Dubuc c. Laval (Ville de) |
2015 QCCQ 854 |
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COUR DU QUÉBEC |
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« Division des petites créances » |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DISTRICT DE |
LAVAL |
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LOCALITÉ DE |
LAVAL |
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« Chambre civile » |
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N° : |
540-32-024587-113 |
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DATE : |
Le 11 février 2015 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE |
L’HONORABLE |
BENOIT SABOURIN, J.C.Q. |
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Michelle DUBUC |
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Demanderesse |
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c. |
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VILLE DE LAVAL |
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Défenderesse |
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JUGEMENT |
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[1] Michelle Dubuc réclame 6 454,37 $ à Ville de Laval. Elle tient Ville de Laval responsable de sa chute survenue alors qu’elle marchait sur la rue André-Chénier. Elle reproche à Ville de Laval de ne pas avoir entretenu un puisard qui était enfoncé de trois pouces dans la chaussée. La somme réclamée correspond aux déboursés encourus en lien avec cette chute et à des dommages non pécuniaires (1 454,37 $ pour les déboursés et 5 000 $ pour les dommages non pécuniaires).
[2] Ville de Laval conteste la demande. Elle plaide qu’elle n’a commis aucune faute. Elle ajoute que l’état du puisard ne peut constituer un piège. Elle considère que les dommages réclamés par Michelle Dubuc sont exagérés.
Michelle Dubuc a-t-elle droit, en tout ou en partie, à la somme de 6 454,37 $ qu’elle réclame à Ville de Laval?
[3] Le 22 avril 2011, peu avant 22 h, Michelle Dubuc prend une marche à l’extérieur en compagnie de son amie, Doris Vendittoli. En sortant de sa résidence située sur la rue Deslauriers à Laval, elle marche sur le trottoir situé du côté est de cette rue et se dirige vers le sud. Lorsqu’elle arrive au coin du boulevard Je-me-Souviens, elle emprunte le trottoir situé au nord du boulevard Je-me-Souviens et se dirige vers l’est.
[4] Quelques pas plus loin, elle traverse le boulevard Je-me-Souviens à la hauteur de la rue André-Chénier laquelle est située au sud du boulevard. Elle veut poursuivre sa marche sur la rue André-Chénier qui est une rue plus tranquille.
[5] La rue André-Chénier est à double sens et n’est pas bornée par des trottoirs. Michelle Dubuc et son amie marchent du côté ouest de la rue, et ce, dans le sens du trafic. Alors qu’elle marche dans la rue André-Chénier et qu’elle n’y a fait que quelques pas, Michelle Dubuc tombe au sol.
[6] Michelle Dubuc se relève difficilement avec l’aide de son amie Doris Vendittoli. En se relevant, elle constate qu’elle a trébuché sur un puisard situé sur la rue qui est enfoncé dans la chaussée d’environ trois pouces.
[7] Michelle Dubuc retourne difficilement chez elle en marchant. Elle ressent des douleurs aux chevilles ainsi qu’au poignet droit. Elle communique alors avec le service Info Santé. On lui recommande l’usage de glace pour réduire l’inflammation. On lui suggère de consulter un médecin s’il n’y a pas d’amélioration dans les 48 prochaines heures.
[8] Comme elle ne perçoit pas d’amélioration et qu’elle est souffrante, Michelle Dubuc se rend à l’urgence de l’Hôpital Fleury le lendemain matin. On lui diagnostique alors des fractures aux malléoles externes de ses deux pieds. De plus, elle a une fracture du radius du bras droit.
[9] Ses chevilles sont immobilisées à l’aide de bottes qu’elle doit porter pour une période de cinq semaines. De plus, son bras droit est plâtré pour une période de trois semaines.
[10] Elle revient à la maison, le jour même, par ambulance. Elle est en incapacité totale temporaire du 2 avril 2011 jusqu’à la fin du mois de mai 2011. Par la suite, elle entreprend des traitements visant à favoriser sa réadaptation.
[11] Elle explique qu’elle conserve des séquelles suite à sa chute. Elle a des douleurs persistantes aux deux chevilles et des douleurs au poignet droit et à la main droite.
[12] Elle produit un relevé des dépenses faites entre le 2 avril 2011 et le 31 octobre 2011, en lien avec son accident. En tout, elle estime qu’elle a encouru des déboursés de 1 454,37 $, incluant les frais payés aux professionnels de la santé qui l’ont traitée (ostéopathe, ergothérapeute et physiothérapeute), le coût des médicaments ainsi que les frais de déplacement et les déboursés liés à ses déplacements.
