Primeau et Commission administrative des régimes de retraite et d'assurances (CARRA)

2015 QCTA 83

TRIBUNAL D’ARBITRAGE DE RÉGIMES

DE RETRAITE ET D’ASSURANCES

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

 

                                                                       MADAME DIANE PRIMEAU

 

ci-après appelée «l’appelante »

 

c.

 

                                                                       COMMISSION ADMINISTRATIVE

                                                                       DES RÉGIMES DE RETRAITE ET

                                                                       D’ASSURANCES (CARRA)

 

ci-après appelée  «l’intimée »

 

                                                                       Dossier du greffe :  2014-5008 (RRPE)

 

OBJET :  Contestation par l’appelante de la décision de l’intimé refusant, malgré une demande faite en octobre 2012 à cet effet, de prendre acte de l’annulation par l’appelante et son employeur de leur annulation du 8 mars 2012 (page 6 du dossier d’appel) de l’entente de retraite progressive intervenue entre eux le 1er février 2012 (page 1 du dossier d’appel), entente qui avait alors été transmise à l’intimée et reçue par celle-ci le 8 février 2012 accompagnée d’une demande de confirmation d’admissibilité de l’appelante au programme de retraite progressive (pages 2 et 3 du dossier d’appel), refus subséquemment confirmé par le comité de réexamen dans sa décision transmise par poste recommandée à l’appelante le 19 novembre 2013 (pages 19 à 23 du dossier d’appel).

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Arbitre :                                                       Me Jean Gauvin, avocat

Procureur de l’appelante :                     Me Torben Borgers

Procureure de l’intimée :                        Me Louise Desrochers

                                                                       Services juridiques

                                                                       CARRA

Date de l’audience :                                 8 décembre 2014

Lieu de l’audience :                                  Montréal

Date de la décision :                                4 février  2015

 

N/d :   2300-216-G/14

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DÉCISION ARBITRALE

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I-          PREUVE FACTUELLE CONTENUE AU DOSSIER D’APPEL  

[1]          Le 2 février  2012,  la Commission scolaire de Saint-Hyacinthe, employeur de l’appelante, accepte la demande de retraite progressive de l’appelante.

[2]           Le 2 février 2012, l’appelante transmet cette entente à l’intimée ainsi qu’une demande de confirmation d’admissibilité au départ progressif (retraite progressive), lesquelles sont reçues par l’intimée le 8 février 2012 (pages  2 et 3 du dossier d’appel).

[3]          Le 24 février 2012, une lettre reçue de la Direction des relations de travail du Ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport  (MELS) (pièce A-1) sème le doute dans l’esprit de l’appelante et de son employeur quant aux critères d’admissibilité à la retraite qui allaient s’appliquer à leur entente et aucune des démarches alors entreprises pour obtenir des précisions quant à ces critères ne leur permettent d’être rassurés.

[4]          De fait, ce ne sera que le 15 mai 2012 (pages 33 et 34 du dossier d’appel) que les directrices et directeurs généraux   des commissions scolaires et des CEGEPS et les directeurs et directrices des ressources humaines de ces mêmes institutions obtiendront les précisions requises à ce sujet, à savoir que c’est toujours  la date de la réception à la CARRA du « Formulaire de confirmation d’admissibilité à la retraite progressive », et non celle de la réception par l’appelante de la réponse de la CARRA, qui détermine les dispositions d’admissibilité à la retraite applicables à ces ententes.

[5]          En raison de ce doute et de la crainte que ce soit la date de la réception de son admissibilité au programme de retraite progressive qui déterminera les dispositions applicables à sa demande, l’appelante et son employeur décident alors d’annuler leur entente et en avise le 8 mars 2012 l’intimée (page 6  du dossier d’appel) pour que cette dernière en prenne acte, ce que celle-ci fait le 26 mars 2012 (pages 7 et 8  du dossier d’appel).

[6]          Le 1er mars 2012, l’appelante reçoit sa confirmation de l’intimée relativement à son admissibilité à une retraite progressive et conséquemment à son droit à une rente immédiate du RRPE à la fin de l’entente prévue entre le 1 er juillet 2012 et le 30 juin 2017 (pages 4 et 5 du dossier d’appel).

[7]          Le 26 mars 2012, l’intimée prend acte de l’annulation du 8 mars de l’entente initiale (pages 7 et 8 du dossier d’appel)  qui rend dès lors caduque la confirmation de l’admissibilité de l’appelante au programme de retraite progressive émise  par l’intimée le 1 er  mars 2012.

[8]          En octobre  2012, dans la foulée de la lettre reçue du MELS du 15 mai 2012 à l’effet que c’était la date de la réception de la demande de confirmation d’admissibilité à la retraite progressive, en l’occurrence le 8 février 2012,  qui était retenue pour déterminer quels étaient les critères d’admissibilité à la retraite qui allaient continuer de s’appliquer  à toute entente si celle-ci  était conclue avant le 22 février 2012, telle celle conclue le 1er février  2012 entre l’appelante et l’intimée, l’appelante et son employeur décident d’annuler  leur annulation de ladite entente et demandent à l’intimée d’en prendre acte et de considérer l’annulation du 8 mars 2012 nulle ab initio de façon à ce que l’appelante puisse effectivement bénéficier de sa retraite progressive telle que convenue  en février  2014 et telle que son admissibilité fut  confirmée par l’intimée le 1 er mars 2012 à la suite de sa demande à cet effet reçue le 8 février 2012.

