et loyauté dans le meilleur intérêt des participants ou bénéficiaires. [. . .] »

41.   L'arbitre souligne l'indépendance du comité de retraite par rapport aux parties liées à la convention collective :

« [24) Force nous est donc de constater que le comité de retraite a sa propre existence l égale.

[25) Le régime de retraite susmentionné est administré par un comité de retraite indépendant des parties à la convention collective, c'est-à-dire indépendant de l'employeur et du syndicat.

[26) Le comité de retraite n'est pas partie à la convention collective et n'a pas déclaré se soumettre à la convention collective.

[27) Le comité de retraite n'est pas né de la volonté des parties mais de la volonté du législateur qui, à l 'article 14 7 de la Loi sur les régimes complémentaires de retraite, a prévu spécifiquement que tout régime de retraite enregistré doit être administré par un comité de retraite.

[28) Ni l'employeur, ni le syndicat n'administre ce régime de retraite. De façon plus spécifique, dans la présente affaire la décision contestée en est une du comité de retraite et non pas une du Réseau de Transport de Longueuil, i.e. de l'employeur. »

42.   L'arbitre évalue ensuite sur quelle base, à la lecture de la convention collective, il pourrait se saisir d'un litige concernant les régimes de retraite. Il conclut que le grief en litige ne concerne pas ces matières :

« [29) Certes, le Tribunal d'arbitrage pourrait intervenir dans l'interprétation et l'application des dispositions de la convention collective qui traitent du régime de retraite comme, par exemple, sur l'obligation de tout salarié qui a terminé sa période de probation de faire partie du régime de retraite ou, encore, sur une question portant sur les pourcentages de salaire que doivent respectivement verser les salariés et l'employeur . Il en est ainsi parce que les parties à la convention collective ont expressément prévu l'obligation d'adhérer au régime de retraite et ont précisé leurs obligations respectives quant au pourcentage à être versé à titre de cotisations au régime. Pour le reste, le comité de retraite n'est pas une partie liée à la convention collective et il ne s'est pas soumis à la compétence de l'arbitre. Ses actions échappent au contrôle arbitral. »

L'application au cas d'espèce

43.   Avant d'appliquer les dispositions normatives pertinentes et la jurisprudence au dossier qui nous occupe, rappelons les trois arguments qui fondent la prétention de la Ville sur le défaut de compétence de l'arbitre :

             Le grief n'allègue aucune contravention à la convention collective

L'arbitre de grief ne détient pas de compétence matérielle pour rendre l'ordonnance demandée

Le Comité de retraite a déjà tranché la question posée

44.   D'abord, à sa face même, le grief ne réfère aucunement à la convention collective;

45.   Suivant les enseignements de la Cour suprême dans l'affaire Weber ( [1995] 2R.C.S. 929 ) citée dans les décisions précitées, l'arbitre aura compétence si l'essence du litige se retrouve expressément ou implicitement dans la convention collective;

46.   Pour ce faire, il doit considérer (1) l'examen des faits du litige qui oppose les parties et (2) l'examen du champ d'application de la convention collective;

47.   En l'espèce, le syndicat ne fait référence qu'à l'article 8.1 du Règlement numéro 437-2007, lequel n'est pas incorporé à la convention collective;

48.   En effet, aucune clause ou annexe de la convention collective n'y fait référence;

49.   La Ville soutient que l'arbitre n'a pas la compétence matérielle pour se saisir du grief;

50.   De plus, le seul décideur intéressé à la question du rachat des années aux fins du régime de retraite est le Comité de retraite sans égard aux parties liées par la convention collective;

51.   L'arbitre ne peut se substituer à celui-ci ou le contraindre à rendre une décision;

52.   En effet, tel que démontré avec la jurisprudence précitée, le Comité de retraite, fiduciaire du régime de retraite, a sa propre existence légale et demeure un tiers à la convention collective;

53.   Le Comité de retraite a déjà disposé de la demande, le 19 septembre 2013, tel qu'il est habilité à le faire;

54.   De plus, le contrôle des décisions du Comité de retraite ne relève pas de l'arbitre;

55.   Par ailleurs, nous soulignons au passage que le grief lui-même reconnaît le non­ respect de l'article 8.1.

                          CONCLUSION

56.   Pour tous les motifs énoncés précédemment, nous vous demandons d'accueillir le moyen préliminaire et de déclarer que l'arbitre n'a pas compétence pour se prononcer sur le grief 2012-04. » 