[13] Elle réclame à titre de dommages non pécuniaires la somme de 5 000 $ pour compenser les souffrances, douleurs et inconvénients qu’elle a subis.
[14] Au moment de sa chute, Michelle Dubuc est retraitée et n’a donc pas subi de perte de revenu. Elle soumet au Tribunal une longue liste des activités qu’elle a dû interrompre et des conséquences de sa chute sur sa vie personnelle et sociale.
[15] À la demande de Ville de Laval, Rachel Miville témoigne à l’audience. Elle est superviseur au module Égout, Aqueduc et Travaux publics pour Ville de Laval.
[16] Elle explique que les puisards font l’objet d’une inspection régulière. L’enfoncement d’un puisard n’est pas considéré comme un problème urgent pour Ville de Laval. En effet, le service des travaux publics privilégie les bris d’aqueducs et refoulements d’égouts, travaux qui occupent la majeure partie du temps des employés de Ville de Laval.
[17] Ville de Laval soutient que Michelle Dubuc a choisi de ne pas circuler sur une rue desservie par un trottoir piétonnier. Ville de Laval ajoute que la situation du puisard ne constitue pas un piège. En effet, la situation de ce puisard était visible et Michelle Dubuc aurait pu l’éviter. Il s’agit ici d’un accident dont Ville de Laval ne peut être tenue responsable.
[18]
Le recours de Michelle Dubuc est basé sur l'article
« 1457 . Toute personne a le devoir de respecter les règles de conduite qui, suivant les circonstances, les usages ou la loi, s'imposent à elle, de manière à ne pas causer de préjudice à autrui.
Elle est, lorsqu'elle est douée de raison et qu'elle manque à ce devoir, responsable du préjudice qu'elle cause par cette faute à autrui et tenue de réparer ce préjudice, qu'il soit corporel, moral ou matériel.
Elle est aussi tenue, en certains cas, de réparer le préjudice causé à autrui par le fait ou la faute d'une autre personne ou par le fait des biens qu'elle a sous sa garde. »
[19] Michelle Dubuc devait donc prouver que Ville de Laval a commis une faute en omettant de maintenir en bon état le puisard sur lequel elle a chuté ou en étant négligente dans son entretien. Michelle Dubuc devait prouver que la situation du puisard était un piège.
[20] Dans l’affaire Bernard c. Ville de Laval [1] , la juge Julie Messier J.C.Q. était saisie d’un litige dans lequel la demanderesse plaidait qu'un trou dans un trottoir de Ville de Laval avait causé sa chute. La preuve a démontré la présence d'une dénivellation de quatre pouces dans le trottoir.
[21] Dans sa décision, elle expose les principes juridiques applicables lorsqu’il faut analyser la responsabilité d’une ville :
« […]
[12] Il n'existe pas de présomption légale de responsabilité contre les villes lorsqu'un piéton chute sur le trottoir [2] ;
[13] La jurisprudence unanime énonce que l'obligation d'entretien d'une ville est une obligation de moyens et non de résultat [3] et qu'elle n'est pas l'assureur des piétons [4] ;
[14] Dans un premier temps, il faut donc se demander si Bernard a établi la faute de Laval, soit à l'effet que l'état du trottoir constituait un piège;
[15] La notion de piège a été circonscrite par la cour Suprême, dans l'arrêt Rubis c. Gray Rocks Inn Ltd où M. le juge Beetz pour la majorité, écrivait ce qui suit [5] :
« L’infinie variété des faits empêche que l’on définisse avec précision ce que c’est qu’un piège. On peut cependant dire que le piège est généralement une situation intrinsèque dangereuse. Le danger ne doit pas être apparent mais caché; par exemple une porte ouvrant non pas sur un véritable escalier comme on pouvait s’y attendre mais sur des marches verticales comme celles d’un escabeau : Drapeau c. Gagné, [1945] B.R. 303; un piquet planté dans l’herbe d’un sentier et dissimulé par celle-ci : Girard c. City of Montreal, [1962] C.S. 361; mais non pas une marche dans un corridor bien éclairé; Hôtel Montcalm Inc. c. Lamberston, [1965] B.R. 79. Il y a généralement dans l’idée de piège une connotation d’anormalité et de surprise, eu égard à toutes les circonstances; par exemple, un trou dans le toit d’un bâtiment en construction n’est pas un piège pour un ouvrier travaillant sur ce toit : Larivée c. Canadian Technical Tape Limited, [1996] B.R. 700; voir également Perron c. Provost, [1959] B.R. 531. »