[9]          Ayant alors reçu une réponse négative de l’intimée, le 24  octobre 2012 l’appelante transmet au greffe des réexamens une demande de réexamen qui y est reçue le 31 octobre 2012 (pages 9 à 13 du dossier d’appel).

[10]       Le 19 novembre 2013, le greffe des réexamens transmet à l’appelante la décision du comité de réexamen (pages 19 à 23 du dossier d’appel).

[11]       Aux principaux arguments invoqués par l’appelante à l’appui de sa demande de réexamen, à savoir les suivants :

-           « Nous croyons que les droits de madame Primeau ont été lésés dans l’application des changements issus des modifications de la Loi sur le RRPE .

-           En décembre 2010, nous avons reçu un communiqué nous renseignant sur un projet de loi qui modifierait les conditions applicables au RRPE.  Voyant l’impact considérable des changements, plusieurs employés cadres, dont madame Primeau,  ont débuté des démarches pour tenter de conserver les droits d’applications actuels pour leur départ prochain à la retraite.

-           Le cadre qui faisait une demande d’admissibilité au départ progressif devait d’abord avoir obtenu l’attestation de la CARRA précisant qu’il a droit à une pension à la fin de l’entente.

-                Madame Primeau a donc envoyé le formulaire 267 afin d’obtenir ladite attestation qui devait permettre de finaliser l’entente avec son employeur.

-                Notre interprétation s’est confirmée à la réception d’une lettre du 24 février 2012 de la Direction des relations de travail du MELS.  Cette lettre faisait mention des mesures transitoires qui allaient être appliquées pour la reconnaissance d’une entente.  Selon ces mesures, les critères d’admissibilité à la retraite actuellement en vigueur allaient continuer de s’appliquer à ladite entente  si elle était conclue avant le 22 février 2012

-                Croyant que les critères d’admissibilité à la retraite retenus seraient ceux du nouveau régime en vigueur dès janvier 2013, madame Primeau a souhaité annuler la demande de confirmation au départ progressif.

-               Lors d’une conversation téléphonique avec madame Annie Letoulec de la CARRA, celle-ci nous a confirmé que la CARRA avait considéré la date de la réception du formulaire 267 pour déterminer si les nouvelles conditions ou les conditions actuelles devaient s’appliquer à la demande des employés ayant formulé une demande de départ progressif.

-               N’eût été de la multiplicité des renseignements provenant de toute part (associations, autres commissions scolaires, MELS, etc.); n’eût été de l’information ambigüe quant au terme « entente conclue », il est sans équivoque que nous n’aurions pas envoyé la lettre de demande d’annulation et aurions finalisé l’entente » ,

qu’elle complète ensuite en demandant au comité de réexamen d’annuler la réponse de la CARRA du 26 mars 2012, c’est-à-dire de prendre acte de la volonté des parties d’annuler l’annulation de cette entente faite par erreur le 8 mars 2012, puis de considérer la demande de confirmation d’admissibilité au départ progressif reçue à la CARRA le 8 février 2012 et d’appliquer en conséquence à ladite entente les règles qui lui sont applicables, vu l’annulation de son annulation et, dès lors, l’effet rétroactif de cette dernière annulation, le comité de réexamen répond d’abord en précisant le rôle de la CARRA comme suit (pages 22 et 23 du dossier d’appel)  :

« Une entente de départ progressif se conclut entre un employé et son employeur.  Le rôle de la CARRA se limite à déterminer si la participante sera admissible ou non à une retraite à la fin de son entente et si elle respecte toutes les conditions pour y avoir droit.  C’est ce qui a été fait le 1 er mars 2012. 

 

La décision d’annuler ou non l’entente ne revient pas à la CARRA;  cette décision  a été prise par l’employé et son employeur.  Malgré ce qui est écrit dans la lettre du 26 mars 2012, la CARRA ne peut que prendre bonne note de cette annulation.  C’est pourquoi aucun droit ou réexamen n’a été offert dans cette lettre. »,

puis rend alors la décision suivante :

« Comme la décision d’annuler l’entente de départ progressif relève entièrement de l’employée et de son employeur, le comité de réexamen considère, à l’unanimité, irrecevable la demande de réexamen de madame Diane Primeau ».

[12]        Le 3 février 2014, le Greffe des tribunaux d’arbitrage du secteur de l’Éducation reçoit la demande d’arbitrage de l’appelante (pages 25 à 27 du dossier d’appel) dont les motifs et les conclusions se lisent comme suit :

« Tel que relevé par les faits, l’employeur et l’employée ont erronément cru, suite aux modifications apportées à la Loi sur le RRPE (projet de loi 58), que la demande de retraite de la soussignée serait régie par les mesures transitoires et non par celles actuellement en vigueur au moment de sa demande.

Se basant sur cette erreur, la soussignée et son employeur ont envoyé à la CARRA une lettre confirmant l’annulation de la demande de retraite formulée le 1 er février  2012.

Le 15 mai 2012, l’employeur a appris que la définition de ce qui constituait « une entente conclue » était fonction de la  «  date de réception à la CARRA du formulaire de demande de confirmation d’admissibilité à la retraite » et que par conséquent une demande d’annulation n’aurait jamais dû être envoyée.  L’employeur a avisé la CARRA de son erreur et a vainement tenté de faire corriger la situation auprès de la CARRA, mais sans succès.  Lors d’une conversation téléphonique subséquente, la représentante de la Direction des contacts clients de la CARRA informa l’employeur que l’entente annulée ne pouvait pas être réactivée. 