La plaidoirie syndicale

Pour sa part, le procureur syndical soumit l’argumentaire suivant :

57.   « L'arrêt Bisaillon la Cour suprême du Canada nous enseigne la méthode analytique en deux étapes afin de déterminer la compétence de l'arbitre de grief. (Université Concordia c. Bisaillon 2006 CanLII 16470 (CSC) .)La Cour Suprême s'exprimait ainsi :

« (31) La première étape de cette méthode consiste donc à déterminer l'essence du litige. À ce sujet, la Cour a souligné qu'il ne faut pas chercher uniquement à déterminer la nature juridique du litige. Au contraire, l'analyse doit aussi porter sur l'ensemble des faits entourant le litige qui oppose les parties;

(32) À la deuxième étape, il s'agit de vérifier si le contexte factuel dégagé entre dans le champ d'application de la convention collective. En d'autres termes, il faut déterminer. Si la convention collective vise implicitement ou explicitement les faits en litige. »

58.   Dans le cas qui nous occupe, c'est l'application des dispositions du règlement sur les régimes de retraite adopté par l'employeur qui est la source du litige. Nous sommes d'avis que la convention collective vise explicitement cette matière aux paragraphes 40.1 et 40.2 de la convention collective (pièce S-2) :

« 40.1 La ville s'engage à maintenir en vigueur les dispositions du régime de retraite convenues dans le cadre de l'harmonisation des régimes.

59.   La Ville est responsable du maintien en vigueur des dispositions du régime. Elle doit s'assurer de l'effectivité des dispositions applicables pour les travailleurs, puisqu'il s'agit d'une condition de travail pour laquelle elle s'est engagée contractuellement.

60.   La possibilité pour Mme Labonté de racheter les années pour lequel elle a été en congé sans solde est une condition de travail prévue à l'article 8.1 b) des dispositions du régime de retraite :

"8.1 b) pendant une période de congé sans solde, autre qu'un congé prévu en a) ci-dessus ou en vertu de toutes loi pertinente, un participant peut se faire reconnaître cette période pour les fins du calcul de sa rente créditée à la condition qu'il verse à la caisse la somme requise afférente à cette période. "

61.   Il n'existe aucune discrétion du comité de retraite dans la prise de décision de rachat. Il faut donc conclure que la disposition du règlement sur le régime de retraite constitue une condition de travail négociée. Il s'agit donc d'une obligation contractuelle dont les parties soit l'employeur et le syndicat.

62.    A cet égard, la Cour supérieure dans la décision Association des retraités provinciaux d'Hydro-Québec c. Hydro-Québec ( Assoc. provinciale des retraités d'Hydro-Québec c. Hydro-Québec, 2002 CanLII 570 (QC CS) ), nous rappelait que :

"(125) Premièrement, si le régime constitue un contrat, les premières parties demeurent l'employeur, qui s'engage à garantir des bénéfices à ses employés, et les participants principalement les employés actifs et, par la suite, ceux devenus retraités. Le tribunal ne peut juger d'engagements contractuels en l'absence d'une ou plusieurs parties."

63.   En appel de cette décision la Cour d'Appel (Association provinciale des retraités d'Hydro-Québec c. Hydro-Québec, 2005 QCCA 304 (CanLI I) ), réitérait le principe en s'exprimant ainsi:

"(43) Lorsque le salarié œuvre en milieu syndiqué, puisque les droits individuels sont écartés en présence d'une convention collective (Hémond c. Coopérative fédérée du Québec 1989 2 R.C.S 962 p. 975), le contenu du contrat qui naît de la mise sur pied d’un régime de retraite (art. 6 L.R.C.R) est comme les autres aspects du contrat de travail négocié dans un cadre collectif impliquant uniquement l'employeur et le syndicat (Dayco (canada) Ltd c. T C.A-Canada (1993) 2 R.C.S 230 , ci-après l'arrêt Dayco. »

64.   Dans l'arrêt Singer ( Tsco of Canada Ltée c. Châteauneuf, 1995 CanLII 5271 (QC CA) ), la Cour écrivait p.675 :

' Quels que soient son mode de création et ses modalités, un régime de retraite est considéré comme un élément des conditions de travail de l'employé. Obligatoire ou facultative, la participation offerte constitue un élément de la contrepartie proposée à l'employé pour l'exécution de sa prestation de travail. Elle s'insère dans la relation de travail de l'employé. '

