Section des affaires sociales

En matière de services de santé et de services sociaux, d'éducation et de sécurité routière

 

 

Date : 26 janvier 2015

Référence neutre : 2015 QCTAQ 01875

Dossier  : SAS-Q-201049-1404

Devant le juge administratif :

ROBERT LESSARD

 

E… P…

Partie requérante

c.

SOCIÉTÉ DE L'ASSURANCE AUTOMOBILE DU QUÉBEC

Partie intimée

 


DÉCISION


[1]               Le Tribunal est saisi d’un recours formé par le requérant (monsieur) qui conteste une décision rendue par l’intimée, la Société de l’assurance automobile du Québec (la Société), le 8 avril 2014.

[2]               Par cette décision, la Société informe monsieur qu’elle a reçu le rapport d’évaluation de l’Association des centres de réadaptation en dépendance du Québec (l’ACRDQ), lequel démontre que son comportement envers la consommation d’alcool ou de drogue demeure un risque pour la sécurité routière.

[3]               La Société informe de plus monsieur que pour obtenir un nouveau permis, il doit notamment se soumettre à une évaluation complète.

Le contexte

[4]               Le 20 janvier 2014, monsieur est reconnu coupable de conduite avec les facultés affaiblies sous l’article 253 (1) a) du Code criminel [1] , pour une infraction commise le 3 octobre 2008. Son permis de conduire a été révoqué à compter du 20 janvier 2014.

[5]               Le 24 mars 2014, il s’est soumis à une évaluation sommaire effectuée dans le cadre du programme d’évaluation et de réduction du risque de conduite avec les facultés affaiblies relativement à la consommation d’alcool ou de drogue avec la conduite sécuritaire d’un véhicule routier.

[6]               Il en est résulté une recommandation non favorable de la part de l’évaluateur (la personne autorisée), dont les motifs sont les suivants :

« […]

Monsieur [le requérant] a complété les diverses épreuves actuellement autorisées par le protocole d'évaluation. Le résultat de cette évaluation s'appuie sur l'analyse des informations qui ont été recueillies lors d'une entrevue structurée, de la passation de questionnaires auto-révélés et de documents relatifs au dossier de conduite. Le sens de la recommandation formulée s'appuie sur un cumul d'éléments qui sont associés au risque de conduite avec les facultés affaiblies.

Dans le cas présent, le cumul de facteurs de risque retrouvés chez monsieur atteint le seuil de risque significatif. De plus, selon les réponses fournies à un des questionnaires administrés, monsieur démontre un risque de récidive relié notamment à une attitude laxiste, ce qui sous-entend une certaine tolérance envers la conduite avec l’alcool. De plus, le taux d'alcoolémie à l'arrestation se situait à plus du double de la limite permise, ce qui constitue un facteur aggravant contribuant au résultat de l'évaluation. Enfin, monsieur rapporte également avoir tendance à boire à des endroits pouvant demander des déplacements avec un véhicule, comme chez des amis ou dans les bars, comme au moment de son arrestation.

Tous les éléments précédemment décrits sont associés à un risque accru de récidive pour la conduite avec les facultés affaiblies.

[…] »

(Transcription conforme)

[7]               Monsieur a dûment été convoqué à l’audience, mais il n’y est ni présent ni représenté et n’a pas fourni des explications au Tribunal à ce sujet.

[8]               Le Tribunal procède donc ex parte comme le lui permet l’article 100 de la Loi sur la justice administrative [2] qui dispose :

«  100. Le Tribunal ne peut statuer sur une affaire sans que les parties aient été entendues ou appelées.

Il est dispensé de cette obligation envers une partie pour faire droit à une requête non contestée. Il l'est également lorsque toutes les parties consentent à ce qu'il procède sur dossier, sous réserve de pouvoir les appeler pour les entendre.

En outre, si une partie appelée ne se présente pas au temps fixé pour l'audience sans avoir valablement justifié son absence ou, s'étant présentée, refuse de se faire entendre, le Tribunal peut néanmoins procéder et rendre une décision. »

Admission de l’intimée

[9]               L’intimée reconnaît que les facteurs J reliés aux habitudes de conduite ne sont pas significatifs et ne doivent donc pas être considérés dans les circonstances.

La preuve documentaire

[10]            La Société présente en preuve les documents relatifs à l’évaluation sommaire [3] et demande au Tribunal de prononcer une ordonnance de non-divulgation, non-publication et non-diffusion de ces documents.

[11]            Le Tribunal prononce l’ordonnance demandée, dont le libellé apparaît au dispositif de la présente décision.

La preuve testimoniale

[12]            La personne autorisée, psychologue de formation, témoigne des résultats de l’évaluation sommaire de monsieur qui ont conduit à sa recommandation non favorable.

[13]            Il explique que monsieur présentait cinq facteurs de risque, soit les facteurs suivants :

A :   données générales et démographiques;

B :   problèmes liés à l’alcool;

I :     risques liés aux attitudes, intentions, comportements, cognition;

J :    habitudes de conduite; et

K :   alcoolémie à l’arrestation.