Selon la loi, le rôle de la CARRA est de constater et prendre acte de l’information qui lui est transmise par l’employeur;  il n’appartient pas à la CARRA de s’immiscer dans la relation entre une employée et son employeur. 

Dans le cas d’espèce, la CARRA a été informée par mon employeur qu’une demande d’annulation d’entente a été faite par erreur.  Tel que relevé par les faits, mon employeur est d’accord pour réactiver l’entente initiale de ma  demande de retraite.

La CARRA ne peut que constater l’existence de cette erreur et agir en fonction de l’intention véritable des parties. ».

 

L’appelante  me demande donc de décider de son recours  comme suit :

    « -  D’annuler la décision du comité de réexamen;

-        De constater que la CARRA a erré en ne donnant pas effet à l’intention véritable des parties;

-        D’ordonner que l’entente de retraite progressive entre la soussignée et son employeur, initialement acceptée par la CARRA, soit respectée et qu’il lui soit donné effet en ce qu’elle représente l’intention véritable des parties. »

[13]       La lettre reçue le 15 mai 2012, adressée par le MELS aux directrices générales et directeurs généraux des commissions scolaires et des  CEGEPS ainsi qu’aux directrices et directeurs des ressources humaines de ces mêmes établissements, dont il est notamment fait mention dans la demande d’arbitrage de l’appelante, se lit comme suit; 

« Objet : adoption du projet de loi 58 - modifications au Régime de retraite du personnel d’encadrement

Mesdames, messieurs,

Le 2 mai 2012, l’Assemblée nationale a adopté le projet de loi 58 modifiant la Loi sur le régime de retraite du personnel d’encadrement (RRPE .  Cette loi a été sanctionnée le 3 mai 2012.  Les informations indiquées dans les 3 autres notes qui vous ont été acheminées sur le sujet, soit celles du 24 février, du 12 mars et du 12 avril 2012, sont toujours valables.

Toutefois, une information de nature plus administrative a été portée à notre attention par la Commission administrative des régimes de retraite et d’assurances (CARRA).  En effet, pour les rentes de retraite progressives demandées dans le cadre des mesures transitoires prévues au projet de loi 58, c’est la date de réception à la CARRA du «  Formulaire de demande de confirmation d’admissibilité à la retraite » (disponible sur le site Internet de la CARRA) qui déterminera les dispositions d’admissibilité à la retraite qui s’appliqueront.

En conséquence, si le formulaire de demande de confirmation est reçu à la CARRA avant ou le 21 mai 2012, ce sont les dispositions transitoires prévues au projet de loi 58 qui s’appliqueront.  Si la CARRA reçoit le formulaire le 22  mai 2012 au plus tard, ce sont les nouvelles dispositions d’admissibilité à la retraite prévues au projet de loi 58 qui s’appliqueront (facteur 90 et pénalité à 4%).  Nous vous rappelons que le 21 mai 2012 est un lundi, jour férié.

Nous vous prions d’agréer, mesdames, messieurs, l’expression de nos sentiments les meilleurs.

La directrice générale par interim

 

(s)    Françoise Dion

Françoise Dion « 

 

II-         MOYEN PRÉLIMINAIRE DE L’INTIMÉE  

a)        Position de l’intimée

[14]        Selon la procureure de l’intimée, il s’agit en l’espèce d’une entente intervenue entre l’appelante et son employeur de sorte que son annulation n’est pas une décision de l’intimée mais une décision dont elle n’a fait que prendre acte à la demande des parties à ladite entente.

[15]       Elle ne peut être assimilée à aucun des sujets clairement identifiés à l’article 196.18 de la Loi sur le RRPE auxquels la compétence juridictionnelle de l’arbitre nommé en vertu de la Loi sur le RREGOP ou sur le RRPE est limitée.

[16]       Par ailleurs, la demande de l’appelante, à l’effet que l’arbitre annule l’annulation de sa demande de départ progressif, n’entre pas davantage dans ses compétences juridictionnelles mais relève des tribunaux judiciaires.

[17]       Enfin, lorsque l’appelante demande à l’arbitre que l’entente initiale soit respectée, elle lui demande de réactiver celle-ci, ce que l’arbitre ne peut pas faire car il ne peut réactiver ce qui est réputé n’avoir jamais existé.  En effet  l’article 1422 C.c.Q. stipule précisément :

 

« Le contrat frappé de nullité est réputé n’avoir jamais existé.

Chacune des parties est, dans ce cas, tenu de restituer à l’autre les prestations qu’elle a reçues. ».

 

[18]        Elle demande donc le rejet du présent recours et soumet au soutien de sa demande les autorités suivantes : 

Arrêt de la Cour d’appel du Québec rendu le 17 juin 2014 dans la cause COMMISSION ADMINISTRATIVE DES RÉGIMES DE RETRAITE ET D’ASSURANCES (CARRA)  c. SERGE CÔTÉ ET GILLES FERLAND, rapporté à 2004 CAN LII 11103 (QCCA);

Décision arbitrale rendue par le soussigné le 19 août 2013 dans l’affaire MORIN c. COMMISSION ADMINISTRATIVE DES RÉGIMES DE RETRAITE ET D’ASSURANCES (CARRA), rapportée à 2013 CAN LII 58213 (QCCTA CARRA).