65.   Le refus de permettre à Mme Natacha Labonté est donc une atteinte à ses conditions de travail. Elle doit donc procéder par grief pour faire respecter ses conditions de travail. Dans l'arrêt Bisaillon précité la Cour Suprême (p.687) mentionnait :

'Enfin dans l'affaire Emerson Electric Canada ltée c. Foisy (2006) 50 C. C.P.B 287, 2006 QCCA 12 , la cour d'appel a accepté la jurisprudence dominante selon laquelle les questions relatives à un régime de retraite incorporé à la convention collective découlent, à tout le moins de façon implicite, de la convention collective (par.4) Dans cette affaire comme dans celles que je mentionnais aux paragraphes précédents, la convention collective stipulait notamment que l'employeur devait continuer d'offrir le régime de retraite pendant une période indéterminée. Une stipulation ou en renvoi de cette nature dans la convention collective suffit pour asseoir la compétence de l'arbitre à l'égard d'un litige sur l'interprétation ou l'application du régime de retraite. '

66.   Il concluait (p.694)

                        '15.03 Régime de retraite

a) L'employeur accepte de maintenir la protection et les avantages qu'offre aux employés le régime de retraite actuellement en vigueur, selon les conditions générales fixées par le comité de retraite du conseil d'administration.

En vertu de ces dispositions, Concordia s'était engagé auprès des syndicats à offrir aux salariés visés le régime de retraite selon les conditions de celui-ci. Les syndicats ont ainsi obtenu certaines assurances quant au maintien du régime et à l'admissibilité des salariés qu'ils représentent. En fait, les parties ont décidé d'inclure les conditions d'application du régime de retraite dans la convention collective. Dans ce contexte l'employeur n'était pas dans une position d'un tiers comme un assureur fournissant une prestation d'assurance proposée par les parties à la convention collective. Au contraire, Concordia semblait conserver le contrôle effectif de l'administration du Régime de retraite, tout en s'engageant au moins implicitement, à respecter divers droits et obligations prévus par ce régime ou découlant des lois qui s'y appliquent. De ce fait, elle reconnaissait aussi la compétence personnelle et matérielle de l'arbitre. »

67.   Tout comme dans le dossier de l'Université Concordia, la preuve révèle que l'employeur a conservé le contrôle effectif de l'administration du régime. Les membres du comité de retraite n'ayant que peu de réunions et n'étant jamais consultés sur des questions relatives au rachat par exemple.

68.   Il faut alors conclure que Mme Labonté pouvait effectuer le rachat. Cette modalité du régime de retraite est une de ces conditions de travail. L'employeur n'a pas respecté les dispositions du régime de retraite, notamment l'article 8.1 dudit régime. L'employeur qui effectuait la gestion du régime ne peut aujourd'hui prétendre qu'il ne connaissait pas l'intention de Mme Labonté de racheter des années puisqu'elle avait même débuté le paiement de son régime de retraite pendant son congé sans solde.

69.   L'employeur effectuant au bénéfice du comité de retraite la gestion dudit régime, l'employeur se trouvait alors mandataire du comité de retraite. Un avis donné à l'employeur constituait donc en vertu des règles du mandat, un avis transmis au comité de retraite.

70.    Par conséquent, l'ensemble des conditions rempli, l'employeur ne pouvait empêcher, de quelque façon que ce soit, un salarié de bénéficier d'une de ses conditions de travail. Le régime de retraite étant une composante de la rémunération et des conditions de travail d'un salarié selon la Cour Suprême. (Cunnigham c. Wheeler (1994) 1 R.C.S 359 )) Ce grief a pour objectif de contester la décision initiale de l'employeur de refuser d'accorder à Madame Labonté la possibilité d'effectuer un rachat des années pour lesquels elle était en congé sans solde.

71.   Cette décision de l'employeur, sans fondement, est une décision qui est relative aux conditions de travail et qui est par conséquent, contestable par voie de grief puisqu'elle répond aux critères de la méthode analytique enseignée dans Weber.

72.   Pour ces motifs, nous vous demandons de rejeter le moyen préliminaire soulevé et d'accueillir le grief. »

Analyse et décision

73.   Une des pierres d’assise de l’argumentaire du procureur de la Fraternité repose sur la prémisse que le régime de retraite est incorporé à la convention collective par référence, et que par conséquent l’arbitre de grief a compétence sur tout grief alléguant une mésentente sur l’application ou l’interprétation du régime de retraite.