[16] Le Tribunal ne retrouve pas dans le cas présent les éléments qui permettraient de conclure à la présence d'un état d'anormalité, de surprise, ou de danger susceptible d'enclencher la responsabilité de Laval;
[17] Dans Harold Francis Foley c. La cité de Montréal [6] , M. le juge Demers, de la cour Supérieure, concluait qu'une dénivellation de 4 pouces dans le trottoir ne constituait pas un piège, par une journée ensoleillée d'été;
« Il est indiscutable que tout piéton a l'obligation de regarder devant lui et que si le demandeur avait porté la moindre attention, il ne pouvait faire autrement que de voir et éviter cette dénivellation. »
[18] Les photographies déposées en preuve par la demande et la défense démontrent que la dénivellation est visible de plusieurs mètres. De plus, le temps était clair;
[…] »
[22] Dans l'affaire Lebrasseur c. Ville de Laval [7] , il est question d'une fissure dans le trottoir qui serait à l’origine de la chute de la partie demanderesse. La juge Micheline Sasseville J.C.Q traite de la nature des obligations d'une ville envers ses citoyens concernant l'entretien des trottoirs en ces termes :
« […]
[43] Dans l'affaire récente Vachon c. Ville de Longueuil [8] , le juge Silcoff, J.C.S. rappelle notamment les principes suivants :
- L'obligation d'une ville d'entretenir ses trottoirs est une obligation de moyens;
- une municipalité n'a pas l'obligation de maintenir en tout temps et en toutes circonstances ses trottoirs en parfaite condition;
- une ville doit apporter à l'entretien de ses trottoirs les soins d'une personne raisonnablement prudente et diligente;
- il n'y a pas de présomption légale contre les municipalités; le demandeur a le fardeau de la preuve et il doit établir une faute de la municipalité.
[44] Dans cette cause, il est aussi exprimé ce qui suit :
« Si les municipalités ont le devoir de maintenir les lieux publics, notamment les trottoirs, sécuritaires, les usagers ont pour leur part une obligation de prudence et en particulier celle de vérifier où ils posent leurs pieds. » [9]
[45] Tout en éprouvant une profonde sympathie pour la demanderesse qui a été grièvement blessée, le Tribunal ne peut qu'en arriver à la conclusion qu'il s'agit d'un malheureux accident pour lequel la Ville n'est pas responsable.
[…] »
[23] Les décisions auxquelles le Tribunal vient de référer concernent deux incidents survenus sur des trottoirs à vocation piétonnière. L’accident de Michelle Dubuc est survenu alors qu’elle marchait sur une rue qui n’était pas desservie par un trottoir.
[24]
Michelle Dubuc ne circulait pas sur un trottoir piétonnier au moment de
sa chute. D’autre part, elle n’a pas respecté ses obligations découlant du
Code
de la sécurité routière
. Elle marchait du mauvais côté de la rue. L’article
« 453 . Lorsqu'aucun trottoir ne borde une chaussée, un piéton doit circuler sur le bord de la chaussée et dans le sens contraire de la circulation des véhicules, en s'assurant qu'il peut le faire sans danger. »
[notre soulignement]
[25] Finalement, le Tribunal constate que l’état du puisard ne peut constituer un piège. En effet, l’enfoncement du puisard dans la chaussée était visible. En s’aventurant sur une rue non piétonnière, du mauvais côté de la rue, et ce, à un moment de la journée où l’éclairage était insuffisant, Michelle Dubuc n’a pas agi de façon prudente et diligente.
[26] En conséquence, et ce, malgré toute la sympathie que peut éprouver le Tribunal envers la demanderesse, il doit rejeter sa demande.
[27] Usant du pouvoir discrétionnaire dont il dispose quant à l’octroi des frais, le Tribunal rejettera la demande, chaque partie assumant les frais qu’elle a engagés.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
REJETTE la demande, chaque partie payant ses frais.
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__________________________________ BENOIT SABOURIN, j.c.q. |
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Date d’audience : |
3 novembre 2014 |
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[1]
[2] Paquin c. Cité de Verdun, [1961] R.C.S. 100 p. 101 et 102.
[3]
Crevier-Valiquette
c.
Longueuil (Ville de)
,
[4]
Garberi
c.
Cité de Montréal,
[5] [1982] (1) R.C.S. 452, 466.
[6] Juge André Demers, J.C.S., le 23 février 1973 - C.S. No 804-421.
[7]
[8] District de Longueuil [10-01-2007] C.S. 505-17-001406-034.
[9] Ibid, note 8.