 

 

b)        Position de l’appelante

[19]        En résumé, le procureur de l’appelante soumet que l’annulation de l’entente est une décision commune des parties qui a été prise par erreur et qu’elles ont convenu d’annuler lorsqu’elles ont constaté avec certitude leur erreur.

[20]       Cette dernière annulation porte ainsi sur l’annulation de l’entente initiale et, une fois conclue par les parties, elle annule donc de façon rétroactive l’annulation de l’entente comme si cette annulation n’avait jamais existé et n’avait donc jamais eu d’effet sur cette entente de retraite progressive.

[21]       Il ne s’agit pas d’une annulation à l’égard de laquelle les parties divergent d’avis  et pour laquelle elles n’ont d’autre moyen que de s’adresser aux tribunaux pour obtenir une décision réglant leur différend, mais d’une annulation procédant de la volonté commune des parties, motivée exactement par la même cause, en l’occurrence leur erreur commune sur le même point.

[22]       Par l’annulation en  octobre 2012 de l’annulation du 8  mars 2012, cette dernière est donc réputée n’avoir jamais existé  et l’entente de retraite progressive du 1 er février  2012, elle, réputée n’avoir jamais cessé d’exister.

[23]        L’intimée devait dont, tout comme elle l’avait fait en mars 2012, prendre acte en octobre 2012 de la volonté des parties d’annuler l’annulation de leur entente de retraite progressive et, conséquemment, donner suite à l’effet rétroactif de cette annulation, à savoir le rétablissement de l’entente de retraite progressive intervenue entre l’appelante et son employeur en janvier  2012 rétroactivement à la date de sa conclusion comme si elle n’avait jamais cessé d’exister et, compte tenu de la demande de confirmation de son admissibilité à  une rente de retraite reçue de l’appelante par l’intimée le 8 février 2012, donner dès lors suite à ladite entente de retraite progressive selon les modalités applicables, en l’occurrence ici celles applicables aux demandes reçues avant le 22 février 2012.

 

III-        PREUVE TESTIMONIALE COMPLÉMENTAIRE PRÉSENTEÉ  À L’AUDIENCE SOUS AFFIRMATION SOLENNELLE

 

A)        Témoins cités par l’appelante

-            Madame Cindy Larouche

[24]       Coordonnatrice au Service des ressources humaines de la Commission scolaire depuis 2009, elle s’y occupe notamment des demandes relatives aux régimes de retraite.

[25]       Madame Diane Primeau, l’appelante en la présence instance (dossier 2014 5008),  est directrice d’une école primaire.

[26]       Deux autres instances, portant sur des faits analogues, impliquant une preuve au même effet et devant donner lieu à une décision identique (mutatis mutandis) , sont liées à la présente, soit celle impliquant madame Caroline Robert  également directrice au primaire, et l’intimée (dossier 2014 11) et celle de monsieur Sylvain Fugère, directeur d’une école secondaire, et l’intimée (dossier 2014 5010),

[27]       Elle est co-signataire, au nom de la Commission scolaire, de la lettre d’annulation de la demande de retraite progressive que chacune de ces personnes ont adressée à l’intimée en mars 2012 en regard de leur propre demande de retraite progressive (pièce 5 du dossier d’appel 2014 5011, pièce 5 du dossier d’appel 2014 5010 et pièce 6 du dossier d’appel 2014 5008).

[28]       La décision de procéder à l’envoi de cette lettre à l’intimée a été prise par chacune de ces personnes et leur employeur dans la foulée, d’une part, d’une lettre en date du 24 février 2012 (pièce A-1) reçue du ministère de l’Éducation, du loisir et du sport (MELS) qui les a amenés à croire que ce n’est plus la date de la réception par l’intimée de leur demande de confirmation par celle-ci de leur admissibilité à une rente progressive qui allait déterminer les règles applicables à leur demande de retraite progressive, mais plutôt la date de la réponse de l’intimée confirmant leur admissibilité à une telle rente, et d’autre part, du doute dans lequel ils se sont trouvés à cette époque faute d’obtenir une réponse certaine à leur interrogation à ce sujet.

[29]       En effet, n’ayant pas encore reçu de réponse de l’intimée à leur demande de confirmation de leur admissibilité à une rente de retraite, ils ont alors cru, compte tenu du libellé du 2 ième paragraphe de la page 2 de cette lettre (A-1), qui se lit comme suit :

 

«Enfin, le projet de loi  prévoit des mesures transitoires portant sur la reconnaissance d’ententes visant la transition entre le travail et la retraite et conclues en vertu des conditions de travail du personnel d’encadrement.  Ainsi, les critères d’admissibilité à la retraite actuellement en vigueur continueraient de s’appliquer à toute entente conclue si :

-        une telle entente est conclue avant le 22 février 2012 (date du dépôt du projet de loi);

ou

-        une telle entente est conclue, dans les 60 jours suivant le dépôt du projet de loi, soit entre le 22 février 2012 et le 21 avril 2012.  Toutefois, les conditions suivantes doivent être respectées :  cette entente entre en vigueur au plus tard le 1 er septembre 2012 et l’employé doit prendre sa retraite dans les 2 années suivant la date à laquelle l’entente a été signée.