 

74.   Qu’en est-il de la question de l’incorporation par référence du régime de retraite dans la convention collective?

 

75.   Le procureur de la Fraternité s’appuie principalement sur l’arrêt Bisaillon de la Cour suprême du Canada, où l’honorable juge LeBel se prononce pour la majorité.

 

 

53    Par ailleurs, la convention collective qui liait M. Bisaillon au moment le juge a entendu la demande, comportait la stipulation suivante :

[TRADUCTION]

15.03 Régime de retraite

a) L'employeur accepte de maintenir la protection et les avantages qu'offre aux employés le régime de retraite actuellement en vigueur, selon les conditions générales fixées par le comité de retraite du conseil d'administration.

54    En vertu de ces dispositions, Concordia s'était engagée auprès des syndicats à offrir aux salariés visés le Régime de retraite selon les conditions de celui-ci. Les syndicats ont ainsi obtenu certaines assurances quant au maintien du régime et à l'admissibilité des salariés qu'ils représentent. En fait, les parties ont décidé d'inclure les conditions d'application du Régime de retraite dans la convention collective . Dans ce contexte, l'employeur n'était pas dans la position d'un tiers comme un assureur fournissant une prestation d'assurance proposée par les parties à la convention collective. Au contraire, Concordia semblait conserver le contrôle effectif de l'administration du Régime de retraite, tout en s'engageant, au moins implicitement, à respecter divers droits et obligations prévus par ce régime ou découlant des lois qui s'y appliquent. De ce fait, elle reconnaissait aussi la compétence personnelle et matérielle de l'arbitre de griefs. (Les soulignements sont de l’auteur de ce texte sauf ceux du paragraphe 52 qui sont du juge LeBel)

 

76.   Il est à noter que Concordia acceptait « de maintenir la protection et les avantages qu'offre aux employés le régime de retraite actuellement en vigueur, selon les conditions générales fixées par le comité de retraite du conseil d'administration . »

 

77.    Or ces conditions générales du Régime étaient déterminées par l e comité de retraite du conseil d’administration de l’Université même . De toute évidence les « conditions générales » du régime étaient fixées par l’employeur, et n’étaient pas le fruit de la négociation collective.

 

78.   Il ne faut donc pas se surprendre de la conclusion de la Cour suprême au par. 54 ci-haut :

 

« Dans ce contexte, l'employeur n'était pas dans la position d'un tiers comme un assureur fournissant une prestation d'assurance proposée par les parties à la convention collective. Au contraire, Concordia semblait conserver le contrôle effectif de l'administration du Régime de retraite… »

 

    «… en fait, les parties ont décidé d'inclure les conditions d'application du Régime de retraite dans la convention collectiv e ».

 

79.   Or dans le présent cas, le texte de l’article 40.1 de la convention collective entre la Ville et la Fraternité a une portée plus restreinte que celle contenue dans la convention collective de Concordia. Dans notre cas, ce à quoi la Ville s’engage, c’est «de maintenir en vigueur les dispositions du régime de retraite convenues dans le cadre de l’harmonisation des régimes. »

 

80.   En l’espèce, une analyse de la convention collective permet de constater qu’aucune de ses dispositions n’y incorpore à proprement parler le Régime. On ne peut non plus voir à l’article 40.1 une inclusion par renvoi du Régime dans la convention. Il s’agit plutôt en vérité d’une simple référence identifiant de quel régime il s’agit.

 

81.   Cette disposition ne peut raisonnablement permettre de penser que les parties ont voulu inclure le Régime par renvoi à la convention collective. L’examen de l’ensemble de la convention collective nous amène à conclure que le texte du Régime n’y est pas intégré à celle-ci.

 

82.   En d’autres mots, une simple mention du régime de retraite dans la convention collective (du type de celle contenue à la Convention collective S-2) ne suffit pas à incorporer le régime de retraite dans la convention collective.

 

83.   En l’absence d’incorporation du régime de retraite à la convention collective, l’arbitre de grief ne peut que conclure qu’il n’a pas compétence matérielle pour se saisir du grief et pour ce seul motif faire droit à l’exception déclinatoire soumise par la Ville.

 

84.   Par ailleurs, même si j’en étais venu à la conclusion que le régime de retraite était incorporé à la convention collective, ma conclusion aurait été la même.