[14]            Sauf pour ce qui est des facteurs J, reconnus par la Société comme n’étant pas significatifs, la personne autorisée fait par la suite une revue des réponses fournies par monsieur aux divers questionnaires ayant trait aux autres facteurs, et qui ont fait que ce dernier a échoué son évaluation.

[15]            Il affirme que sa rencontre avec monsieur a été cordiale, que monsieur a offert une bonne collaboration et affiché une bonne compréhension des questions posées.

[16]            Il réfère à cet égard aux notes qu’il a consignées dans le dossier et que l’on retrouve à la page 4 de la pièce I-1.

[17]            Ces notes indiquent notamment :

« Monsieur se présente à l’heure à son rendez-vous. La rencontre d’évaluation a duré environ 1h30. Il a fourni les documents requis. Je lui ai expliqué le déroule-ment de la rencontre et les démarches subséquentes. Il signe le consentement éclairé et l’autorisation à communiquer des renseignements. Il répond aux questionnaires à l’ordinateur. Il a semblé répondre avec honnêteté et il semblait avoir une compréhension adéquate des questions. Il a demandé des précisions pour quelques-unes des questions. Monsieur collabore bien durant la rencontre. »

Les dispositions législatives pertinentes

[18]            Le CSR dispose notamment:

«  1.  Le présent code régit l'utilisation des véhicules sur les chemins publics et, dans les cas mentionnés, sur certains chemins et terrains privés ainsi que la circulation des piétons sur les chemins publics.

Il établit les règles relatives à la sécurité routière , à l'immatriculation des véhicules routiers et aux permis et licences dont l'administration relève de la Société de l'assurance automobile du Québec ainsi qu'au contrôle du transport routier des personnes et des marchandises.

[…]

76.  Sous réserve de l'article 76.1.1, aucun permis ne peut être délivré à une personne dont le permis a été révoqué ou dont le droit d'en obtenir un a été suspendu à la suite d'une déclaration de culpabilité pour une infraction au Code criminel (L.R.C. 1985, c. C-46), visée à l'article 180 du présent code, avant l'expiration d'une période d'une, de trois ou de cinq années consécutive à la date de la révocation ou de la suspension selon que, au cours des 10 années précédant cette révocation ou cette suspension, elle s'est vu imposer aucune, une seule ou plus d'une révocation ou suspension en vertu de cet article.

Si la déclaration de culpabilité est suivie d'une ordonnance d'interdiction de conduire prononcée en vertu des paragraphes 1, 2 et 3.1 à 3.4 de l'article 259 du Code criminel pour une période plus longue que celle applicable en vertu du premier alinéa, la période alors applicable sera égale à celle établie dans l'ordonnance.

76.1.2.  Lorsque l'infraction donnant lieu à la révocation ou à la suspension est reliée à l'alcool et que la personne n'est pas visée à l'article 76.1.4, elle doit, pour obtenir un nouveau permis, établir que son rapport à l'alcool ou aux drogues ne compromet pas la conduite sécuritaire d'un véhicule routier de la classe de permis demandée .

La personne doit satisfaire à l'exigence prévue au premier alinéa:

 1° au moyen d' une évaluation sommaire , si, au cours des 10 années précédant la révocation ou la suspension, elle ne s'est vu imposer ni révocation ni suspension pour une infraction consistant à refuser de fournir un échantillon d'haleine ou pour une infraction reliée à l'alcool;

 2° au moyen d'une évaluation complète, si, au cours des 10 années précédant la révocation ou la suspension, elle s'est vu imposer au moins une révocation ou suspension pour une infraction consistant à refuser de fournir un échantillon d'haleine ou pour une infraction reliée à l'alcool.

La personne qui échoue l'évaluation sommaire doit satisfaire à l'exigence prévue au premier alinéa au moyen d' une évaluation complète .

La personne qui réussit l'évaluation sommaire doit, après avoir payé à la Société les droits afférents, suivre avec succès un programme d'éducation reconnu par le ministre des Transports et destiné à sensibiliser les conducteurs aux problèmes de la consommation d'alcool ou de drogue.

76.1.7.  Pour l'application des articles 76.1 à 76.1.6, on entend par:

[…]

 4° «une infraction reliée à l'alcool» une infraction à l'article 253 ou au paragraphe 2, 2.1, 3 ou 3.1 de l'article 255 du Code criminel pour laquelle aucune décision d'un tribunal ne fait état que la concentration d'alcool dans le sang du contrevenant au moment où l'infraction a été commise était supérieure à 160 mg d'alcool par 100 ml de sang;

[…]

76.1.9.  Les évaluations visées aux articles 64, 76.1.2, 76.1.4 et 76.1.4.1 relèvent des centres de réadaptation pour personnes alcooliques et autres personnes toxicomanes et des centres hospitaliers offrant un service de réadaptation pour de telles personnes. Elles sont faites par des personnes autorisées par ces centres et suivant les règles établies par entente entre la Société et ces centres et entre la Société et l'Association des centres de réadaptation en dépendance du Québec.