Il est important de rappeler que ces changements font partie d’un projet de loi qui énonce les intentions du gouvernement du Québec.  Par conséquent, ces mesures ne seront légales que lorsque ce projet de loi sera adopté et sanctionné par l’Assemblée nationale. »,   

que ce serait le second alinéa de ce 2 ième paragraphe qui serait susceptible de s’appliquer à leur demande advenant une éventuelle confirmation de leur admissibilité à une retraite progressive.

[30]        La lettre du 12 avril 2012, reçue du MELS (pièce A-2) à la suite d’une communication transmise au MELS par le Secrétariat du Conseil du trésor au sujet du projet de loi 58 modifiant le RRPE, n’a de son côté nullement permis, ni aux directions générales des commissions scolaires et des collèges ni à leurs directions des ressources humaines, de réaliser leur erreur puisque n’ayant nullement porté sur la question ici en cause.

[31]       Ce n’est qu’après réception de la lettre du 15 mai 2012 (pièce A-3), d’une information reçue de monsieur Guy Pelletier, de la CARRA, à la fin d’août 2012 et d’une confirmation à l’effet que c’était vraiment la date de réception de la demande de confirmation de l’admissibilité à une rente de retraite qui déterminera la date de la conclusion d’une entente de retraite progressive, que l’on a réalisé que notre décision d’annuler ces ententes progressives avait été une décision prise sur la foi d’informations erronées et que sans ces informations elle n’aurait jamais été prise.

[32]       On a alors voulu que l’intimée  prenne note de notre volonté d’annuler ces 3 annulations de façon à ce que l’intimée donne suite aux 3 ententes de retraite progressive concernées en tenant compte de la date de réception de chacune des demandes de confirmation au départ progressif afférentes à chacune d’elles, mais en vain, l’intimée prétendant qu’une fois annulées, ces ententes avaient cessé d’exister rétroactivement à la date de leur formation, qu’elles ne pouvaient dès lors plus être rétablies et qu’il fallait alors recommencer le processus.

-           Madame Caroline Robert

[33]        Elle confirme en tout point le témoignage de madame Cindy  Larouche.

[34]       Elle ajoute que non assurée de faire partie du premier groupe mentionné à la page 2 de la lettre du MELS datée du 24 février 2012 reçue par sa commission scolaire, elle ne pouvait pas par ailleurs faire partie du 2 e groupe décrit à cette page 2 puisque son entente prévoyait une prise de retraite dans 5 ans plutôt que dans les 2 ans suivant la date de sa signature, d’où sa décision prise alors conjointement avec son employeur d’annuler son entente de retraite progressive.

[35]       Elle confirme avoir convenu avec son employeur représenté par madame Cindy Laroche d’annuler cette annulation de leur entente dès qu’elle et madame Larouche ont été à même de réaliser qu’elles avaient conclu cette annulation de leur entente par erreur.

[36]       En contre-interrogatoire, l’appelante confirme qu’elle et la représentante de son employeur ont pris cette décision d’annuler son entente de retraite progressive dans des circonstances où leur consentement donné à cette annulation a été fondé sur les seules informations qui leur étaient alors disponibles, lesquelles parce qu’ambigues et contradictoires, les ont induites en erreur.

-           Madame Diane Primeau et monsieur  Sylvain Fugère

[37]        Il est admis par les parties que si ces deux personnes , qui sont également respectivement des appelants dans les dossiers d’appel numéros  2014 5008 et 2014 5010 et présentes à l’audience, étaient entendues, elles confirmeraient les témoignages de madame Cindy Larouche et de madame Caroline Robert, la problématique faisant l’objet de leur recours respectif étant analogue et se situant à l’intérieur de la même période par rapport à la date du 22 février 2012 que celle faisant l’objet du présent dossier.

B)        Témoin cité par l’intimée

-           Monsieur Sébastien Doucet

[38]        Il est chef d’équipe à la Direction des contrats-clients de la CARRA. 

[39]        Il produit un document d’information (pièce I-1), qui a été rendu disponible au début de mars 2012 sur le site Internet de la CARRA, destiné à répondre aux questions de la clientèle  concernant les dispositions transitoires au projet de  loi no 58 modifiant la Loi sur le RRPE en matière de départ progressif (retraite progressive).

[40]       A la question « «Qu’est-ce qui détermine telles dispositions de la Loi du RRPE qui s’appliquent à moi ? », il y est répondu :

 « Pour conclure une entente de départ progressif, il est nécessaire d’obtenir, auprès de la CARRA, une confirmation de votre admissibilité à la retraite à la fin de l’entente.  C’est la date de réception à la CARRA de votre demande de confirmation d’admissibilité à la retraite qui détermine les dispositions qui s’appliquent :

-        Les dispositions telles qu’elles se lisaient avant la présentation du projet de loi numéro 58, soit avant le 22 février 2012;

-        Les dispositions transitoires prévues au projet de loi numéro 58, soit du 22 février 2012 au 21 mai 2012.

-        Les dispositions du projet de loi numéro 58 telles quelles se liraient advenant l’adoption du projet de loi tel que présenté (dispositions en vigueur le 1 er janvier 2013. ». 