 

85.   En fait, ce que me demande la Fraternité par son grief, c’est d’ordonner à la Ville de permettre un rachat selon l’interprétation qu’elle donne à l’article 8.1 du règlement du régime de retraite.

 

86.   Avec respect, la Ville n’a pas un tel pouvoir, et n’a pas la responsabilité d’administrer le régime de retraite et par tant le soussigné ne peut pas agir dans le sens réclamé par la Fraternité.

 

87.   Comme l’administration du régime de retraite incombe au Comité de retraite, et non à la Ville, il faudrait que l’arbitre ordonne au Comité de permettre à la plaignante de procéder à un rachat.

 

88.   En effet, comme le souligne à bon droit la Ville, en vertu de la Loi sur les régimes complémentaires de retraite, l’administration du régime revient au comité de retraite établi selon les dispositions prévues au régime, ( art. 147 de ladite loi), lequel doit agir à titre de fiduciaire (art. 150. de la loi), et doit le faire « avec prudence, diligence et compétence, comme le ferait en pareilles circonstances une personne raisonnable; il doit aussi agir avec honnêteté et loyauté dans le meilleur intérêt des participants ou bénéficiaires. » (Art. 151 de la loi).

 

89.   Dans le cas présent, la Fraternité prétend que l’Employeur ne respecte pas le règlement 8.1 du régime de retraite en vigueur en refusant la possibilité de rachat de périodes d’années de service pendant un congé sans solde, alors que l’Employeur, selon la loi, n’a pas l’autorité légale pour ce faire.

 

90.   La convention collective ne prévoit pas la possibilité de rachat des années de service. La plaignante ne pouvait donc réclamer cette possibilité qu’en vertu du régime de retraite en vigueur. Si le régime de retraite était incorporé à la convention collective, (ce qui n’est pas le cas en l’espèce), l’arbitre de grief, selon la loi des régimes complémentaires de retraite, n’a pas plus compétence pour administrer le régime. Or ce qui est visé par le grief touche essentiellement à l’administration du régime, une responsabilité qui est confiée par la loi au comité de retraite.

 

91.   L’administration du Régime relève exclusivement du comité de retraite et l’arbitre de grief n’a pas la compétence de contrôler ses décisions en l’absence d’une disposition de la convention collective à l’effet contraire. En l’espèce, la question soumise est liée à l’application et l’administration du Régime.

 

92.   Dans l’affaire Syndicat canadien de la fonction publique, section locale 1754 et TIRU (Canada) inc. ( AZ-02141035 , D.T.E. 2002T-153 .) l’arbitre Me André Sylvestre a accueilli une objection préliminaire relative à la compétence de l’arbitre au motif que ce dernier est sans compétence pour décider d’un litige relatif à l’administration du régime de retraite.

 

93.   Dans cette affaire, même si l’arbitre Sylvestre constate que le régime de retraite fait partie intégrante de la convention collective, il reconnaît cependant que le comité de retraite seul est responsable de l’administration du régime de retraite selon la loi et les termes du régime de retraite.

 

94.    Il déclare qu’il n’a pas compétence pour décider du litige puisque le comité de retraite est un tiers qui ne peut être impliqué directement ou indirectement dans le grief visé.

 

95.   En ce sens j’endosse complétement ce point de vue et également les propos suivants de Me Lussier d dans l’affaire, Syndicat des professeures et professeurs de l'Université de Sherbrooke et Université de Sherbrooke, 2007 T-442 (T.A ) :

 

« [16] En ce sens, il est exact de dire que le comité de retraite est un organisme auquel réfère la convention collective. Mais ce n'est pourtant pas un organisme créé par les parties.

 

[17] Il s'agit plutôt d'un organisme créé par la Loi. À son article 147, la Loi exige qu'un régime de retraite soit administré par un comité de retraite. La composition minimale de ce comité est également prévue par cette disposition législative. On y retrouve au moins un membre désigné par les participants actifs, un membre désigné par les participants non actifs et un membre qui n'est pas partie au régime.

 

[18] L'article 149 prévoit a contrario qu'après l 'enregistrement du régime de retraite, l 'Employeur ne peut plus administrer le régime.