81.  La Société peut refuser de délivrer un permis, d'en changer la classe ou de lui en ajouter une autre, si la personne qui en fait la demande :

[…]

 3°  selon un rapport d'examen ou d'évaluation visé aux articles 64, 73, 76.1.2, 76.1.4 ou 76.1.4.1 ou un rapport visé à l'article 603, est atteinte d'une maladie, d'une déficience ou se trouve dans une situation non visées dans les normes concernant la santé établies par règlement mais qui, d'après l'avis d'un professionnel de la santé ou d'un autre professionnel que la Société peut désigner nommément ou d'une personne autorisée par un centre de réadaptation pour personnes alcooliques et autres personnes toxicomanes, sont incompatibles avec la conduite d'un véhicule routier correspondant au permis de la classe demandée;

[…]

190.   La Société peut suspendre un permis d'apprenti-conducteur et un permis probatoire ou un permis de conduire ou une classe de ceux-ci lorsque le titulaire de l'un ou plusieurs de ces permis:

[…]

 3°  selon un rapport d'examen ou d'évaluation visé aux articles 64, 73, 76.1.2, 76.1.4 ou 76.1.4.1 ou un rapport visé à l'article 603, est atteint d'une maladie, d'une déficience ou se trouve dans une situation non visées dans les normes concernant la santé établies par règlement mais qui, d'après l'avis d'un professionnel de la santé ou d'un autre professionnel que la Société peut désigner nommément ou d'une personne autorisée par un centre de réadaptation pour personnes alcooliques et autres personnes toxicomanes, sont incompatibles avec la conduite d'un véhicule routier correspondant au permis de la classe demandée;

[…]

560.  Peut être contestée devant le Tribunal administratif du Québec:

 1° une décision prise par la Société en vertu des paragraphes 1°, 2° et 3° de l'article 81, des paragraphes 1° et 2° de l'article 82, du paragraphe 2° de l'article 83, des paragraphes 1°, 2° et 3° de l'article 190 ou de l'article 191 ou une décision de la Société refusant de réviser une telle décision ou la maintenant;

[…] »

(Les reliefs sont du soussigné)

[19]            L’article 15 de la Loi sur la justice administrative et l’article 3 de son annexe I disposent notamment pour leur part :

«  15.  Le Tribunal a le pouvoir de décider toute question de droit ou de fait nécessaire à l'exercice de sa compétence.

Lorsqu'il s'agit de la contestation d'une décision, il peut confirmer, modifier ou infirmer la décision contestée et, s'il y a lieu, rendre la décision qui, à son avis, aurait dû être prise en premier lieu.

3.   En matière de services de santé et de services sociaux, d'éducation et de sécurité routière, la section des affaires sociales connaît des recours suivants:

[…]

 2.2° les recours formés en vertu du paragraphe 1° de l'article 560 du Code de la sécurité routière;

[…] »

La décision et ses motifs

[20]            Après avoir étudié le dossier, entendu le témoignage de la personne autorisée à l’audience de même que l’argument de la Société, et sur le tout délibéré, le Tribunal estime que la décision de la Société est bien fondée dans les circonstances.

[21]            Les motifs en sont les suivants.

[22]            Monsieur est absent à l’audience.

[23]            Cette situation fait en sorte qu’il ne présente aucune preuve à l’appui de son recours.

[24]            Dans les circonstances, le Tribunal ne peut que donner raison à la Société dont la preuve n’est aucunement contredite.

[25]            Soulignons par ailleurs que l’obtention d’un permis de conduire constitue non pas un droit mais un privilège, et que les dispositions législatives édictées à cet égard ont pour but essentiel de protéger tant le public que monsieur en l’instance.

PAR CES MOTIFS , le Tribunal :

DÉCLARE bien fondée la décision rendue par la Société à l’endroit de monsieur le 8 avril 2014;

REJETTE le recours; et

ORDONNE au requérant ainsi qu’à toute autre personne :

 

●       de ne pas divulguer, publier ou diffuser les renseignements contenus à la pièce I-1 en liasse (les résultats du requérant aux tests, le contenu des tests eux-mêmes (questions-réponses) et les résultats pondérés du requérant à l’évaluation) ;

 

●       de ne pas reproduire ledit protocole et l’évaluation de même que d’en faire des photocopies;

 

Le tout sous peine d’outrage au Tribunal.

 


 

 

ROBERT LESSARD, j.a.t.a.q.


 

Me Jessica Néron

Procureure de la partie intimée


 

* Le Tribunal a autorisé une réduction du quorum à un seul membre, en vertu de l’article 82 , alinéa 3 de la Loi sur la justice administrative.



[1] L.R.C. 1985, c. C-46.

[2] RLRQ, chapitre J-3.

[3] Pièce I-1 en liasse.