[41]        A celle « Qu’en est-t-il si j’ai déjà conclu une entente de départ progressif avec mon employeur avant la date de présentation du projet de loi ? », il y est répondu :

« Si vous aviez déjà conclu une entente avec votre employeur, les dispositions de la Loi sur le RRPE , telles qu’elles se lisaient avant la présentation du projet de loi, seraient maintenues jusqu’à l’échéance de l’entente, soit pour un maximum de 5 ans (c’est-à-dire les dispositions concernant les critères d’admissibilité à la rente immédiate et le pourcentage de réduction applicable à celle-ci, advenant son anticipation).  Dans ce cas, la demande de confirmation d’admissibilité à la retraite à la fin de l’entente doit avoir été reçue à la CARRA avant la date de présentation du projet de loi, soit au plus tard le 21 février 2012 ».

[42]        Ces réponses ont été connues des préposés  au téléphone dès le 23 février 2012, date à laquelle ils ont reçu une formation à ce sujet.

[43]       La lettre du MELS du 24 février 2014 ( pièce A-1), adressée aux directions générales et aux directions des ressources humaines des commissions scolaires et collèges (et l’incertitude alléguée qu’elle aurait alors créée par l’utilisation du conditionnel « continueraient », ne provient pas d’informations reçues de la CARRA.

IV-       L’ARGUMENTATION SUR LE FOND

a)    Position de l’intimée

[44]        La procureure de l’intimée soumet que le fond du recours de l’appelante relève des tribunaux judiciaires.

[45]       Elle souligne que l’erreur commise par l’appelante et son employeur relève de leur imprudence et de leur précipitation puisqu’ils n’ont même pas consulté l’intimée avant de prendre leur décision d’annuler l’entente de départ progressif de l’appelante.

[46]       Elle fait valoir que ni l’intimée, ni le comité de réexamen, ni l’arbitre ne peuvent faire revivre cette entente en annulant son annulation dont l’effet a alors été rétroactif à la date à laquelle ladite entente avait été conclue.

[47]        A l’appui de son argumentation et ce, tant sur le moyen préliminaire déjà plaidé que sur le fond du recours de l’appelante, elle invoque, outre l’article 1422 du C.c.Q. et l’article 196.18 de la Loi sur le RRPE , l’arrêt rendu par la Cour d’appel du Québec le 17 juin 2004 dans la cause CARRA c. SERGE CÔTÉ ET GILLES FERLAND et la  décision arbitrale rendue par le soussigné le 19 août 2013 dans l’affaire MORIN c. CARRA, déjà invoqués au soutien de son moyen préliminaire,  les articles 1439 et 1440 du C.c.Q. et un jugement rendu par la Cour du Québec, le 22 avril 2008, dans la cause AGRIPEX (Ste-Martine) LTÉE c. ST-DENIS, rapporté à 2008 QCCQ 7913 (Can L11).

 

b)    Position de l’appelante

[48]        Selon le procureur de l’appelante, il s’agit d’évaluer la validité du consentement que les parties ont donné pour procéder à la première  des deux annulations en cause.

[49]        Il fait valoir que je n’ai qu’à à me prononcer sur la validité de l’annulation de celle de l’entente initiale  et à déclarer qu’elle est valide puisque les deux parties qui avaient conclu ladite entente  et qui l’avaient d’un commun accord annulée par la suite ont subséquemment réalisé que c’était par erreur qu’elles l’avaient annulée, puis à constater que leur volonté est qu’elle ne l’ait jamais été.

[50]       En l’espèce, la situation diffère totalement des cas d’annulation d’entente ou de contrat où les parties ont des intérêts opposés et où il n’y a pas d’accord entre elles sur le motif d’annulation invoqué et sur le bien-fondé ou la suffisance de ce motif.

[51]       Il souligne qu’en l’espèce aucune des parties à cette annulation  n’est de mauvaise foi.  Elles veulent uniquement que l’entente initiale soit réputée, par l’annulation de son annulation à laquelle elles avaient consenti par erreur, n’avoir jamais cessé d’exister et être toujours valide.

[52]       Il soumet que la remise des parties, en l’occurrence l’appelante et son employeur, dans l’état où elles étaient avant l’annulation de ladite entente, non seulement n’est pas impossible, mais ne pose aucun problème.

[53]       Il ajoute que tout comme le rôle de l’intimée, lorsqu’elle a été avisée de l’annulation de ladite entente, n’a été que d’en prendre acte, sans plus, tel était son rôle lorsqu’elle a été informée de l’annulation par les parties de cette annulation et de leur volonté de  rétablir leur entente rétroactivement à la date de sa conclusion comme si son annulation n’avait jamais eu lieu : l’intimée n’avait qu’à prendre acte de cette volonté des parties et non pas à s’immiscer dans leur relation employeur-employée.