 

[19] L'article 150 prévoit que le comité de retraite agit comme fiduciaire et l'article 150. 1 qu'il peut, en tout temps, présenter à celui qui a le pouvoir de modifier le régime de retraite, ses recommandations quant aux modifications qui pourraient être apportées »

 

Et il conclut de plus que le comité de retraite est un tiers à la convention collective :

 

« [22] Je suis tout à fait d'accord avec Me Sylvestre sur la qualité de tiers du comité de retraite. Ce n'est pas parce que certains de ses membres sont nommés par l 'Université qu'ils doivent allégeance à l 'Université . La Loi assure l'indépendance du comité de retraite. Pas plus qu'u n juge de la Cour supérieure nommé par le gouvernement fédéral représente ce dernier, pas plus qu'un arbitre de griefs désigné par le ministre du Travail ne représente celui-ci, le membre du comité de retraite ne représente pas celui qui le nomme. Il agit en toute indépendance et dans le meilleur intérêt des participants et bénéficiaires du régime.

 

[23] Et ce n'est pas parce que le régime de retraite constitue une condition de travail prévue à la convention collective et que le comité v est nommément mentionné que celui-ci n'est plus un tiers ou encore perd son indépendance à l'égard de quelque partie liée par la convention collective.

 

[. . . ]

[29] Mais, comme je l'ai déjà souligné, le comité de retraite n'est pas un mandataire ni de l'Université, ni du Syndicat. Il détient son autorité et sa propre compétence de la Loi seule. Ses membres, indépendamment de qui est à la source de leur nomination, n'ont aucun devoir d'allégeance envers l 'Université ou le S yndicat. Ils sont des fiduciaires, non des mandataires. »

 

96.   Toujours dans l’arrêt Bilodeau, le juge LeBel nous rappelle également que l’arbitre de grief n’a pas compétence sur les personnes qui ne sont pas couvertes par la convention collective dont il tire sa compétence :

 

40- Lorsque l'arbitre de griefs se trouve dans l'impossibilité de régler le litige ou une partie du litige qui lui est soumis, du fait qu'il n'a pas compétence sur les parties, les tribunaux de droit commun conservent alors compétence sur le litige (Gagnon, p. 547). Une telle situation est susceptible de se présenter lorsque l'arbitre de griefs ne peut prétendre avoir autorité sur des personnes considérées comme des tiers par rapport à la convention collective et qu'il ne saurait prononcer des conclusions à l'encontre de ces derniers. Cependant, rien n'empêche des tiers de se soumettre volontairement et expressément à la compétence d'un arbitre de griefs et de lui donner ainsi compétence : Syndicat canadien de la fonction publique c. Société Radio-Canada, [1992] 2 R.C.S. 7.

 

97.   Or le remède recherché par le grief est ainsi formulé :

Que la plaignante soit autorisée à procéder, à ses frais, au rachat de sa période de congé sans solde aux fins du calcul de sa rente créditée par le régime de retraite et ce, au moyen de paiements s'échelonnant sur une période aussi longue que son congé sans solde.

98.   Si je faisais droit au grief tel que formulé équivaudrait à rendre un geste d’administration du régime de retraite et ainsi à m’arroger une compétence dévolue exclusivement au comité de retraite.

 

99.   Pour paraphraser la Cour suprême, «  l'arbitre de griefs se trouve dans l'impossibilité de régler le litige ou une partie du litige qui lui est soumis, du fait qu'il n'a pas compétence sur le comité de retraite.  »

 

100.      Il se peut que la plaignante ait des droits valables à faire valoir en vertu du régime de retraite, mais en l’espèce, un tribunal d’arbitrage de grief n’est pas le forum approprié pour ce faire.

 

 

Conclusion

 

101.     En l’absence d’incorporation du régime de retraite à la convention collective, l’arbitre de grief ne peut que conclure qu’il n’a pas compétence pour se saisir du grief et pour ce seul motif faire droit à l’exception déclinatoire soumise par la Ville.

 

102.     Même si le régime de retraite était incorporé à la convention collective, l’arbitre de grief ne peut que conclure également qu’il n’a pas compétence pour se saisir du grief, car ce faire équivaudrait à rendre un geste d’administration du régime de retraite et s’arroger une compétence dévolue exclusivement au comité de retraite en vertu de la loi. Également pour ce motif je dois faire droit à l’exception déclinatoire soumise par la Ville.

103.     Pour tous ces motifs je dois donc décliner compétence en l’espèce.

 

Montréal, le 19 octobre 2014

 

[Signature : Guy Dufort]

  Arbitre