 

[54]       Enfin, au soutien de son argumentation, il invoque les autorités suivantes :

-Arrêt de la Cour d’appel du Québec rendu dans la cause LÉPINE c. KHALID, rapportée à 2004 CAN LII 22206 (QCCA), au paragraphe [68] des notes de l’Honorable Juge Morissette où ce dernier y mentionne que l’article 1422 C.c.Q. stipule que « Le contrat frappé de nullité est réputé n’avoir jamais existé », et que « Chacune des parties est, dans ce cas, tenu de restituer à l’autre les prestations qu’elle a reçues », et où il y précise que cette règle renvoie alors aux articles 1699 à 1706 C.c.Q., lorsqu’un redressement est requis, ainsi qu’aux paragraphes [47], [51] et [55] de ses notes, où il traite de l’erreur qui vicie le consentement;

-VINCENT KARIM, Les obligations, (vol. 2) 3 e ed., article 1699 et article 1700 (Section II - Des modalités de restitution), Montréal, Éditions Wilson et Lafleur, 2009;

-Jugement rendu le 14 septembre 1998 par l’Honorable André Rochon,  J.C.S., dans la cause VERDON c. LAUZON ET Al, rapporté à 1998 SOQUIJ  AZ-98021995 (QCCS), aux pages 9 à 11;

- Jean-Louis Beaudoin -et- Pierre Gabriel Jobin, Les obligations, 7 e édition, par Pierre-Gabriel Jobin et Nathalie Vézina, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2013, à la page 337.

 

V-        MOTIFS ET DÉCISION

[55]        L’appelante et son employeur ont constaté que l’annulation d’une entente qu’ils avaient conclue entre eux a été faite par erreur et que cette annulation devait donc être considérée inexistante ab initio .

[56]        Tout comme l’annulation de l’entente initiale, qui n’impliquait alors que les parties à ladite entente et qui reflétait leur volonté conjointe, l’annulation subséquente de cette annulation n’impliquait que les parties à celle-ci, reflétait leur volonté conjointe et prenait donc effet sans l’intervention de tiers ou d’un tribunal puisque « Le contrat se forme par le seul échange de consentement entre des personnes capables de contracter, à moins que la loi n’exige, en outre, le respect d’une forme particulière comme condition à sa formation, ou que les parties n’assujettissent la formation du contrat à une forme solennelle.[…]» (article 1385 C.c.Q.).

[57]       En effet, le corollaire de cette règle est que tout contrat ou toute entente peut également de consentement s’annuler.

[58]       Lors de l’entente initiale, il y a eu consentement sur le fait  que celle-ci, en autant que conclue avant le 22 février 2012 et transmise à l’intimée avec une demande de confirmation de l’appelante à l’admissibilité au programme de retraite progressive faisant l’objet de cette entente reçue avant cette date, allait permettre à l’appelante de profiter des dispositions pertinentes de la loi concernant une telle entente telles qu’elles existaient jusqu’avant le 22 février 2012.

[59]       Toutefois, à la suite d’informations contradictoires leur laissant entendre en mars 2012 que pour bénéficier de la situation de la loi telle qu’elle se lisait avant le 22 février 2012, la confirmation de l’admissibilité de l’appelante au programme de retraite progressive devait avoir été obtenue avant le 22 février 2012, l’appelante et son employeur, n’ayant pas encore obtenu cette confirmation de l’intimée, décident alors d’annuler leur entente le  8 mars 2012 et en avise l’intimée qui en prend note le 26 mars 2012.

[60]       En mai 2012, le M.E.L.S. du Québec transmet notamment aux directrices générales et aux directeurs généraux des commissions scolaires et des collèges, ainsi qu’aux directrices et directeurs généraux des ressources humaines de ces institutions, une information de nature plus administrative reçue de la CARRA à l’effet que pour des ententes de retraite progressive demandées dans le cadre de mesures transitoires prévues au projet de loi 58 adoptée le 2 mai 2012 modifiant la Loi sur le RRPE , c’est la date de réception à la CARRA du « Formulaire de demande de confirmation d’admissibilité à la retraite » (non celle de la confirmation par la CARRA de cette admissibilité) qui déterminera les dispositions d’admissibilité à la retraite qui s’appliqueront (pages 33 et 34 du dossier d’appel).

[61]       Or, réalisant dans la foulée de cette nouvelle information qu’elles n’auraient jamais annulé cette entente de retraite progressive en mars 2012 si cette information avait alors été portée à la connaissance des directrices et directeurs généraux des commissions scolaires et des collèges ainsi que des directrices et directeurs des ressources humaines de ces institutions, les parties ont alors convenu d’annuler leur annulation de cette entente, une action visant dès lors à rétablir l’entente initiale comme si elle n’avait jamais cessé d’exister.

[62]       Cette annulation de l’entente est donc devenue inexistante  ab initio , c’est-à-dire rétroactivement à son application à l’entente initiale le  8 mars 2012, de sorte que ladite entente que l’appelante et son employeur avaient conclue le 1 er   février  2012 est réputée n’avoir jamais cessé d’exister.

[63]       Le comité de réexamen a reconnu (page 22 du dossier d’appel) qu’une entente de départ progressif se conclut entre une employée et son employeur, que le rôle de l’intimée se limite à déterminer si la participante sera admissible ou non à une retraite à la fin de son entente et si elle respecte toutes les conditions pour y avoir droit, et que c’est ce qui a été fait lorsque cette confirmation a été adressée à l’appelante le 1 er mars  2012.

[64]       Le comité de réexamen y a également reconnu que la décision d’annuler l’entente ou non  ne revient pas à l’intimée, qu’il s’agit d’une décision qui ne regarde que l’employeur et son employée et que l’intimée ne peut que prendre bonne note de cette décision, sans plus.

[65]       J’estime qu’il doit également en être ainsi de l’annulation subséquente de l’annulation de cette entente initiale :  la décision d’annuler ou non cette annulation ne revient pas à l’intimée.

[66]       Cette décision appartient aux parties qui ont conclu cette entente puis qui l’ont ensuite annulée, et lorsqu’elle en est informée, l’intimée doit en prendre bonne note et considérer l’entente initiale comme étant aussi valide et en vigueur que si elle n’avait jamais été annulée.

[67]       Telle est l’application que doit ici recevoir l’article 1422 C.c.Q. :  l’entente des parties annulant leur annulation de l’entente initiale a pour effet de frapper de nullité cette annulation qui est alors réputée n’avoir jamais existé, donc de rétablir ab initio  l’entente initiale.

[68]       La question de déterminer si l’erreur qui aurait amené les parties à convenir de l’annulation de l’entente initiale le 8 mars 2012 est une erreur inexcusable ou non n’est pas ici pertinente car seules les parties à un contrat ou à une entente, ou une personne susceptible de subir un préjudice de sa nullité, peuvent contester la validité du motif de nullité invoqué.  Or, les parties en cause invoquent le même motif d’annulation, à savoir l’erreur qui les a amenées à annuler l’entente initiale, et aucune preuve n’a démontré qu’un tiers serait susceptible de subir préjudice de la nullité de cette annulation.

[69]       Concernant maintenant les prétentions de l’intimée à l’effet qu’il s’agirait en l’espèce d’un recours qui excède la compétence juridictionnelle tant du comité de réexamen que de l’arbitre, je les rejette pour les motifs ci-après exposés :

[70]       Il ne s’agit pas en l’espèce d’un recours reprochant à l’intimée d’avoir failli à ses responsabilités et à ses obligations en n’ayant pas informé correctement l’appelante et son employeur, mais d’un recours lui reprochant de s’être immiscée dans une entente prévue à la Loi sur le RRPE que le participant au RRPE et son employeur ont le droit de conclure, dont l’existence dépend de leur seule volonté et à l’égard de laquelle le rôle de l’intimée se limite à devoir vérifier si le participant sera admissible à une rente de retraite à la fin de son entente et si il respecte toutes les conditions pour y avoir droit dont, notamment, celle d’avoir demandé une confirmation de son admissibilité à une rente de retraite.

[71]       Or, de leur côté, tant le comité de réexamen que l’arbitre ont compétence juridictionnelle, aux termes de l’article 196.18 (5 e ) de la Loi sur le RRPE , pour réexaminer toute décision concernant un bénéfice, avantage ou remboursement prévu par le régime, ce qui inclut assurément une décision de l’intimée impliquant une réponse refusant à une participante de prendre acte d’une entente intervenue entre son employeur et elle relativement à une demande de retraite progressive et de considérer la demande de confirmation d’admissibilité à une telle retraite qu’elle a déjà reçue de cette participante puis acceptée en regard de cette entente, et d’y donner suite selon les règles applicables.

[72]       A l’appui de sa prétention à l’effet qu’une annulation est de la compétence juridictionnelle des tribunaux de juridiction civile, la procureure de l’intimée a cité la cause AGRITEX (Ste-Martine) Ltée c.   ST-DENIS,en outre de l’arrêt de la Cour d’appel dans l’affaire CARRA c.  SERGE CÔTÉ ET GILLES  FERLAND  et de la décision arbitrale rendue dans l’affaire MORIN C. CARRA.

[73]       Toutefois, en tout respect, force m’est de constater que ce jugement n’est pas pertinent en l’espèce puisqu’il ne s’agissait pas en cette cause d’une annulation de gré à gré d’une entente intervenue entre les 2 parties alors en cause, mais d’un litige où l’erreur invoquée comme motif de nullité par l’une des parties, le défendeur, était considérée inexcusable par l’autre partie, laquelle contestait dès lors la nullité du contrat intervenu, puis d'une demande reconventionnelle intentée contre le défendeur pour troubles et inconvénients, perte de profits et dommages exemplaires.

 

[74]       Quant aux 2 autres autorités citées par la procureure de l’intimée, l’arrêt de la Cour d’appel du Québec dans CARRA c. SERGE CÔTÉ ET GILLES FERLAND ne m’apparaît pas devoir ici s’appliquer, vu ma constatation à l’effet qu’il ne s’agit pas ici d’un recours en responsabilité, mais plutôt d’une demande couverte par l’article 198.16 (5 e ) de la Loi sur le RREPE , et la décision arbitrale rendue dans MORIN c. CARRA implique, elle, une problématique complètement différente puisqu’il s’agissait d’un cas ou l’entente de retraite progressive n’avait pas été « conclue » via l’envoi à l’intimée de la demande de confirmation d’admissibilité à la retraite progressive en temps utile pour qu’elle soit traitée selon les articles 49 et 56 de la Loi sur le RRPE tels  qu’ils se lisaient avant le 22 février 2012, ce qui n’est pas le cas de l’appelante dont l’entente et la demande de confirmation ont été reçues par l’intimée le 8 février 2012.

[75]       POUR TOUS CES MOTIFS , le recours est accueilli et ordre est conséquemment donné à l’intimée de prendre acte que par l’effet de l’annulation de l’annulation de l’entente initiale, celle-ci est réputée n’avoir jamais cessé d’exister et qu’il en est ainsi de la confirmation de l’admissibilité de l’appelante à une retraite progressive nécessaire à sa conclusion avant le 22 février 2012.

 

Québec, le 4 février 2015

 

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JEAN GAUVIN, avocat

Arbitre